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Date : 20210623


Dossier : T-1676-19

Référence : 2021 CF 658

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

JOHN JEFFERSON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur John Jefferson, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire par la Cour d’une décision rendue le 11 septembre 2019 (la décision) par monsieur Geoff Trueman à titre de délégué du ministre du Revenu national (le ministre). M. Trueman, sous-commissaire de l’Agence du revenu du Canada (ARC), a refusé de recommander la remise des taxes, des intérêts et des pénalités dus par M. Jefferson à l’égard de retenues à la source qui n’ont pas été versées entre 2009 et 2011. M. Jefferson avait demandé la remise de cette dette fiscale au titre du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), LRC 1985, c F-11.

[2] La remise des taxes est une mesure extraordinaire. Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut accorder la remise visée au paragraphe 23(2), s’il estime que la perception de ces taxes ou l’exécution forcée des pénalités et des intérêts afférents est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise. M. Jefferson était l’un des trois administrateurs d’une société privée qui n’a pas versé les retenues à la source. Son défaut de se conformer à ses obligations de versement a donné lieu à l’imposition de taxes sur les retenues non versées, de pénalités et d’intérêts à l’égard de M. Jefferson, et ce, à titre personnel. Sa demande de remise reposait en grande partie sur plusieurs ententes contractuelles conclues par la société et sur la violation de ces ententes par les contreparties.

[3] Après examen attentif des observations détaillées de M. Jefferson, j’ai conclu qu’il n’avait pas démontré qu’il existe une erreur susceptible de contrôle dans le refus du ministre de recommander la remise. Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[4] À titre de question préliminaire et avec le consentement des parties, l’intitulé de la présente affaire est modifié afin de désigner le bon défendeur, soit le procureur général du Canada, conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

I. Aperçu

[5] M. Jefferson était premier actionnaire et administrateur de la société Gold Standard Pellet Fuel Ltd. (Gold Standard) avec M. Wayne Wiren. En 2002, M. Brent Wiren s’est joint à la société à titre d’actionnaire et d’administrateur.

[6] La Gold Standard a connu la réussite de 1982 à 2005, mais elle a subi d’importantes difficultés financières entre 2005 et 2009. Dans le but de consolider la situation financière de la société et de la maintenir en activité, les trois administrateurs ont liquidé des biens personnels pour prêter, au total, plus de 2 millions de dollars à la Gold Standard. Malgré l’injection de fonds, la situation de la société ne s’est pas améliorée et les administrateurs ont procédé à une liquidation ordonnée de ses actifs.

[7] De 2009 à 2011, la Gold Standard a décidé de ne pas verser les retenues à la source à l’ARC. La société a plutôt utilisé les fonds restants pour verser des indemnités de départ aux employés. Les administrateurs se sont fiés à des plans pour vendre les actifs de valeur de la société et pour utiliser le produit de leur vente pour respecter les obligations fiscales grandissantes de la Gold Standard. Les actifs à vendre consistaient en une usine de bois de chauffage située à Princeton, en Colombie-Britannique (l’actif de Princeton) et en une installation d’exploitation de pastilles de bois à Kamloops, en Colombie-Britannique (l’actif de Kamloops).

[8] De 2009 à 2011, l’ARC, la Gold Standard et ses directeurs ont discuté des versements de retenues à la source en suspens. Voici une explication simplifiée des mesures, des vérifications et des paiements faits par ces parties.

[9] Tout d’abord, il convient de décrire les quatre vérifications du compte de retenues à la source de la Gold Standard conduites par l’ARC, ainsi que les cotisations qui en ont découlé et qui ont donné lieu aux taxes, aux intérêts et aux pénalités qui sont en cause :

  • (A) Le 28 janvier 2010 : Première vérification par l’ARC du compte de retenues à la source pour les mois d’août à décembre 2009 et cotisation de 244 486 $, dont 220 557 $ en retenues à la source non versées, plus les pénalités et les intérêts courus.

  • (B) Le 22 avril 2010 : Deuxième vérification par l’ARC du compte de retenues à la source pour les mois de janvier à avril 2010 et cotisation de 126 682 $ pour les retenues à la source non versées.

  • (C) Le 21 septembre 2010 : Troisième vérification par l’ARC du compte de retenues à la source pour les mois d’avril à septembre 2010 et cotisation de 96 948 $.

  • (D) Le 27 avril 2011 : Quatrième vérification par l’ARC du compte de retenues à la source pour les mois de novembre 2010 à février 2011 et cotisation de 29 785 $, dont 24 508 $ en retenues à la source non versées, plus les pénalités et les intérêts courus.

[10] Immédiatement avant la première vérification de l’ARC en janvier 2010, la Gold Standard a effectué un paiement de 124 527 $ sur ses versements de retenues à la source impayés après avoir reçu un crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental pour les années 2008 et 2009.

[11] Le 30 avril 2010, la Gold Standard a vendu l’actif de Princeton pour un million de dollars et a distribué des fonds à ses créanciers garantis, dont 131 557 $ à l’ARC.

[12] D’octobre 2009 à mai 2011, la Gold Standard a poursuivi ses tentatives de vente de l’actif de Kamloops, période au cours de laquelle l’ARC a pris des mesures pour s’assurer le respect des obligations fiscales grandissantes. L’ARC a notamment déposé deux brefs de saisie-exécution de 278 889,82 $ et de 29 861,65 $, ainsi que l’enregistrement d’un privilège de 205 025 $ à l’égard de l’actif de Kamloops (le privilège sur Kamloops). L’ARC a également mis en garde les administrateurs de la Gold Standard au sujet d’éventuelles cotisations de l’impôt à payer fondées sur les responsabilités personnelles pour les retenues salariales non versées.

[13] En janvier 2011, Financement agricole Canada (Financement agricole), le premier créancier hypothécaire de l’actif de Kamloops, a entamé des procédures de saisie. À ce moment-là, il y avait cinq enregistrements garantis sur le bien dont les rangs étaient supérieurs au privilège sur Kamloops.

[14] Le 27 juillet 2011, la Gold Standard a conclu une entente avec deux sociétés indépendantes (acheteurs) pour l’achat de l’actif de Kamloops. Dans le cadre de l’achat, les acheteurs ont convenu de satisfaire à la revendication de l’ARC quant aux 188 261,29 $ qui étaient dus pour les retenues à la source non versées et pour le montant en fiducie réputée pour les biens et services, ainsi que d’indemniser les administrateurs de la Gold Standard. Le lendemain, les acheteurs et les administrateurs de la Gold Standard ont conclu une entente d’indemnisation (entente d’indemnisation) énonçant l’obligation des acheteurs d’indemniser les administrateurs de tous les jugements obtenus par l’ARC et enregistrés à l’égard de l’actif de Kamloops.

[15] Après avoir reçu un exemplaire de l’entente d’indemnisation, l’ARC a émis des demandes formelles de paiement (DFP) aux acheteurs qu’elle considérait comme la source possible de fonds pour récupérer la dette fiscale.

[16] La vente de l’actif de Kamloops s’est conclue au début de l’automne 2011, après l’aval de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Après la vente, les trois administrateurs de Gold Standard ont démissionné.

[17] Le 16 août 2011, pendant que les procédures de Financement agricole et la vente proposée de l’actif de Kamloops étaient en cours, l’ARC a envoyé des lettres d’avertissement à M. Jefferson, ainsi qu’aux MM. Wiren, au sujet de la responsabilité des administrateurs quant aux retenues à la source. Le 21 février 2012, l’ARC a émis des cotisations de 118 931 $ à l’égard de chacun des administrateurs, qui correspondent aux taxes, pénalités et intérêts exigibles sur les retenues à la source que la Gold Standard n’a pas versées (la dette fiscale). M. Jefferson a conclu une entente de paiement avec l’ARC. Il a effectué des paiements de la cotisation, mais il ne l’a pas payée au complet.

[18] Les acheteurs n’ont pas honoré l’entente d’indemnisation. Les administrateurs de la Gold Standard ont donc déposé une réclamation auprès de la cour de la Colombie-Britannique. Le 30 août 2013, la cour de la Colombie-Britannique a ordonné aux acheteurs de payer tous les impôts encore impayés par la Gold Standard directement à l’ARC au plus tard le 6 décembre 2013 (l’ordonnance de la C.-B.)

[19] Les acheteurs n’ayant pas respecté l’ordonnance de la C.‑B., l’ARC a pris des mesures de recouvrement à leur égard et à celui de leurs administrateurs. L’ARC a émis des cotisations en cascade pour la dette fiscale à l’égard de ces parties en 2015 et en 2016 en s’appuyant sur les articles 160, 224 et 227 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), LRC 1985, c 1 (5e supp)

[20] En février 2016, l’avocat de l’acheteur a proposé à l’ARC une entente en vertu de laquelle ses administrateurs paieraient 118 502 $ à l’égard de la dette fiscale en acomptes provisionnels. L’ARC a accepté l’entente, mais les administrateurs n’ont fait qu’un seul paiement de 20 000 $ en juillet 2016.

[21] En juin 2016, les administrateurs des acheteurs ont déposé des avis d’opposition aux mémoires des cotisations de l’ARC au titre de l’article 160 de la LIR. La direction générale des appels de l’ARC a examiné les oppositions et a finalement annulé les cotisations à l’égard des administrateurs. Les acheteurs s’étaient également opposés à leurs cotisations au titre des articles 224 et 227. L’ARC a examiné les oppositions et, en octobre 2016, a réduit les cotisations des acheteurs à 113 925 $.

[22] Les acheteurs sont depuis devenus inactifs. L’ARC est d’avis qu’ils ne seront pas des sources viables pour le recouvrement de la dette fiscale. De plus, l’ARC ne peut pas se tourner vers les anciens collègues de M. Jefferson qui étaient administrateurs de la Gold Standard, car l’un d’entre eux est décédé et l’autre a fait faillite.

II. Historique des procédures

[23] Après le rejet des deux demandes d’allégement, la Gold Standard et M. Jefferson ont présenté une troisième demande de remise (la demande de remise) de la dette fiscale qui s’élevait alors à environ 93 000 $ et de tous les montants perçus par l’ARC depuis la date de l’ordonnance de la C.-B. La demande de remise était fondée sur les motifs suivants :

  • (1) Circonstances atténuantes : La conduite des acheteurs a été scandaleuse. M. Jefferson a déclaré que les mesures prises par les acheteurs dans la négociation de la vente de l’actif de Kamloops au moyen de lettres d’intention et d’ententes successives visant à dévaluer la propriété, à enfreindre l’entente d’indemnisation et à ne pas tenir compte de l’ordonnance de la C.-B. sont des circonstances atténuantes indépendantes de sa volonté.

  • (2) Résultats non voulus par la LIR : L’incapacité de l’ARC d’évaluer les administrateurs des acheteurs pour la violation de l’entente d’indemnisation au titre de la LIR doit être considérée comme un résultat non voulu de la loi. M. Jefferson a soutenu qu’il ne devrait pas subir les conséquences de cette lacune de la LIR.

  • (3) Action incorrecte de l’ARC : L’ARC a été imprudente en levant le privilège sur Kamloops sans exiger le remboursement complet de la dette fiscale. M. Jefferson a déclaré qu’il ne devrait pas avoir à payer les intérêts de 65 000 $ accumulés depuis la conduite négligente de l’ARC.

[24] M. Jefferson a insisté sur le fait que lui et les autres administrateurs de la Gold Standard ont continué de faire des paiements pour réduire la dette fiscale même si elle avait été vendue et [traduction] « n’était plus légalement de sa responsabilité ». Enfin, la demande de remise fait savoir à l’ARC que M. Jefferson avait eu un grave accident avec sa motocyclette ce mois-là (juillet 2017) et qu’il était encore hospitalisé à la date de rédaction du rapport.

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[25] La décision contient un résumé détaillé des faits qui sous-tendent la demande de remise et les tentatives de l’ARC de récupérer les retenues à la source non versées de la Gold Standard et de ses administrateurs, ainsi que de l’actif de Kamloops, des acheteurs et de leurs administrateurs. M. Trueman explique la raison pour laquelle l’ARC a continué ses poursuites à l’égard de M. Jefferson et souligne que son obligation personnelle relative à la dette fiscale découle des décisions qu’il a prises en tant qu’administrateur de la Gold Standard. Il affirme que M. Jefferson demeure responsable des retenues salariales non versées et des pénalités et intérêts qui en découlent, peu importe la vente de l’actif de Kamloops, la violation de l’entente d’indemnisation par les acheteurs et leur mépris à l’égard de l’ordonnance de la C.-B.

[26] M. Trueman a refusé de recommander la remise de la dette fiscale de M. Jefferson pour les raisons suivantes :

  1. Les retenues à la source sont des fonds détenus en fiducie et la gestion de ces fonds est assujettie à des règles strictes. La Gold Standard a recueilli les retenues à la source en question à titre de mandataire du gouvernement fédéral. Au lieu de verser ces retenues comme l’exige la LIR, la société a choisi de verser des indemnités de départ à ses employés, une décision qui relève de la responsabilité de la société et de celle de ses administrateurs, y compris M. Jefferson. Cette décision et l’incapacité de la société à s’acquitter de ses obligations de verser les retenues à la source qui en découle n’étaient pas le résultat de facteurs atténuants indépendants de la volonté des administrateurs.

  2. L’omission des acheteurs de respecter l’entente d’indemnisation n’était pas une circonstance indépendante de la volonté de la Gold Standard ou de M. Jefferson. En effet, la dette fiscale ne découlait pas de la vente de l’actif de Kamloops ou de toute action ou inaction des acheteurs. La dette fiscale, qui continue d’accumuler des intérêts, existe en raison de la décision de la Gold Standard de ne pas respecter son obligation prévue par la LIR de verser les retenues à la source. La violation de l’entente d’indemnisation par les acheteurs et leur non-respect de l’ordonnance de la C.-B. sont uniquement des questions civiles.

  3. L’ARC n’a pas commis d’erreur en levant le privilège sur Kamloops. L’ARC a suivi la bonne procédure et a recouvré tout le montant possible de la vente de l’actif de Kamloops en fonction de la fiducie réputée de l’État pour les retenues à la source non versées (paragraphe 227(4) de la LIR). Une fois ce montant récupéré, Financement agricole, à titre de créancier principal garanti, avait droit au restant du produit de la vente. L’ARC devait libérer le privilège sur Kamloops à la réception du montant garanti.

  4. L’accident en motocyclette de juillet 2017 et la crise cardiaque de 2018 de M. Jefferson n’étaient pas des facteurs atténuants pertinents pour la remise, car il n’y avait pas de corrélation directe entre les effets nuisibles de ces événements pour M. Jefferson et son incapacité de rembourser la dette fiscale au moment où elle s’est produite. L’état de santé de M. Jefferson n’a pas empêché la Gold Standard ou ses administrateurs de verser les retenues salariales exigées entre 2009 et 2011.

  5. Enfin, la remise de dette était injustifiée au vu des ressources financières de M. Jefferson. Selon la preuve, entre 2009 et 2017, le revenu annuel de son ménage a toujours atteint le seuil des six chiffres, sans aller bien au-delà, s’élevant à 250 000 $ par année. M. Trueman a conclu que le potentiel de gains de M. Jefferson était suffisant pour rembourser la dette fiscale.

[27] Le 11 octobre 2019, M. Jefferson a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire de la décision auprès de la Cour.

IV. Norme de contrôle

[28] Les parties conviennent que la décision fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10 et 23 (Vavilov); Mokrycke c Canada (Procureur général), 2020 CF 1027 au para 38).

[29] La Cour suprême du Canada (CSC) décrit une décision raisonnable comme une décision qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). L’examen comporte deux aspects : le raisonnement du décideur doit être intelligible et logique, et le résultat doit être justifié.

[30] La justification donnée par le décideur doit être examinée selon les faits et le droit pertinents dans chaque affaire (Vavilov, aux para 105 et 106). La CSC a déclaré que, « le régime législatif applicable est probablement l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée » (Vavilov, au para 108). Dans la présente demande, la portée du pouvoir discrétionnaire accordé au ministre dans l’application du paragraphe 23(2) de la LGFP est au cœur de mon examen. Le pouvoir discrétionnaire dépend des politiques et des mots utilisés dans le paragraphe. Il est exercé par le ministre « dans le cadre d’un processus décisionnel pouvant se conclure par l’octroi d’un allégement fiscal spécial par le gouverneur général en conseil » (Première Nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2011 CAF 191 aux para 18-19).

V. Analyse

[31] La demande de remise de M. Jefferson a été présentée au titre du paragraphe 23(2) de la LGFP. Je commence mon examen de la décision en soulignant que la dette fiscale découle de sa décision et de celle de ses collègues administrateurs de retarder la conformité de la Gold Standard à son obligation de verser en temps opportun les retenues à la source détenues en fiducie pour la Couronne entre 2009 et 2011. Cette décision a entraîné une responsabilité conjointe et personnelle des administrateurs comme le prévoit le paragraphe 227.1(1) de la LIR.

[32] La responsabilité personnelle d’un administrateur pour des retenues à la source non versées est un aspect important du système de retenues à la source qui est [traduction] « au cœur des procédures de perception de l’impôt sur le revenu des particuliers au Canada » (Pembina on the Red Development Corp. Ltd. c Triman Industries Ltd. (1991), 85 DLR (4th) 29, cité par la CSC dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 RCS 411 au para 36). La remise de cette responsabilité est une mesure exceptionnelle qui doit être soupesée au vu de l’intérêt public de maintenir la sécurité du système rigoureux de perception de la retenue à la source.

[33] Le paragraphe 23(2) de la LGFP prévoit les paramètres pour l’évaluation par le ministre d’une demande de remise :

Remise de taxes ou de pénalités

Remission of taxes and penalties

23 (2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

23 (2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty.

[34] L’ARC a préparé un guide pour aider ses fonctionnaires à examiner les demandes de remise et pour promouvoir l’uniformité des réponses du ministère (le guide). Ce n’est qu’un guide : il définit les caractéristiques communes aux affaires antérieures qui forment un cadre d’examen. Il reconnaît toutefois que chaque demande doit être examinée au vu de son bien-fondé. Voici les caractéristiques ou les facteurs cernés dans le guide :

  1. Situation financière extrêmement difficile;

  2. Difficultés financières assorties de circonstances atténuantes;

  3. Mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC;

  4. Résultats non voulus des dispositions législatives.

[35] M. Trueman a décrit son analyse dans la décision en faisant référence à ces facteurs et en tenant compte de la demande de remise de M. Jefferson. De plus, il a déclaré qu’il avait tenu compte de la situation de M. Jefferson [traduction] « pour déterminer si la recommandation d’une remise était juste, raisonnable ou dans l’intérêt public ».

[36] M. Jefferson soutient que la décision est déraisonnable pour plusieurs raisons. Chaque raison remet en question l’évaluation par M. Trueman des circonstances et des longs antécédents qui ont donné lieu à la dette fiscale. Il présente plusieurs observations qui correspondent essentiellement aux mêmes catégories que celles énoncées dans la demande de remise et acceptées dans le guide. En outre, M. Jefferson soutient qu’en général la décision est intrinsèquement incohérente et manque de justification, de transparence et d’intelligibilité. Il fait aussi valoir que M. Trueman n’a pas donné assez de raisons pour appuyer des assertions générales dans la décision au sujet de la conduite de l’ARC dans cette affaire et de son incapacité de poursuivre les acheteurs, leurs administrateurs et ses collègues administrateurs de la Gold Standard.

Circonstances atténuantes

[37] M. Jefferson soutient que la décision ne fait pas partie des issues acceptables au vu des circonstances atténuantes causées par l’inconduite des acheteurs. Il affirme que l’ARC le blâme pour la dette fiscale, même s’il a donné la priorité au paiement de cette dette, tout en étant fraudé par les acheteurs. Il soutient que le [traduction] « malentendu flagrant » de M. Trueman n’est pas défendable et que la décision ne tient pas compte de la gravité du comportement des acheteurs. Il soutient que cette omission l’a rendu responsable de la dette fiscale. Après avoir classé les observations de M. Jefferson, l’essentiel de son argumentation consiste à dire que M. Trueman [traduction] « n’a pas accordé la juste importance aux actes immoraux et contraires à l’éthique des [acheteurs] ».

[38] La preuve au dossier démontre que les acheteurs et leurs administrateurs ont enfreint l’entente d’indemnisation, n’ont pas respecté l’ordonnance de la C.-B. et n’ont pas respecté leurs promesses faites à l’ARC de rembourser la dette fiscale. Toutefois, l’observation de M. Jefferson selon laquelle la décision reflète une mauvaise appréciation de ces faits et de la décision initiale de la Gold Standard de retarder le versement des retenues à la source n’est pas convaincante. La décision n’annule pas l’entente d’indemnisation et n’ignore pas l’ordonnance de la C.-B. Je ne constate aucune erreur de compréhension, d’inexactitude ou toute autre erreur susceptible de contrôle dans la décision ou dans les analyses à l’appui des agents de l’ARC qui ont pris part à l’examen de la demande de remise.

[39] Dans la décision, M. Trueman a déclaré :

[traduction]

Si la Gold Standard avait plutôt respecté ses obligations prévues par la [LIR] ou donné la priorité au paiement de sa dette, ses obligations actuelles envers l’ARC en seraient considérablement réduites. Finalement, la décision de verser une indemnité de départ à ses employés a été une décision d’affaires qui relevait des administrateurs de la Gold Standard, notamment de M. Jefferson, et n’est pas le résultat de facteurs atténuants indépendants de leur volonté.

[40] M. Jefferson soutient que cette conclusion comporte une erreur susceptible de contrôle, car elle illustre une fausse dichotomie. Il soutient que lui et ses collègues administrateurs n’ont jamais été confrontés à ce dilemme parce que, à l’époque, la Gold Standard possédait suffisamment d’actifs pour honorer ses obligations quant aux retenues à la source non versées.

[41] Je ne trouve aucune erreur dans la déclaration de M. Trueman. Toute société a des obligations de remise, peu importe sa situation financière générale. Le fait que la société possède des biens de valeur, en liquides ou sous d’autres formes, qu’elle pourrait utiliser pour s’acquitter de ses obligations n’est pas pertinent. Si la société ne verse pas les retenues à la source perçues en temps opportun, ses administrateurs sont solidairement responsables du paiement.

[42] La Gold Standard et ses administrateurs ont suivi une stratégie d’affaires infructueuse consistant à compter sur le fait de vendre ses biens à l’avenir pour verser immédiatement une indemnité de départ aux employés et remettre le versement des retenues à la source seulement à la fin de ces ventes. Les administrateurs étaient et sont toujours responsables de cette décision d’affaires. Contrairement aux observations de M. Jefferson, il ne s’agit pas d’un cas de [traduction] « responsabilité présumée », mais d’une responsabilité personnelle légale claire pour l’omission de Gold Standard d’effectuer des versements.

[43] Je conviens avec le défendeur que la demande de remise de M. Jefferson dépose en faveur de la conclusion de M. Trueman. En effet, dans la demande de remise, il est dit que la Gold Standard a été très loyale envers ses employés et a décidé de mettre leurs employés à pied plutôt que de cesser leurs activités. De plus, le paiement d’indemnités de départ aux employés a entraîné une augmentation des obligations non résolues envers l’ARC pour les versements de retenues à la source. La Gold Standard [traduction] « estimait qu’il était légitime d’utiliser à la fois l’évaluation des biens à Princeton et le prix d’achat des biens à Kamloops pour définir une stratégie » pour respecter ses obligations fiscales à partir du produit des ventes. Une partie de la demande de remise est ainsi conçue :

[traduction]

À ce moment-là, les actionnaires et les administrateurs de l’entreprise ont injecté 100 % du capital à leur disposition dans l’entreprise afin de payer l’indemnité de départ de tous ces travailleurs, et se sont fiés à la valeur de ses actifs finaux pour respecter ses obligations envers l’ARC.

[44] M. Jefferson et les autres administrateurs ont pris un risque calculé. Ils l’ont fait avec de bonnes intentions. Or, la conclusion de M. Trueman selon laquelle ils ont choisi de prendre un tel risque économique ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[45] M. Jefferson soutient que la décision fait état d’une mauvaise appréciation de l’ampleur et de l’incidence de l’inconduite des acheteurs. À son avis, la mauvaise compréhension a amené M. Trueman à conclure de façon déraisonnable que l’inconduite ne constitue pas des circonstances atténuantes en faveur de la remise de la dette fiscale.

[46] Dans la décision, M. Trueman a examiné en détail les mesures prises par les acheteurs, notamment ce que M. Jefferson avance, à savoir qu’ils ont dévalué artificiellement l’actif de Kamloops en concluant et en ne menant pas à bien intentionnellement diverses offres d’achat. M. Trueman a également traité du défaut des acheteurs d’honorer l’entente d’indemnisation, l’ordonnance de la C.-B. exigeant que les acheteurs paient toutes les dettes de la Gold Standard à l’ARC et les DFP faites par l’ARC.

[47] Je conclus que la décision ne comporte aucun malentendu ou mauvaise interprétation de la conduite des acheteurs. Il n’y a pas d’omission importante ou de tentative de minimiser leurs actions. Les conclusions de M. Trueman concordent avec la preuve, lorsqu’il dit que (1) la dette fiscale découlait de la décision initiale de la Gold Standard de ne pas respecter ses obligations en vertu de la LIR et que (2) l’inconduite des acheteurs et la violation de l’ordonnance de la C.-B. sont des affaires civiles privées qui ne dégagent pas M. Jefferson de sa responsabilité à l’égard de la dette fiscale. En bref, M. Jefferson demande à la Cour de soupeser de nouveau l’évaluation de M. Trueman des actions des acheteurs. En l’absence d’erreur ou d’omission importante dans l’appréciation de la preuve, M. Jefferson n’a pas démontré qu’il existe un fondement pour que la Cour intervienne (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36).

[48] L’analyse de M. Trueman, contenue dans la décision, met l’accent sur l’importance des retenues à la source dans le régime de la LIR et sur la responsabilité personnelle imposée aux administrateurs pour assurer le respect de la remise de ces retenues par une société. À mon avis, l’accent mis par M. Trueman sur l’hypothèse sur le risque personnel pris par les administrateurs de la Gold Standard pour aider leurs employés est expliqué et justifié de façon intelligible. Les administrateurs ont pris cette décision à un moment où ils n’avaient aucune garantie de vendre l’actif de Kamloops. En fait, pendant deux ans, la Gold Standard a manqué à ses obligations de versement malgré les vérifications et les cotisations de l’ARC pour les retenues à la source pendant cette période.

[49] Les administrateurs avaient entièrement le contrôle sur la décision de contrevenir à l’obligation de détenir les retenues à la source en fiducie pour l’État conformément au paragraphe 227(4) de la LIR. Je ne vois pas d’erreur susceptible de révision dans la conclusion de M. Trueman selon laquelle la dette fiscale découle de la décision des administrateurs d’assumer les risques inhérents à la stratégie commerciale de la Gold Standard et n’était pas le résultat de circonstances atténuantes suffisantes pour justifier la remise de la dette fiscale.

[50] M. Jefferson conclut ses observations au sujet des circonstances atténuantes en déclarant que, si je confirme la décision, un tel résultat ne serait pas dans l’intérêt public et tolérerait le fait que [traduction] « l’ARC n’accorde pas de la valeur aux obligations contractuelles et ne tient pas compte de décisions rendues par un tribunal compétent ».

[51] Une telle déclaration n’identifie pas correctement le rôle de la Cour quant au contrôle judiciaire et la conduite de l’ARC. À mon avis, il ne s’agit que d’éléments rhétoriques d’aucune utilité. Il appert de la preuve que l’ARC a tenté à plusieurs reprises au fil des ans d’obtenir le paiement de la dette fiscale des acheteurs et de leurs administrateurs. M. Trueman a émis ses conclusions, selon lesquelles la conduite et les ententes des acheteurs avec la Gold Standard sont des affaires civiles et ne dégagent pas M. Jefferson de sa responsabilité personnelle, sans s’exprimer quant à l’inconduite ou au manque de respect à l’égard de l’ordonnance de la C.-B. Les conclusions sont également justifiées au regard de la preuve et du cadre juridique pertinent sur le paragraphe 23(2) de la LGFP et sur les dispositions de la LIR relatives aux retenues à la source.

Les mesures erronées de l’Agence du revenu du Canada et l’omission de prendre des mesures en temps opportun

[52] M. Jefferson affirme que les mesures erronées de l’ARC militent en faveur de la remise de la dette fiscale en faisant valoir deux points. Tout d’abord, M. Jefferson soutient que l’ARC a mal calculé le montant des retenues à la source qui devait être détenu en fiducie conformément au paragraphe 227(4) de la LIR et a libéré prématurément le privilège sur Kamloops. Il affirme que le produit de disposition de l’actif de Kamloops était plus que suffisant pour couvrir la totalité de l’obligation fiscale de la Gold Standard. Enfin, M. Jefferson soutient que l’ARC a refusé sans raison de poursuivre les acheteurs, leurs administrateurs et actionnaires, et les autres administrateurs de la Gold Standard. Il affirme que la négligence de l’ARC est une raison qui a contribué au fait que la dette fiscale existe encore.

[53] À l’appui de ses observations au sujet du caractère inadéquat du montant du privilège sur Kamloops, M. Jefferson fait référence à la correspondance entre les agents de l’ARC qui explique le montant et l’historique du privilège sur Kamloops. Après examen de la correspondance en question, je conclus qu’elle ne fait pas état d’erreur de la part de l’ARC qui aurait eu une incidence sur sa capacité de recouvrer les montants de fiducie réputée ou sur l’analyse de M. Trueman dans la décision.

[54] Les agents de l’ARC décrivent le calcul du privilège sur Kamloops de 29 785 $ et l’historique de la cotisation du 27 avril 2011. En ce qui concerne cette dernière cotisation, un courriel expliquant sa pertinence fait savoir que l’ARC a certifié la dette devant la Cour, mais qu’il était trop tard pour enregistrer un autre privilège. De plus, selon la lettre, l’ARC a recouvré 220 084,75 $ de la vente de l’actif de Kamloops au titre de sa fiducie réputée.

[55] L’ARC a effectué le calcul et l’enregistrement du privilège sur Kamloops conformément aux cotisations émises à l’époque à l’égard de la Gold Standard. De surcroît, la capacité de l’ARC de recouvrer à titre de premier créancier prioritaire le produit de la vente de l’actif de Kamloops se fonde sur le paragraphe 227(4) de la LIR et non sur l’enregistrement du privilège sur Kamloops (ou sur tout autre privilège). La priorité du ministère public découle des dispositions sur la fiducie réputée contenues dans la LIR (Canada (Procureur général) c Banque Nationale du Canada, 2004 CAF 92 au para 50) :

[50] Or ici, l’intention du législateur n’est pas difficile à déceler malgré l’utilisation d’une notion de droit issue de la common law. Le législateur a évidemment voulu conférer à la Couronne un intérêt continu dans les biens qui sont réputés détenus en fiducie tant et aussi longtemps que le défaut du débiteur fiscal persiste et assujettir le créancier garanti à l’obligation de remettre au Receveur général le produit découlant des biens détenus en fiducie en priorité absolue, jusqu’à concurrence de la dette impayée.

[56] Les retenues à la source non versées sont réputées être détenues en fiducie pour l’État, de façon indépendante des biens du contribuable et des biens détenus par tout créancier garanti. L’enregistrement d’un privilège n’a aucune incidence sur la capacité de l’État de récupérer ces montants. En l’espèce, c’est la fiducie réputée visée au paragraphe 227(4) qui a accordé à l’État la priorité sur cinq enregistrements garantis antérieurs visant le bien de Kamloops.

[57] Il appert également du dossier que l’ARC a recouvré tout ce qu’elle pouvait du montant de fiducie réputée de la vente. Il est important de se rappeler que le paragraphe 227(4) ne considère que les montants déduits ou retenus par un contribuable pour les détenir en fiducie. Sa protection ne s’étend pas à la partie des cotisations au Régime de pensions du Canada et à l’assurance-emploi qui revient à l’employeur ni aux intérêts et pénalités imposés sur une dette de retenues à la source. Enfin, l’ARC était tenue de libérer le privilège sur Kamloops au moment de la vente du bien et du recouvrement de tous les montants de fiducie réputée.

[58] L’argument de M. Jefferson selon lequel l’ARC a refusé par négligence de poursuivre les acheteurs et leurs actionnaires et administrateurs ne trouve aucun fondement dans la preuve. Comme le précise la décision, l’ARC a tenté de récupérer des fonds auprès des acheteurs pendant plusieurs années. L’ARC a émis des lettres de DFP au titre de l’article 224 de la LIR et des avis de non-conformité aux acheteurs, ainsi que des notes de service aux administrateurs de ces derniers au titre des articles 227 et 160. Le ministère a également convenu d’un plan de paiement proposé avec les acheteurs, mais ceux-ci n’ont pas respecté leurs promesses de paiement.

[59] La note de service de l’ARC du 3 juin 2019 (la note de service de l’ARC) préparée à l’appui de la décision explique les délibérations de l’ARC pour trouver les voies de recours à l’égard des acheteurs. Elle décrit les objections des acheteurs et des administrateurs à leurs cotisations respectives et l’annulation par l’ARC des DFP et des cotisations des administrateurs.

[60] M. Jefferson soutient en passant que l’ARC a omis à tort de demander le paiement aux autres administrateurs de la Gold Standard. À nouveau, cet argument ne me convainc pas. M. Jefferson n’a pas soulevé cet argument dans la demande de remise. Néanmoins, la décision explique la raison pour laquelle M. Jefferson demeure seul responsable du paiement de la dette fiscale. Le dossier confirme l’analyse de M. Trueman. En février 2012, l’ARC a évalué chacun des trois administrateurs pour le paiement de la totalité de la dette fiscale échue. Or, la responsabilité des administrateurs est solidaire. L’ARC a le droit de demander à chacun des administrateurs de payer le total des retenues salariales non versées (sans dédoublement). Il n’existe aucune erreur susceptible de révision à cet égard.

[61] Enfin, M. Jefferson soutient que l’ARC a trop attendu avant d’essayer de recouvrir la dette fiscale des acheteurs et des autres administrateurs de la Gold Standard. Or, le dossier ne confirme pas une telle observation. Comme il est expliqué ci-dessus, l’ARC a activement essayé d’obtenir des acheteurs et de leurs administrateurs le paiement des obligations fiscales de la Gold Standard. La note de service de l’ARC détaille aussi les communications et les ententes du ministère avec les administrateurs de la Gold Standard depuis 2001.

[62] M. Jefferson avance qu’il y a eu négligence et fausses déclarations de la part de l’ARC, mais il n’a pas démontré l’existence d’éléments de preuve ou de fondement juridique pour de telles allégations. Je ne suis pas convaincue que l’avis de M. Jefferson sur la conduite de l’ARC exige l’intervention du ministre et la remise de la dette fiscale dans l’intérêt public, ou que la conclusion défavorable de la décision est déraisonnable.

Difficultés financières de M. Jefferson au vu des facteurs atténuants

[63] M. Jefferson soutient que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, visé au paragraphe 23(2) de la LGFP, de façon déraisonnable, car il n’a pas tenu compte de sa situation financière actuelle lors de l’évaluation de ses difficultés financières. Il soutient que M. Trueman a commis une erreur, car il a fait fi de sa situation financière entre 2009 et 2011 et de celle des années suivantes. M. Jefferson affirme qu’il a injecté tous les biens personnels à sa disposition dans la Gold Standard [traduction] « en luttant pour maintenir la rentabilité de la société et sa capacité de payer des impôts, ce qui a été totalement ignoré par le ministre dans la décision ».

[64] L’argument de M. Jefferson sur ce point soulève plusieurs problèmes. Premièrement, la demande de remise n’était pas fondée sur des difficultés financières. Elle ne comportait pas d’argument semblable à celui que soulève maintenant M. Jefferson. Elle ne faisait référence qu’aux injections de capitaux des administrateurs dans la Gold Standard entre 2009 et 2011.

[65] Deuxièmement, M. Jefferson soutient qu’il n’a pas été en mesure de s’acquitter de sa responsabilité personnelle à l’égard des retenues à la source non versées dans les années suivantes en raison des contributions antérieures à la Gold Standard. Il affirme qu’il n’est pas à blâmer pour son incapacité à payer la dette fiscale. Je ne suis pas d’accord. En effet, l’argument de M. Jefferson ne tient pas compte du fait qu’il a fait cadeau de ces contributions en raison de son désir de sauver la société et de protéger les employés. M. Jefferson était l’un des trois administrateurs qui ont approuvé que la Gold Standard ne verse pas les retenues à la source pour pouvoir donner des indemnités de départ au lieu de s’acquitter de ses obligations légales. Les administrateurs étaient les auteurs de leur responsabilité personnelle.

[66] Troisièmement, M. Trueman a abordé de son propre chef les difficultés financières dans la décision. L’accent qu’il a mis sur les difficultés physiques et sur la situation financière actuelle de M. Jefferson respecte le guide et prend acte de l’accident en motocyclette de 2017 mentionné par M. Jefferson dans la demande de remise.

[67] Le guide souligne qu’il est peu probable qu’un argument fondé sur des difficultés excessives s’applique aux montants détenus en fiducie pour l’État, comme les retenues à la source ou les montants qui sont présumés être détenus en fiducie. Le guide ajoute que des difficultés financières excessives devraient exister au moment où le contribuable présente une demande de remise et, normalement, devaient exister à l’apparition de l’obligation fiscale initiale.

[68] M. Jefferson a décidé d’injecter des fonds dans la Gold Standard et d’assumer le risque d’avoir une responsabilité personnelle pour donner la priorité aux indemnités de départ dans les années de 2009 à 2011. Je conclus que ces faits correspondent aux situations où des difficultés financières initiales ne justifient pas une remise. L’absence d’analyse de la situation financière de M. Jefferson de 2009 à 2011 dans la décision est justifiée.

[69] De plus, le guide précise que les difficultés financières devraient être telles que les ressources actuelles ou prévues du contribuable ne sont pas suffisantes pour respecter l’obligation fiscale. En expliquant que, au vu du revenu annuel actuel, M. Jefferson n’éprouverait pas de difficultés financières excessives pour le paiement de la dette fiscale, M. Trueman a respecté raisonnablement une telle indication.

[70] Enfin, M. Trueman a conclu que les problèmes de santé de M. Jefferson en 2017 et en 2018 ne déposent pas en faveur de la remise, car ils ne portaient pas préjudice à sa capacité de respecter ses obligations fiscales au moment où celles-ci se sont manifestées. M. Jefferson ne conteste pas cette conclusion.

Résultats non voulus et lacunes de la Loi sur l’impôt sur le revenu

[71] Le présent facteur est ainsi décrit dans le guide :

Il arrive parfois que l’application de la législation fiscale pour certaines transactions donne lieu à des conséquences fiscales qui sont de toute évidence inéquitables à l’égard d’une personne et contraires à l’esprit de la loi.

[72] Dans ses observations, M. Jefferson souligne l’importance des dispositions de la LIR qui attribuent une responsabilité personnelle aux administrateurs de sociétés dans certaines circonstances. Il soutient que l’omission d’une disposition dans la LIR permettant au ministre de poursuivre les administrateurs de sociétés qui manquent à leurs obligations contractuelles dans des situations semblables à celles en cause doit être considérée comme un résultat non voulu. Il fait valoir qu’il est contraire à l’esprit et à l’objet de la LIR que le ministre exige de lui le respect d’une norme plus élevée que les administrateurs des acheteurs.

[73] Je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision. M. Jefferson ne conteste pas le fait que l’ARC a correctement appliqué les dispositions de la LIR en l’évaluant personnellement pour les retenues salariales non versées de la Gold Standard. Le transfert de la responsabilité relative aux retenues à la source aux administrateurs de sociétés, à titre personnel, sert à deux fins. Tout d’abord, elle renforce le rôle des retenues à la source comme pierre angulaire de la LIR. Ensuite, elle prend acte du principe d’entreprise selon lequel l’administrateur est l’âme dirigeante d’une société. M. Trueman a traité les deux fins dans la décision :

[traduction]

Les retenues à la source sont des fonds détenus en fiducie. Les lois régissant la gestion de ces fonds sont nécessairement strictes. Les retenues à la source sont prélevées par la société qui agit à titre de mandataire du gouvernement et doivent être conservées séparément des fonds de la société. Elles ne peuvent être utilisées à aucune autre fin (p. ex., lorsqu’il y a des problèmes de liquidité). Lorsque Gold Standard éprouvait des difficultés financières, elle a choisi de verser des indemnités de départ à ses employés au lieu de verser les retenues à la source comme l’exige l’ARC. […] La décision de verser une indemnité de départ à ses employés a finalement été une décision d’affaires, sur laquelle les administrateurs de la Gold Standard, notamment M. Jefferson, exerçaient leur contrôle. Il ne s’agissait pas du résultat de facteurs atténuants indépendants de leur volonté.

[74] Le transfert de la responsabilité personnelle aux administrateurs en cas de violation contractuelle par une société pose des questions fiscales et sur les politiques d’entreprise très différentes et très variées. Le fait que les acheteurs n’ont pas honoré leurs ententes contractuelles a eu des répercussions très graves sur M. Jefferson, certes, mais qui ne constituent pas un résultat non voulu de la LIR. Comme le précise la décision, le recours de la Gold Standard dans un différend contractuel privé était une affaire civile.

[75] Les déclarations de M. Jefferson, selon lesquelles il n’était pas possible d’intenter des poursuites contre les administrateurs des acheteurs en vertu de la LIR et que le ministre a retardé déraisonnablement et ensuite abandonné toute poursuite en justice, sont incompatibles avec la preuve relative à la présente demande. Dans le présent jugement, j’ai déjà décrit les DFP et les cotisations d’inobservation que l’ARC a imposées aux acheteurs et à leurs administrateurs. Les acheteurs et les administrateurs ont déposé des objections à l’égard des cotisations. L’ARC a conclu que les objections étaient bien fondées et que le dossier n’appuyait pas l’argument de M. Jefferson selon lequel l’évaluation de ces objections par le ministère était faite de façon négligente ou reflétait un manque de diligence.

VI. Conclusion

[76] M. Jefferson a également avancé que la décision manquait de justifications, de transparence et d’intelligibilité. Il fait valoir que M. Trueman n’a pas donné assez de raisons pour appuyer des assertions générales dans la décision au sujet de la conduite de l’ARC et de son incapacité de poursuivre les acheteurs, leurs administrateurs et ses collègues administrateurs de la Gold Standand. M. Jefferson affirme que ces lacunes et les erreurs précises avancées qui ont déjà été traitées exigent que la Cour casse la décision.

[77] J’estime que la décision ne manque pas de cohérence ou de transparence. M. Trueman résume fidèlement les faits à l’origine de la demande de remise. Dans ce résumé, il donne un aperçu des mesures prises par l’ARC pour s’assurer l’obtention des taxes, des pénalités et des intérêts imposés à la Gold Standard sur l’actif de Kamloops. Il explique le statut du privilège sur Kamloops et les montants de fiducie réputée au titre du paragraphe 227(4) de la LIR, et la mesure dans laquelle la loi permettait à l’ARC de recouvrer des fonds de la vente de l’actif de Kamloops avant tous les autres créanciers :

[traduction]

Vous laissez entendre que l’ARC n’aurait pas dû lever le privilège sur l’actif de Kamloops avant que la vente ne rembourse la totalité de la dette de la Gold Standard. Il appert d’un examen du dossier que l’ARC a suivi les bonnes procédures en ce qui concerne le privilège et a recouvré tout ce qu’elle a pu de la vente de ce bien. À la vente du bien et à la réception du montant garanti, l’ARC a dû libérer le privilège.

[78] La décision décrit également les tentatives de l’ARC de récupérer des fonds auprès des acheteurs et de leurs administrateurs.

[79] Le résumé des faits de M. Trueman donne un fondement exhaustif du fond de la décision. Dans le cadre de ses observations sur le manque de transparence et d’intelligibilité de la décision, M. Jefferson soutient que des parties de la correspondance et de la note de service de l’ARC qui expliquent les tentatives du ministère d’obtenir un paiement des acheteurs auraient dû être incluses dans la décision. Je ne suis pas de cet avis. Un décideur administratif n’est pas tenu à la perfection dans la rédaction des motifs. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que chaque élément de preuve à l’appui, sur lequel une décision est fondée, soit transcrit dans la décision. La décision traite de toutes les questions importantes soulevées dans la demande de remise. M. Trueman n’a pas déformé la preuve ni ignoré les éléments de preuve contradictoires de la demande de remise et de la décision. Je conclus que, en omettant d’autres détails dans la décision, M. Trueman n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

[80] L’analyse de M. Trueman est exprimée clairement et conforme à la note de service de l’ARC. La décision doit être lue à la lumière du dossier. À mon avis, elle reflète une analyse rationnelle qui est intelligible, transparente et justifiée (Vavilov, au para 103; voir aussi Wyse c Canada (Revenu national), 2007 CF 535 aux para 88-89). L’absence dans la décision, par exemple, d’une description plus détaillée de l’évaluation de l’ARC des avis d’opposition déposés par les acheteurs et leurs administrateurs, et d’une explication quant à la poursuite de Wayne Wiren par l’ARC, ne constituent pas des omissions importantes.

[81] En résumé, le pouvoir discrétionnaire du ministre de recommander la remise en vertu du paragraphe 23(2) est large et fondé sur des politiques (Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823 au para 18, conf par 2013 CAF 25 (Twentieth Century CAF)). Dans l’exercice de ce pouvoir, il faut examiner les questions d’intérêt public au vu du contexte du régime réglementaire régissant le fonctionnement de la LIR (Twentieth Century CAF, au para 9, citant la décision de la Cour dans l’affaire Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2010 CF 1188 au para 31).

[82] Je conclus que la décision, lue dans son intégralité, reflète un équilibre raisonné, trouvé par M. Trueman, entre l’intérêt du public visant à protéger le versement des retenues à la source, ce qui est au cœur de la LIR, et la décision commerciale malheureuse de M. Jefferson et son attribution de la responsabilité personnelle. À mon avis, la décision n’ignore pas et ne minimise pas la conduite des acheteurs. Elle se concentre raisonnablement sur la décision de la Gold Standard de ne pas respecter ses obligations de versement sur une période prolongée et, par la suite, de conclure volontairement des ententes contractuelles avec les acheteurs qui ont été entachées par des manquements successifs dans leur exécution.

[83] Pour les motifs énoncés précédemment, la demande de contrôle judiciaire de M. Jefferson est rejetée.

VII. Dépens

[84] À l’audience de la présente demande, les parties ont convenu de discuter des dépens à adjuger. Dans des lettres du 30 novembre 2020, les parties ont informé la Cour qu’elles n’avaient pas été en mesure de s’entendre sur les dépens à payer à la partie ayant gain de cause. Ainsi, elles ont proposé un calendrier de présentation des observations sur les dépens à la Cour après la publication du présent jugement, que j’ai accepté.

 


JUGEMENT dans le dossier no T-1676-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié pour préciser que le procureur général du Canada est le défendeur.

  3. Les parties présenteront des observations sur les dépens à la Cour selon le calendrier suivant :

  • a) dans les 10 jours suivant la date du présent jugement, le défendeur remettra à la Cour des observations écrites concernant les dépens, qui ne doivent pas dépasser les trois (3) pages, sans compter les annexes, les pièces et les autorisations;

  • b) dans les 10 jours suivant la date du dépôt des observations relatives aux dépens du défendeur, le demandeur, M. Jefferson, remettra à la Cour des observations écrites concernant les dépens, qui ne doivent pas dépasser les trois (3) pages, sans compter les annexes, les pièces et les autorisations;

  • c) dans les cinq (5) jours suivant la date du dépôt des observations sur les dépens du demandeur, le défendeur peut remettre à la Cour des observations écrites sur les dépens à titre de réponse, ces observations ne devant pas dépasser les deux (2) pages au total.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1676-19

 

INTITULÉ :

JOHN JEFFERSON c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 23 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Jason C. Rosen

Arad Moslehi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nancy Arnold

Angela Shen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rosen Kirshen Tax Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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