Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210623

Dossier : T‑2158‑18

Référence : 2021 CF 656

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

DIANE NASOGALUAK EN QUALITÉ DE TUTRICE À L’INSTANCE DE JOE DAVID NASOGALUAK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La présente audience vise à trancher la question de savoir si l’action en question doit être autorisée en tant que recours collectif. La requête est présentée par Diane Nasogaluak, en qualité de tutrice à l’instance de Joe David Nasogaluak, et vise l’obtention d’une ordonnance autorisant cette action comme un recours collectif au titre du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[2] Le demandeur est Joe David Nasogaluak. Il est Autochtone et réside à Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord‑Ouest. Il allègue que, lorsqu’il avait quinze ans, la GRC l’a agressé lors d’une arrestation et l’a mis en détention. Lorsque la présente action a été intentée, Joe Nasogaluak n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité; sa mère a donc agi comme sa tutrice à l’instance. L’audience a été reportée la première fois en raison de la pandémie de COVID‑19, et lorsque l’audience a été réinscrite au rôle, il était majeur. Les parties ne s’entendent pas quant à la question de savoir s’il est un représentant demandeur convenable, mais pour simplifier les présents motifs, j’emploierai le terme « demandeur » pour renvoyer à Joe Nasogaluak et traiterai de la question de la représentation ci‑après.

[3] Le groupe visé par le recours proposé est décrit de la façon suivante par le demandeur dans la déclaration modifiée :

[TRADUCTION]

tous les Autochtones qui allèguent avoir été agressés à un moment ou à un autre alors qu’ils étaient sous la garde ou la détention d’agents de la GRC dans les territoires, et qui étaient en vie en date du 18 décembre 2016.

[4] Le demandeur réclame :

[TRADUCTION]

a) une ordonnance autorisant l’action comme recours collectif et désignant le demandeur comme représentant demandeur pour le groupe;

b) un jugement déclarant que le Canada a fait preuve de négligence systémique et continue de faire preuve d’une telle négligence en ce qui a trait au financement, à la surveillance, au fonctionnement, à la supervision, au maintien et au soutien de ses détachements de la GRC et de ses agents de la GRC qui ont commis des voies de fait contre le demandeur et les membres du groupe dans l’exercice de leurs fonctions dans les territoires;

c) un jugement déclarant que le Canada manque à ses obligations fiduciaires envers le demandeur et les membres du groupe en raison du financement, de la surveillance, du fonctionnement, de la supervision, du maintien et du soutien de ses détachements de la GRC et de ses agents de la GRC qui ont commis des voies de fait contre le demandeur et les membres du groupe dans l’exercice de leurs fonctions dans les territoires;

d) un jugement déclarant que le Canada et ses agents ont violé de façon systémique les articles 7 et 15 de la Charte d’une manière dont la justification ne peut se démontrer par l’article premier de la Charte, et que ces violations persistent;

e) un jugement déclarant que le Canada est responsable envers le demandeur et les membres du groupe pour les dommages causés par sa négligence et son manquement à l’obligation fiduciaire en ce qui a trait au financement, à la surveillance, au fonctionnement, à la supervision, au maintien et au soutien de ses détachements de la GRC et de ses agents de la GRC dans les territoires;

f) un jugement déclarant que le Canada doit verser au demandeur et aux membres du groupe des dommages‑intérêts en application du paragraphe 24(1) de la Charte pour des violations des articles 7 et 15 de la Charte relativement à des actes commis par les agents de la GRC;

g) 500 millions de dollars au titre des dommages‑intérêts pour négligence et violation de la Charte;

h) 100 millions de dollars à titre de dommages‑intérêts punitifs et exemplaires;

i) les intérêts antérieurs au jugement et les intérêts postérieurs au jugement;

j) les dépens;

k) les frais liés à la communication des avis et à l’administration du plan de distribution du recouvrement dans la présente action, plus les taxes.

[5] Le défendeur est le procureur général du Canada, à titre de représentant de la GRC [le Canada ou la GRC]. La position du défendeur est que la demande ne révèle aucune cause d’action et ne satisfait à aucun autre critère d’autorisation. Toutefois, le Canada a déclaré que le refus de l’autorisation n’empêcherait pas les parties individuelles d’alléguer la négligence dans des causes individuelles.

[6] Le défendeur admet certains faits. Les voici :

[TRADUCTION]

Le Canada est d’accord avec l’aperçu que font les demandeurs de la structure organisationnelle de la GRC et de son fonctionnement dans les territoires depuis 1928. En résumé, la GRC mène ses activités de maintien de l’ordre de manière à protéger le public en appliquant la loi. Les fonctions et les responsabilités des agents de la paix (membres) de la GRC sont établies dans les lois et les règlements : Les membres doivent préserver la paix, protéger le public, faire respecter la loi et arrêter les personnes qui peuvent être légalement mises sous garde. La GRC assure le maintien de l’ordre dans diverses circonstances et partout au Canada : dans les régions rurales ou les petites villes, où il y a de petits détachements de la GRC, et dans les milieux urbains et dans les milieux urbains où il y a d’importants corps de police. La GRC est chargée d’assurer l’ordre public au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest et au Nunavut.

Le Canada est d’accord avec l’aperçu des demandeurs concernant les mandats et les pouvoirs de la GRC. Les membres peuvent user d’une force raisonnable, si nécessaire, pour détenir et arrêter des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction, sans leur causer la mort ou des blessures corporelles graves, sauf si cela est nécessaire pour se protéger ou protéger d’autres personnes. Les membres doivent respecter les droits de toutes les personnes; en vertu du code de conduite, ils « ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement » et ne doivent employer que « la force raisonnablement nécessaire dans les circonstances ». Aucune autre politique ne remplace ces directives.

(Mémoire des faits et du droit [le MFD] aux para 7 et 8, notes de bas de page et numéros de paragraphes omis)

II. Contexte

[7] Le demandeur est né le 22 janvier 2002. Il allègue qu’en novembre 2017, alors qu’il avait 15 ans, des agents de la GRC l’ont agressé. Il affirme que les agents de la GRC l’ont poussé au sol sans aucune provocation et qu’ils l’ont ensuite battu, étranglé, frappé à coups de poing et maîtrisé au moyen d’un « pistolet électrique » en lui proférant des insultes raciales. Ensuite, la GRC l’a mis sous garde et l’a plus tard libéré, moment auquel il est retourné chez ses parents.

[8] D’autres membres potentiels du groupe décrivent dans des affidavits des expériences de racisme et de violence qu’ils ont vécues aux mains de la GRC lors de leur arrestation et de leur détention.

[9] Le demandeur soutient que la preuve et les faits substantiels invoqués appuient l’existence de négligence systémique, d’un manquement à l’obligation fiduciaire et de violations des articles 7 et 15 de la Charte par le Canada dans son traitement des Autochtones des territoires qui ont été arrêtés, détenus ou mis sous garde par la GRC.

III. La question en litige

[10] La question en litige est de savoir s’il faut ou non faire droit à la présente requête en autorisation.

IV. La loi

[11] Les critères applicables à l’autorisation sont énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles et sont joints à l’annexe « A ».

[12] Le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale [la CAF] dans l’arrêt Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 [Wenham], a fait écho aux règles et a énoncé que la Cour autorisera un recours si :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur convenable.

(Wenham au para 17)

[13] Chacun de ces critères sera examiné ci‑dessous dans les motifs. Le droit applicable sera exposé dans chacune des sections.

[14] Une liste des éléments de preuve sur lesquels les parties se fondent figure à l’annexe « B ».

V. Analyse

A. Les actes de procédure révèlent‑ils une cause d’action valable?

[15] Les conditions de l’autorisation sont exposées dans les Règles. Cependant, les exigences de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique sont similaires, et notre Cour peut examiner l’interprétation de ces tribunaux provinciaux et en bénéficier, et bien sûr suivre la CAF et la Cour suprême du Canada [la CSC] (voir les arrêts Buffalo c Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165 au para 8; Canada (Procureur général) c Jost, 2020 CAF 212 au para 23).

[16] La première exigence est que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable (alinéa 334.16(1)a) des Règles). La CSC a déclaré à plusieurs reprises que, dans le cadre d’une requête en autorisation, une cause sera radiée si, en tenant pour avérés les faits substantiels allégués, il est « évident et manifeste » qu’aucune réclamation valable n’existe et qu’elle est vouée à l’échec (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, à la p. 980, 74 DLR (4th) 321; Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 au para 25 [Hollick]; Pro‑Sys Consultants c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 au para 63 [Pro‑Sys]; Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24 au para 20 [Alberta Elders]).

[17] Il s’agit du même critère que celui applicable au rejet d’une action (Wenham aux para 32 et 33). Je ne dois pas pondérer la preuve ou évaluer le fond de l’affaire à cette étape d’examen préliminaire (Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 au para 23 [John Doe]; Wenham aux para 24 et 25), mais je peux rejeter les faits allégués s’ils « ne peuvent manifestement pas être prouvés » (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 au para 87).

[18] Le demandeur a allégué plusieurs causes d’action dans ses actes de procédure :

(1) La négligence systémique

[19] Le demandeur soutient qu’il a correctement présenté tous les éléments d’une réclamation pour négligence systémique : une obligation de diligence, un manquement à la norme de diligence, des dommages subis et causés par la négligence de l’auteur du délit.

[20] Il affirme qu’il ne fait aucun doute que la GRC a un devoir de diligence à l’égard de la sécurité des personnes dont elle a la charge, la garde et le contrôle, y compris les suspects faisant l’objet d’une enquête, lorsqu’elle les a arrêtées, détenues ou mises sous garde. Il soutient qu’en l’espèce, il existe une relation de proximité, parce que le Canada est responsable [traduction] « de l’établissement, du financement, de la supervision, du fonctionnement, de la surveillance, du contrôle, du maintien et du soutien de la GRC [...] dans les territoires ». Il prétend que [traduction« le Canada savait que le demandeur et les membres du groupe faisaient partie d’un “groupe distinct de victimes potentielles” d’abus, ce qui a donné lieu à une relation de proximité […] » (MFD au para 52).

[21] Il affirme que les actes de procédure contiennent suffisamment de faits substantiels pour étayer la proximité et la prévisibilité afin de satisfaire à la première étape du critère de l’arrêt Anns (Anns v Merton London Borough Council, [1977] UKHL 4, [1978] AC 728 [Anns]). Il en est ainsi, car les pratiques discriminatoires de la GRC dans les territoires sont connues depuis longtemps au Canada, et qu’il était donc prévisible qu’un préjudice serait causé.

[22] Les manquements au devoir de diligence incluent le fait que le Canada a ignoré à plusieurs reprises les appels à la réforme et n’a pas tenu ses promesses de faire mieux. Les actes de procédure contiennent les faits substantiels soutenant que des violations ont eu lieu et le demandeur indique qu’il a présenté des faits substantiels pour soutenir que les membres du groupe ont subi des dommages.

[23] En réponse, le défendeur affirme que [traduction] « [l]e demandeur allègue l’existence d’un type de négligence systémique qui contredit le droit établi ». Selon lui, la demande ne soulève aucune obligation de diligence reconnue par le droit privé, parce que les obligations de diligence de droit privé ne s’appliquent pas à l’élaboration de politiques, ce qui est confirmé par la décision Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184 au para 32 [Brazeau]. Le défendeur prétend que, dans les faits, le demandeur se plaint de décisions politiques, et que celles‑ci ne créent pas d’obligation de diligence.

[24] Le Canada est d’avis que la demande en l’espèce est fondée sur une obligation générale de diligence de droit privé qui est orientée vers la prise de décision au niveau politique. Par conséquent, ces questions ne donnent pas lieu à une obligation de diligence prima facie en vertu de la première partie du critère de l’arrêt Anns.

[25] Le Canada affirme que la demande n’a pas trait aux arrestations comme telles ou aux interactions individuelles avec les citoyens, mais à un devoir de diligence visant à créer une politique saine et efficace; il y est invoqué que les agressions alléguées constituent la preuve de négligence systémique au niveau de la politique.

[26] Selon d’autres observations, même s’il y avait une obligation de diligence de droit privé dans l’élaboration des politiques, la demande n’est pas structurée de façon appropriée, parce qu’une évaluation individuelle serait nécessaire pour trancher la question de savoir si une personne a effectivement été agressée par un membre de la GRC.

[27] Le Canada prétend que le demandeur ne relève pas une norme de diligence applicable dans l’élaboration des politiques, ni ne mentionne comment une violation alléguée peut conduire à des cas précis d’utilisation déraisonnable de la force. Ces deux lacunes devraient donc entraîner la radiation de la cause d’action.

[28] À cet argument, le demandeur répond que le Canada interprète mal le sens de l’immunité politique; seules les décisions de [traduction] « politique générale fondamentale » confèrent l’immunité aux gouvernements, alors qu’il cherche à remédier aux défaillances de fonctionnement. Il fait valoir que les réclamations de ce genre peuvent être instruites en justice et qu’elles ont été autorisées en tant que recours collectif à plusieurs reprises. Il déclare également que l’action en l’espèce s’inscrit dans une démarche « descendante », plutôt que de mettre l’accent sur les circonstances propres à chaque membre du groupe, comme le fait le Canada; les défaillances systémiques sont la négligence telle que décrite par la CSC dans l’arrêt Rumley c Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69 au para 30 [Rumley].

a) Analyse – La négligence systémique

[29] Le défendeur allègue que l’élaboration de politiques ne peut faire l’objet de réclamations pour négligence; cependant, je conviens avec le demandeur qu’il y a une certaine ambiguïté dans ses arguments. Le droit relatif à l’immunité en matière de politiques est énoncé dans l’arrêt R c Imperial Tobacco, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco], et appliqué dans l’arrêt Brazeau; cette affaire concerne une décision politique qui, était‑il allégué, a causé un préjudice.

[30] Dans la présente affaire, il est allégué que ce n’est pas une politique en particulier qui a causé un préjudice au demandeur et aux membres du groupe, mais plutôt le fonctionnement des services de police dans les territoires. Dans l’arrêt Imperial Tobacco, la Cour unanime a déclaré ce qui suit :

En bref, les déclarations sur lesquelles s’appuient les demandes de mise en cause faisaient partie intégrante d’une politique générale du gouvernement visant à inciter les personnes qui continuaient de fumer à opter pour des cigarettes à faible teneur en goudron. Il s’agissait d’une « véritable » politique générale ou d’une politique générale « fondamentale » au sens d’une ligne de conduite adoptée par le gouvernement. La ligne de conduite gouvernementale alléguée a été adoptée par les plus hautes instances du gouvernement canadien et mettait en jeu des considérations sociales et économiques. Selon les actes de procédure, le Canada a élaboré cette politique par souci pour la santé des Canadiens et Canadiennes et en raison des coûts individuels et institutionnels associés aux maladies causées par le tabac. Il m’apparaît évident et manifeste que les déclarations alléguées relevaient de la politique générale du gouvernement, de sorte que les allégations de déclarations inexactes faites par négligence qu’ont formulées les compagnies de tabac à l’encontre du Canada doivent être radiées.

(Imperial Tobacco au para 95)

[31] En l’espèce, le demandeur n’invoque pas une véritable politique qui viole les droits des membres du groupe, mais le non‑respect de la politique : l’affaire porte donc sur des problèmes de fonctionnement, dans laquelle on invoque une application négligente de décisions liées au fonctionnement de la GRC. Dans l’affaire Brazeau, la réclamation était fondée sur des politiques autorisant l’isolement préventif et attaquait ces politiques fondamentales. Les arrêts Brazeau et Imperial Tobacco n’enseignent pas que ce type de décisions politiques doivent se voir conférer l’immunité, et ne sont donc pas applicables aux faits de l’espèce.

[32] Le demandeur n’allègue pas que des décisions politiques ont entraîné les dommages, mais plutôt qu’il existe un devoir de diligence envers les membres du groupe de la part du défendeur [traduction] « par l’intermédiaire de l’établissement, du financement, de la surveillance, du fonctionnement, de la supervision, du contrôle, du maintien et du soutien des détachements de la GRC dans les territoires », étant donné que la GRC est le seul organisme à offrir des services de police dans le Nord. Le Canada prétend que [traduction] « la négligence systémique ne peut se substituer à l’évaluation individuelle nécessaire pour trancher la question de savoir si une personne a effectivement été agressée par un membre de la GRC ».

[33] La CSC a conclu que :

[...] l’argument des intimés repose sur une allégation de négligence [traduction] « systémique, soit l’absence de procédures de gestion et de fonctionnement qui auraient vraisemblablement empêché l’agression » [...] Les intimés affirment, par exemple, que JHS n’avait aucune politique portant sur l’agression et qu’elle a été négligente en logeant tous les pensionnaires dans le même dortoir en 1978. Il s’agit d’actes (ou d’omissions) dont il est possible de déterminer le caractère raisonnable indépendamment de la situation individuelle des membres du groupe.

(Rumley au para 30) [Non souligné dans l’original.]

Cela correspond précisément à ce que le demandeur allègue en l’espèce.

[34] Selon les faits substantiels énoncés dans l’acte de procédure, c’est clairement le fonctionnement, et non la politique, qui est en cause :

[traduction]

Les membres du groupe s’attendaient raisonnablement à ce que le Canada exploite son détachement de la GRC dans les territoires d’une manière essentiellement similaire en ce qui concerne les soins offerts, le contrôle exercé et la supervision dispensée aux non‑Autochtones sous la garde de la GRC durant la période visée par le recours.

(Déclaration modifiée au para 51)

[35] Dans l’arrêt Francis c Ontario, 2021 ONCA 197 [Francis], la Cour d’appel de l’Ontario [la CAON] a confirmé la conclusion de négligence systémique liée au placement des détenus en isolement préventif par la province. Le défendeur dans cette affaire avait fait valoir qu’il s’agissait de décisions politiques et qu’il n’y avait donc pas de devoir de diligence. La CAON a toutefois confirmé que les actions avaient trait au fonctionnement. Elle a jugé que l’arrêt Brazeau ne prédéterminait pas l’issue de l’affaire, étant donné la manière dont le demandeur avait présenté sa cause, à savoir que la réclamation fondée sur la négligence systémique contestait en fait des décisions politiques (Francis aux para 97 et 98). Dans l’arrêt Francis, le demandeur avait défini le groupe en deux sous‑groupes (voir la décision Francis au para 99), et les actes de procédure mettaient l’accent sur la mise en œuvre de l’isolement en Ontario, laquelle constituait une question de fonctionnement, notamment celui des établissements correctionnels.

[36] En outre, dans la décision Francis, les actes de procédures font état d’un certain nombre de décisions liées au fonctionnement à l’égard desquelles la négligence est alléguée (Francis au para 100). Dans cette affaire, la proximité et la prévisibilité ont été considérées comme des éléments permettant de conclure à l’existence d’une obligation de diligence. En l’espèce, il est bien établi que les gouvernements ont une obligation de diligence envers les personnes arrêtées, détenues ou sous leur garde.

[37] La CAON a indiqué que, [traduction] « là encore, il est admis que ce soit le cas sur une base individuelle. Si des mesures identiques sont prises concernant la population carcérale, ou un sous‑ensemble de cette population, et qu’un préjudice en découle, cela est aussi prévisible à l’échelle du groupe que sur une base individuelle » (Francis au para 103). Elle a ensuite énoncé qu’[traduction« [i]l n’y a aucune raison en principe d’adopter une approche de ces réclamations qui exige que chaque détenu individuel intente sa propre action afin d’obtenir réparation pour le préjudice connexe. En effet, un tel résultat irait à l’encontre de l’objectif même de la Loi sur les recours collectifs […] » (Francis au para 107). La CAON a invoqué les précédents Rumley et Cloud c Canada (Procureur général), [2004] OJ no 4924 (CA) [Cloud], à titre d’exemples de recours collectifs pour négligence systémique qui ont été autorisés et en appui à l’octroi de l’autorisation; ces précédents portaient respectivement sur le fonctionnement d’un pensionnat pour sourds et aveugles et d’un pensionnat.

[38] Bien entendu, dans l’arrêt Francis, il a été reconnu que [traduction] « [s]i les circonstances individuelles peuvent en fin de compte être pertinentes à l’égard de la preuve des niveaux individuels de dommages, elles ne sont pas nécessaires pour prouver un manquement à l’obligation de diligence à l’échelle du système, ni pour déterminer un niveau de base de dommages applicable à tous » (Francis au para 110).

[39] Je vois de fortes similitudes entre la présente affaire et l’affaire Francis, mais cette dernière avait déjà été autorisée, et la décision était rendue en appel d’un jugement sommaire. J’ai une norme beaucoup plus faible à respecter, étant donné que je n’examine que les faits substantiels invoqués, en me rappelant que je ne suis qu’au stade de l’examen préliminaire pour décider s’il est évident et manifeste que la demande est vouée à l’échec.

[40] La réponse du Canada est que la présente affaire se distingue des autres cas où des recours fondés sur la négligence systémique ont été autorisés, parce que [traduction] « ces réclamations portaient sur des abus allégués à l’égard d’un groupe spécifique et identifiable de personnes vulnérables sous la garde du gouvernement ou d’un établissement ».

[41] Cependant, le demandeur soutient que la relation de proximité découle du fait que la GRC est le seul service de police dans les territoires, et que les membres du groupe sont des Autochtones qui étaient en vie au 18 décembre 2016 et qui allèguent avoir été agressés par des agents de la GRC alors qu’ils étaient mis sous garde ou détenus. Il s’agit d’une relation qui répond au critère de proximité et de prévisibilité sur la base des faits substantiels invoqués. Ainsi, les faits substantiels révèlent les éléments d’une obligation de diligence. Il faut par contre réitérer que cela devra être prouvé lors du procès, ce qui n’est pas une sinécure.

[42] Je conclus que les autres éléments requis ont été présentés de manière à démontrer qu’il n’est pas évident et manifeste que la cause d’action en l’espèce est vouée à l’échec.

(2) L’obligation fiduciaire

[43] Le demandeur prétend que la GRC avait une obligation fiduciaire envers lui et les membres du groupe, et qu’il y a eu manquement à cette obligation. Il fait valoir que le critère déjà peu sévère en ce qui a trait à l’autorisation l’est encore moins dans le contexte des obligations fiduciaires et des revendications autochtones, citant l’arrêt Brake c Canada, 2019 CAF 274 au para 66 [Brake], dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré que, lorsque les domaines de l’obligation fiduciaire et du droit autochtone se recoupent, « le fardeau est particulièrement lourd » pour faire radier un acte de procédure.

[44] Le demandeur affirme que, compte tenu des faits de l’espèce, il a deux façons dont une obligation fiduciaire peut naître entre le Canada et les Autochtones :

[TRADUCTION]

a) lorsque la Couronne assume le contrôle discrétionnaire à l’égard d’intérêts particuliers des Autochtones;

b) si les conditions suivantes sont réunies :

(i) un engagement du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires;

(ii) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire;

(iii) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

[45] La position du demandeur est que [traduction] « le Canada s’est engagé à agir au mieux des intérêts des Autochtones lorsqu’il a assumé la compétence exclusive de la gestion interne des services de police territoriaux, dans des circonstances où il savait que les Autochtones constituaient la majorité de la population assujettie à sa compétence ».

[46] Il affirme que le manquement est dû au fait que le Canada n’a pas protégé adéquatement les membres du groupe contre les pratiques discriminatoires de la GRC. Il souligne également que le droit des obligations fiduciaires est un domaine du droit qui évolue régulièrement et que l’on ne peut pas dire qu’il est évident et manifeste que la demande est vouée à l’échec.

[47] Le Canada, pour sa part, affirme que le concept d’obligation fiduciaire ne s’applique pas dans le contexte des services de police. Selon lui, cela entrerait en conflit avec l’obligation de la Couronne d’agir dans l’intérêt de la société dans son ensemble, car elle doit faire passer les intérêts de ses bénéficiaires avant ceux de toute autre personne.

[48] Il cite l’arrêt Alberta Elders à l’appui de la proposition selon laquelle il existe rarement une obligation de loyauté envers un groupe. De plus, il soutient qu’il n’existe pas d’obligation fiduciaire générale ou globale de la Couronne envers les peuples autochtones, mais seulement dans des circonstances particulières, et que la Cour devrait conclure qu’il existe « un intérêt autochtone identifiable » et que la Couronne exerce, à l’égard de cet intérêt, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité de la nature d’une obligation de droit privé. Il affirme que cela n’est pas possible au vu des faits invoqués et que le contexte dans lequel s’inscrivent les actes de procédures ne font pas entrer en jeu un quelconque droit ancestral qui distinguerait la relation de celle existant à l’égard des non‑Autochtones.

a) Analyse – L’obligation fiduciaire

[49] La nouvelle allégation du demandeur trouve un appui dans l’arrêt Manitoba Metis Federation Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14 [Manitoba Metis]. Cet arrêt prévoit les cas où une obligation fiduciaire entre le Canada et un Autochtone peut découler d’un engagement :

[49] Dans le contexte autochtone, une obligation fiduciaire peut naître du fait que la « Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers » : Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 18. Il est alors nécessaire de s’attacher à l’intérêt particulier qui est l’objet du différend : Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, par. 83. Le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger (Wewaykum, par. 86.

[50] Une obligation fiduciaire peut également découler d’un engagement si les trois éléments suivants sont réunis :

(1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lesquels l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

(Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C. S. 261, par. 36)

(Manitoba Metis aux para 49 et 50)

[50] Le Canada soutient qu’en raison d’intérêts concurrents, la Couronne ne peut être un fiduciaire en ce qui concerne sa relation avec les Autochtones des territoires du Canada. En tout respect, c’est simplement faux. La Couronne n’a pas à sacrifier son devoir de protéger l’ensemble des Canadiens afin de s’assurer que les Autochtones se trouvant sur le territoire visé par l’entente sur les services de police ne soient pas inutilement blessés lors de leur arrestation et de leur incarcération.

[51] Comme il a été déclaré dans l’arrêt Bande indienne de Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 au para 96 :

Dans l’exercice de ses pouvoirs ordinaires de gouvernement dans le cadre de différends opposant des Indiens et des non indiens, la Couronne avait (et a encore) l’obligation de prendre en considération les intérêts de toutes les parties concernées, non pas seulement les intérêts des Indiens. La Couronne ne saurait être un fiduciaire ordinaire; elle agit en plusieurs qualités et représente de nombreux intérêts, dont certains sont immanquablement opposés : Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, 1995 CanLII 3602 (CAF), [1995] 2 C.F. 762 (C.A.). Comme l’a reconnu la bande de Campbell River au par 96 de son mémoire, [traduction] « [l]a situation de la Couronne en tant que fiduciaire est nécessairement unique ». Par exemple, lorsque la Couronne a résolu le différend entre les membres de la Bande de Campbell River et des colons non indiens du nom de Nunns, elle n’a pas tenu compte seulement des intérêts de la bande, et il ne fallait pas qu’elle le fasse. Si les Indiens étaient « vulnérables » à la prise par le gouvernement de mesures défavorables à leur endroit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, les colons l’étaient eux aussi, et les deux parties attendaient du gouvernement qu’il règle leur différend de façon juste.

[52] En l’espèce, il est plaidé que le Canada s’est engagé au mieux des intérêts des Autochtones en assumant la gestion interne d’une région composée principalement d’Autochtones, et que cela satisfait au critère de la relation fiduciaire.

[53] L’arrêt Alberta Elders, cité par le Canada, permet d’affirmer que l’obligation de loyauté existe rarement, mais non pas qu’il n’existe jamais. En toute logique, la rareté d’un aspect nécessaire ne peut donc pas être invoquée pour affirmer qu’il est évident et manifeste qu’il n’y aura pas de cause d’action.

[54] Je conviens que les trois conditions d’une relation fiduciaire énoncées dans l’arrêt Manitoba Metis sont potentiellement satisfaites par les faits substantiels invoqués en l’espèce. L’engagement pourrait être présent par le fait que la GRC est le seul fournisseur de services de police dans les territoires; la catégorie définie d’Autochtones est soumise au contrôle de la GRC; et enfin, il y a un intérêt du bénéficiaire qui risque d’être compromis par l’exercice du pouvoir discrétionnaire et du contrôle de la GRC, à savoir son bien‑être et l’ordre.

[55] Dans la décision récente BigEagle c Canada, 2021 CF 504 [BigEagle], j’ai rejeté une requête en autorisation pour absence de cause d’action. Bien que les faits puissent sembler similaires, puisqu’il s’agit dans les deux cas d’allégations de négligence systémique, de manquements aux obligations fiduciaires et de violation de la Charte par la GRC, les dossiers sont très différents. Dans la décision BigEagle, j’ai conclu qu’une relation fiduciaire n’avait pas été correctement plaidée, et qu’il était évident et manifeste qu’une réclamation fondée sur une relation fiduciaire était vouée à l’échec (voir BigEagle aux para 95 à 118, 165 à 174).

[56] La demande en l’espèce est beaucoup plus étroite. Contrairement à l’affaire BigEagle, en l’espèce, la GRC est la seule organisation offrant des services de police dans les territoires, et le demandeur invoque expressément une obligation fiduciaire dont doit s’acquitter la GRC. De plus, contrairement à l’affaire BigEagle, les membres du groupe étaient sous la garde de la GRC lorsque les violations alléguées ont eu lieu. J’estime que les faits en l’espèce sont suffisamment différents pour différencier la présente affaire de l’affaire BigEagle.

[57] Encore une fois, à cette étape‑ci de l’affaire, les actes de procédure ne peuvent être radiés que s’il est évident et manifeste qu’il n’y a lieu à aucune réclamation. La cause d’action semble avoir peu de chances de succès sur le fond; toutefois, ce n’est pas le critère applicable. Je suis d’avis qu’il serait préférable de laisser au juge du procès le soin de se prononcer sur cette nouvelle relation fiduciaire, et qu’elle ne devrait pas être radiée à ce stade‑ci.

(3) L’article 7 de la Charte

[58] Le demandeur prétend que la GRC, en usant d’une force excessive, a violé son droit à la sécurité de sa personne et que cela lui a causé un préjudice physique et psychologique. Il affirme que la contrainte physique porte atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte et qu’il existe un risque accru de décès dû aux blessures découlant des actes discriminatoires de la GRC envers les Autochtones vulnérables. Il est d’avis que les atteintes à ces droits se sont produites de manière arbitraire ou étaient exagérément disproportionnées, qu’elles n’ont donc pas été faites conformément aux principes de justice fondamentale, et qu’aucune des violations des articles 7 (et 15) ne peut être justifiée aux termes de l’article premier de la Charte dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[59] Cependant, le Canada soutient que les réclamations fondées sur l’article 7 s’apparentent à une réclamation pour négligence systémique, citant JB v Ontario (Child and Youth Services), 2020 ONCA 198 aux para 19 et 60 [JB v Ontario]. Dans cette affaire, la Cour a déclaré qu’une réclamation pour négligence ne peut être reformulée en une violation de la Charte. Il déclare également que la demande n’invoque pas des faits suffisants pour mener à une violation de l’article 7, parce que les circonstances entourant chaque allégation d’agression varient hautement d’un cas à l’autre.

[60] Le demandeur répond en affirmant que son argument est un argument descendant et ne dépend pas de circonstances individualisées, et simplement que [traduction] « l’usage excessif de la force et les abus systémiques par la GRC ont un caractère raciste et causent des préjudices physiques et psychologiques [...] »

a) Analyse – L’article 7 de la Charte

[61] Bien que la présente affaire puisse porter sur des décisions qui sont descendantes et qui concernent la santé et le bien‑être des personnes touchées, il y a une différence importante entre l’affaire JB v Ontario et les actes allégués des agents de la GRC qui constitueraient des violations de la Charte. L’affaire JB v Ontario concernait des tests de dépistage de l’alcoolisme et de la toxicomanie par follicule pileux dans le cadre d’instances en matière de protection de l’enfance. Les faits de cette affaire et ceux de la présente affaire sont suffisamment différents pour justifier une analyse complète et nouvelle.

[62] Les actes délibérés des agents de la GRC sont, à mon avis, trop différents des exemples classiques de négligence pour faire l’objet d’une décision au stade de la requête en autorisation. Cela, encore une fois, distingue la présente affaire des faits de BigEagle. Dans l’affaire BigEagle, il était allégué que la GRC aurait dû faire un meilleur travail pour retrouver les femmes autochtones disparues et assassinées dans tout le Canada, qu’elles relèvent ou non de sa compétence. En revanche, en l’espèce, il y a des allégations d’inconduite délibérée, de racisme et de violence. Je ne peux pas dire que ces allégations seront couronnées de succès, mais il y a suffisamment de différences entre les faits de la présente et ceux de l’affaire BigEagle pour affirmer que les allégations ne sont pas dénuées de toute chance de succès.

[63] Il est important de noter que le demandeur a présenté les actes de procédure requis pour une réclamation fondée sur l’article 7 de la Charte : l’action gouvernementale, qui a entraîné un risque à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, était exagérément disproportionnée et arbitraire, et n’est pas justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. Il ne s’agit pas du stade de l’analyse des preuves, mais de celui de la forme des actes de procédure.

[64] Une dernière remarque concernant cette cause d’action (ainsi que la question de l’article 15 de la Charte ci‑dessous) est que le Canada a soutenu que cette cause d’action ne pouvait pas être entendue, étant donné que des membres du groupe et des incidents pourraient être antérieurs à la Charte. La Charte a pris effet le 17 avril 1982 et l’article 15 n’est entré en vigueur que le 17 avril 1985. S’il est vrai que certains membres potentiels du groupe peuvent avoir des réclamations antérieures à ces dates, il est important de tenir compte du fait que la définition de membre du groupe dans la déclaration ne comprend que les personnes vivantes en 2016. En pratique, cette période de 34 ans pour l’article 7 limite en quelque sorte le nombre de personnes ayant un âge qui les rend susceptibles d’être arrêtées, détenues ou mises sous garde avant 1982, vivantes en 2016 et répondant par ailleurs à la définition d’un membre du groupe. Mais, la réponse courte à cet argument est qu’une personne présentant une réclamation antérieure à la Charte serait exclue au stade de l’évaluation individuelle. Cela ne devrait pas rendre évident et manifeste le fait que cette cause d’action est vouée à l’échec au stade de l’autorisation (voir également les paragraphes 73 à 75 ci‑dessous).

[65] En résumé, je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste que cette cause d’action est vouée à l’échec, quoiqu’elle sera évidemment difficile à faire valoir au procès. Je suis d’avis qu’il s’agit d’une cause d’action valable.

(4) L’article 15 de la Charte

[66] Le demandeur affirme que le Canada a fait preuve de discrimination à l’égard des membres du groupe en raison de leur race, leur identité nationale, leurs croyances spirituelles, leurs croyances religieuses et leur origine ethnique, en violation de l’article 15 de la Charte. Cette violation était due au fait que la GRC :

[TRADUCTION]

(i) [a permis] à ses agents de cibler des Autochtones pendant leur détention;

(ii) [a permis] à ses agents de faire un usage excessif de la force à l’encontre d’Autochtones;

(iii) [a] fait montre de négligence, d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard d’une politique de la discrimination contre les Autochtones mis sous garde dans les territoires, ou a délibérément accepté une telle politique.

(MFD au para 38)

[67] Le demandeur soutient que cette différence de traitement est fondée sur un motif énuméré. Il ajoute que ce traitement a pour effet de dévaloriser la dignité des membres du groupe. Cela satisfait, dit‑il, aux exigences applicables au paragraphe 15(1) de la Charte.

[68] Le Canada admet que les deux premières allégations satisfont au critère de la cause d’action, mais qu’elles ne constituent pas des questions communes viables et qu’elles ne se posent qu’après le 17 avril 1985, date d’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte, et non avant.

[69] Il n’est toutefois pas du même avis pour la troisième; il soutient que la demande ne contient aucun fait substantiel à l’appui de l’allégation selon laquelle la GRC applique et poursuit une politique réelle de discrimination à l’égard des Autochtones dans les territoires et que le code de déontologie de la GRC les oblige expressément à respecter une norme de non‑discrimination.

[70] Le demandeur répond que l’arrêt Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, appuie sa réclamation fondée sur l’article 15. Il cite l’opinion de la CSC sur les exigences en matière de preuve dans les affaires de discrimination, selon laquelle les éléments de preuve concernant la situation d’un groupe peuvent aider à établir une preuve prima facie de discrimination, tout comme peuvent le faire les éléments de preuve concernant l’effet d’une loi ou d’une action, y compris la preuve statistique. Il soutient que leur témoin expert fournira une telle preuve, mais ne traite toutefois pas expressément de l’objection relative aux questions communes dans sa réponse.

a) Analyse – L’article 15 de la Charte

[71] Je suis d’accord avec l’admission du Canada portant que les deux aspects des allégations fondées sur l’article 15 ont été correctement plaidés et que, en tenant les faits pour avérés, elles satisfont potentiellement au critère. Comme il est indiqué au paragraphe 17 de l’arrêt R c Kapp, 2008 CSC 41, le critère applicable relativement à la discrimination au titre de l’article 15 de la Charte est le suivant :

(1) La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

(2) La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[72] Le Canada soutient toutefois que, puisque le groupe englobe une période antérieure à la promulgation de la Charte, il n’y a pas de question commune connexe, et donc pas de cause d’action.

[73] À l’heure actuelle, les allégations contenues dans les affidavits produits seraient toutes couvertes par la Charte en fonction des dates; toutefois, il est vrai que des membres potentiels du groupe pourraient avoir des réclamations antérieures à la Charte. En fait, il s’agit d’un enjeu de questions communes, et non de cause d’action, mais comme le Canada présente une objection à ce point, je traiterai de son objection ici (voir le paragraphe 64 ci‑dessus).

[74] Selon l’arrêt Hollick, une question ne sera donc commune « que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe. Par ailleurs, une question n’est “commune” au sens voulu que s’il s’agit d’un “élément important” des demandes de chaque membre du groupe. » (Hollick au para 18, citant l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46 au para 39 [Western Canadian]). Western Canadian, cependant, continue en ces termes :

Il n’est pas nécessaire non plus que les questions communes prédominent sur les questions non communes ni que leur résolution règle les demandes de chaque membre du groupe. Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif. Pour décider si des questions communes motivent un recours collectif, le tribunal peut avoir à évaluer l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles. Dans ce cas, le tribunal doit se rappeler qu’il n’est pas toujours possible pour le représentant de plaider les demandes de chaque membre du groupe avec un degré de spécificité équivalant à ce qui est exigé dans une poursuite individuelle.

(Western Canadian au para 39; non souligné dans l’original.)

[75] Pour ces motifs, je ne relève pas de problème quant à la question commune et, par conséquent, à cette cause d’action. Si je me trompe, cependant, une simple division en deux sous‑groupes remédierait à tout problème de nature temporelle en ce qui a trait aux causes d’action. Je vais l’admettre à titre de cause d’action valable.

[76] Ayant terminé mon examen en ce qui concerne la première exigence en matière d’autorisation, je passe à la deuxième. Pour les quatre autres critères, le critère à remplir est de savoir s’il existe « un certain fondement factuel » pour appuyer l’ordonnance d’autorisation (Hollick au para 25).

B. L’alinéa 334.16(1)b) des Règles : groupe identifiable formé d’au moins deux personnes

[77] Le demandeur soutient que, selon les affidavits produits par les membres du groupe proposé, il existe un fondement factuel permettant d’établir qu’au moins deux personnes relèvent de la définition du groupe proposé. Le demandeur affirme que la définition du groupe répond au critère, car elle est objective et liée de manière rationnelle à la question commune, la définition ne dépendant pas de l’issue du litige. Le demandeur prétend qu’il n’y a aucune raison de rejeter le groupe en raison de l’existence d’une limite aux réclamations — ceux qui allèguent avoir été agressés — car une telle chose est nécessaire et que la jurisprudence, notamment la décision Rumley aux para 21 et 40, appuie ce type de groupe.

[78] En revanche, le Canada affirme que le groupe proposé est [traduction] « imprécis, trop large et ingérable, ce qui empêche une identification significative des membres du groupe ». Il cite Cotter v Levy, [2000] OJ no 1086 au para 10, à l’appui de la prétention selon laquelle la définition du groupe doit être [traduction] « certaine, objective et facilement vérifiable par des profanes ».

[79] Le Canada soutient que la définition du groupe proposé est fondée sur des critères non objectifs qui empêchent l’identification, et que le simple fait d’avoir formulé une allégation n’est pas suffisamment objectif. De plus, il soutient que la définition est inutilement complexe, car elle exigerait de trancher la question de savoir si les personnes concernées seraient considérées comme étant Autochtones au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[80] Le Canada est d’avis que cette exigence n’est pas remplie, et ce, pour les motifs suivants :

[81] Le demandeur affirme en réponse que le Canada a utilisé le mauvais critère et qu’il doit suivre la décision Rumley. En outre, il souligne que le Canada est simplement dans l’erreur lorsqu’il décrit les critères de « non‑objectifs »; le statut d’Autochtone est un critère objectif. Le demandeur est toutefois disposé à remplacer la définition d’« Autochtone » par celle de [TRADUCTION] « racialisé », si ce groupe est préférable.

[82] Il soutient qu’il n’est pas nécessaire que la preuve révèle l’existence d’au moins deux personnes ayant des questions communes viables, mais plutôt « un certain fondement factuel » qu’il existe un groupe identifiable.

[83] Dans la décision Lin c Airbnb, Inc, 2019 CF 1563 [Airbnb], la Cour a mentionné ceci :

Trois critères doivent être remplis pour qu’un groupe identifiable soit reconnu : (i) le groupe doit être défini selon des critères objectifs; (ii) le groupe doit être défini sans examen sur le fond de l’action; (iii) il doit y avoir un lien rationnel entre les questions communes et la définition du groupe proposée (Hollick, par. 17; Dutton, par. 38; Wenham, par. 69). Bien que la CSC ait donné instruction aux tribunaux d’interpréter généreusement la législation sur les recours collectifs, il incombe au représentant demandeur proposé de démontrer que le groupe défini est suffisamment circonscrit, et qu’il répond ainsi aux critères (Hollick, par. 14 et 20). Toutefois, le fardeau n’est pas indûment lourd; le représentant n’est pas tenu de montrer que « tous les membres du groupe partagent le même intérêt dans le règlement de la question commune énoncée », mais seulement que le groupe n’est pas « inutilement large » [] (Hollick, par. 21; Paradis Honey Ltd. c Canada, 2017 CF 199 [Paradis Honey], par. 24). Par conséquent, la définition trop large ou trop restreinte n’empêche pas une instance d’être autorisée comme recours collectif, pourvu qu’elle ne soit pas illogique ou arbitraire (Rae, par. 56).

(Airbnb au para 91; caractères gras ajoutés; soulignements omis.)

[84] Dans l’arrêt Rumley, la CSC a autorisé un recours dans lequel le groupe était défini ainsi : « [traduction] Les personnes qui ont fréquenté l’école Jericho Hill entre 1950 et 1992, qui résident en Colombie‑Britannique et qui prétendent avoir subi un préjudice, une perte ou un dommage en raison d’une faute de nature sexuelle commise à l’école. » (Rumley au para 21).

[85] Le groupe dans l’affaire Rumley est de la même forme que celui proposé par le demandeur et, à première vue, il est convenable. Je ne suis pas d’accord avec le Canada quand il dit que le statut d’Autochtone des membres du groupe n’est pas un critère objectif, ni quand il affirme qu’il est trop complexe à déterminer. En fait, le Canada a produit l’affidavit de Mme Sheri Tait, dans lequel elle décrit divers endroits dans les territoires, et les personnes qui s’identifient comme Autochtones y sont numériquement répertoriées.

[86] Il se pourrait que certains cas soient contestables sur le plan individuel; toutefois, dans de nombreux cas, il n’y en aura aucune contestation, de sorte que cela ne devrait pas empêcher la Cour d’autoriser l’action en l’espèce comme recours collectif. Je conclus que ce critère a été rempli pour les besoins de l’autorisation.

C. L’alinéa 334.16(1)c) des Règles : les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs

[87] Le demandeur soutient que les questions communes proposées suivent les questions communes déjà autorisées dans les affaires portant sur la négligence systémique, l’obligation fiduciaire et la Charte, et qu’elles ne sont donc ni nouvelles ni exceptionnelles.

[88] Les questions communes sont énoncées de la façon suivante dans le plan de litige :

[traduction]
a) Du fait de sa gestion de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation de diligence envers les membres du groupe de les protéger contre un préjudice physique ou psychologique donnant lieu à un droit d’action?

b) Du fait de sa gestion de la GRC ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation fiduciaire envers les membres du groupe de les protéger contre un préjudice physique et psychologique donnant lieu à un droit d’action?

c) Du fait de sa gestion de la GRC ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne des membres du groupe, droit garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

d) Si la réponse à la question commune c) est « oui », les actes du défendeur ont‑ils violé les droits du groupe d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la justice fondamentale au titre l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

e) Les actes du défendeur ont‑ils violé le droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, la religion ou l’origine ethnique, droit garanti par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

f) Si la réponse aux questions communes c) et d) ou à la question commune ou e) est « oui », les actions du défendeur sont‑elles justifiées aux termes de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?

g) Si la réponse aux questions communes c) et d) ou à la question commune e) est « oui », mais que la réponse à la question commune f) est « non », les dommages‑intérêts constituent‑ils une réparation convenable et juste au titre de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à ces violations?

h) Si la réponse à l’une des questions communes a), b) ou g) est « oui », la Cour peut‑elle procéder à une évaluation globale du préjudice par certains membres du groupe ou par la totalité de ceux‑ci dans le cadre de l’instruction des questions communes, et, le cas échéant, à hauteur de quel montant?

i) La conduite du défendeur justifie‑t‑elle l’octroi de dommages punitifs ou majorés?

j) Si la réponse à la question commune ci‑dessus est « oui », quel montant devrait être adjugé à titre de dommages‑intérêts punitifs à l’encontre du défendeur?

[89] En ce qui concerne les questions a) à f) (les questions communes relatives à la responsabilité), le demandeur soutient qu’elles ne dépendent pas du témoignage des membres individuels du groupe, et qu’ils partagent tous un intérêt à savoir si la Couronne a manqué à ses obligations. Il soutient également que les questions communes relatives à la négligence, à la Charte et à l’obligation fiduciaire ont été autorisées dans de nombreux recours collectifs. Il cite, pour la négligence : les décisions John Doe au para 63; Rumley au para 34, entre autres; pour l’obligation fiduciaire : les décisions Brake aux para 79 et 80; Manuge c Canada, 2008 CF 624, au para 43, inf par 2009 CAF 29, conf par 2010 CSC 67, entre autres, et pour la Charte : les décisions Brake; Brazeau c AG, 2016 ONSC 7836 [Brazeau CSON], entre autres.

[90] En ce qui concerne les questions g) à j) (les questions communes relatives aux dommages), pour lesquelles le Canada se demande si la Cour peut accorder des dommages‑intérêts (soit fondés sur la Charte, soit en fonction d’une évaluation globale), le demandeur fait valoir que des dommages‑intérêts globaux fondés sur la Charte ont été accordés par le passé dans le cadre de recours collectifs (décisions Brake, Brazeau CSON, entre autres) et qu’ils sont convenables en l’espèce.

[91] De plus, il soutient que le paragraphe 334.28(1) des Règles permet à la Cour d’accorder des dommages‑intérêts globaux, qui sont souvent autorisés dans les recours collectifs. Le demandeur dit également que les dommages‑intérêts punitifs/exemplaires sont des questions communes qui peuvent être autorisées en bonne et due forme (voir, entre autres, Good v Toronto Police Services Board, 2016 ONCA 250 au para 75 [Good]; Cloud au para 70).

[92] Le Canada soutient qu’aucune question commune n’a été relevée. Il soutient qu’une quantité écrasante de décisions individuelles sera nécessaire.. Il déclare que, puisque les questions liées à la négligence et à l’obligation fiduciaire reflètent les causes d’action, lesquelles, selon lui, ne sont pas valables, elles ne peuvent pas être des questions communes. De plus, il affirme que la négligence et les manquements aux obligations fiduciaires sont de nature individuelle et que les membres du groupe ne peuvent les invoquer de manière significative à l’appui de leurs réclamations en raison du processus décisionnel individuel requis.

[93] En ce qui concerne les questions relatives à l’article 7 de la Charte, le Canada fait valoir qu’il s’agit de droits individuels qui ne peuvent être revendiqués que par leur titulaire et qu’aucun tiers, y compris un représentant demandeur, ne peut invoquer ou réclamer les réparations disponibles, y renoncer ou conclure quant à ces réparations. Il prétend également que le problème des examens individuels mentionné ci‑dessus s’applique à cette question.

[94] En ce qui concerne l’article 15, le Canada soutient qu’il n’y a aucune preuve à l’appui de l’existence de lois ou de politiques discriminatoires. Le Canada est d’avis que la politique expresse de la GRC est contraire aux allégations de discrimination. En ce qui concerne les actes des agents individuels, le Canada soutient qu’il ne s’agit pas d’un fait commun à tous les membres du groupe, car les allégations s’étendent sur des décennies et sur différentes communautés, et aucun agent en particulier n’est nommé. En outre, il affirme que les aveux du premier ministre quant à l’existence de racisme systémique ne se renvoient pas à des circonstances individuelles ou ne répondent pas à des allégations en particulier, et n’établissent donc pas un fondement factuel pour les questions communes. Le Canada soutient que les déclarations du gouvernement ne constituent pas des aveux en droit, notamment à la lumière de loi sur la présentation des excuses.

[95] Selon le Canada, les trois questions communes proposées concernant les dommages‑intérêts ne répondent pas aux critères, car le plan de litige n’indique pas comment les demandeurs ont l’intention d’établir les dommages‑intérêts globaux comme question commune. Cela soulève des préoccupations d’ordre structurel, en ce sens que les allégations d’agressions individuelles devraient être tranchées. Il prétend que le même raisonnement s’applique pour ce qui est des dommages‑intérêts punitifs, et prétend que les précédents Good et Brazeau ne sont pas applicables à l’espèce, au motif qu’il n’y a pas de manquement général établi.

[96] Enfin, le Canada affirme que la preuve n’établit pas la communauté, en ce sens que la preuve de l’analyse du professeur Wortley est lacunaire. Ce dernier ne tient pas compte, selon le Canada, de la légalité potentielle de la force. Le Canada dit que l’affidavit de Mme MacDonald ne présente pas de détails quant aux lacunes dans le fonctionnement et la gestion de la GRC et que celui de Mme Randhawa n’a aucune valeur probante, se concentrant sur les médias. Il affirme que le critère n’est pas rempli, parce que la preuve fournie par les cinq membres potentiels du groupe et par le demandeur ne porte pas sur la gestion et le fonctionnement de la GRC, mais décrit plutôt des incidents individuels et des croyances personnelles.

[97] Le demandeur a répondu à ces affirmations en indiquant qu’il ne sera pas nécessaire que chaque personne prouve l’existence d’agressions pour que les deux questions communes soient résolues, et que l’existence de questions individuelles, même substantielles, ne fait pas obstacle à l’autorisation, citant l’arrêt Hollick au para 30.

[98] Il qualifie d’incorrecte en droit la position du Canada selon laquelle les réclamations fondées sur la Charte ne peuvent être invoquées par un représentant demandeur. Le demandeur affirme que les réclamations fondées sur la Charte ne nécessitent pas d’évaluation individuelle, que l’arrêt Brazeau appuie cette affirmation, et que la distinction effectuée par le Canada entre l’affaire Good et l’espèce n’est pas déterminante.

[99] Enfin, le demandeur répond à l’accusation selon laquelle il n’a produit en preuve aucune politique en particulier par le fait qu’il n’est pas, et ne peut être tenu de produire en preuve des politiques à cette étape de la procédure; il n’y a pas eu d’interrogatoires préalables, et il s’agit d’un argument prématuré.

[100] Le premier critère relatif aux questions de droit communes est énoncé dans la décision Western Canadian :

[…] Il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet. La question sous‑jacente est de savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique. Une question ne sera donc « commune » que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe. Il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient dans une situation identique par rapport à la partie adverse.

(Western Canadian au para 39)

La décision explique ensuite le reste du critère, qui reproduit ci‑dessus au paragraphe 74.

[101] En ce qui concerne l’argument du Canada (ci‑dessus) selon lequel un nombre anormalement élevé d’enquêtes individuelles sur les faits sera nécessaire, je ne suis pas de cet avis. Les questions communes relatives à la responsabilité (a à f) sont principalement des questions juridiques, auxquelles il faut répondre : si les allégations sont vraies, y a‑t‑il eu une violation de divers droits des membres du groupe? Les autres questions sont également des questions générales concernant le caractère approprié des dommages‑intérêts. Les réponses aux questions communes, qu’elles soient positives ou négatives, permettront ensuite de déterminer les situations individuelles des membres du groupe pour lesquelles un certain degré d’évaluation individuelle sera approprié.

[102] De même, je ne suis pas d’accord avec le Canada lorsqu’il décrit les réclamations en l’espèce comme étant individuelles, car les actes de procédure ne sont pas formulés ainsi. Il ne sera pas nécessaire de procéder à une évaluation individuelle tant que les points de droits communs n’auront pas été tranchés. Il en est ainsi, parce que les réclamations ne portent pas sur la question de savoir si agent de la GRC a illégalement agressé un membre du groupe, mais plutôt sur celle de savoir si le fonctionnement de la GRC crée un système où les agressions illégales se produisent. Une fois que cela aura été déterminé, il sera alors possible d’établir si un membre particulier du groupe a été victime de ce système. Le préjudice subi par le membre du groupe est à la fois une preuve du système et une cause potentielle de dommages, en raison de la violation alléguée de ses droits découlant du fonctionnement de la GRC dans les territoires.

[103] Je ne suis pas non plus d’accord avec la position du Canada selon laquelle les violations de la Charte, la négligence et les manquements aux obligations fiduciaires ne sont pas des sujets appropriés en ce qui a trait aux questions communes (voir ci‑dessus). Cette position n’est pas reflétée dans la jurisprudence, et l’analyse des causes d’action qui précède traite adéquatement de cette question.

[104] Pour apporter des précisions et distinguer l’espèce des faits de BigEagle, dans cette affaire, les victimes étaient des parents de ceux qui alléguaient les manquements, et en l’espèce, ce sont les victimes elles‑mêmes. Bien que la demande puisse ne pas aboutir en fin de compte, il existe un lien suffisant sur une base factuelle pour justifier qu’elle soit tranchée au stade approprié.

[105] Comme j’ai jugé que les causes d’action étaient valables, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument avancé par le Canada selon lequel il n’existe pas de questions communes en raison de l’absence de causes d’action valables.

[106] Je suis d’avis que les points communs proposés par le demandeur sont appropriés et qu’ils permettront de faire avancer l’instruction de l’instance – en évitant la duplication de l’analyse juridique.

D. L’alinéa 334.16(1)d) des Règles : le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs

[107] La position du demandeur est qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler les réclamations en l’espèce. Il soutient qu’aucun autre moyen disponible n’offrirait le même accès à la justice, et que les litiges individuels ne permettraient pas de surmonter les obstacles économiques ou de réaliser des économies de ressources judiciaires comme le ferait un recours collectif. En outre, il affirme que l’objectif de modification du comportement serait atteint grâce à un recours collectif.

[108] Il a également fait remarquer lors des plaidoiries que le défendeur devait produire une preuve à propos de la question de savoir quel pourrait être le meilleur moyen de régler les réclamations, et qu’il ne l’a pas fait. En réponse à l’affirmation selon laquelle il doit produire une preuve concernant le meilleur moyen de régler les réclamations, le Canada a cité l’arrêt AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69 [AIC] à l’appui de la proposition selon laquelle le fardeau de la preuve est transféré au défendeur uniquement lorsqu’il est allégué que le meilleur moyen de régler est extra‑judiciaire.

[109] Le Canada affirme qu’un recours collectif n’est pas approprié lorsque le litige nécessite une évaluation individuelle détaillée, et il cite l’arrêt Harrison v Afexa Life Sciences Inc, 2018 BCCA 165 au para 62 pour appuyer cette affirmation. Il affirme également qu’il ne s’agit pas d’un recours approprié lorsque la cible du litige est l’élaboration de politiques. Il cite la décision RG v The Hospital for Sick Children, 2017 ONSC 6545 au para 159, et soutient qu’elles sont analogues, en ce sens que [traduction« dans le contexte de la demande dans son ensemble, la mesure dans laquelle l’instruction des questions communes ferait avancer les réclamations du groupe proposé serait faible par rapport à la réclamation fondée en droit que chaque membre du groupe devrait établir lors d’une instruction des points individuels ». Le Canada a mentionné que, même si on devait conclure à l’existence d’un devoir de diligence, les questions du manquement à la norme de diligence, de la causalité et des dommages devront tout de même faire l’objet d’une évaluation individuelle.

[110] Le Canada laisse fortement entendre qu’étant donné que le règlement des réclamations pour agression peut se faire par d’autres procédures judiciaires et que chaque personne peut intenter son propre recours civil, le recours collectif n’entraînerait la réalisation d’aucune économie.

[111] Pour appuyer sa position, le Canada déclare que les experts suggèrent l’adoption d’une méthodologie qui remplacerait le processus du litige civil, et que la preuve produite par le professeur Wortley serait davantage convenable à l’égard des organismes responsables de l’élaboration des politiques.

[112] Le Canada affirme qu’il existe des mécanismes de recours indépendants qui visent à régler les problèmes soulevés et que la CSC a accepté que la disponibilité de processus non judiciaires puisse être un facteur pour déterminer le meilleur moyen de régler l’affaire (AIC au para 19). Les allégations d’agression devraient être résolues, dit‑il, dans le cadre d’un processus de plainte conçu pour trancher ces questions. Les questions institutionnelles devraient être traitées, dit‑il, dans le cadre d’une enquête publique.

[113] Selon la décision Hollick, l’analyse relative au meilleur moyen de régler l’affaire s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification des comportements (Hollick au para 27; AIC au para 22). Dans cette optique, et compte tenu de la vulnérabilité des populations autochtones du Nord, il est évident qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler ces questions. Le coût à assumer par les individus afin de monter des dossiers individuels serait prohibitif pour la plupart des plaideurs, étant donné le statut économique général des membres du groupe.

[114] Il est important de mentionner que l’alinéa 334.18a) des Règles prévoit ceci : « Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci‑après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif : a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages‑intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle ». En l’espèce, le demandeur ne demande pas que les évaluations individuelles aient lieu avant que les questions communes soient tranchées, mais seulement après coup, pour établir si les membres individuels du groupe satisfont aux critères pour obtenir des dommages‑intérêts.

[115] Le Canada déclare que les actions individuelles seraient plus appropriées; cependant, à mon avis, entraver l’accès à la justice des plaideurs annulerait les avantages procurés par les trois objectifs primordiaux du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification du comportement. Il ne fait aucun doute que les Autochtones des territoires du Canada sont considérés comme un groupe vulnérable. Un recours collectif est probablement le seul moyen de réaliser ces trois principes.

[116] Le Canada s’est appuyé sur l’arrêt Dennis pour affirmer qu’une détermination individuelle rendra un recours collectif inapproprié. Mais un examen plus approfondi de cette décision montre que la Cour y a conclu ce qui suit :

[traduction]

[…] la détermination des éléments importants des réclamations des membres individuels du groupe peut se faire à l’échelle du groupe, et les questions individuelles relatives à des points tels que la causalité et les dommages peuvent être traitées ultérieurement sur une base individuelle, en particulier lorsque l’évaluation des dommages peut être réalisée par l’application d’une formule simple.

(Dennis au para 53)

[117] En l’espèce, la décision demandée par le demandeur pourrait être prise à l’échelle du groupe et la situation individuelle de chaque membre du groupe pourrait subséquemment faire l’objet d’une décision.

[118] Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du Canada selon laquelle une enquête publique ou un processus de plainte interne serait le meilleur moyen de régler l’affaire.

[119] Dans l’optique de l’économie des ressources judiciaires, de la modification des comportements et de l’accès à la justice, le recours collectif est le meilleur moyen de régler ces points.

E. L’alinéa 334.16(1)e) des Règles : Le représentant demandeur

[120] Le Canada soutient qu’étant donné que Joe David Nasogaluak a maintenant atteint l’âge de la majorité, Diane Nasogaluak ne répond pas à la définition du groupe. En outre, Joe David Nasogaluak n’a fourni aucune preuve concernant sa capacité ou son intention de servir de représentant demandeur. De plus, le Canada est d’avis que le plan de litige proposé est inadéquat, parce qu’il n’y a aucune disposition pour déterminer qui est un membre du groupe, et aucune voie pour trancher les questions individuelles après l’instruction des points communs.

[121] Le demandeur répond qu’il n’y a aucune raison de ne pas accorder l’autorisation simplement parce que Joe David Nasogaluak n’a plus besoin d’un tuteur. Il a confirmé à l’avocat qu’il était prêt à agir en tant que représentant demandeur. De plus, si l’audience n’avait pas été retardée en raison de la pandémie de COVID‑19, il aurait encore été mineur et représenté par sa mère, Diane Nasogaluak, qui remplit clairement toutes les conditions. Il affirme qu’il a toujours eu l’intention de prendre la relève à 18 ans.

[122] Le demandeur soutient qu’il a élaboré un plan de litige pratique et raisonnable et qu’il a fourni une preuve non contestée portant qu’il représentera de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe proposé, qu’il représentera de façon équitable et adéquate les intérêts des membres du groupe et qu’il comprend les principales étapes de l’instance et les responsabilités qui lui incombent.

[123] Le demandeur fait valoir que, même si la Cour conclut que le représentant proposé n’est pas convenable, cela ne devrait pas entraîner le refus de l’autorisation, mais un nouveau demandeur devrait être substitué, et il demande donc que la Cour procède à l’autorisation, à la condition que lui‑même (Joe David Nasogaluak) ou un autre membre du groupe dépose un affidavit indiquant qu’il serait un représentant demandeur.

[124] La décision Airbnb résume les exigences relatives à un représentant demandeur convenable :

[146] Selon l’alinéa 334.16(1)e) des Règles, le représentant demandeur proposé doit satisfaire aux exigences suivantes : (i) il représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe; (ii) il a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement; (iii) il n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs; (iv) il communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier. Dans l’arrêt Dutton, la CSC a souligné qu’il n’est pas nécessaire que le représentant proposé soit un modèle type du groupe, ou qu’il soit le meilleur représentant possible, mais que le tribunal évaluant le critère devrait « toutefois, être convaincu que le représentant proposé défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe » (Dutton par. 41, renvoyant à l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46).

(Airbnb au para 146)

[125] Les Règles des Cours fédérales, qui lient la Cour, énoncent les conditions qu’un représentant demandeur doit satisfaire pour être considéré comme étant convenable :

334.16(1)

e) il existe un représentant demandeur qui

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[126] La pandémie de COVID‑19 a tout chamboulé, et les tribunaux ont dû reporter les audiences et les procès. L’audience en l’espèce avait été fixée à une date à laquelle Joe David Nasogaluak aurait été mineur. En raison de la pandémie de COVID‑19, l’audience a été reportée et lorsque cette affaire a été entendue, il n’était plus mineur. Les recours collectifs sont destinés à simplifier les litiges de masse, et ne doivent pas s’attacher à des questions de faible importance. D’après ce qu’affirme le demandeur, Joe David Nasogaluak ne s’oppose pas à déclarer qu’il est prêt, disposé et apte à agir en tant que représentant demandeur, et le Canada n’a pas présenté d’arguments convaincants à l’effet contraire.

[127] Je suis convaincue qu’il n’y a aucune raison pour laquelle le représentant demandeur proposé ne répondrait pas à tous les critères énoncés dans les Règles ou dans la décision Airbnb. Il y a un certain fondement en fait, compte tenu de ce qui a été présenté par sa tutrice à l’instance, pour penser qu’il sera un représentant demandeur convenable maintenant qu’il est majeur.

[128] Mais, en même temps, les exigences doivent être remplies. Par conséquent, je demande au demandeur de présenter une requête par écrit (article 369 des Règles), avec, je l’espère, le consentement du défendeur, en substitution du représentant demandeur dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance. Les tribunaux de l’Ontario ont rendu des ordonnances conditionnelles après avoir examiné cette question dans des circonstances beaucoup moins évidentes que dans le cas présent.

[129] Dans la décision Ottawa (City) Police Assn v Ottawa (City) Police Services Board, 2014 ONSC 1584 [Ottawa Police Assn], la juge Hennessy, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit :

[traduction]

41 Il n’est pas rare, dans les instances d’autorisation, que certains éléments de l’autorisation soient satisfaits et que les parties reviennent devant le tribunal à un autre moment pour aborder les éléments qui n’ont pas convaincu le tribunal initialement. Dans Graham v Impark, 2010 ONSC 4982, 74 BLR (4th) 172 au para 201, le juge Perell a rendu une décision similaire, autorisant un recours collectif conditionnellement à la substitution d’un nouveau représentant demandeur. Dans l’affaire 6323588 Canada Ltd. c. 709528 Ontario Ltd. (faisant affaire sous le nom de Panzerotto Pizza and Wing Machine), 2012 ONSC 2985, [2012] O.J. No. 2324, le juge Strathy (tel était alors son titre) a conclu que lorsque toutes les conditions pour l’autorisation avaient été remplies, à l’exception de l’existence d’un représentant des demandeurs admissible, il était approprié d’ajourner l’instance afin de donner au demandeur l’occasion de substituer un nouveau représentant demandeur. Je suis d’accord avec l’évaluation faite par le juge Strathy aux paragraphes 101 et 102 :

101. Ayant conclu que l’action se prête par ailleurs à l’autorisation, ce serait une perte de temps, d’argent et de ressources judiciaires d’exiger que le groupe recommence, s’il existe une volonté parmi les franchisés de poursuivre l’affaire. [...]

102. Cette approche est appuyée par la jurisprudence. Dans la décision Martin c Astrazeneco Pharmaceuticals PLC, [2009] OJ no 3847 (C.S.J.), le juge Cullity a fait remarquer, au para 20, que nos tribunaux n’ont généralement pas été réceptifs aux arguments selon lesquels l’action doit revenir à la case départ si le demandeur proposé ne répond pas aux critères :

Même si les avocats des défendeurs avaient raison de dire que d’autres personnes ne pouvaient pas être substituées en tant que demandeurs, rien n’empêcherait l’introduction d’une nouvelle action, par ailleurs identique, par ces personnes. Étant donné que l’une des caractéristiques fondamentales des actions intentées en application de la Loi sur les recours collectifs est l’existence d’un groupe de demandeurs se trouvant dans une situation similaire, la probabilité qu’un demandeur substitut soit disponible ne peut, à mon avis, être rejetée du fait de son caractère fantaisiste ou trop conjectural. Compte tenu des responsabilités importantes des représentants des demandeurs, il est devenu assez courant que des changements soient apportés – et parfois plus d’une fois – quant aux personnes proposées pour agir comme représentants au fur et à mesure que la procédure s’approche de l’autorisation. En outre, la Cour n’a généralement pas été réceptive aux arguments selon lesquels la révocation ou le retrait des demandeurs exige l’introduction d’une nouvelle action plutôt que la substitution de nouveaux demandeurs. [Renvois omis.]

42 De plus, il convient de noter que, dans le contexte d’une requête expressément fondée sur l’article 12.08, dans l’affaire Kelly c Canada (2014 ONCA 92), la Cour d’appel a approuvé la nomination d’un représentant demandeur sur une base conditionnelle (paragraphe 21).

(Ottawa Police Assn aux para 41 et 42)

[130] De plus, le juge Perell, dans la décision Graham v Imperial Parking Canada Corp, 2010 ONSC 4982 [Graham], sachant que d’autres personnes répondraient aux exigences, a également autorisé une action comme recours collectif, conditionnellement à la substitution d’un nouveau représentant du fait que les deux personnes qui voulaient agir à ce titre ne répondaient pas aux règles de l’Ontario (Graham aux para 13, 201 et 202). Je suis d’avis que si, à la réception de la requête, le représentant ne répond pas aux exigences, l’avocat du groupe présentera quelqu’un qui y répondra.

[131] En l’espèce, le représentant des demandeurs proposé a élaboré un plan de litige et, bien que le Canada ait allégué que ce plan présentait des lacunes à certains égards, les tribunaux ont déclaré qu’il pouvait s’agir d’un [traduction] « projet à finaliser » (Cloud au para 95). Dans la décision Graham, le juge Perell a demandé un nouveau plan de litige lorsque les nouveaux représentants des demandeurs ont été nommés (Graham aux para 13 et 202). Cela ne semble pas nécessaire en l’espèce, et le plan peut être élaboré au fur et à mesure de l’instruction de l’affaire et modifié s’il s’avère qu’il présente des lacunes, puisqu’il s’agit d’un projet à finaliser.

VI. Conclusion

[132] En conclusion, je juge que les exigences du paragraphe 334.16(1) ont été satisfaites dans l’action en l’espèce, à condition que le représentant des demandeurs soit substitué à sa tutrice à l’instance.

[133] La définition du groupe sera la suivante :

[traduction]
Tous les Autochtones qui allèguent avoir été agressés à un moment ou à un autre alors qu’ils étaient sous la garde ou la détention d’agents de la GRC dans les territoires, et qui étaient en vie en date du 18 décembre 2016.

[134] Le demandeur doit déposer une requête au titre de l’article 369 des Règles, par laquelle il demande officiellement à ce que Joe David Nasogaluak soit nommé représentant demandeur du groupe dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, et doit fournir les éléments nécessaires pour que je puisse établir s’il remplit les conditions requises.

[135] Le plan de litige proposé est accepté et sera élaboré au fil du temps et du processus de gestion de l’instance.

[136] J’autorise le dossier T‑2158‑18 en tant que recours collectif pour les questions communes suivantes :

[traduction]

a) Du fait de sa gestion de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation de diligence envers les membres du groupe de les protéger contre un préjudice physique ou psychologique donnant lieu à un droit d’action?

b) Du fait de sa gestion de la GRC ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation fiduciaire envers les membres du groupe de les protéger contre un préjudice physique et psychologique donnant lieu à un droit d’action?

c) Du fait de sa gestion de la GRC ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne des membres du groupe, droit garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

d) Si la réponse à la question commune c) est « oui », les actes du défendeur ont‑ils violé les droits du groupe d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la justice fondamentale au titre l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

e) Les actes du défendeur ont‑ils violé le droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, la religion ou l’origine ethnique, droit garanti par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

f) Si la réponse aux questions communes c) et d) ou à la question commune ou e) est « oui », les actions du défendeur sont‑elles justifiées aux termes de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?

g) Si la réponse aux questions communes c) et d) ou à la question commune e) est « oui », mais que la réponse à la question commune f) est « non », les dommages‑intérêts constituent‑ils une réparation convenable et juste au titre de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à ces violations?

h) Si la réponse à l’une des questions communes a), b) ou g) est « oui », la Cour peut‑elle procéder à une évaluation globale du préjudice par certains membres du groupe ou par la totalité de ceux‑ci dans le cadre de l’instruction des questions communes, et, le cas échéant, à hauteur de quel montant?

i) La conduite du défendeur justifie‑t‑elle l’octroi de dommages punitifs ou majorés?

j) Si la réponse à la question commune ci‑dessus est « oui », quel montant devrait être adjugé à titre de dommages‑intérêts punitifs à l’encontre du défendeur?


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑2158‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en autorisation est accueillie sous réserve que la condition numéro 3 soit remplie.
  2. La définition du groupe est la suivante :

Tous les Autochtones qui allèguent avoir été agressés à un moment ou à un autre alors qu’ils étaient sous la garde ou la détention d’agents de la GRC dans les territoires, et qui étaient en vie en date du 18 décembre 2016.

  1. Le demandeur doit déposer une requête au titre de l’article 369 des Règles dans les 30 jours suivant la date de cette ordonnance pour demander que Joe David Nasogaluak soit désigné comme représentant demandeur. Si aucune requête n’est reçue ou si la requête n’est pas accueillie, l’affaire sera renvoyée à la Cour, étant donné que la condition n’est pas remplie;
  2. La nature des réclamations présentées pour le compte du groupe est la suivante :

Les réclamations sont fondées sur la négligence systémique, sur le manquement à l’obligation fiduciaire et sur les violations des articles 7 et 15 de la Charte.

  1. Les réclamations visent l’obtention des réparations suivantes : des jugements déclaratoires, des dommages‑intérêts généraux, spéciaux et exemplaires, y compris des dommages‑intérêts fondés sur la Charte; y sont aussi réclamés les intérêts avant et après jugement ainsi que les frais liés à la communication des avis et à l’administration;
  2. Les questions suivantes sont autorisées à titre de points de droit communs :
  • a) Du fait de sa gestion de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation de diligence envers les membres du groupe de les protéger contre un préjudice physique ou psychologique donnant lieu à un droit d’action?

  • b) Du fait de sa gestion de la GRC ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation fiduciaire envers les membres du groupe de les protéger contre un préjudice physique et psychologique donnant lieu à un droit d’action?

  • c) Du fait de sa gestion de la GRC ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a‑t‑il violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne des membres du groupe, droit garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

  • d) Si la réponse à la question commune c) est « oui », les actes du défendeur ont‑ils violé les droits du groupe d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la justice fondamentale au titre l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

  • e) Les actes du défendeur ont‑ils violé le droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, la religion ou l’origine ethnique, droit garanti par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

  • f) Si la réponse aux questions communes c) et d) ou à la question commune ou e) est « oui », les actions du défendeur sont‑elles justifiées aux termes de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?

  • g) Si la réponse aux questions communes c) et d) ou à la question commune e) est « oui », mais que la réponse à la question commune f) est « non », les dommages‑intérêts constituent‑ils une réparation convenable et juste au titre de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à ces violations?

  • h) Si la réponse à l’une des questions communes a), b) ou g) est « oui », la Cour peut‑elle procéder à une évaluation globale du préjudice par certains membres du groupe ou par la totalité de ceux‑ci dans le cadre de l’instruction des questions communes, et, le cas échéant, à hauteur de quel montant?

  • i) La conduite du défendeur justifie‑t‑elle l’octroi de dommages punitifs ou majorés?

  • j) Si la réponse à la question commune ci‑dessus est « oui », quel montant devrait être adjugé à titre de dommages‑intérêts punitifs à l’encontre du défendeur?

  1. Le plan de litige est approuvé;
  2. Les instructions quant à la façon dont les membres du groupe peuvent s’exclure du recours collectif et la date limite pour le faire seront données ultérieurement, dans le cadre du processus de gestion de l’instance.
  3. Aucuns dépens ne seront adjugés relativement à la présente ordonnance.

« Glennys L. McVeigh »

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


Annexe « A » – Dispositions pertinentes

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

Autorisation

334.16 (1) Conditions– Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

Certification

334.16 (1) Conditions– Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

Facteurs pris en compte

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

Matters to be considered

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

 


Annexe « B » – Preuve

Preuve du demandeur

Affidavit de Catherine MacDonald, 17 octobre 2019

Affidavit de Jasmine Randhawa, 24 juin 2020

Affidavit de Diane Nasogaluak, 11 octobre 2019

Affidavit de Michael Payne, 11 octobre 2019

Affidavit de Darlene Bugghins, 10 octobre 2019

Affidavit de Marvin Showshoe, 15 octobre 2019

Affidavit de Anthony Gargan, 15 octobre 2019

Affidavit de Willie Aglukkaq, 16 octobre 2019

Affidavit du Dr Scot Wortley, 18 octobre 2019

Preuve du défendeur

Affidavit de Joshua Savill, 10 février 2020

Affidavit de Sheri Tait, 17 février 2020

Affidavit de Sarah Shields, 18 février 2020



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.