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Date : 20210505


Dossier : T‑380‑21

Référence : 2021 CF 402

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2021

En présence de la juge responsable de la gestion de l’instance Mandy Aylen

ENTRE :

BIOMARIN PHARMACEUTICAL INC.

demanderesse

et

DR. REDDY’S LABORATORIES LTD.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] L’instance principale consiste en une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [le Règlement] à l’égard d’un produit biopharmaceutique novateur appelé KUVANMC.

[2] D’après les allégués de la déclaration, KUVANMC est un médicament d’ordonnance qui renferme l’ingrédient actif appelé dichlorhydrate de saproptérine. KUVANMC est vendu au Canada par la demanderesse, notamment sous forme d’une poudre destinée à la préparation d’une solution à administrer par voie orale à la dose de 100 mg. La demanderesse est titulaire de l’homologation accordée par Santé Canada à l’égard de KUVANMC. KUVANMC est autorisé au Canada pour réduire la concentration de phénylalanine [Phe] dans le sang de patients atteints d’hyperphénylalaninémie [HPA] causée par une phénylcétonurie [PCU], ayant un déficit en tétrahydrobioptérine (BH4‑) et répondant à ce type de traitement, et il est indiqué en association avec un régime pauvre en phénylalanine.

[3] La demanderesse a obtenu l’inscription des brevets suivants à l’égard de KUVANMC au registre des brevets : le brevet canadien no 2,545,584 [le brevet 584], le brevet canadien no 2,682,598 [le brevet 598] et le brevet canadien no 2,545,968 [le brevet 968].

[4] Selon la preuve dont dispose la Cour, le 13 janvier 2021, la défenderesse a signifié au cabinet d’avocats de la demanderesse (dont les coordonnées figurent à l’adresse de signification inscrite au registre des brevets) trois avis d’allégation, soit un pour chacun des brevets inscrits à l’égard de KUVANMC au registre des brevets, ainsi que trois clés USB contenant des documents pertinents pour la présentation abrégée de drogue nouvelle. Les avis d’allégation indiquent que la défenderesse demande l’autorisation de vendre une version générique de KUVANMC, qu’elle a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle auprès du ministre de la Santé en vue d’obtenir un avis de conformité pour le produit générique et que la présentation abrégée de drogue nouvelle de la défenderesse compare le produit générique à la poudre destinée à la préparation d’une solution à administrer par voie orale à la dose de 100 mg de KUVANMC.

[5] Toutefois, les avocats de la demanderesse ont cru à tort qu’ils avaient reçu trois exemplaires de l’avis d’allégation pour le brevet 598 (plutôt que trois avis d’allégation distincts – un pour chacun des brevets 598, 584 et 968), de sorte que les brevets 584 et 968 n’étaient pas en litige entre les parties.

[6] Le 26 février 2021, la demanderesse a intenté la présente action dans laquelle elle allègue, entre autres choses, que le produit proposé par la défenderesse ne contrefait que le brevet 598. S’agissant des brevets 584 et 968, la demanderesse a fait valoir que, comme la défenderesse ne les avait pas mentionnés dans l’avis d’allégation, le ministre de la Santé ne pouvait délivrer un avis de conformité à la défenderesse avant l’expiration des brevets 584 et 968 ou jusqu’à ce que les exigences applicables énoncées à l’article 7 du Règlement soient remplies.

[7] La déclaration a été signifiée à la défenderesse le 1er mars 2021. Par la suite, divers échanges ont eu lieu entre les avocats des parties, au cours desquels les avocats de la demanderesse ne se sont pas aperçus qu’ils s’étaient trompés. Ce n’est que le 23 mars 2021 que les avocats de la demanderesse ont constaté leur erreur. Ils ont immédiatement cherché à se renseigner et ont confirmé qu’ils avaient effectivement reçu signification de trois avis d’allégation distincts à l’égard de KUVANMC, un pour chaque brevet.

[8] Les avocats de la demanderesse ont pris des mesures sans tarder pour tenter de modifier la déclaration et ont signalé le problème à la Cour. Une conférence de gestion de l’instance a été tenue deux jours plus tard, au cours de laquelle la défenderesse a fait savoir qu’elle ne consentirait pas aux modifications proposées au motif qu’elles ont été présentées hors délai, c’est‑à‑dire après le délai des 45 jours prescrit. Par conséquent, la demanderesse a déposé la présente requête.

[9] Dans le cadre de la présente requête, la demanderesse sollicite l’autorisation de modifier sa déclaration de la manière indiquée à l’annexe A jointe à l’avis de requête. La demanderesse cherche à obtenir l’autorisation de modifier sa déclaration afin de pouvoir

  1. solliciter un jugement déclarant que la fabrication, la construction, l’exploitation, la vente, la mise en vente, l’importation ou l’exportation du produit générique proposé qui sont visées par la présentation abrégée de drogue nouvelle contreferait, directement ou indirectement, et/ou inciterait à la contrefaçon des revendications contenues dans chacun des brevets 968 et 584;

  2. sollicite une injonction pour empêcher la contrefaçon ou l’incitation à la contrefaçon des revendications contenues dans chacun des brevets 968 et 584;

  3. ajouter les faits qui se rapportent à la délivrance, au titre, à la demande, aux inventeurs et à la validité quant à chacun des brevets 968 et 584.

  4. ajouter les faits qui se rapportent aux revendications contenues dans chacun des brevets 968 et 584;

  5. ajouter les faits qui se rapportent aux avis d’allégation pour chacun des brevets 968 et 584;

  6. ajouter les faits qui se rapportent aux actes précis de contrefaçon et d’incitation à la contrefaçon des revendications contenues dans chacun des brevets 968 et 584.

[10] La défenderesse s’oppose aux modifications proposées au motif qu’elles sont présentées hors délai et qu’elles ne présentent aucune possibilité raisonnable de succès.

[11] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la demanderesse n’a pas démontré que les causes d’action dont elle sollicite l’ajout dans sa déclaration (la contrefaçon des brevets 584 et 968) découlent de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux qui sous‑tendent la cause d’action initialement révélée dans la déclaration. Par conséquent, la requête sera rejetée.

A. Les principes applicables à une requête en modification d’un acte de procédure

[12] Les articles 75, 76, 77, 200 et 201 des Règles de la Cour fédérale portent sur la modification des actes de procédure dans diverses circonstances et à diverses fins. L’article 75 des Règles dispose que la Cour peut, à tout moment, autoriser une partie à modifier un document, à des conditions qui permettent de protéger les droits des parties.

[13] Dans l’arrêt Canderel Ltée c Canada (CA), [1994] 1 CF 3, [1993] ACF no 777, la Cour d’appel fédérale a conclu à la page 10 que, même s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte pour décider s’il fera droit à une demande de modification des actes de procédure, la règle générale est qu’« une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, à condition, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice ».

[14] Toutefois, à titre préliminaire, la modification proposée doit présenter une possibilité raisonnable de succès. Si une modification proposée ne présente aucune possibilité raisonnable de succès, la Cour n’a pas à examiner d’autres questions, comme le préjudice dont pourrait souffrir la partie adverse à la suite de la modification [voir Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176 aux para 29‑32]. Il incombe à la partie qui sollicite les modifications d’établir qu’elles présentent cette possibilité [voir Merck & Co Inc. c Apotex, 2003 CAF 488 au para 46].

[15] Pour décider si une modification proposée présente une possibilité raisonnable de succès, il faut examiner ses chances dans le contexte du droit et du processus judiciaire et adopter un point de vue réaliste [voir Teva, précitée, au para 30].

[16] S’il est évident et manifeste qu’une modification proposée ne résisterait pas à une requête en radiation, la modification doit être refusée [voir Lantech.com, LLC c Wulftec International Inc., 2018 CF 41; Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 au para 22; Nidek Co. Ltd. c VISX Incorporated, [1996] ACF no 1721 au para 16]. Afin de décider s’il convient d’autoriser la modification, la Cour doit présumer la véracité des faits allégués dans la modification proposée [voir VISX, précitée, au para 16]. Par conséquent, la Cour ne devrait refuser d’autoriser des modifications que dans les cas évidents et manifestes qui ne laissent planer aucun doute et dans le cas où le domaine de droit demeure flou [voir Hoechst Aktiengesellschaft c Adir, [1998] ACF n1028, au para 7 (CF)].

[17] Dès lors qu’il est établi que la modification proposée a une possibilité raisonnable de succès, d’autres facteurs doivent être examinés, dont le moment auquel est présentée la requête visant la modification, la mesure dans laquelle la modification proposée retarderait l’instruction expéditive de l’affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant, ou dont la présence ou l’absence soit nécessairement déterminante. On doit accorder à chacun des facteurs le poids qui lui revient dans le contexte de l’espèce. Il s’agit en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et des intérêts qu’a le tribunal à ce que justice soit faite [voir Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 au para 3].

[18] S’agissant des causes d’action introduites hors délai, les articles 76, 77 et 201 des Règles, lus ensemble, autorisent les modifications visant à ajouter une nouvelle cause d’action pour laquelle le délai de prescription est expiré, à condition que la cause d’action naisse de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde la cause d’action initialement invoquée et que la justice exige que la modification soit apportée [voir Seanix Technology Inc. c Synnex Canada Ltd., 2005 CF 243; Domco Industries Ltd c Mannington Mills Inc., [1990] ACF no 269 (CAF), autorisation d’appel à la CSC refusée, [1990] SCCA no 243 (note); Houle c Canada, [2000] 1 CF 102 (CF)].

B. Le régime du Règlement

[19] Le 21 septembre 2017, des modifications importantes ont été apportées au Règlement, lesquelles consistent plus particulièrement à remplacer le droit d’une société innovatrice à présenter, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, une demande visant à interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques par le droit d’intenter une action en contrefaçon de brevet contre le fabricant de médicaments génériques. Ces modifications ont eu pour effet d’éliminer le risque de doubles litiges inhérent au régime antérieur, étant donné qu’une demande présentée en vertu de l’article 6 servait à décider s’il était justifié d’alléguer la non‑contrefaçon et l’invalidité aux fins de la délivrance d’un avis de conformité alors que la décision définitive sur la contrefaçon et la validité n’était rendue que dans le cadre d’une action subséquente. Suivant le nouveau régime, l’instance visée au paragraphe 6(1) permet de statuer, de manière définitive, sur les questions sous‑jacentes de l’invalidité et de la contrefaçon de brevet [voir Amgen Inc. c Pfizer Canada Inc., 2018 CF 1078 au para 27, conf par 2019 CAF 249, aux para 8 et 65; Sunovion Pharmaceuticals Canada Inc. c Taro Pharmaceuticals Inc., 2021 CF 37 au para 12; Règlement de 2017 modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/2017‑166, Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [REIR], voir par exemple, p. 34].

[20] Tout comme sous l’ancien régime, l’événement qui donne ouverture à une action fondée sur le paragraphe 6(1) du Règlement modifié est la réception d’un avis d’allégation par la société innovatrice, moment où commence la période de 45 jours dont elle dispose pour décider s’il y a lieu d’intenter une action en contrefaçon. Le paragraphe 6(1) dispose :

6 (1) La première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation en application de l’alinéa 5(3)a) peut, au plus tard quarante‑cinq jours après la date à laquelle la première personne a reçu signification de l’avis, intenter une action contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis.

 

6(1) The first person or an owner of a patent who received a notice of allegation referred to in paragraph 5(3)(a) may, within 45 days after the date on which the first person is served with the notice, bring an action against the second person in the Federal Court for a declaration that the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) would infringe any patent or certificate of supplementary protection that is the subject of an allegation set out in that notice.

 

[21] Le droit d’intenter une action est censé être ultime. Comme le prévoit l’article 6.01 du Règlement, la société innovatrice ne peut ultérieurement intenter une autre action en contrefaçon à l’égard des brevets visés par l’avis d’allégation, sauf si elle peut établir qu’elle n’avait pas de motifs raisonnables pour intenter une action :

Aucune autre action qu’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ne peut être intentée contre la seconde personne pour la contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire visé par un avis d’allégation signifié en application de l’alinéa 5(3)a) relativement à la fabrication, à la construction, à l’exploitation ou à la vente d’une drogue conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), sauf si la première personne ou le propriétaire du brevet n’avait pas, dans la période de quarante‑cinq jours prévue au paragraphe 6(1), de motifs raisonnables pour intenter une action en vertu de ce paragraphe.

No action, other than one brought under subsection 6(1), may be brought against the second person for infringement of a patent or a certificate of supplementary protection that is the subject of a notice of allegation served under paragraph 5(3)(a) in relation to the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) unless the first person or the owner of the patent did not, within the 45‑day period referred to in subsection 6(1), have a reasonable basis for bringing an action under that subsection.

[22] S’agissant des circonstances dans lesquelles il peut être conclu, suivant l’article 6.01, qu’une société innovatrice n’avait pas de motifs raisonnables pour intenter une action dans le délai initial de 45 jours, le RÉIR indique ce qui suit, à la page 37 :

Des exemples de situations où la première personne ou le propriétaire du brevet peut ne pas avoir eu des motifs raisonnables pour intenter une action comprennent lorsque les renseignements fournis par le fabricant de médicaments génériques étaient faux, contenaient une erreur trompeuse sur un point important ou étaient nettement incomplets (notamment en raison d’un changement subséquent apporté au produit générique).

[23] Le pouvoir de prendre le Règlement est énoncé au paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Le Règlement fait le lien entre la Loi sur les brevets et les droits conférés au breveté d’un médicament novateur et la délivrance d’un avis de conformité par Santé Canada, en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, et un produit de mise en marché subséquent, soit un produit générique. Selon le Règlement, lorsqu’une demande d’avis de conformité compare un médicament générique proposé à un médicament commercialisé à l’égard duquel des brevets sont inscrits au registre, il doit être donné suite à cette demande, soit en attendant que ces brevets expirent soit en obtenant le consentement nécessaire soit d’une autre manière prévue dans l’ avis d’allégation [voir Viiv Healthcare Company c Sandoz Canada Inc, 2020 CF 1040 aux para 55‑56 — NDLT : cette référence fournie dans le texte anglais est erronée].

[24] L’importance du Règlement est reconnue au paragraphe 55.2(5), lequel vise à résoudre les cas de divergence entre les dispositions du Règlement et toute disposition législative ou réglementaire fédérale. Le paragraphe 55.2(5) dispose :

(5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente.

(5) In the event of any inconsistency or conflict between

(a) this section or any regulations made under this section, and

(b) any Act of Parliament or any regulations made thereunder, this section or the regulations made under this section shall prevail to the extent of the inconsistency or conflict.

[25] La Cour d’appel fédérale a confirmé la nature extraordinaire du Règlement lorsqu’elle a conclu qu’il « prévaut sur toute autre disposition législative ou réglementaire, y compris la Loi sur la Cour fédérale et les Règles de la Cour fédérale » [voir Merck Frosst Canada Inc. c Apotex Inc., [1997] 2 CF 561 (CAF) au para 9].

C. La thèse de la demanderesse

[26] Selon la demanderesse, le délai de 45 jours prescrit par le paragraphe 6(1) du Règlement opère de la même manière que tout autre délai de prescription. Même si le paragraphe 6(1) peut empêcher qu’une nouvelle action soit intentée en vertu du Règlement, il n’empêche pas que des modifications soient apportées à une action existante. Les modifications sont plutôt régies par les Règles des Cours fédérales, qui permettent dans certaines circonstances l’ajout de demandes par voie de modifications.

[27] La demanderesse affirme que, conformément aux Règles des Cours fédérales, le critère qui permet d’ajouter de nouvelles causes d’action, même lorsqu’un délai de prescription est expiré, est bien établi. La modification devrait être autorisée si : a) les faits sous‑jacents aux modifications sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fondent une cause d’action pour laquelle une réparation a déjà été demandée dans l’action; b) il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser les modifications afin de veiller à ce toutes les questions pertinentes soient entièrement tranchées dans la décision.

[28] La demanderesse soutient que la pratique mentionnée ci‑dessus qui a lieu devant la Cour fédérale est conforme à celle des tribunaux de l’Ontario, où une présomption réfutable de préjudice s’applique lorsqu’une modification est apportée après l’expiration d’un délai de prescription. Cette présomption est réfutée lorsque la partie requérante établit l’existence de [traduction] « circonstances spéciales », lesquelles révèlent la présence du fondement factuel des modifications et leur lien avec l’action existante. Selon la demanderesse, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné qu’il n’existe aucune liste exhaustive de ce qui constitue des [traduction] « circonstances spéciales » et que souvent elles consistent en des erreurs liées à la procédure ou à des renseignements qui n’ont ni induit l’autre partie en erreur ni les ont amenés à produire une défense qui aurait été différente si les modifications avaient fait partie de la demande dès le début [voir Frohlick v Pinkerton Canada Limited, 2008 ONCA 3].

[29] S’agissant de la présente requête, la demanderesse affirme que la modification proposée ne constitue pas une nouvelle action. Au contraire, la modification s’inscrit dans le cadre de l’action existante et a pour but de veiller à ce que la Cour soit clairement saisie de toutes les questions pertinentes. La demanderesse a intenté la présente action relativement au brevet 598 dans le délai de 45 jours et ne cherche aujourd’hui qu’à modifier l’acte de procédure qu’elle a produit dans le cadre de son action. La demanderesse reconnaît qu’elle ne peut intenter de nouvelles actions sur le fondement du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard des brevets 584 et 968, mais elle est d’avis qu’aucune prescription ou interdiction ne l’empêche de modifier les demandes qu’elle présente dans le cadre d’une action fondée sur le paragraphe 6(1) déjà en instance.

[30] De plus, la demanderesse fait valoir que, contrairement à l’argument de la défenderesse, il n’y a aucune incompatibilité entre les Règles des Cours fédérales (qui lui permettraient de modifier sa déclaration en y ajoutant des causes d’action pour lesquelles le délai de prescription est expiré) et le Règlement. Le Règlement ne prévoit aucune marche à suivre pour la modification des actes de procédures, et les parties sont donc tenues de recourir aux Règles des Cours fédérales pour ce qui est des modifications proposées et de les appliquer.

[31] La demanderesse fait valoir ce qui suit au paragraphe 14 de ses observations écrites en réponse ` : [traduction] « La seule question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les modifications proposées découlent de faits qui sont essentiellement les mêmes qui sous‑tendent la cause d’action existante et si les modifications sont dans l’intérêt de la justice. Si ces exigences sont respectées, l’expiration du délai de prescription ne constitue pas un obstacle aux modifications, et elles devraient être autorisées. »

[32] Sur cette question, la demanderesse soutient que les modifications découlent des faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux qui sont déjà en cause dans la présente action, soit les caractéristiques du produit générique de la défenderesse et les mesures que la défenderesse prendrait relativement à ce produit générique si la mise en marché en était autorisée. La demanderesse fait valoir que le principal enjeu qui sous‑tend l’action concerne l’intention de la défenderesse d’obtenir un avis de conformité. Les questions et les faits suivants se rapportent tous au différend sous‑jacent :

  1. La demanderesse a obtenu l’approbation de Santé Canada à l’égard de KUVANMC et a fait inscrire ses brevets pertinents au registre des brevets.

  2. La défenderesse a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle pour son produit générique le 30 novembre 2020.

  3. La défenderesse s’appuie sur l’innocuité et l’efficacité de KUVANMC pour faire approuver son produit générique.

  4. La défenderesse était tenue de mentionner dans son avis d’allégation les brevets pertinents à l’égard de KUVANMC qui sont inscrits au registre des brevets.

  5. La demanderesse a intenté une action en vertu du Règlement dans les délais prévus par la loi, dans laquelle elle alléguait que la fabrication, la construction, l’exploitation, la vente, la mise en vente, l’importation ou l’exportation du produit générique de la défenderesse porteront atteinte aux droits de la demanderesse découlant du brevet.

  6. En raison de cette action, la suspension automatique de 24 mois empêche la défenderesse d’obtenir un avis de conformité pour son produit générique jusqu’à ce que la Cour puisse trancher les questions.

  7. La question que doit trancher la Cour est celle de savoir si le produit générique de la défenderesse portera atteinte aux droits valides de la demanderesse découlant du brevet.

[33] Selon la demanderesse, chacun des faits et des questions mentionnés ci‑dessus s’applique aussi aux modifications. Les modifications s’appliquent à la même présentation abrégée de drogue nouvelle et au même produit générique, aux mêmes parties que sont la « première personne » et la « seconde personne » et aux mêmes agissements de la défenderesse qui portent atteinte aux droits de la demanderesse découlant du brevet. La déclaration initiale et la déclaration modifiée proposée portent toutes les deux sur la même question – à savoir, la défenderesse est‑elle en mesure d’obtenir un avis de conformité pour son produit générique avant l’expiration des droits que les brevets à l’égard de KUVANMC confèrent à la demanderesse?

[34] Selon la demanderesse, les seuls faits nécessaires en ce qui concerne les modifications sont des précisions supplémentaires sur le produit générique de la défenderesse, dont les détails et les caractéristiques sont déjà en cause dans la présente action. Plusieurs de ces faits devraient être identiques à ceux qui sont en cause dans l’action existante. Par exemple, les quatre documents produits par la défenderesse à l’appui de la présentation abrégée de drogue nouvelle ainsi que l’avis d’allégation concernant le brevet 598 sont identiques à ceux qu’elle a fournis relativement au brevet 584, et les six documents produits à l’appui de la présentation abrégée de drogue nouvelle relativement au brevet 968 comprennent également les quatre mêmes documents produits à l’appui de la présentation abrégée de drogue nouvelle que les brevets 598 et 584.

[35] La demanderesse fait valoir qu’il faut garder à l’esprit que l’article 201 des Règles n’exige pas que les faits soient identiques, mais seulement essentiellement similaires. Une interprétation trop stricte de l’article 201 des Règles irait à l’encontre de son objet et ferait en sorte qu’il serait pratiquement impossible d’apporter des modifications. Il est important de s’en tenir aux principaux faits sous‑jacents au différend fondamental entre les parties, faits qui, selon la demanderesse, sont essentiellement les mêmes en l’espèce.

[36] La demanderesse affirme en outre qu’il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser les modifications et de veiller à ce que la Cour puisse trancher toutes les questions pertinentes en litige dans le cadre de la présente action. La demanderesse a fourni à la Cour des éléments de preuve et des arguments détaillés pour expliquer l’erreur de ses avocats, dès la signification des avis d’allégation jusqu’à la présentation de sa demande en vue de modifier son acte de procédure. Selon la demanderesse, le fait de lui permettre d’apporter les correctifs qui s’imposent du fait de son erreur garantit que toutes les questions de contrefaçon des brevets inscrits à l’égard de KUVANMC seront entièrement tranchées et ne cause aucun préjudice à la défenderesse ou à la Cour. De plus, selon la demanderesse, ni le calendrier de l’instance ni la date prévue pour l’instruction ne seront touchés par les modifications. La demanderesse affirme que les intérêts de la justice ne seraient pas servis si la Cour devait limiter sa décision en raison d’éléments négligeables qui découlent d’une erreur commise par inadvertance, lorsque le problème peut être facilement corrigé sans qu’un préjudice soit causé aux parties ou à la Cour.

[37] La demanderesse soutient en outre que, suivant le même raisonnement, les modifications répondraient également au critère si la Cour prenait en compte les [traduction] « circonstances spéciales » dont le cadre a été établi par la Cour d’appel de l’Ontario.

[38] La demanderesse affirme qu’elle a établi que les modifications proposées ont une possibilité raisonnable de succès, mais que tous les autres facteurs permettent d’autoriser les modifications demandées, étant donné que la requête en modification a été déposée le plus rapidement possible, que les modifications proposées ne retarderaient pas l’instruction expéditive de l’affaire, qu’aucune thèse adoptée à l’origine par une partie n’a amené l’autre à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. De plus, la demanderesse affirme que la défenderesse ne subit aucun préjudice non indemnisable en raison des modifications proposées.

D. La thèse de la défenderesse

[39] Selon la défenderesse, les modifications proposées pour ajouter des causes d’action proposées quant aux brevets 584 et 968 sont présentées hors délai et ne présentent aucune possibilité raisonnable de succès.

[40] La défenderesse fait valoir que modifier une déclaration de manière à y ajouter de nouvelles causes d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement, après l’expiration du délai de 45 jours, est contraire au sens ordinaire du paragraphe 6(1) et de l’article 6.01. Elle invoque la décision Cobalt Pharmaceuticals Inc. c Pfizer Canada Inc., 2008 CAF 15, où la Cour d’appel fédérale, citant avec approbation l’extrait suivant de Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 205, a confirmé au paragraphe 8 que la Cour n’a pas compétence pour proroger le délai de 45 jours :

[18] L’exigence fondamentale que prévoit le Règlement est que toute demande présentée à la Cour doit être introduite dans les 45 jours de l’avis d’allégation. La Cour n’a pas compétence pour proroger ce délai de 45 jours, parce que le principe général régissant les prorogations de délai entrerait directement en conflit avec le paragraphe 6(1) du Règlement (Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1997), 72 C.P.R. (3d) 453)).

[19] Toutefois, dès lors que l’instance est introduite dans les délais prescrits par la loi, les Règles des Cours fédérales s’appliquent, sauf en cas d’incompatibilité. La Loi et les Règles s’appliquent à plusieurs questions qui ne sont pas spécifiquement abordées dans le Règlement, y compris le droit d’appel (Bayer AG et autres c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social)) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.), à la page 336).

[41] La défenderesse fait valoir que la Cour ne peut proroger le délai pour permettre d’ajouter ces nouvelles causes d’action, et que le fait de ne pas avoir lu l’avis d’allégation signifié en bonne et due forme n’est pas une situation qui appelle une conclusion de la Cour selon laquelle la première personne ou le titulaire du brevet n’avait aucun motif raisonnable pour intenter une action dans le délai de 45 jours, comme celle que vise l’article 6.01 du Règlement [voir Viiv, précitée].

[42] De plus, la défenderesse soutient que, si tant est que les Règles des Cours fédérales permettent à la demanderesse de modifier son acte de procédure afin d’ajouter des causes d’action présentées hors délai, ces Règles sont incompatibles avec le paragraphe 6(1) du Règlement et la demanderesse ne peut s’appuyer sur elles pour demander à la Cour d’autoriser les modifications.

[43] Selon la défenderesse, même en tenant pour acquis que les modifications ne sont pas présentées hors délai et que la demanderesse a le droit d’invoquer les Règles des Cours fédérales applicables à la modification des actes de procédure, la demanderesse ne demande pas à corriger le nom d’une partie ou à changer la qualité en laquelle la partie introduit l’instance. Par conséquent, l’article 76 des Règles ne s’applique pas. Si l’article 76 des Règles ne s’applique pas, l’article 77 des Règles (qui permet de présenter des modifications même si le délai de prescription est expiré) ne peut s’appliquer non plus parce qu’il ne s’applique qu’aux modifications autorisées en vertu de l’article 76 des Règles. La défenderesse affirme que la demanderesse ne peut s’appuyer non plus sur l’article 201 des Règles, car il ne s’applique que dans le cadre d’une modification apportée en vertu de l’article 76 des Règles. Je tiens toutefois à faire remarquer que la défenderesse n’a pas invoqué cet argument lors de l’instruction de la requête. À cet égard, il ressort clairement de la jurisprudence que les articles 76, 77 et 201 des Règles n’ont pas été interprétés de la manière proposée par la défenderesse. L’article 201 des Règles permet à une partie de soulever une nouvelle cause d’action lorsqu’elle découle essentiellement des mêmes faits que ceux énoncés dans la déclaration initiale, même si cette nouvelle cause d’action est présentée hors délai [voir Houle, précitée, au para 38].

[44] La défenderesse affirme en outre que, même si l’article 201 des Règles s’applique, les modifications proposées ne découlent pas essentiellement des faits déjà allégués dans la déclaration. Les défenderesses invoquent l’arrêt Domco Industries Ltd. c Mannington Mills Inc., [1990] ACF no 269, dans lequel la Cour d’appel fédérale a refusé que la déclaration soit modifiée au motif que la demanderesse alléguait dans sa demande initiale que la défenderesse avait contrefait le brevet parce qu’elle avait offert en vente et vendu des produits contrefaits, alors que dans la modification qu’elle proposait elle alléguait qu’il y avait eu contrefaçon par suite d’une incitation ou d’une conspiration visant à amener d’autres personnes à commettre des actes de contrefaçon. La Cour d’appel fédérale a conclu que la modification proposée constituait une nouvelle cause d’action qui « repos[ait] sur une situation factuelle […] diff[érente] » et qu’elle ne répondait pas aux exigences de l’article 201 des Règles.

[45] La défenderesse soutient qu’une action fondée sur paragraphe 6(1) dans le cadre du nouveau régime qui régit les avis de conformité vise les questions sous‑jacentes que sont la contrefaçon et la validité du brevet. Les conditions essentielles qui révèlent une cause d’action en matière de contrefaçon de brevet exigent que la déclaration indique clairement : a) les faits à partir desquels le droit reconnaît au demandeur un droit déterminé; b) les faits qui constituent une atteinte portée par le défendeur à ce droit déterminé du demandeur. Si la déclaration ne contient pas ces deux éléments, elle ne révèle aucune cause d’action et peut être radiée [voir Partenaires pharmaceutiques du Canada Inc. c Faulding (Canada) Inc., [2002] ACF no 1305, 2002 CFPI 1010 au para 7 (CF 1re inst.), citant Dow Chemical Co. v Kayson Plastics & Chemicals Ltd. (1966), 47 CPR 1 (C. de l’É.)].

[46] La défenderesse soutient que la demanderesse allègue pour la première fois dans les modifications la contrefaçon des brevets 584 et 968 au titre du paragraphe 6(1) du Règlement, et que les droits d’action ainsi visés découlent de faits importants qui sont différents des faits allégués dans l’acte de procédure actuel. Le nombre de modifications proposées par la demanderesse le démontre clairement. Selon la défenderesse, l’acte de procédure actuel de la demanderesse ne satisfait pas aux conditions essentielles qui révèlent une cause d’action en matière de contrefaçon applicable aux brevets 584 et 968.

[47] La défenderesse fait valoir que l’arrêt de l’Ontario invoqué par la demanderesse ne s’applique pas devant la Cour, car il repose sur des règles de procédure différentes. En outre, la défenderesse soutient que même si cet arrêt s’appliquait, le fait qu’elle ne puisse invoquer une défense de prescription fait naître une présomption de préjudice à son endroit et aucune circonstance spéciale en l’espèce ne réfute cette présomption de préjudice. Trois avis d’allégation distincts ont été signifiés en bonne et due forme au cabinet d’avocats de la demanderesse. La décision des avocats de n’examiner qu’un seul des trois avis d’allégation ne constitue pas une « circonstance spéciale ».

E. Analyse

[48] À titre préliminaire, je tiens à faire remarquer que lors de l’instruction de la requête, la demanderesse a tenté d’abandonner sa thèse selon laquelle les causes d’action supplémentaires qu’elle demande à ajouter par voie de modification étaient hors délai et a ajouté, qu’en conséquence, elle devait se conformer aux exigences de l’article 201. La demanderesse a dit qu’elle ne faisait pas valoir que l’article 201 des Règles s’appliquait à la présente requête et a ajouté qu’elle devait, en conséquence, satisfaire aux conditions exigées par les « faits essentiellement similaires » parce que le délai de prescription n’est pas expiré. La demanderesse a plutôt fait valoir que l’article 201 des Règles n’était invoqué que [traduction] « par analogie ».

[49] Or, cette argumentation est entièrement contredite par la thèse et les arguments que la demanderesse a exposés dans les observations écrites qu’elle a produites relativement à la requête et en réponse. Par exemple, au paragraphe 31 des observations écrites qu’elle a produites relativement à la requête, la demanderesse dit que la question que la Cour est appelée à trancher relativement à la présente requête est celle de savoir si [traduction] « les modifications devraient être autorisées malgré l’expiration du délai de prescription, étant donné qu’elles découlent essentiellement des mêmes faits que ceux qui sont déjà en cause dans l’action sous‑jacente et que des circonstances spéciales sont survenues à l’époque où l’action sous‑jacente a été intentée ». La demanderesse a repris cette formulation de la question en litige dans les observations écrites qu’elle a produites en réponse, où, au paragraphe 14, elle soutient ce qui suit : [traduction] « La seule question en litige que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si les modifications proposées découlent essentiellement des mêmes faits qui sous‑tendent la cause d’action existante et si les modifications sont dans l’intérêt de la justice. Si ces exigences sont respectées, l’expiration du délai de prescription ne constitue pas un obstacle aux modifications, et elles devraient être autorisées. »

[50] La demanderesse confirme encore sa thèse sur la requête dans les observations écrites qu’elle a produites en réponse, comme suit :

[traduction]

[5] […] En aucun temps dans la présente instance, BioMarin n’a contesté qu’elle n’avait pas fait valoir ses droits dans les brevets 968 et 584 dans le délai de prescription de 45 jours. BioMarin ne sollicite pas non plus la prorogation du délai qui lui permettrait d’intenter une nouvelle procédure. BioMarin demande plutôt de modifier la présente déclaration, laquelle consiste en une action intentée en bonne et due forme sur le fondement du paragraphe 6(1) des Règlements et conformément aux articles 75, 76, 77 et 201 des Règles. BioMarin soutient que cette modification est autorisée, malgré l’expiration du délai de prescription de 45 jours, car les modifications découlent essentiellement des mêmes faits que ceux qui sont déjà en cause, et qu’il est dans l’intérêt de la justice que toutes les questions pertinentes liées aux brevets qui se posent à l’égard du produit de Reddy soient réglées dans le cadre de cette seule instance. [Non souligné dans l’original.]

[51] La demanderesse a affirmé à maintes reprises que l’article 201 des Règles s’applique à la présente requête, car le délai de prescription pour exercer le recours en contrefaçon de brevet relativement aux brevets 584 et 968 prévu au paragraphe 6(1) du Règlement est expiré. La demanderesse ne peut pas aujourd’hui abandonner cette thèse. De plus, et en tout état de cause, je suis convaincue que l’article 201 des Règles s’applique puisque la demanderesse ne peut manifestement pas intenter aujourd’hui une action en contrefaçon de brevet sur le fondement du paragraphe 6(1) relativement aux brevets 584 et 968.

[52] Même si je souscrivais à l’argument de la demanderesse selon lequel le paragraphe 6(1) du Règlement ne constitue pas un obstacle aux modifications proposées, ainsi qu’à son argument selon lequel il n’y a aucune incompatibilité entre l’application de l’article 201 des Règles et le Règlement, je ne peux faire mien son argument portant que les modifications proposées découlent essentiellement des mêmes faits qui sous‑tendent la cause d’action initialement révélée dans la déclaration.

[53] Certes, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’article 201 des Règles n’exige pas que les faits soient tous les mêmes, mais les causes d’action que la demanderesse veut faire ajouter par voie de modification ne sont pas fondées sur les faits déjà allégués dans la déclaration.

[54] La demanderesse a reconnu, lors de l’instruction de la requête, que la Cour traite les actions intentées en vertu du Règlement de la même manière que les actions en contrefaçon de brevet. Pour que la déclaration puisse régulièrement former une action en contrefaçon de brevet, elle doit indiquer clairement : a) les faits à partir desquels le droit reconnaît au demandeur un droit déterminé; et b) les faits qui constituent une atteinte portée par le défendeur à ce droit déterminé du demandeur [voir Dow Chemical, précitée]. La cause d’action en matière de contrefaçon de brevet doit se rattacher à un brevet précis, de sorte que les faits importants liés à chaque brevet doivent être allégués.

[55] J’estime que la déclaration ne contient pas les faits importants nécessaires à une allégation de contrefaçon de brevet à l’égard des brevets 584 et 968, plus précisément :

  1. L’acte de procédure ne contient pas les faits qui établissent les droits de la demanderesse dans les brevets 584 ou 968.

  2. L’acte de procédure ne précise aucune des revendications contenues dans les brevets 584 ou 968.

  3. L’acte de procédure ne précise pas les faits qui se rapportent aux avis d’allégation signifiés pour chacun des brevets 584 et 968.

  4. L’acte de procédure ne précise pas les faits qui se rapportent aux agissements particuliers reprochés à la défenderesse concernant la contrefaçon et l’incitation à la contrefaçon des revendications contenues dans les brevets 584 et 968.

[56] L’ajout de ces faits importants est sollicité par voie de modification.

[57] Plusieurs faits déjà fournis dans la déclaration sont pertinents pour les nouvelles allégations de contrefaçon de brevet proposées (comme les parties, le produit générique proposé, la présentation abrégée de drogue nouvelle de la défenderesse et l’intention générale de la défenderesse de fabriquer, de construire, d’exploiter, de vendre, de mettre en vente, d’importer et d’exporter le produit générique proposé), mais la nécessité de la liste des faits supplémentaires importants mentionnée ci‑dessus n’est pas surprenante étant donné que chacun des trois brevets révèle des inventions différentes. Le brevet 598 porte sur des méthodes d’administration de la tétrahydrobiopérine, des compositions et des méthodes de mesure associées. Le brevet 968 vise des formes cristallines de dichlorhydrate de (6R)‑L‑érythro‑tétrahydrobioptérine. Le brevet 584 est axé sur des méthodes et des compositions utilisées pour le traitement de troubles métaboliques.

[58] Par conséquent, j’estime que la demanderesse n’a pas établi que les causes d’action dont elle sollicite l’ajout par voie de modification découlent essentiellement des mêmes faits que ceux qui sous‑tendent la cause d’action initialement révélée dans la déclaration. Pour ce motif, la requête doit être rejetée.

[59] La demanderesse a fourni à la Cour divers jugements des tribunaux de l’Ontario. Ces jugements sont fondés sur des exigences procédurales différentes de celles énoncées dans les Règles des Cours fédérales et, par conséquent, ils ne s’appliquent pas à la présente requête. Ces décisions auraient certes pu être utiles, par analogie, pour répondre à la question de savoir si la justice exige que la modification soit apportée, mais je n’ai pas à examiner cette question à la lumière des conclusions que j’ai tirées ci‑dessus.

[60] Cela dit, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la présente affaire comporte une suite d’événements exceptionnels et malheureux qui expliquent parfaitement la raison pour laquelle la demanderesse a fait l’erreur de ne pas alléguer la contrefaçon des brevets 584 et 968 dès le début. Mon examen de la preuve dont je dispose me permet de reconnaître que les agissements de la demanderesse découlent d’une croyance erronée de la part de ses avocats et non d’une stratégie dilatoire.

[61] Je suis très sensible à la situation dans laquelle se trouvent la demanderesse et ses avocats, mais la Cour doit appliquer les Règles des Cours fédérales telles qu’elles sont libellées et conformément aux exigences de la jurisprudence applicable.

F. Les dépens

[62] Lors de l’instruction de la requête, les parties ont convenu que les observations quant aux dépens devraient suivre la décision rendue au fond sur la requête. Par conséquent, les parties tenteront de s’entendre sur les dépens afférents à la requête. Dans l’éventualité où elles ne parviennent pas à le faire, la demanderesse signifiera et déposera, au plus tard le 21 mai 2021, des observations brèves quant aux dépens qui prendront la forme d’une lettre ne dépassant pas trois pages. La défenderesse signifiera et déposera, au plus tard le 28 mai 2021, de brèves observations en réponse quant aux dépens qui prendront la forme d’une lettre ne dépassant pas trois pages. La demanderesse pourra déposer une brève réplique qui prendra la forme d’une lettre ne dépassant pas deux pages, au plus tard le 2 juin 2021.


LA COUR ORDONNE :

  1. La requête de la demanderesse est rejetée.

  2. Les parties tenteront de s’entendre sur les dépens afférents à la requête. Dans l’éventualité où elles ne parviennent pas à le faire, la demanderesse signifiera et déposera, au plus tard le 21 mai 2021, des observations brèves quant aux dépens qui prendront la forme d’une lettre ne dépassant pas trois pages. La défenderesse signifiera et déposera, au plus tard le 28 mai 2021, de brèves observations en réponse quant aux dépens qui prendront la forme d’une lettre ne dépassant pas trois pages. La demanderesse pourra déposer une brève réplique qui prendra la forme d’une lettre ne dépassant pas deux pages, au plus tard le 2 juin 2021.

« Mandy Aylen »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑380‑21

 

INTITULÉ :

BIOMARIN PHARMACEUTICAL

INC. c DR. REDDY’S LABORATORIES LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AVRIL 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA Protonotaire AYLEN

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 5 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

421, 7th Avenue SW, bureau 1600

Calgary (Alberta) T2P 4K9, Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

BIOMARIN PHARMACEUTICAL INC.

 

Sprigings Intellectual Property Law

148 Norseman Street

Toronto (Ontario) M8Z 2R4

 

Pour la défenderesse

DR. REDDY’S LABORATORIES LTD.,

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher Van Barr

Ben Pearson

 

POUR LA DEMANDERESSE

BIOMARIN PHARMACEUTICAL INC.

 

Carole Hitchman

Meghan Dureen

 

Pour la défenderesse

DR. REDDY’S LABORATORIES LTD.,

 

 

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