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Date : 20210615


Dossier : IMM‑7628‑19

Référence : 2021 CF 607

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2021

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

MELODIE ANN NEDRA LAWRENCE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 20 juin 2019, la demanderesse a soumis à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) une demande de permis de travail et de rétablissement de son statut de résidente temporaire en vertu de l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

[2] Dans une décision datée du 3 décembre 2019 (la décision), un agent d’IRCC a rejeté la demande après avoir conclu que la demanderesse ne remplissait pas les exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et du Règlement. Il a fait remarquer qu’elle n’était pas admissible à un rétablissement au titre de l’article 182 du Règlement, attendu que son statut temporaire au Canada avait expiré le 22 novembre 2018 et que sa demande avait été présentée le 20 juin 2019, soit au‑delà du délai de 90 jours prévu à cet article.

[3] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision. D’après elle, l’agent a eu tort de conclure qu’elle avait dépassé le délai imparti pour demander le rétablissement de son statut.

[4] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que l’agent d’IRCC ait commis la moindre erreur. La décision, quoique succincte, est transparente, intelligible et bien étayée par le droit et les faits pertinents. Par conséquent, la demande est rejetée.

II. Contexte

[5] La demanderesse est citoyenne de Trinité‑et‑Tobago.

[6] En septembre 2013, elle est entrée au Canada grâce à un visa d’études et a entamé ses études à la faculté des arts de l’Université de la Colombie-Britannique. Le permis d’études, qui a été renouvelé en 2015 puis de nouveau en 2017, précisait que la demanderesse devait activement poursuivre des études dans un établissement d’enseignement désigné.

[7] Le 3 juillet 2018, elle a terminé ses études.

[8] Le 13 septembre suivant, elle a présenté une demande de permis de travail postdiplôme (PTPD). Le dossier certifié du tribunal ou les renseignements présentés à la Cour contiennent très peu d’information sur le contenu de la demande, si ce n’est que le passeport de la demanderesse a par erreur été omis de celle-ci.

[9] Selon les conditions de son permis d’études de 2017, la demanderesse devait quitter le Canada au plus tard le 1er octobre 2018.

[10] Le 22 novembre 2018, un agent (l’agent PTPD) a refusé la demande de PTPD, la demanderesse n’ayant pas produit de preuve établissant qu’elle était en possession d’un passeport valide pour la durée de son séjour au Canada.

[11] D’après l’avocat de la demanderesse, deux options s’offraient alors à lui : présenter une demande de rétablissement du statut de résidente temporaire de la demanderesse en vertu de l’article 182 du Règlement, ou solliciter le contrôle judiciaire de la décision défavorable de l’agent PTPD. La demanderesse a décidé d’introduire une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 6 décembre 2018, mais elle n’a entrepris aucune démarche en vue du rétablissement de son statut.

[12] Le 23 mai 2019, le juge Sébastien Grammond a rejeté la demande d’autorisation déposée le 6 décembre 2018.

[13] La demanderesse a ensuite présenté une demande de permis de travail et de rétablissement de son statut le 20 juin 2019. Dans une lettre produite à cette occasion, son avocat a déclaré, au sujet de la présentation tardive de la demande, que [traduction] « le délai de 90 jours » applicable aux demandes de rétablissement au titre de l’article 182 du Règlement [traduction] «  a été suspendu » une fois déposée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Ainsi, du point de vue de la demanderesse, [traduction] « le délai de 90 jours aux fins du rétablissement a[vait] recommencé à courir » une fois le certificat d’ordonnance rejetant la demande d’autorisation reçu par l’avocat le 27 mai 2019.

A. La décision de l’agent d’IRCC

[14] L’agent d’IRCC indique dans sa décision que les étrangers qui souhaitent prolonger leur séjour au Canada sont tenus, selon la législation sur l’immigration, de soumettre une demande de prorogation de leur statut de résident temporaire.

[15] D’après les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) rédigées le même jour que la décision, la demanderesse était autorisée à rester au Canada jusqu’au 22 novembre 2018 (date à laquelle sa demande de PTPD a été refusée), mais elle y est demeurée après cette date sans autorisation. Les notes indiquent par ailleurs qu’elle a perdu son statut temporaire par application de l’alinéa 47a) de la LIPR et que la période d’admissibilité au rétablissement s’est achevée le 20 février 2019.

[16] L’agent d’IRCC a conclu que, lorsqu’elle avait soumis sa demande le 20 juin 2019, la demanderesse n’était plus admissible au rétablissement de son statut, attendu que le délai de 90 jours prévu à l’article 182 du Règlement avait expiré.

[17] La demanderesse a été informée que son statut avait expiré et qu’elle devait quitter le Canada. Le 31 décembre 2019, elle est retournée à Trinité‑et‑Tobago.

III. Question à trancher

[18] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : celle de savoir si l’agent d’IRCC a rendu une décision déraisonnable.

IV. Norme de contrôle

[19] La norme de contrôle applicable ne fait pas débat en l’espèce. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle présumée s’appliquer était celle du caractère raisonnable, et que la cour de révision ne devait déroger à cette présomption que « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige[ait] ». Il n’y a aucune indication de ce type en l’espèce.

[20] La Cour qui effectue un contrôle selon la norme du caractère raisonnable doit se demander si la décision présente les attributs de la raisonnabilité (c.‑à‑d., la justification, la transparence et l’intelligibilité) et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur elle (Vavilov, au para 99).

V. Analyse

[21] La demanderesse fait valoir que l’agent d’IRCC a eu tort de conclure qu’au moment où elle avait présenté la demande de rétablissement de son statut en vertu de l’article 182 du Règlement, le 20 juin 2019, le délai de présentation de cette demande avait expiré.

[22] Je ne suis pas d’accord pour les raisons suivantes.

[23] Premièrement, le paragraphe 222(1) du Règlement prévoit qu’un permis d’étude devient invalide au premier en date des événements suivants : 1) les études sont terminées; 2) une mesure de renvoi contre le titulaire devient exécutoire; ou 3) le permis expire. La demanderesse ne conteste pas que son permis d’études a expiré le 1er octobre 2018.

[24] Deuxièmement, malgré la date d’expiration de son permis d’études, la demanderesse jouissait d’un statut implicite jusqu’au 22 novembre 2018, date à laquelle l’agent PTPD a rendu la décision refusant sa demande. La prolongation de la période de son séjour autorisé au Canada avait ainsi été accordée automatiquement en vertu de l’alinéa 183(5)a) du Règlement.

(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), si le résident temporaire demande la prolongation de sa période de séjour et qu’il n’est pas statué sur la demande avant l’expiration de la période, celle‑ci est prolongée :

a) jusqu’au moment de la décision, dans le cas où il est décidé de ne pas la prolonger;

b) jusqu’à l’expiration de la période de prolongation accordée.

(5) Subject to subsection (5.1), if a temporary resident has applied for an extension of the period authorized for their stay and a decision is not made on the application by the end of the period authorized for their stay, the period is extended until

(a) the day on which a decision is made, if the application is refused; or

(b) the end of the new period authorized for their stay, if the application is allowed.

[25] La demanderesse a perdu son statut de résidente temporaire le jour où l’agent PTPD a décidé de refuser sa demande de PTPD, par application de l’alinéa 47a) de la LIPR :

47. Emportent perte du statut de résident temporaire les faits suivants :

a) l’expiration de la période de séjour autorisé;

[…]

47. A foreign national loses temporary resident status

(a) at the end of the period for which they are authorized to remain in Canada;

[…]

[26] Ce fait n’est pas contesté par la demanderesse.

[27] Troisièmement, l’étranger peut, dans les 90 jours suivant la perte de son statut de résident temporaire, demander le rétablissement de ce statut en vertu de l’article 182 du Règlement :

182. Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l’étudiant dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l’alinéa 185c), l’agent rétablit ce statut si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

(2) Malgré le paragraphe (1), l’agent ne rétablit pas le statut d’un étudiant qui ne se conforme pas à l’une ou l’autre des conditions prévues au paragraphe 220.1(1).

182. (1) On application made by a visitor, worker or student within 90 days after losing temporary resident status as a result of failing to comply with a condition imposed under paragraph 185(a), any of subparagraphs 185(b)(i) to (iii) or paragraph 185(c), an officer shall restore that status if, following an examination, it is established that the visitor, worker or student meets the initial requirements for their stay, has not failed to comply with any other conditions imposed and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

(2) Despite subsection (1), an officer shall not restore the status of a student who is not in compliance with a condition set out in subsection 220.1(1).

[28] La demanderesse admet qu’elle devait demander le rétablissement de son statut dans les 90 jours suivant sa perte. Cependant, elle affirme que ce statut a été suspendu ou mis en attente le temps qu’elle poursuive sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent PTPD.

[29] Toujours d’après elle, il lui restait 76 jours pour demander le rétablissement de son statut au moment où elle a saisi notre Cour de sa demande d’autorisation. Elle soutient qu’une fois la demande d’autorisation rejetée, le délai prévu à l’article 182 du Règlement a recommencé à courir. Suivant cette logique, sa demande de rétablissement du 20 juin 2019 respectait largement le délai prévu.

[30] La demanderesse ne cite ni précédent, ni règle ou disposition législative appuyant l’idée qu’un statut de résident temporaire puisse être en quelque sorte ravivé et qu’il demeure valide lorsqu’une procédure est engagée devant notre Cour dans des circonstances comme celles de la présente affaire.

[31] Interrogé à l’audience, l’avocat de la demanderesse a reconnu qu’il n’existait aucun fondement juridique étayant la position de sa cliente selon laquelle l’introduction d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire entraînerait automatiquement la suspension de la période d’admissibilité au rétablissement.

[32] Les dispositions du Règlement sont claires. Elles précisent les circonstances qui entraîneront l’expiration d’un permis d’études et les conditions de sa prorogation. Ainsi, l’alinéa 183(5)a) du Règlement prolonge automatiquement la période de séjour autorisé du résident temporaire qui présente une demande de prolongation s’il n’est pas statué sur cette demande avant que période n’expire. Cependant, l’article 182 prévoit clairement que la demande doit être faite dans les 90 jours suivant la perte du statut de résident temporaire. Cette disposition ne tolère aucune exception.

[33] La perte de statut de la demanderesse ne résulte d’aucune décision ou action d’IRCC, mais directement de l’effet des dispositions de la LIPR et de son règlement d’application. En conséquence, en attendant qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle visant le refus du PTPD, la demanderesse devait soit présenter une demande de renouvellement de son statut de résidente temporaire, soit quitter le Canada.

[34] Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu que l’agent d’IRCC n’a pas commis d’erreur et qu’il a en fait conclu à juste titre que la demanderesse n’était pas admissible au rétablissement de son statut en vertu de l’article 182 du Règlement. Le 20 juin 2019, la demande de rétablissement de la demanderesse avait clairement et manifestement été soumise en dehors du délai de 90 jours.

[35] Même si la demanderesse n’a avancé aucun argument sur ce point, il est important de souligner que l’agent d’IRCC ne jouissait d’aucun pouvoir discrétionnaire de lever les exigences d’admissibilité applicables en l’espèce, tout comme le faisait également remarquer la juge Anne Mactavish dans la décision Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019, au paragraphe 12 :

[12] Le document relatif au programme en cause en l’espèce établit les critères qu’un candidat doit satisfaire pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme. Même si ce document contient également de l’information et des directives sur la manière d’administrer le programme, rien dans ce document ne confère aux agents de l’immigration le pouvoir de modifier les critères d’admissibilité du programme. En conséquence, l’agent de l’immigration n’a nullement entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a déterminé que M. Nookala devait détenir un permis d’études valide pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme.

[Non souligné dans l’original.]

[36] Enfin, je conviens avec le défendeur qu’il est malheureux que, lorsqu’elle a contesté le refus de son permis de travail devant notre Cour, la demanderesse ait omis de demander une prolongation de son permis d’étude. Cependant, les décisions de notre Cour ne doivent pas reposer sur la compassion, mais sur la raison et le bon sens.

[37] On ne sait trop pourquoi l’agent PTPD n’a pas contacté la demanderesse lorsqu’il examinait sa demande afin de lui faire remarquer que son passeport était manquant. En présumant qu’il s’agissait du seul document absent, on aurait pu s’attendre à ce que cet agent lui offre la possibilité de soumettre le document oublié. La Cour ose espérer qu’IRCC sera disposé à examiner une nouvelle demande de la demanderesse et que l’erreur de l’avocat ne se répercutera pas sur sa cliente.

VI. Conclusion

[38] Pour les motifs qui précèdent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent d’IRCC selon laquelle la demanderesse n’a pas respecté le délai prévu pour présenter une demande de rétablissement de son statut de résidente temporaire au titre de l’article 182 du Règlement. Le processus décisionnel suivi par l’agent d’IRCC était transparent et intelligible, et sa décision appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[39] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7628‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger R. Lafreniѐre »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7628‑19

 

INTITULÉ :

MELODIE ANN NEDRA LAWRENCE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 15 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Émile Jean Barakat

 

POUR La demanderesse

 

Sonia Bédard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Émile Jean Barakat

Montréal (Québec)

 

POUR La demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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