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Date : 20020322

Dossier : IMM-2297-01

Référence neutre : 2002 CFPI 313

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 MARS 2002

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                                     JAGDIP SINGH

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du 26 avril 2001 de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI). La SAI a accueilli l'appel qu'a interjeté le défendeur contre le rejet de la demande parrainée de sa conjointe, Sukhwinder Kaur.

[2]                 Le défendeur, Jagdip Singh, est né le 10 janvier 1954. Il est devenu résident permanent du Canada le 24 décembre 1990 et est maintenant citoyen canadien.

[3]                 Le défendeur et Mme Kaur ont célébré un mariage arrangé le 25 décembre 1998 en Inde. Il s'agissait du premier mariage de Mme Kaur et du troisième mariage du défendeur. Le défendeur a un enfant de son premier mariage qui a été adopté par sa soeur au Canada.

[4]                 Le 14 mai 1999, le défendeur a présenté un engagement de parrainer Mme Kaur pour qu'elle s'établisse au Canada. Mme Kaur a déposé une demande de résidence permanente le 27 juillet 1999 et elle a été interrogée par l'agent des visas David Macdonald le 2 novembre 1999.

[5]                 M. Macdonald a refusé la demande de Mme Kaur au motif qu'elle avait épousé son répondant essentiellement dans le but d'être admise au Canada comme parent, et non pas en vue de résider de façon permanente avec son conjoint. Il a fondé sa décision sur les facteurs suivants :

           -           Il n'était pas conforme à la pratique normale en Inde qu'un mariage soit arrangé entre deux personnes d'âges incompatibles. L'âge est un facteur considéré primordial dans l'arrangement des mariages. Une différence d'âge de quatre à sept ans de plus pour l'homme est la norme acceptable.

           -           Il était très inhabituel que Mme Kaur ignore les raisons de l'échec du deuxième mariage du défendeur. Les Sikhs considèrent le mariage comme un sacrement et le divorce est désapprouvé, et même condamné, par la société. Les parents sont généralement réticents à marier leur jeune fille célibataire à un homme divorcé. Lorsqu'une telle union est envisagée, la famille de l'autre conjoint fait enquête sur les circonstances ayant entouré le divorce afin de s'assurer de l'absence de tout facteur susceptible de mettre en péril l'harmonie dans le couple. Le conjoint envisagé connaît l'ensemble de ces circonstances avant de consentir au mariage.

           -           Mme Kaur ignorait qu'il s'agissait de troisième mariage du défendeur et que celui-ci avait eu un enfant de son premier mariage même si elle avait les documents relatifs au divorce du défendeur qui contenaient ces renseignements.


[6]                 Pour ces motifs, Mme Kaur a été jugée être une personne décrite au paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement), et, par conséquent, être membre de la catégorie des personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. (La Loi). Le défendeur a interjeté appel contre cette décision auprès de la SAI.

[7]                 La SAI a jugé que le témoignage du défendeur et celui de Mme Kaur étaient crédibles, dignes de foi et cohérents, et qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve indiquant l'existence de contacts entre le défendeur et Mme Kaur. Elle était également convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il pouvait y avoir eu à l'entrevue des problèmes relatifs à l'interprétation des réponses fournies par Mme Kaur quant aux mariages antérieurs du défendeur. Enfin, la SAI a estimé que Mme Kaur et le défendeur avaient donné des explications suffisantes pour dissiper les doutes de l'agent des visas et du ministre, et elle a conclu que la preuve indiquait l'existence d'une véritable relation conjugale malgré la différence d'âge et d'état matrimonial. La SAI a donc conclu que Mme Kaur ne s'était pas mariée principalement en vue d'être admise au Canada comme parent et qu'elle avait l'intention de résider de façon permanente avec le défendeur.

[8]                 Le demandeur soutient que cette conclusion est abusive et que la SAI l'a tirée sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. Je suis d'accord pour les raisons suivantes :


[9]                 Premièrement, il n'y avait aucun élément de preuve permettant de dissiper le doute relatif au fait que Mme Kaur ignorait à l'entrevue l'existence du premier mariage et de l'enfant du défendeur. Lorsqu'elle a été interrogée par l'agent des visas, Mme Kaur a dit qu'il s'agissait du deuxième mariage du défendeur alors qu'en réalité, il s'agissait de son troisième. Elle ignorait également que le défendeur avait un enfant. Au cours de son témoignage devant la SAI, Mme Kaur a expliqué que l'interprétation avait posé problème lors de son entrevue avec l'agent des visas.

[10]            La SAI était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il pouvait y avoir eu à l'entrevue des problèmes relatifs à l'interprétation des réponses fournies par Mme Kaur quant aux mariages antérieurs du défendeur. La preuve n'appuyait pas cette conclusion. En effet, l'agent des visas affirme dans sa déclaration que Mme Kaur a été interrogée en panjabi, sa langue maternelle, et que les services d'un interprète qualifié parlant couramment le panjabi ont été utilisés. En outre, Mme Kaur n'a jamais indiqué pendant l'entrevue qu'elle ne comprenait pas l'interprète ou que les questions qui lui étaient posées semaient de la confusion chez elle. Il m'apparaît clairement que la SAI a tiré sa conclusion sans tenir compte des éléments dont elle disposait.


[11]            Deuxièmement, la SAI a conclu que le témoignage de Mme Kaur et celui du défendeur étaient compatibles quant aux circonstances ayant entouré le mariage. Le demandeur soutient que le témoignage du défendeur sur la manière dont lui et Mme Kaur se sont rencontrés était incompatible avec la déclaration que cette dernière a faite lors de son entrevue d'immigration. Je suis d'accord.

[12]            Le défendeur a déclaré qu'il avait rencontré Mme Kaur lorsque celle-ci avait accompagné Amarjit à une rencontre avec lui. Il a affirmé qu'Amarjit était l'épouse envisagée mais qu'il avait décidé d'épouser Mme Kaur après la rencontre. Suivant sa version, il s'est rendu le lendemain chez les parents de Mme Kaur pour la demander en mariage. Pour sa part, Mme Kaur a raconté à l'agent des visas qu'Amarjit était « l'intermédiaire » qui avait présenté le défendeur à sa mère et à ses frères, avant que toute sa famille ne le rencontre. À l'audience de la SAI, elle a été incapable d'indiquer le moment où le défendeur l'avait demandée en mariage, étant seulement en mesure de dire que cela s'était produit dans un délai de dix jours. Mme Kaur a également témoigné qu'Amarjit venait du même village qu'elle, tandis qu'elle a déclaré à l'entrevue qu'Amarjit venait du village du défendeur.

[13]            Encore une fois, la conclusion de la SAI selon laquelle le témoignage de Mme Kaur et celui du défendeur étaient compatibles n'était pas fondée sur la preuve dont elle disposait.


[14]            Bien que je reconnaisse qu'il n'appartient pas à la Cour de substituer par sa décision la décision de la SAI, j'estime que la SAI a tiré en l'espèce des conclusions de fait sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Les décisions fondées sur des conclusions de fait erronées justifient l'intervention de la Cour.

[15]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

                                                                                                                        « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                   IMM-2297-01

INTITULÉ :                                             MCI c. JAGDIP SINGH

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 20 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

EN DATE DU :                                       22 mars 2002

ONT COMPARU

M. Brad Hardstaff                                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Aucune comparution                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg                                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

M. Jagdip Singh                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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