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Date : 20210623


Dossier : IMM-876-20

Référence : 2021 CF 660

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

GULFIYA RAKHMATULINA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre], sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 9 janvier 2020 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a conclu que la défenderesse, Mme Gulfiya Rakhmatulina, n’avait pas perdu son statut de résident permanent.

[2] Le ministre soutient que la SAI a commis une erreur quand elle a cherché à déterminer si Mme Rakhmatulina avait manqué à son obligation de résidence prévue par la LIPR et qu’elle a fait abstraction d’éléments de preuve contredisant ses conclusions.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, la demande est accueillie.

II. Contexte

[4] La défenderesse est une citoyenne du Kazakhstan de 75 ans. Elle a obtenu sa résidence permanente au Canada en 2009. En août 2014, elle a présenté une demande de titre de voyage de résident permanent [TVRP].

[5] Un agent canadien de l’immigration à l’ambassade du Canada à Moscou a rejeté la demande de TVRP, concluant que la défenderesse avait manqué à l’obligation de résidence, car elle n’avait été présente au Canada que 58 jours entre 2009 et 2014, ce qui est loin du minimum de 730 jours au cours des cinq dernières années qui est requis pour conserver le statut de résident permanent. L’agent a également conclu qu’une exemption à l’obligation de résidence pour des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

[6] Le ministre affirme que le refus de la demande de TVRP de la défenderesse s’est fait au moyen d’une lettre de refus envoyée le 26 août 2014. Cette lettre ne figure pas au dossier, puisqu’elle a été détruite en 2016 conformément aux pratiques de conservation des documents du demandeur. La défenderesse, elle, déclare ne jamais l’avoir reçue.

[7] Après le rejet de la demande de TVRP, la défenderesse a présenté quatre demandes de visa de résident temporaire [VRT] entre septembre 2014 et septembre 2015. Les trois premières ont été rejetées, mais la quatrième demande a été acceptée, et un visa valide pour la période allant de novembre 2015 à novembre 2020 a été délivré.

[8] En mars 2017, la fille de la défenderesse a écrit au nom de sa mère à des agents de l’immigration. La défenderesse avait été avisée à son entrée au Canada qu’elle avait toujours son statut de résident permanent et qu’elle ne serait pas en mesure d’entrer au Canada munie du VRT après novembre 2018. Selon les notes de 2017 du SMGC, les agents de l’immigration ont répondu à la lettre envoyée par la fille de la défenderesse, et quelques courriels ont ensuite été échangés. Dans les courriels échangés en 2017, les agents de l’immigration ont mentionné le rejet de la demande de TVRP en 2014 et ont fait savoir que si la défenderesse ne souhaitait pas être considérée comme une résidente permanente, elle pouvait présenter une demande de renonciation volontaire du statut de résident permanent. Selon les agents, une telle démarche permettrait à la défenderesse d’entrer sans problème au Canada munie de son VRT.

[9] La fille de la défenderesse a alors présenté une demande de carte de résident permanent au nom de la défenderesse, demande qui a été rejetée. Dans une lettre datée du 21 mars 2019, le demandeur a informé la défenderesse qu’elle avait perdu son statut de résident permanent par suite de la décision du 26 août 2014. La défenderesse a donc interjeté appel de la décision du 21 mars 2019 devant la SAI.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] La SAI a accueilli l’appel et a rétabli le statut de résident permanent de la défenderesse. Elle a conclu que la lettre de 2014 rejetant la demande de TVRP de la défenderesse n’avait jamais été envoyée. Par conséquent, le rejet était invalide.

[11] La SAI a constaté que la lettre datée de mars 2019 était la seule lettre déposée en preuve qui informait la défenderesse de la perte de son statut de résident permanent en 2014.

[12] La SAI a conclu que les notes de 2014 du SMGC établissent clairement qu’il avait été déterminé en 2014 que la défenderesse avait manqué à l’obligation de résidence permanente et que des motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas que la défenderesse conserve ce statut. La SAI a conclu que les notes du SMGC, combinées au processus habituel de communication des rejets, qui prévoit notamment de retourner le passeport de la personne qui présente la demande avec une lettre de refus, donnent à penser que la défenderesse avait reçu une telle lettre. Cependant, la SAI a conclu que les notes de 2017 du SMGC minaient une telle conclusion, puisqu’elles indiquaient que la défenderesse avait conservé son statut de résident permanent en 2017.

[13] La SAI a conclu que les notes de 2017 du SMGC avaient préséance sur celles de 2014 et venaient confirmer que la défenderesse avait toujours son statut de résident permanent. Pour ces motifs, la SAI a conclu que la défenderesse n’avait jamais été avisée de la décision de 2014 et qu’elle n’avait jamais perdu son statut de résident permanent.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[14] Le demandeur soulève plusieurs questions. Cependant, l’argument du demandeur voulant que la SAI n’ait pas tenu compte des éléments de preuve et des circonstances démontrant que l’avis de décision de 2014 avait été envoyé et que la défenderesse l’avait reçu est déterminant. C’est la seule question en litige que je dois trancher.

[15] La norme de contrôle applicable à la décision de la SAI est présumée être celle de la décision raisonnable, et les parties conviennent que les circonstances ne justifient pas de dévier de cette norme (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 33, 53 [Vavilov]). Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov, au para 85).

V. Analyse

[16] Dans sa décision, la SAI a formulé ainsi la question dont elle était saisie :

[11] La question à trancher est celle de savoir si l’appelante a perdu son statut de résident permanent en 2014 pour manquement à l’obligation de résidence. Il ne suffit pas de souligner qu’il y a eu une évaluation de l’obligation de résidence en 2014, ce qui a été le cas selon les notes du SMGC. Il doit être établi que l’appelante a été informée en 2014 de l’avis selon lequel elle avait perdu son statut de résident permanent, et qu’elle l’a reçu.

[Non souligné dans l’original.]

[17] La SAI a reconnu que le respect par la défenderesse de son obligation de résidence à titre de résidente permanente avait été évalué en 2014 et qu’il avait été décidé qu’elle avait perdu son statut de résident permanent. La SAI s’est ensuite demandée si la défenderesse avait reçu l’avis de cette décision. Elle a conclu par la négative en s’appuyant sur les notes de 2017 du SMGC, qui indiquent que la défenderesse avait alors conservé son statut de résident permanent. Pour en arriver à cette conclusion, la SAI n’a pas examiné les éléments de preuve qui montrent que l’avis de la décision de 2014 avait été envoyé et reçu en 2014.

[18] Même si le dossier ne contient pas la lettre de refus de 2014, son absence n’est pas déterminante pour juger si une lettre a été préparée et envoyée. La SAI était tenue d’examiner l’ensemble du dossier avant de déterminer si la défenderesse avait été avisée (Pravinbhai Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 207 aux para 12‑13). En l’espèce, le demandeur a expliqué l’absence de la lettre : le dossier de TVRP de la défenderesse a été détruit en 2016 conformément à la procédure administrative.

[19] Le demandeur ajoute que le dossier renfermait des éléments de preuve indiquant que la lettre d’avis avait été envoyée et reçue. Ces éléments de preuve sont notamment les suivants :

  1. Une déclaration faite par la fille de la défenderesse dans un courriel envoyé au demandeur le 3 mars 2017, dans lequel elle écrit : [traduction] « Bonjour, je comprends que la demande a été refusée, et la lettre dit que la demandeure n’est plus une résidente permanente » (non souligné dans l’original). Il semble que la seule lettre à laquelle la fille aurait pu faire référence est la lettre d’avis de 2014 (dossier du demandeur, page 44).

  2. Une demande de renseignements du SMGC indiquant qu’une lettre de refus a été envoyée à la défenderesse en 2014 (dossier du demandeur, page 32).

  3. Le passeport de la défenderesse lui a été retourné après que la décision relative au TVRP a été rendue, puis elle l’a renvoyé à l’appui de ses nombreuses demandes de VRT. Dans le dossier, il est indiqué qu’il est normal de retourner un passeport avec une lettre de refus. La SAI reconnaît cette pratique, mais au lieu de régler cette question, elle cite simplement les notes de 2017 du SMGC pour miner la conclusion voulant que la lettre de refus ait été communiquée.

  4. Le fait de présenter une demande de VRT, ce que la défenderesse a fait un mois après avoir perdu son statut de résident permanent, laisse croire qu’elle avait reçu l’avis l’informant de la perte de son statut.

[20] Un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser au raisonnement suivi et au résultat de la décision (Vavilov, au para 83). Bien que les décideurs ne soient pas astreints à une norme de perfection, une décision raisonnable doit être justifiée, intelligible et transparente pour l’individu qui en fait l’objet (Vavilov, au para 95). Une cour de révision « doit être convaincue qu’“[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait” : Ryan, par. 55; Southam, par. 56 » (Vavilov, au para 102).

[21] Selon moi, en l’espèce, le fait que la SAI n’ait pas examiné les éléments de preuve démontrant que l’avis de la décision de 2014 a été envoyé et reçu met à mal l’intelligibilité et la transparence de la décision.

[22] La défenderesse invoque la décision Nizami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 265 [Nizami], où la Cour a conclu que les notes d’un agent ne sont nullement la preuve qu’une lettre a été envoyée (Nizami, au para 28). Je ne conteste pas le principe énoncé dans la décision Nizami, mais il n’est guère utile pour la défenderesse. En l’espèce, la question porte sur le fait que la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve autres que ceux contenus dans les notes de l’agent. De tels éléments de preuve auraient peut-être étayé la conclusion que la lettre a été envoyée.

VI. Conclusion

[23] La demande est accueillie. Les parties n’ont pas soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-876-20

LA COUR STATUE que :

1. La demande est accueillie;

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-876-20

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c GULFIYA RAKHMATULINA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

David Shiroky

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Raj Sharma

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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