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Date : 20210616


Dossier : IMM‑472‑20

Référence : 2021 CF 616

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 16 juin 2021

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

YING ZHENG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie‑Britannique) le 9 juin 2021. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.)

[1] Un agent des visas a conclu que Changqian Chen n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial par application de l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Sa répondante, Mme Ying Zheng, a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI). Le 2 janvier 2020, la SAI a confirmé la décision de l’agent des visas. Je suis saisi d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], dans laquelle Mme Zheng demande l’annulation de la décision de la SAI.

[2] Dans le passage reproduit ci‑dessous, Ying Zheng est appelée l’appelante et M. Chen, le demandeur, car il s’agit des termes qu’a employés la SAI.

[3] L’avocate du défendeur a renvoyé la Cour aux paragraphes 5 à 7 et 13 à 23 de la décision de la SAI. Ces paragraphes me semblent donner une description utile des faits et je ne puis faire mieux que reprendre la description de la SAI :

[5] L’appelante et le demandeur se sont rencontrés en novembre 1997 et ont emménagé ensemble en janvier 1998. Ils ont habité chez les parents du demandeur jusqu’en août 2001, moment où le demandeur a quitté la Chine pour la première fois et où ils ont perdu contact. L’appelante et le demandeur ont eu deux fils : le premier en juillet 2000 et le deuxième en février 2002, après que le demandeur ait quitté le pays l’année précédente. L’appelante prétend avoir continué de vivre avec les parents du demandeur quelques mois après la naissance de son deuxième fils, jusqu’à ce que les parents du demandeur disparaissent avec ses deux fils et qu’elle ne puisse pas les retrouver.

[4] J’interromps la citation à ce moment‑ci pour mentionner qu’au cours de l’audience, j’ai demandé à l’avocat de Mme Zheng si elle avait signalé l’enlèvement de ses deux enfants aux autorités chinoises. L’avocat a répondu par la négative.

[5] Je poursuis maintenant la citation à partir du paragraphe 6 de la décision de la SAI :

[6] Le demandeur s’est rendu au Canada en décembre 2001 et a présenté une demande d’asile au Canada qui a été rejetée en février 2003, parce qu’elle n’était pas crédible. Il a accepté de quitter le Canada pour se conformer à une mesure d’interdiction de séjour qui est entrée en vigueur après la fin de son processus de demande d’asile, mais il a ensuite annulé le billet et il est demeuré au Canada sans statut jusqu’en 2015. Au cours de cette même période, l’appelante est retournée chez ses parents et s’est mariée pour la première fois, à Da Fu Feng, en août 2003, et celui‑ci l’a parrainée au Canada. Elle est devenue une résidente permanente du Canada le 7 juin 2004 au titre de la catégorie des époux. Cette relation a pris fin peu de temps après que l’appelante ait obtenu le droit d’établissement au Canada, et son divorce d’avec M. Feng a été prononcé en mars 2006. L’appelante s’est mariée une deuxième fois en octobre 2006 avec Chunqiang Xu en Chine et a présenté une demande de parrainage à son égard. Cette demande a été rejetée en mars 2009 au motif qu’il s’agissait d’un mariage de convenance. Un appel à l’égard de ce refus a été interjeté en avril 2009, mais le désistement de l’appel a été prononcé en juin 2010. L’appelante a divorcé de M. Xu en mai 2015.

[7] L’appelante et le demandeur auraient renoué par hasard en octobre 2008 et se seraient mariés en mars 2017. En juillet 2017, l’appelante a déposé une demande de parrainage à l’égard du demandeur, laquelle a été rejetée, d’où le présent appel.

[…]

[13] L’appelante a déclaré que sa relation avec le demandeur a pris fin vers le mois d’août 2001, lorsque ce dernier a quitté la Chine pour la première fois pour se rendre en Malaisie. Le demandeur est brièvement revenu en novembre 2001 pour demander de l’argent à ses parents afin de tenter de se rendre aux États‑Unis. Cette chronologie diffère légèrement de celle décrite par le demandeur, qui a d’abord dit à l’agent des visas, au moment de son entrevue en juillet 2018, que sa relation avec l’appelante n’avait pris fin que lorsqu’il avait déposé une demande d’asile au Canada en 2002. Il a ensuite déclaré que la relation avait pris fin lorsque sa demande d’asile avait été rejetée au début de l’année 2003 et qu’il ne pouvait plus communiquer avec l’appelante parce qu’il n’avait pas de téléphone. Au moment de l’audience relative à sa demande d’asile en janvier 2003, le demandeur a déclaré au tribunal de la Section de la protection des réfugiés (SPR) que sa fiancée vivait encore avec leurs fils chez ses parents à lui. Compte tenu des divergences entre les témoignages et les éléments de preuve produits, il est difficile d’établir si la relation entre les membres du couple a pris fin et à quel moment elle a pris fin. Toutefois, je constate que la demande d’asile du demandeur a été rejetée en février 2003, que, peu de temps après, il s’est mis à vivre clandestinement au Canada et que, en août 2003, l’appelante a épousé M. Feng, qui l’a parrainée au Canada la même année.

La relation temporelle existant entre la séparation de l’appelante d’avec le demandeur et les relations avec son premier et son deuxième époux.

[14] L’appelante a affirmé qu’elle avait rencontré son premier époux en mars 2003, puis elle a modifié son témoignage pour dire que c’était à l’automne 2003, et qu’elle avait immédiatement commencé à vivre avec lui pendant un mois. Le couple s’est marié en août 2003, et l’appelante a été parrainée au Canada et est devenue une résidente permanente en juin 2004. Selon les allégations de l’appelante, cette relation a été de courte durée et, en octobre 2004, elle a quitté son époux quelques mois seulement après son arrivée au Canada et après avoir découvert les problèmes de jeu de ce dernier. L’appelante a mentionné dans ses formulaires de demande qu’elle a quitté son premier époux même plus tôt, soit le 17 juillet 2004. Le demandeur a dit à l’agent des visas que l’appelante n’avait jamais parlé de ses deux enfants à son premier époux et que, lorsque celui‑ci avait vu les vergetures sur l’abdomen de l’appelante et qu’il avait pris conscience du passé de cette dernière, il avait mis fin à la relation. Cette version des événements semble être appuyée par le fait que l’appelante n’a pas déclaré ses enfants dans sa première demande de parrainage. Toutefois, à l’audience, les deux témoins ont insisté sur le fait que le demandeur était nerveux à l’entrevue et qu’il avait répondu incorrectement, puisque la véritable raison du divorce était les problèmes de jeu du répondant.

[15] Comme il a été mentionné précédemment, l’appelante et le demandeur ont affirmé avoir mis fin à leur relation à un moment donné en 2001. Toutefois, je constate que la demande d’asile du demandeur a été rejetée en février 2003, ce qui correspond à l’information qu’il a initialement donnée à l’agent des visas relativement à la date de fin de la relation. Si cette information est vraie, cela signifierait que l’appelante a commencé à entretenir une relation avec son premier époux dans les mois suivant la dissolution de la relation d’avec le demandeur. Compte tenu de la chronologie générale des faits et des raisons contradictoires de la dissolution de ce premier mariage, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le premier mariage de l’appelante n’était pas authentique et qu’il a été contracté par l’appelante à des fins d’immigration.

[16] L’appelante s’est ensuite mariée une deuxième fois. Elle a divorcé de son premier époux en mars 2006 et s’est mariée avec son deuxième époux en octobre 2006. L’appelante a déposé une demande de parrainage à l’égard de ce deuxième époux, laquelle a été rejetée en mars 2009, après une entrevue. L’appelante a transmis un avis d’appel relativement au rejet de la demande en avril 2009, et le désistement de l’appel a été prononcé en juin 2010. L’appelante a dit avoir appris que son deuxième époux entretenait d’autres relations après qu’elle eut déposé une demande pour le parrainer, mais elle n’a pris aucune mesure pour annuler la demande de parrainage. Le document sur le divorce mentionne que le deuxième époux de l’appelante a été présenté à cette dernière afin qu’il puisse s’établir au Canada, mais que le couple n’a pas vécu ensemble après le mariage ni n’a organisé de mariage selon la coutume à la campagne. L’intention du deuxième époux de l’appelante en matière d’immigration est également étayée par les réponses du demandeur au moment de l’entrevue au bureau des visas, pendant laquelle il a déclaré que la mère de l’appelante avait dit à celle‑ci que son deuxième époux voulait seulement l’épouser pour immigrer au Canada, quelques mois après le retour de l’appelante au Canada.

[17] Compte tenu des renseignements à la disposition de l’appelante après avoir déposé sa demande de parrainage à l’égard de son deuxième époux, il est difficile de comprendre pourquoi elle a interjeté appel du rejet de la demande et pourquoi elle n’a jamais retiré la demande de parrainage après avoir découvert les autres relations de son époux et les motivations de ce dernier à contracter mariage. Les motifs se précisent à la lumière du fait que l’appelante a renoué avec le demandeur en octobre 2008 et qu’elle vivait avec lui au début de l’année 2009, avant d’interjeter appel de la décision concernant son deuxième époux. J’estime que cette chronologie appuie également la conclusion sur le manque d’authenticité de la relation ainsi que sur l’objectif principal du mariage de l’appelante avec son deuxième époux. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que ce deuxième mariage était un mariage de convenance contracté par les deux époux à des fins d’immigration.

La preuve selon laquelle les anciens époux ne se sont pas séparés ou n’ont pas rompu contact l’un avec l’autre

[18] La chronologie décrite de la fin de la relation entre les membres du couple divergeait en ce qui a trait à leurs témoignages, leur entrevue au bureau des visas et les documents présentés. Le demandeur a d’abord dit à l’agent des visas que la relation avec l’appelante avait pris fin en 2001, puis a déclaré qu’elle avait pris fin lorsque sa demande d’asile avait été rejetée au début de l’année 2003 et qu’il n’avait plus eu de contact avec elle depuis la fin de l’année 2002. À l’audience, le demandeur a déclaré qu’il n’avait eu aucun contact avec l’appelante après qu’il se soit rendu au Canada en décembre 2001. L’appelante a déclaré avoir perdu contact avec le demandeur un mois après la naissance de son deuxième fils en février 2002 et elle a estimé que la relation était terminée en mars 2002.

[19] La suite des événements est davantage brouillée par les renseignements que le demandeur a fournis à la SPR au moment de sa demande d’asile. Dans son Formulaire de renseignements personnels reçu le 8 mars 2002, le demandeur a déclaré que l’appelante était sa conjointe de fait et il a mentionné qu’elle vivait toujours avec ses parents à lui dans l’exposé circonstancié joint au formulaire. Il a maintenu cette version des événements à l’audience de janvier 2003, comme le montre la décision du commissaire de la SPR : [traduction] « Sa fiancée n’a eu aucun problème avec les autorités chinoises, elle vit dans la maison de la famille [du demandeur d’asile] et y est restée toute la période au cours de laquelle le demandeur aurait été une personne d’intérêt pour les représentants du gouvernement. »

[20] Bien que le conseil ait souligné l’absence de preuve de communication entre les membres du couple après leur séparation jusqu’à la reprise de leur relation en 2008, je fais remarquer qu’il ne s’agit là que d’un facteur dans l’évaluation, et même si je l’acceptais comme véridique, cela ne permet pas d’expliquer les motifs du divorce ou la nature du premier mariage de l’appelante.

[21] Même si j’acceptais que, à la lumière des déclarations des témoins, que l’appelante et le demandeur n’ont pas communiqué directement l’un avec l’autre de 2001 à 2003 et en 2008, je n’estime pas que la relation ait pris fin en l’an 2000 du point de vue de l’un ou de l’autre, mais bien qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre et qu’ils étaient frustrés par leur séparation.

[22] De plus, la facilité avec laquelle l’appelante et le demandeur se sont remis ensemble après tant d’années de séparation ne correspond pas non plus à une rupture complète de la relation. Après leur rencontre fortuite au restaurant de sushis de l’appelante à Vancouver en octobre 2008, alors que le demandeur cherchait un emploi, l’appelante et le demandeur ont recommencé peu après à cohabiter. Les témoins ont déclaré avoir commencé à vivre ensemble au début de l’année 2009, contrairement aux renseignements inscrits dans la demande de parrainage, selon lesquels ils étaient de nouveaux conjoints de fait depuis octobre 2008.

[23] Cette reprise de contact aurait eu lieu après des années de séparation entre les membres du couple et après que l’appelante eut perdu la trace de ses deux jeunes enfants, qui ont été enlevés par les parents du demandeur. Je juge que la facilité apparente de la reprise de contact entre l’appelante et le demandeur ne cadre pas avec une rupture complète de leur relation antérieure. J’estime que l’explication la plus probable de la facilité avec laquelle le demandeur et l’appelante ont renoué est que leur relation s’est poursuivie, d’une façon ou d’une autre, pendant toutes ces années, même pendant les périodes où il y avait peu ou pas de communication entre le demandeur et l’appelante.

[6] Le paragraphe 4(1) et l’article 4.1 du Règlement sont ainsi libellés :

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

Reprise de la relation

New relationship

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle‑ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common‑law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

[7] Mme Zheng soutient que la SAI applique l’article 4.1 de manière rétrospective.

[8] Selon Mme Zheng, si la dissolution devait avoir lieu en raison de l’acquisition d’un statut au Canada par suite de son mariage en 2003, la dissolution de la relation précédente avec M. Chen serait survenue en 2003. Étant donné que l’article 4.1 du Règlement est entré en vigueur le 11 août 2004, après la dissolution en question, Mme Zheng soutient que la SAI a appliqué à tort l’article 4.1 de manière rétroactive.

[9] Le défendeur soutient que l’argument de Mme Zheng est sans fondement. Selon lui, l’article 4.1 du Règlement ne fixe aucune limite temporelle; la disposition doit plutôt être appliquée aux demandes de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial qui sont en cours de traitement. Elle décrit les personnes pouvant faire partie de la catégorie du regroupement familial et oblige donc le décideur à tenir compte d’une dissolution alléguée et à évaluer la relation qui existait dans le passé.

[10] Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la SAI d’évaluer la relation qui existe actuellement et qui a déjà existé entre Mme Zheng et M. Chen et de conclure que le couple avait mis fin à sa relation pour faciliter l’admission de Mme Zheng au Canada au moyen du mariage de celle‑ci avec une autre personne et de la présentation subséquente d’une demande de parrainage.

[11] La SAI a conclu que la dissolution de la relation en 2003 n’était pas authentique et visait simplement à permettre à Mme Zheng de contracter un mariage et d’obtenir la résidence permanente au Canada. Le défendeur renvoie la Cour à la décision Jin Hui Fang c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2020 CF 851 [Fang], qu’a rendue madame la juge Walker. Au paragraphe 13 de cette décision, la juge Walker a formulé les observations suivantes :

[traduction]

[13] L’article 4.1 repose sur trois éléments conjonctifs. Si l’on reformule les trois éléments, Mme Chen ne sera pas considérée comme l’épouse de M. Fang au titre de l’article 4.1 si :

1. M. Fang et elle ont déjà eu un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure;

2. Le mariage antérieur ou la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure a été dissous principalement en vue de permettre à Mme Chen ou à M. Fang d’acquérir un statut ou un privilège d’immigration au Canada;

3. Mme Chen et M. Fang ont ensuite commencé une nouvelle relation conjugale.

[12] Je souscris au critère conjonctif décrit dans la décision Fang. Je conviens également avec le défendeur que l’article 4.1 du Règlement n’est pas appliqué de manière rétrospective dans les circonstances. Il n’y a aucun effet temporel. À mon avis, l’argument de l’application rétrospective qu’a invoqué Mme Zheng est sans fondement.

[13] Je commente brièvement le critère du caractère raisonnable. La SAI a rendu une décision complète. Elle a examiné pleinement les faits, le droit et la jurisprudence pertinente. Notre Cour n’a aucun mal à comprendre le raisonnement qu’a suivi la SAI pour en arriver à sa décision. J’estime que la décision présente toutes les caractéristiques de la transparence, de la justification et de l’intelligibilité qu’exigent les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, et Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

[14] J’examine maintenant la question dont la certification est proposée pour examen par la Cour d’appel fédérale. Mme Zheng demande à la Cour de certifier la question suivante :

[traduction]
L’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et de la protection des réfugiés
va‑t‑il à l’encontre de la présomption du caractère non rétrospectif étant donné qu’il s’applique à une relation de partenaires conjugaux ou de conjoints de fait qui a été dissoute avant son entrée en vigueur?

[15] Le défendeur répond d’abord qu’il n’a reçu aucun avis de la question proposée aux fins de certification, lequel avis est exigé par les lignes directrices du 5 novembre 2018 intitulées Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés. Selon ces lignes directrices, « [s]i une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq [5] jours avant l’audience, dans le but de s’entendre sur le libellé de la question proposée ».

[16] Indépendamment de cet argument, l’avocate du défendeur soutient que l’article 4.1 du Règlement ne va pas à l’encontre de la présomption du caractère non rétrospectif. Comme il est mentionné plus haut, elle affirme que le moment auquel la relation aurait été dissoute n’a pas d’importance. C’est l’objet de la dissolution qui est pertinent.

[17] La Cour d’appel fédérale a récemment reformulé les critères de certification dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au paragraphe 46 :

[46] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification.
La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt
Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[18] Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu qu’il convient de certifier la question proposée pour examen par la Cour d’appel fédérale. La présente affaire est un cas d’espèce.

[19] La loi est claire. La décision de la juge Walker est claire. Les arguments du défendeur sont exacts en ce qui concerne la question temporelle entourant le fondement factuel que la Cour doit examiner. Je refuse donc de certifier la question proposée.

[20] J’ajouterais que, si j’étais enclin à conclure que le défendeur a tort et que la décision visée par la présente demande ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable, j’exercerais néanmoins mon pouvoir discrétionnaire et je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, parce que Mme Zheng n’a pas démontré à la Cour une attitude irréprochable. Je suis d’avis que Mme Zheng a tenté de manipuler de manière abusive le système d’immigration du Canada chaque fois qu’elle a eu la possibilité de le faire. Voir le résumé de la théorie de la conduite répréhensible qui figure aux paragraphes 20 à 24 de la décision Debnath c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 332, rendue par madame la juge Strickland.

[21] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs exposés plus haut.

[22] J’ai demandé aux parties quelle était leur position au sujet des dépens. Je sais fort bien que, selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, des dépens ne peuvent être adjugés en matière d’immigration, sauf pour des raisons spéciales. Le critère permettant d’établir l’existence de raisons spéciales est rigoureux et doit être évalué dans le contexte des circonstances propres à chaque cas. La Cour a conclu que des raisons spéciales existent lorsque, par exemple, une partie a inutilement ou déraisonnement prolongé l’instance, qu’elle a eu une conduite inéquitable, oppressive ou inappropriée ou qu’elle a fait preuve de mauvaise foi (Taghiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1262 aux para 16‑23, et Garcia Balarezo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 841 au para 48). Compte tenu des motifs exposés plus haut, j’ordonne à Mme Zheng de payer sur‑le‑champ au défendeur des dépens de 1 000 $.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑472‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et que Mme Zheng doit payer sur‑le‑champ au défendeur des dépens de 1 000 $.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑472‑20

 

INTITULÉ :

YING ZHENG c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE juge BELL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 16 juin 2021

COMPARUTIONS :

Lawrence Wong

pour la demanderesse

Hilla Aharon

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong and Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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