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Date : 20210608


Dossier : IMM‑5955‑20

Référence : 2021 CF 574

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 8 juin 2021

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

MUHAMMAD JAVED

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience qui s’est tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique) le 7 juin 2021. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées, et des renvois à la jurisprudence incorporés)

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [la LIPR], de la décision du 31 octobre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a fait droit à l’appel interjeté contre la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SPR avait conclu que Muhammad Javed était un réfugié au sens de la Convention en application de l’article 96 de la LIPR. La SAR a renvoyé l’affaire à la SPR pour réexamen au titre du paragraphe 111(1).

[2] Bien qu’une certaine disparité ait été relevée quant à la date de naissance exacte du demandeur, qu’il s’agisse du 2 avril ou du 4 février, il n’est pas contesté qu’il est né en 1965. Il affirme être né dans la province de Khost, en Afghanistan. Il est marié; lui et son épouse ont neuf enfants. L’épouse et les enfants vivent en Afghanistan.

[3] M. Javed affirme que lorsqu’il était adolescent, lui et sa famille se sont enfuis au Pakistan à cause de la guerre civile afghane en 1978 et de l’invasion soviétique en 1979. Sa famille vivait à Peshawar, au Pakistan, comme plus de 600 000 autres Afghans qui étaient des personnes déplacées. Même s’ils étaient autorisés à vivre dans ce pays, ils ne pouvaient pas obtenir la citoyenneté pakistanaise.

[4] M. Javed soutient qu’il a réussi à obtenir frauduleusement un passeport pakistanais authentique à son nom en déclarant qu’il était le fils d’un citoyen pakistanais. Il n’est pas contesté qu’il s’est servi de ce passeport pakistanais pour se rendre dans plusieurs pays.

[5] M. Javed est entré au Canada en provenance des États‑Unis le 31 janvier 2019. Il a été arrêté le jour même par la Gendarmerie royale du Canada et transporté au point d’entrée de Pacific Highway, où il a été relâché et orienté vers le bureau de l’Agence des services frontaliers du Canada à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Le ou vers le 21 mars 2019, M. Javed a rempli un formulaire Fondement de la demande d’asile et déposé une demande d’asile sans l’assistance d’un avocat.

[6] Le 17 avril 2019, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est intervenu dans sa demande d’asile qui a été instruite pendant deux jours, les 8 et 31 juillet 2019.

[7] Dans une décision datée du 19 septembre 2019, la SPR a fait droit à la demande d’asile de M. Javed. Le ministre a interjeté appel de la décision devant la SAR, en faisant notamment valoir que la SPR avait eu tort de conclure que M. Javed n’était pas un citoyen du Pakistan.

[8] Dans sa décision, la SAR a noté à juste titre, suivant la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157, qu’elle était appelée à appliquer la norme de la décision correcte aux questions de fait, aux questions de fait et de droit et aux questions de droit. Elle a aussi correctement conclu qu’elle pouvait s’en remettre à la SPR pour évaluer les conclusions en matière de crédibilité si elle estimait que cette dernière avait un avantage certain dans les circonstances. Dans la présente affaire, la SAR a conclu catégoriquement : [traduction] « J’estime que la SPR n’avait aucun avantage certain ».

[9] Le paragraphe 111(1) de la LIPR, qui confère à la SAR le pouvoir de renvoyer des demandes à la SPR pour qu’elle les réexamine, est nuancé par le paragraphe 111(2) de la LIPR qui prévoit :

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) the Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that :

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

[10] J’estime que ce test est conjonctif. Ayant conclu que la SPR n’avait aucun avantage certain à l’égard des conclusions en matière de crédibilité, la SAR ne pouvait pas, selon moi, lui renvoyer l’affaire pour réexamen au titre de l’alinéa 111(2)b).

[11] Même si mon interprétation est erronée, je suis convaincu que la décision de la SAR dans les circonstances ne remplit pas le critère de la raisonnabilité, tel qu’il est décrit dans les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (para 99).

[12] Dans les circonstances de la présente affaire, la SAR a fait remarquer en termes généraux des disparités que le demandeur devait, selon elle, avoir la possibilité de clarifier devant un autre commissaire de la SPR.

[13] La mention générale par la SAR des disparités que le commissaire de la SPR avait omis d’examiner concerne par exemple son statut au Pakistan, les circonstances dans lesquelles il avait obtenu son passeport pakistanais et l’origine des menaces en Afghanistan. Cela dit, ces prétendues disparités ne présentent aucune particularité, sauf une ; à savoir que le demandeur avait affirmé qu’il avait été menacé chez lui au Pakistan et qu’il a ensuite déclaré durant son témoignage que ces menaces avaient été proférées par des individus en moto venus dans une mosquée locale à Peshawar, au Pakistan.

[14] À mon avis, la référence générale aux disparités et celle portant spécifiquement sur l’origine des menaces n’attestent pas, dans les circonstances, d’un processus décisionnel raisonnable. J’estime, compte tenu des conclusions factuelles de la SPR et du refus manifeste de la SAR de tirer des conclusions différentes, bien qu’elle ait déclaré qu’elle était aussi bien placée que la SPR pour le faire, que la décision de la SAR n’est ni justifiée, ni transparente ni intelligible.

[15] Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire à une formation différente de la Section d’appel des réfugiés pour réexamen.

[16] J’ai demandé aux parties si elles souhaitaient proposer une question aux fins de certification; aucune d’elles ne souhaite le faire. Dans les circonstances, aucune question n’est certifiée pour être soumise à la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5955‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour réexamen par une formation différemment constituée.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑5955‑20

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD JAVED c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2021

Jugement et motifs :

Le juge BELL

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2021

COMPARUTIONS :

Aidan Campbell

pour le demandeur

Edward Burnet

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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