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Date : 20050505

Dossier : T-1037-04

Référence : 2005 CF 633

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE M. LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                 BANQUE ROYALE DU CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                              SILVY LAPOINTE

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 à l'encontre d'une décision rendue par l'arbitre Bruno Leduc en date du 26 avril 2004 dans laquelle il a rejeté le moyen d'irrecevabilité soulevé par la demanderesse en vertu de l'alinéa 242(3.1)(a) du Code canadien du travail (le Code). Cette dernière alléguait que la défenderesse avait été licenciée plutôt que congédiée. L'arbitre a accueilli la plainte de congédiement injuste déposée par la défenderesse aux termes de l'article 240 du Code et a ordonné sa réintégration dans son emploi ainsi que la compensation des pertes salariales qu'elle a subies.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Est-ce que l'arbitre a erré en concluant que l'employée n'avait pas été licenciée en raison d'une suppression de poste ou d'un manque de travail tel que prévu au paragraphe 242 (3.1) du Code?

2.         Est-ce que l'arbitre a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que la défenderesse avait été congédiée injustement?

[3]                Pour les raisons suivantes je dois réponds de façon positive à la première question. Puisque j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire, il n'est pas nécessaire de traiter de la deuxième question.

EXPOSÉ DES FAITS

[4]                La défenderesse a été à l'emploi de la demanderesse du 15 août 1977 au 30 octobre 2001. Durant ces années, elle a occupé divers postes et a travaillé dans différentes succursales.


[5]                De décembre 1999 jusqu'à la fin juin 2000, la demanderesse procède à la fermeture de quatre succursales dans la région du Saguenay Lac Saint-Jean. À la même époque et en même temps, elle centralise à Montréal certaines tâches administratives autrefois exécutées en succursales. Lors d'une vaste opération pan-canadienne appelée Prestations de services, la demanderesse rapatrie dans ses centres des tâches auparavant exécutées en succursales. Ces modifications au niveau des opérations entraînent le départ de 42 employés pour la région. Elle licencie les employés les moins performants. En raison de ces nombreux changements, les tâches de la défenderesse sont modifiées et le titre de son poste change.

[6]                En septembre 2001, la demanderesse annonce au directeur régional du Saguenay Lac Saint-Jean, M. Ghislain Bouchard, qu'elle procède à un autre exercice qu'on appelle alors le réalignement des structures de vente ou réalignement des tâches qui a pour but d'adopter un modèle standard à travers le Canada permettant aux succursales d'offrir des services uniformes aux clients et de bâtir une croissance solide des revenus. Cette opération nécessite une réévaluation des heures effectuées par les employés à temps plein (ETP).

[7]                M. Bouchard reçoit instruction de réduire le nombre d'heures travaillées par les employés de sa région de 205.5 heures/semaine, soit de 5.48 ETP. L'allocation des ressources humaines autorisée se comptabilise en heures de travail et non en nombre d'employés. Un ETP équivaut à 37.5 heures par semaine. En raison du réalignement des tâches, la succursale de Chicoutimi, où travaille la défenderesse, passe d'une classe grande unité (b) 32-35 ETP à une grande unité (a) 21.5 à 32 ETP. Ceci a pour conséquence de faire passer les heures de travail autorisées de 1215.5 heures/semaine (32.41 ETP) à 1035.75 heures/semaine (27.62 ETP).


[8]                Pour arriver à cette réduction à la succursale de Chicoutimi, on a retiré du budget un poste qui devait être comblé en raison de la fermeture d'une autre succursale (1 ETP), on a fusionné le poste de directeur de succursale de Chicoutimi et le poste de directeur régional (1 ETP), et on a éliminé deux postes à temps partiel vacant (0.88 ETP). Finalement pour atteindre son objectif, la demanderesse a dû licencier la défenderesse (0.89 ETP) et une autre employée, Mme Johanne Hudon (1 ETP). Afin d'atteindre les instructions de 5.48 ETP, M. Bouchard procéda au licenciement d'une employée dans une autre succursale.

[9]                Puisque le réalignement des tâches allait requérir des changements dans l'organisation du travail et la répartition des responsabilités, le critère retenu par la demanderesse aux fins d'identifier les deux employées qui seraient licenciées fut celui de l'adaptabilité au changement. Après consultation des deux directrices adjointes, il a été convenu que les employés ayant le plus de difficultés à s'adapter aux changements apportés suite à l'opération pan-canadienne Prestations de services étaient la défenderesse et Mme Hudon. Mme Hudon a accepté de quitter volontairement en considération d'une indemnité de fin d'emploi. La défenderesse a également eu droit à une indemnité de fin d'emploi équivalent à 72 semaines de rémunération majorée de 15% pour compenser la perte d'avantages sociaux.

[10]            Depuis le licenciement de la défenderesse, la demanderesse n'a procédé à aucune embauche d'employé régulier que ce soit à temps plein ou à temps partiel.


DÉCISION CONTESTÉE

[11]            Dans le cadre de la plainte de la défenderesse en vertu du paragraphe 242(3) du Code pour congédiement injustifié, l'arbitre a d'abord commencé par déterminer si le licenciement résultait d'un manque de travail ou de la suppression d'un poste au sens du paragraphe 242 (3.1) du Code ou s'il ne s'agissait pas d'un subterfuge utilisé pour mettre fin à l'emploi de la plaignante. L'arbitre a conclu que le programme de réalignement des tâches ne nécessitait pas le licenciement de la défenderesse puisque son poste n'avait pas été supprimé après son départ et que le choix de mettre fin à l'emploi de cette dernière devenait ainsi arbitraire.

[12]            Par conséquent, il a ordonné à la demanderesse de réintégrer la défenderesse dans son poste et de lui payer une indemnité équivalente au salaire perdu depuis la date de son congédiement.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]            On retrouvera en annexe les dispositions législatives pertinentes.

ANALYSE

Norme de contrôle


[14]            L'étape préliminaire dans le cadre d'une demande de révision judiciaire est celle de la détermination de la norme de contrôle appropriée. La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 nous enseigne qu'il existe trois normes de contrôle : la norme de la décision correcte, la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable. La différence entre ces trois normes de contrôle se situe au niveau du degré de déférence que doit appliquer la Cour lors de la révision.

[15]            La Cour fédérale, dans l'affaire Corp. de gestion de la voie maritime du St-Laurent c. Bourgeois, [2003] A.C.F. no 1433 (1ère inst.) (QL) au paragraphe 17, a indiqué que la norme de contrôle applicable à une décision traitant du paragraphe 242(3.1) est la norme de la décision correcte :

En ce qui concerne l'application du paragraphe 242(3.1) du Code, la norme de contrôle, comme le reconnaissent d'ailleurs les parties, est celle de l'absence d'erreur ou de la justesse de la décision, puisqu'il s'agit d'une disposition législative qui limite les pouvoirs et la compétence de l'arbitre. Qu'il suffise, à cet égard, de référer en outre à la jurisprudence suivante : Union des employés de service, local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (C.A.), Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354 (C.A.), Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1996] 1 C.F. 451 (1re inst.), Moricetown Indian Band c. Morris and Dennis (1996), 120 F.T.R. 162 et Rogers Cablesystems Ltd. c. Roe (2000), 193 F.T.R. 240.

[16]            Dans la décision Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (C.A.) citée par la Cour d'appel fédérale, on a appliqué l'approche pragmatique et fonctionnelle :


Après avoir examiné la question soumise à l'arbitre en l'espèce, le domaine d'expertise relativement restreint de celui-ci, le libellé et l'interaction des textes législatifs applicables, l'absence de compétence précise à l'égard de la question en cause par rapport aux pouvoirs que le Code confère àd'autres décisionnaires, et malgré l'existence de la clause privative, je ne parviens pas à conclure que le législateur ait entendu donner à l'arbitre toute latitude pour décider si le plaignant était parmi les personnes à qui, en vertu des alinéas 240(1)b) et 242(3.1)b), le législateur a voulu donner le droit de loger une plainte. Le fait que le législateur ait laissé intact le recours civil qu'un employé peut exercer contre son employeur (paragraphe 246(1)), ne suffit pas, à mon avis, à justifier qu'une décision privant l'employé d'un recours administratif plus simple, plus rapide et moins coûteux auquel il aurait droit si la loi était correctement interprétée, soit susceptible de révision seulement si elle s'avérait manifestement déraisonnable. (paragraphe 30)

[...]

... je conclus qu'il en va de même en l'espèce et que le critère du contrôle judiciaire qu'il y a lieu d'appliquer est celui de l'absence d'erreur. (paragraphe 34)

[17]            En ce qui a trait à la deuxième question en litige, je suis d'avis que la norme de contrôle appropriée est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Depuis la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Davies c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 188 (C.A.F.) (QL), il revient à la Cour de procéder à l'approche pragmatique et fonctionnelle lorsque aucune cause antérieure ne l'a fait :

Au lieu d'effectuer sa propre analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge des requêtes s'est fondé uniquement sur des précédents pour décider de la norme de contrôle àappliquer. Aucun des deux précédents invoqués par le juge des requêtes pour déterminer la norme de contrôle de la décision du comité d'appel n'applique l'approche pragmatique et fonctionnelle. Par conséquent, il revient à la Cour d'appliquer l'approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme requise de contrôle et, au besoin, pour évaluer sur ce fondement la décision du comité d'appel. (paragraphe 9)

[18]            Afin de déterminer la norme de contrôle appropriée la Cour doit procéder à cette analyse telle que dictée par l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 au paragraphe 26 :

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels -- la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Les facteurs peuvent se chevaucher. L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité. [...]


[19]            En l'espèce, la présence d'une clause privative, l'expertise du tribunal d'arbitrage pour déterminer s'il y a eu congédiement injustifié, l'objet de la loi et des dispositions concernées qui est de résoudre un litige entre deux parties et la nature factuelle de la question soulevée pointe vers l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

Est-ce que l'arbitre a erré en concluant que l'employé n'avait pas été licencié en raison d'une suppression de poste ou d'un manque de travail tel que prévu au paragraphe 242 (3.1) du Code?

[20]            Le paragraphe 242(3.1) prévoit expressément que l'arbitre n'a pas compétence pour statuer sur le litige si l'employé à été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. L'interprétation de l'expression "suppression d'un poste" a été définie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651 aux pages 663 et 664 :

Comment alors devrait-on définir l'expression "suppression d'une fonction"? Le mot "suppression" indique manifestement la fin de quelque chose qui est appelé une fonction. Une "fonction" doit être le "poste", c'est-à-dire l'ensemble de responsabilités, de tâches et d'activités dont s'acquitte un employé en particulier ou un groupe donné d'employés.


C'est cette définition du mot "fonction", au sens de "poste", qui s'accorde le mieux avec l'environnement du milieu de travail. Le mot "emploi" en soi indique l'existence d'un employé et d'un employeur. Un terme comme "fonction" ou "poste" doit avoir un sens pour l'une et l'autre de ces parties. Par exemple, une personne peut occuper le "poste" de surintendant d'usine. La personne qui agit comme surintendant d'usine exerce un groupe ou un ensemble d'activités et de tâches qui forme ce poste. L'employeur comme l'employé comprennent ce qui est nécessaire pour que soit occupé ou rempli ce poste précis. De même, le "poste" de secrétaire ou de mécanographe comporte un ensemble particulier d'activités et de tâches. Il faut posséder un ensemble donné d'habiletés pour être en mesure d'exercer les tâches et les activités exigées par chacun de ces postes. Encore une fois, l'employeur et l'employé connaissent exactement ce qui est nécessaire pour l'exercice des activités du poste particulier.

Par conséquent, il y a "suppression d'une fonction" lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement àune autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la "suppression d'une fonction". En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait "suppression d'une fonction". Il y aurait également "suppression d'une fonction" si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.

[21]            Voici ce que le juge Létourneau a écrit à ce sujet dans l'arrêt Énergie atomique du Canada c. Jindal, [1998] A.C.F. no 847 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 15, ... « la "suppression d'un poste" ne se produit pas seulement lorsque les activités cessent d'être exercées, mais aussi lorsque les activités qui font partie du groupe d'activités exercées par un employé sont désormais réparties entre d'autres personnes » .

[22]            L'expression "manque de travail" a, quant à elle, été définie par l'honorable le juge O'Keefe dans Howard c. Maritime Telephone and Telegraph Co. Ltd., [2000] A.C.F. no 1758 (1ère inst.) (QL) au paragraphe 25 :

L'expression "manque de travail" est relativement claire et comprend les contraintes budgétaires ou les mesures de rationalisation entraînées par des pressions économiques auxquelles l'employeur réagit en déterminant que le travail effectué à l'heure actuelle peut être effectuépar moins d'employés.


[23]            La partie défenderesse allègue que l'arbitre a correctement décidé que la preuve de la « suppression de poste » n'était pas concluante et que par conséquent, il a eu raison de conclure qu'elle avait été congédiée injustement. Elle soulève cependant que même si la Cour arrivait à la conclusion qu'il y a eu suppression de poste, l'arbitre a eu raison de conclure que le choix de la personne à licencier a été fait de façon arbitraire sans se baser sur des facteurs objectifs.

[24]            À l'opposé, la demanderesse prétend que l'arbitre a erré en concluant qu'il n'y avait pas eu suppression des postes. Elle soumet qu'il a bel et bien eu licenciement et que l'arbitre a commis une erreur révisable en s'immisçant dans les droits de la direction en décidant de substituer son propre critère de sélection à celui de l'adaptabilité, légitimement choisi par la demanderesse.   

[25]            Avant de rendre sa décision l'arbitre a commencé par se poser la question s'il avait compétence pour entendre la plainte en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code. Ainsi, il s'est attardé à la signification des notions de "suppression d'un poste" et de "manque de travail". À cet égard, il cite correctement la décision de la Cour suprême du Canada dans Flieger, précité. Il mentionne également la cause Donohue inc. c. Jacques Simard et al (1988), R.J.Q. 2118 concernant la distinction entre licenciement et congédiement :


Le recours de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail n'existe que s'il y a « congédiement » . Or la distinction entre licenciement et congédiement est bien établie, ce dernier terme ne visant que les ruptures de la relation de travail causées par des motifs subjectifs liés aux caractéristiques propres du salarié. En l'espèce, malgré la répercussion à l'égard des deux employés visés, il est incontestable que la décision d'abolir un poste a été motivée par des considérations strictement économiques. Une fois cela établi, l'arbitre ne possédait plus la compétence pour décider de la pertinence du choix de l'employeur et i la donc commis une erreur juridictionnelle. Le motif principal invoqué par l'employeur, soit l'ancienneté, ne pouvait être examiné que dans le contexte où il servait à établir que le licenciement avait été fait de bonne foi et non pour déguiser un congédiement prémédité. La loi ne prévoit d'ailleurs pas de dispositions concernant le choix de l'employé à licencier et la jurisprudence des tribunaux supérieurs favorise la discrétion de l'employeur à ce sujet.

[26]            Ce que je retiens de ce passage est qu'au départ, l'arbitre doit se poser la question à savoir si la décision de l'employeur est basée sur un motif d'ordre économique qui touche l'entreprise ou si cette mise à pied relève plutôt d'un motif qui se rattache directement à l'employé. En d'autres mots, le motif d'ordre économique doit être réel et justifié et il ne doit pas s'agir d'un subterfuge pour limoger l'employé.

[27]            Dans la cause qui nous occupe, l'arbitre souligne le « sham test » élaboré par l'arbitre Kenneth P. Swam (page 16 de la décision ou page 35 du volume I du dossier de la demanderesse). Selon ce test, un arbitre ne doit pas arrêter son analyse à la question de licenciement ou de congédiement. Il doit également se demander si le choix de la personne licenciée n'est pas arbitraire, discriminatoire, frivole ou malhonnête.

[28]            Après avoir pris connaissance de la jurisprudence sous le paragraphe 242(3.1) et après avoir relu attentivement le libellé du Code, je suis d'avis que l'approche telle qu'expliquée dans l'arrêt Donohue, précité est celle qui doit être appliquée. Ceci dit, lorsque l'arbitre décide que le plaignant a été licencié en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'un poste et non pour un autre motif, l'arbitre ne peut plus continuer avec l'instruction de la plainte (paragraphe 242(3.1) du Code) (Clerk c. Canadian Pacifique Ltée, [2004] A.C.F. no 872 (1ère inst.) (QL)).

[29]            Dans Clerk, précité, le juge Russell a repris les propos de la Cour d'appel fédérale dans Énergie atomique du Canada, précité, en réitérant que l'employeur a le droit de réorganiser son entreprise, de supprimer des postes et de réduire ses effectifs. Il est de jurisprudence constante que l'employeur a toute la latitude pour décider comment organiser son entreprise et qu'il peut licencier des employés pour des raisons commerciales légitimes, telles que la restructuration, sans risquer de se faire accuser de « congédiement injustifié » même si l'employé possède un dossier disciplinaire vierge ou qu'il a toujours été sans reproche.

[30]            Ici l'arbitre a déterminé que la preuve présentée ne démontrait pas un manque de travail. Il a également conclu qu'il n'y a pas eu de suppression de poste puisque toutes les tâches exercées par les employés de la succursale continue toujours d'être exécutées. Il a constaté que la défenderesse exécutait, avant la fin de son emploi, la majorité des tâches réservées au poste RSC II malgré que son poste était assigné comme un PSC. Or, une fois licenciée, l'ensemble des tâches qu'elle accomplissait a tout simplement été confié à un poste de RSC II et son titre d'emploi de PSC a été supprimé. Ceci dit, l'arbitre a jugé qu'il n'y avait pas eu de suppression de poste. Qu'il s'agissait plutôt d'un changement de nom et que ce changement ne saurait constituer à lui seul une suppression de poste au sens de la loi puisque les activités demeuraient les mêmes. En conclusion, il a mentionné que les tâches de la défenderesse ont seulement été ajoutées aux fonctions d'une autre employée.

[31]            Il a aussi considéré que le programme de réalignement des tâches conférait suffisamment de latitude pour ré-aménager le personnel de façon à réduire le nombre d'ETP sans être obligé de supprimer le poste de la plaignante. Considérant que le licenciement n'était pas nécessaire, il a conclu que la défenderesse avait été congédiée injustement.

[32]            Avec respect, je ne crois pas que c'est làle sens de l'expression « suppression d'un poste » que l'on trouve dans les décisions pertinentes. En effet, ici la preuve démontre M. Bouchard devait réduire ses effectifs de 5.78 ETP dans la région du Saguenay Lac Saint-Jean, dont 4.75 ETP devaient être retranchés à la succursale de Chicoutimi. Cette preuve n'a pas été contestée par l'arbitre. En concluant que la demanderesse n'était pas obligée de supprimer des postes pour atteindre son objectif, l'arbitre s'est immiscé dans le droit de l'employeur de gérer ses affaires.    Il est vrai que la demanderesse aurait pu atteindre cet objectif autrement, soit en réduisant le nombre d'heure travaillé pour plusieurs employés tout en conservant le poste de la défenderesse. Cependant, elle a choisi de supprimer des postes, décision qui, à mon avis, lui appartenait entièrement.

[33]            La preuve démontre qu'aucun employé régulier, à temps plein ou à temps partiel, n'a été embauché depuis le licenciement de la défenderesse. Il y a eu réduction des heures de travail en équivalence temps plein et l'exercice d'attrition a été réel.

[34]            Il est à noter que les évaluations de la défenderesse ont toujours été positives.


[35]            Malgré toute la sympathie que j'éprouve envers la défenderesse, je suis dans l'obligation de conclure que l'arbitre a commis une erreur révisable. La demanderesse devait réduire le nombre d'ETP à la succursale de Chicoutimi. Elle a décidé de supprimer des postes, décision qu'elle avait légitimement le droit de prendre. Puisque la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la « décision correcte » , il s'ensuit que l'arbitre n'a pas appliqué correctement les dispositions du paragraphe 243(3.1) du Code.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de l'arbitre Bruno Leduc datée du 26 avril 2004 est annulée. La plainte de la défenderesse est rejetée. Compte tenu des circonstances, le tout sans frais.

              « Michel Beaudry »                      

Juge


ANNEXE

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Code canadien du travail



SECTION XIV

CONGÉDIEMENT INJUSTE

Plainte

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

Délai

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

Prorogation du délai

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

Motifs du congédiement

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

Conciliation par l'inspecteur

(2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

Cas d'échec

(3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas :

a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;

b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

Renvoi à un arbitre

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

Pouvoirs de l'arbitre

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

Décision de l'arbitre

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

Restriction

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

Cas de congédiement injuste

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur:

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

Caractère définitif des décisions

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

Interdiction de recours extraordinaires

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

Exécution des ordonnances

244. (1) La personne intéressée par l'ordonnance d'un arbitre visée au paragraphe 242(4), ou le ministre, sur demande de celle-ci, peut, après l'expiration d'un délai de quatorze jours suivant la date de l'ordonnance ou la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l'ordonnance.

Enregistrement

(2) Dès le dépôt de l'ordonnance de l'arbitre, la Cour fédérale procède à l'enregistrement de celle-ci; l'enregistrement confère à l'ordonnance valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d'exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à son égard.

Règlements

245. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, préciser, pour l'application de la présente section, les cas d'absence qui n'ont pas pour effet d'interrompre le service chez l'employeur.

Recours

246. (1) Les articles 240 à 245 n'ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l'employé peut exercer contre son employeur.

Application de l'art. 189

(2) L'article 189 s'applique dans le cadre de la présente section.

DIVISION XIV

UNJUST DISMISSAL

Complaint to inspector for unjust dismissal

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

Time for making complaint

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

Extension of time

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.

Reasons for dismissal

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

Inspector to assist parties

(2) On receipt of a complaint made under subsection 240(1), an inspector shall endeavour to assist the parties to the complaint to settle the complaint or cause another inspector to do so.

Where complaint not settled within reasonable time

(3) Where a complaint is not settled under subsection (2) within such period as the inspector endeavouring to assist the parties pursuant to that subsection considers to be reasonable in the circumstances, the inspector shall, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to an adjudicator under subsection 242(1),

(a) report to the Minister that the endeavour to assist the parties to settle the complaint has not succeeded; and

(b) deliver to the Minister the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided pursuant to subsection (1) and any other statements or documents the inspector has that relate to the complaint.

Reference to adjudicator

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

Powers of adjudicator

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

Decision of adjudicator

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

Limitation on complaints

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

Where unjust dismissal

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

Decisions not to be reviewed by court

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

No review by certiorari, etc.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

Enforcement of orders

244. (1) Any person affected by an order of an adjudicator under subsection 242(4), or the Minister on the request of any such person, may, after fourteen days from the date on which the order is made, or from the date provided in it for compliance, whichever is the later date, file in the Federal Court a copy of the order, exclusive of the reasons therefor.

Idem

(2) On filing in the Federal Court under subsection (1), an order of an adjudicator shall be registered in the Court and, when registered, has the same force and effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the order were a judgment obtained in that Court.

Regulations

245. The Governor in Council may make regulations for the purposes of this Division defining the absences from employment that shall be deemed not to have interrupted continuity of employment.

Civil remedy

246. (1) No civil remedy of an employee against his employer is suspended or affected by sections 240 to 245.

Application of section 189

(2) Section 189 applies for the purposes of this Division.



                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                         T-1037-04

INTITULÉ :                                        BANQUE ROYALE DE CANADA c. SILVY LAPOINTE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 14 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    Le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                   le 5 mai 2005


COMPARUTIONS :

André Giroux                                        POUR LA DEMANDERESSE            

Gilles Boivin                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault, s.e.n.c.                                      POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)                               

SIMARD BOIVIN LEMIEUX, s.e.n.c.             POUR LA DÉFENDERESSE

Dolbeau-Mistassini (Québec)


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