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Date : 20210622


Dossier : T‑1346‑19

Référence : 2021 CF 646

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ANTONIO DA SILVA

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant le refus de la demande présentée par M. Da Silva afin que les arriérés d’intérêts accumulés de 2008 à 2018 sur ses dettes fiscales impayées pour les années d’imposition 2002 à 2007 fassent l’objet d’une renonciation ou d’une annulation.

[2] Un tel allègement peut être accordé en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (la Loi), qui est ainsi libellé :

Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[3] La demande initiale d’allègement de M. Da Silva a été présentée le 12 avril 2018. Elle a été refusée. Comme le permettent les dispositions pertinentes, M. Da Silva a demandé au ministre de réexaminer cette décision. Le second examen s’est également soldé par une décision de refus, datée du 23 juillet 2019. C’est cette dernière décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[4] En 2009, une vérification du revenu de M. Da Silva a donné lieu à l’établissement d’une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2002 à 2007 afin de tenir compte d’un montant de 874 402 $ en revenus non déclarés ainsi que de pénalités pour faute lourde. Entre juin 2009 et octobre 2018, M. Da Silva a effectué neuf paiements volontaires pour rembourser sa dette, à l’égard de laquelle des transferts internes et des saisies‑arrêts ont également été appliqués. Au 15 mai 2019, il devait 1 161 010,14 $, montant correspondant aux intérêts relatifs à l’année d’imposition 2002 et aux impôts, pénalités et intérêts relatifs aux années d’imposition 2003 à 2007, 2014 et 2016. Il semble, d’après le dossier, qu’un montant d’environ 632 120,26 $ de la dette totale corresponde aux intérêts exigés sur les impôts impayés.

[5] Comme pour la première, la seconde demande de renonciation aux frais d’intérêt ou d’annulation de ceux‑ci a été présentée pour motifs de difficultés financières ou incapacité de payer ainsi que de maladie grave. Toutefois, comme son entreprise de Churchill, au Manitoba, avait dû fermer ses portes par suite d’un incendie, la demande était également fondée sur une catastrophe naturelle ou d’origine humaine.

[6] La principale source d’interprétation du paragraphe 220(3.1) de la Loi est l’arrêt Bozzer c Canada (Ministre du Revenu national), 2011 CAF 186. Selon la Cour d’appel fédérale, cette disposition « autorise le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler les intérêts accumulés au cours de toute année d’imposition se terminant dans les dix ans précédant la demande d’allègement du contribuable, indépendamment du moment où la dette fiscale sous‑jacente a pris naissance ». En l’espèce, cela signifie que le ministre pourrait accorder un allègement à l’égard des intérêts courus depuis le 1er janvier 2008. Ce point n’est pas contesté par les parties.

[7] M. Da Silva soutient que [TRADUCTION] « si la période de dix ans applicable à l’examen d’une demande d’allègement au titre des intérêts faite par un contribuable correspond aux dix années précédant la présentation de la demande, les circonstances de cette même période de dix ans pendant laquelle les intérêts se sont accumulés sur la dette fiscale devraient servir de base à l’examen de la demande ». En bref, il fait valoir que les faits pertinents sont ceux qui se sont produits au cours de la période de 2008 à 2018, plutôt que les faits antérieurs à 2008. Selon lui, la décision faisant l’objet du contrôle tenait compte des faits antérieurs à 2008 et mettait l’accent sur ceux‑ci, d’où son caractère déraisonnable.

[8] À l’appui de cet argument, l’avocat de M. Da Silva a expressément attiré l’attention de la Cour sur les passages suivants de la décision :

[TRADUCTION]

Vous avez demandé un allègement au titre des arriérés d’intérêts pour les années d’imposition antérieures à 2008. L’Agence du revenu du Canada (ARC) peut examiner la possibilité d’accorder un allègement au titre des intérêts pour toute année d’imposition. Toutefois, l’examen se limite aux intérêts accumulés pendant les 10 années civiles précédant l’année de la première demande, qui, en l’occurrence, a été présentée le 12 avril 2018. Par conséquent, la présente décision vise les intérêts courus depuis le 1er janvier 2008.

L’allègement a été demandé en raison de vos problèmes de santé, dont l’hypertension, des accidents vasculaires cérébraux et des problèmes cardiaques. Les renseignements médicaux fournis concernent des affections survenues après les dates limites de production et de paiement des années d’imposition visées par la demande d’allègement, à l’exception du diagnostic d’hypertension établi en 2004. Les renseignements médicaux fournis n’ont pas démontré que ces affections vous empêchent de respecter vos obligations fiscales. L’examen a bel et bien révélé que vous étiez peut‑être incapable de vous occuper de vos problèmes fiscaux à compter d’août 2017, alors que vous avez subi un accident vasculaire cérébral et avez connu des épisodes de confusion, de désorientation et de trous de mémoire associés à des crises épileptiques. Cependant, à ce moment‑là, vous avez nommé votre fille et votre épouse comme mandataires. Il est important de souligner que les paiements volontaires destinés à rembourser la dette ont été versés après août 2017; par conséquent, je n’ai pas constaté que votre état de santé empêchait le versement de paiements servant à rembourser votre dette.

Dans votre demande d’allègement, il est question de l’incendie survenu dans votre entreprise. Par suite de cet incendie, votre entreprise a été une perte totale, de sorte que vous n’avez plus de source de revenus permanente. Comme l’incendie s’est produit au printemps 2018, je n’ai pu conclure qu’il a eu une incidence sur votre capacité de respecter vos obligations fiscales pour les années d’imposition 2002 à 2007 lorsqu’elles devaient être acquittées; toutefois, j’ai pris en considération les répercussions de l’incendie sur votre capacité de gagner un revenu et j’en ai tenu compte en examinant votre demande d’allègement pour cause de difficultés financières et d’incapacité de payer.

[Non souligné dans l’original.]

[9] M. Da Silva observe à juste titre au paragraphe 12 de son mémoire que [traduction] « [l]e paragraphe 220(3.1) ne précise pas la portée du pouvoir discrétionnaire dont dispose l’ARC pour ce qui est décider de renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts ou de l’annuler en tout ou en partie, si ce n’est que la période visée par la renonciation ou l’annulation se limite à dix années civiles. » Il soutient que [traduction] « la décision de l’ARC était déraisonnable en ce qu’elle ne tenait compte d’aucune des circonstances du demandeur pendant la période visée par la demande d’allègement pour les contribuables au second palier, soit de 2008 à 2018 [non souligné dans l’original] ».

[10] Or il est évident, d’après les motifs rendus par la décideuse, que les circonstances du demandeur lors de la période allant de 2008 à 2018 ont été prises en compte. Un examen du libellé de la seconde partie du deuxième paragraphe reproduit au paragraphe 8, ci-dessus, le montre bien. La décideuse a tenu compte de l’état de santé de M. Da Silva en 2017 et aux alentours de cette année-là, en plus d’autres éléments de preuve antérieurs.

[11] Dans ses observations de vive voix, l’avocat a semblé revenir sur cette position. Il a soutenu que la décideuse avait indûment mis l’accent sur des éléments de preuve antérieurs à 2008, et il a fait valoir que la décision était, de ce fait, déraisonnable. Je ne puis accepter ni l’une ni l’autre de ces affirmations.

[12] Selon mon évaluation, la décideuse a tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait et qui auraient pu avoir eu une incidence sur la capacité de M. Da Silva de payer les intérêts courus. Elle l’a fait, que les éléments soient survenus avant 2008 ou après. Je ne vois aucune erreur dans cette approche.

[13] Comme il a été mentionné précédemment, les intérêts s’accumulaient sur une dette fiscale liée aux années d’imposition 2002 à 2007. Il n’y a aucune restriction sur les questions dont un décideur peut tenir compte lorsqu’il évalue s’il renoncera aux pénalités d’intérêt ou les annulera. Les faits survenus au moment où la dette initiale a été contractée sont, à mon avis, pertinents pour un tel examen.

[14] Prenons l’exemple ci‑après. Un contribuable omet de déclarer des revenus de 500 000 $ au cours des années 2005 à 2010. Ce fait est découvert lors d’une nouvelle cotisation établie en 2011, et le contribuable se voit imposer l’impôt supplémentaire ainsi que les pénalités et les intérêts sur les sommes impayées. Il ne paie rien au titre des intérêts, mais continue de gagner un revenu important, qu’il investit mal. En 2020, il souffre d’une blessure débilitante et est pratiquement frappé d’incapacité. Il demande au ministre d’annuler les arriérés d’intérêts ou d’y renoncer. Bien qu’il soit maintenant incapable de gagner un revenu qui lui permette de payer rapidement et intégralement les arriérés, n’est‑il pas pertinent de se demander si c’était aussi le cas au cours des années précédentes? Dans l’exemple donné, rien ne l’empêchait de rembourser la dette d’intérêts; il a tout simplement choisi de ne pas le faire. Voilà selon moi un facteur pertinent. Cela ne veut pas dire que la situation actuelle du contribuable n’est pas pertinente, mais que l’ensemble des circonstances de la présente affaire sont pertinentes.

[15] M. Da Silva fait valoir que, si tant est que le ministre ait été en droit d’examiner ses circonstances en remontant jusqu’à 2002, il n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle il avait souffert d’une maladie grave au cours de la période allant de 2002 à 2007. Malgré tout le respect que je dois à M. Da Silva, je ne puis conclure qu’il a présenté le moindre élément de preuve qui démontrerait un quelconque problème de santé l’ayant durement touché ou ayant grandement affaibli ses capacités de 2002 à 2007. Le peu d’éléments de preuve figurant au dossier a en fait été pris en compte par la décideuse.

[16] Enfin, M. Da Silva soutient que le ministre n’a pas tenu compte de l’injustice inhérente au montant excessif et disproportionné des intérêts par rapport à la dette fiscale sous‑jacente. Il souligne que, à la date de la seconde demande, la dette était composée de 482 123,14 $ en impôt comme tel et de 632 120,26 $ en intérêts. Il déclare :

[traduction]

L’ampleur même des intérêts par rapport à l’impôt sous‑jacent est fondamentalement injuste et justifie un allègement au titre des dispositions d’équité. Dans [la décision Dick c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 560, au para 9], la Cour avait annulé la décision du ministre de refuser au demandeur un allègement pour les contribuables au motif que le ministre s’était trompé en omettant de tenir compte, entre autres, de la proportion excessive de la pénalité et des intérêts par rapport à l’impôt sous‑jacent.

[17] Je conviens avec le ministre qu’une distinction doit être établie entre cette affaire et celle qui nous occupe. M. Dick avait démontré les difficultés financières auxquelles il faisait face et il était peu susceptible de pouvoir un jour rembourser les sommes dues. La part d’intérêts n’était qu’un des facteurs que la Cour avait jugés pertinents et qui, selon elle, n’avaient pas été pris en compte. Plus précisément, aux paragraphes 9 à 11, la Cour avait conclu que les dispositions de l’article 7b) du Dossier Équité s’appliquaient à la situation de M. Dick :

[...] je note que l’ADRC n’a pas tenu compte de ce qui suit :

i) le demandeur a 72 ans et, en raison de son alcoolisme chronique et [de] sa dépendance aux médicaments, il est improbable qu’il puisse gagner les sommes dues;

ii) les intérêts accumulés et la pénalité excèdent largement l’impôt en souffrance;

iii) à l’audience, le demandeur a dit qu’il pourrait emprunter l’argent à un ami personnel pour payer l’impôt en souffrance, s’il y avait une dispense de pénalité et d’intérêts;

iv) l’article 7b) du dossier Équité.

L’article 7b) du Dossier Équité prévoit :

Lorsqu’un contribuable ne peut conclure une entente de paiement qui serait raisonnable parce que les frais d’intérêts compte [sic] pour une partie considérable des versements; dans un tel cas, il faudrait penser renoncer à la totalité ou à une partie des intérêts pour la période où les versements débutent jusqu’à ce que le montant exigible soit payé pourvu que les versements convenus soient effectués à temps.

[11] Ces dispositions semblent directement applicables à la présente affaire. Je conclus qu’il était manifestement déraisonnable de la part de l’ADRC de ne pas tenir compte des quatre facteurs mentionnés au paragraphe 9 ci‑dessus. Il est bien entendu que l’ADRC pouvait conclure une entente en se fondant sur l’article 7b) du Dossier Équité à la condition que le paiement [des arrérages] d’impôt se fasse parallèlement à la renonciation à la pénalité et aux intérêts [.] [Non souligné dans l’original.]

[18] La proportion des intérêts courus par rapport à la dette fiscale sous‑jacente n’est pas un facteur isolé.

[19] Contrairement à la situation de M. Dick, en l’espèce, la décideuse a conclu que M. Da Silva avait suffisamment d’actifs pour réorganiser ses affaires financières. Le dossier dont elle disposait démontrait qu’il avait des actifs évalués à plus de 415 000 $ et un passif hypothécaire de 48 121,99 $ sur une résidence principale évaluée à 375 000 $. De plus, il devait recevoir un paiement d’assurance de 541 000 $ par suite de l’incendie survenu dans son entreprise.

[20] Pour ces motifs, la demande doit être rejetée.

[21] Conformément à la directive de procédure intitulée Les dépens dans la Cour fédérale et datée du 30 avril 2010, les parties ont été invitées à présenter des observations sur les dépens. Elles ont ainsi convenu que la partie qui aurait gain de cause devrait se voir accorder ses dépens, fixés à 1 500 $. Je suis d’accord.


JUGEMENT dans le dossier T‑1346‑19

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée avec dépens, fixés au montant de 1 500 $ en faveur du défendeur.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1346‑19

 

INTITULÉ :

ANTONIO DA SILVA c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Jeff Pniowsky

POUR LE DEMANDEUR

Me Julien Bédard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional des Prairies

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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