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Date : 20010525

Dossier : IMM-334-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 MAI 2001

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE W. P. McKEOWN

ENTRE :

A.B.Z.

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                              ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                   « W. P. MCKEOWN »

                                                                                                                                                  JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010525

Dossier : IMM-334-00

Référence neutre : 2001 CFPI 533

ENTRE :

A.B.Z.

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]    Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision du 14 janvier 2000 de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté sa requête en réouverture de son appel contre une mesure d'expulsion. Cet appel avait été rejeté par la SAI le 30 juillet 1997, environ deux ans et demi avant la décision rejetant la requête en réouverture. La Cour fédérale a confirmé dans un contrôle judiciaire la décision de la SAI de rejeter l'appel, voir A.B.Z. c. M.C.I., [1998] 152 F.T.R. 294. Une mesure d'expulsion du Canada avait été prononcée contre le demandeur le 22 novembre 1994 à la suite de certaines condamnations criminelles.


[2]    En septembre 1999, le demandeur a présenté une requête à la SAI pour qu'elle rouvre son dossier. Les motifs de sa requête étaient les suivants :

          -           le demandeur n'a fait l'objet d'aucune accusation ou condamnation depuis plus de cinq ans;

          -           il a reçu des menaces de mort et craint des lésions corporelles s'il est renvoyé vers son pays d'origine;

          -           il s'est réadapté;

          -           il a des proches parents au Canada;

          -           son renvoi causerait des difficultés à sa famille; et

          -           il est dans l'intérêt de ses enfants qu'il reste au Canada.

Comme on l'a dit précédemment, la SAI a rejeté cette requête le 14 janvier 2000.

[3]    Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

          1)         Quelle est la norme de contrôle d'une décision discrétionnaire de la SAI?

          2)         Le caractère raisonnable ou non des conclusions touchant la crédibilité;

          3)         Le moment du dépôt de la requête en réouverture de l'appel;

          4)         La prise en compte de l'absence de condamnations criminelles du demandeur depuis 1994; et

          5)         L'application à la présente espèce de l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817.


[4]                 La SAI exerce une compétence continue en equity sur une affaire dont elle est saisie. Comme le mentionne l'arrêt Grillas c. Canada (M.M.I.), [1972] R.C.S. 577, p. 590, l'intention du législateur lorsqu'il a édicté la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, était :

... d'habiliter la Commission, en certaines circonstances, à améliorer le sort d'un appelant contre lequel il existe un ordre d'expulsion valide. ...

À mon avis, la SAI avait compétence pour rouvrir l'appel de l'appelant afin de lui permettre de produire des preuves additionnelles. Dans l'affaire Sandhu c. Canada (M.E.I.), [1987] 1 Imm. L.R. (2d) 159 (C.A.F.), la Cour d'appel a jugé que la partie qui veut produire de nouvelles preuves doit convaincre la Cour qu'elle n'aurait pas pu obtenir ces preuves malgré une diligence raisonnable avant l'audition initiale de l'appel. Dans l'affaire Castro c. Canada (M.E.I.), [1988] 5 Imm. L.R. (2d) 87 (C.A.F.), le juge Reed a énoncé le critère comme il suit :

Pour obtenir une réouverture, j'estime qu'il est suffisant que la preuve offerte établisse l'existence d'une possibilité raisonnable, et non d'une probabilité, qui justifierait la Commission de modifier sa décision initiale.

Par ailleurs, il est cependant possible que dans certains cas la Commission décide que la demande de réouverture n'est pas présentée de bonne foi, qu'elle ne constitue qu'une tactique dilatoire. Dans de tels cas, la Commission peut à juste titre rejeter une demande de réouverture parce qu'elle n'est pas présentée de bonne foi.

[5]                 Après examen de la loi ci-dessus, la SAI s'est exprimée ainsi, à la page 5 :

La question consiste à déterminer s'il convient que la Section d'appel exerce sa discrétion en faveur du requérant et accorde la réouverture au motif qu'il existe une possibilité raisonnable que la nouvelle preuve fournie par le requérant puisse conduire la Section d'appel à modifier sa décision initiale.


En exerçant sa discrétion, la Section d'appel examine la nouvelle preuve. Elle n'effectue pas un nouvel examen ni n'examine en appel la décision initiale du tribunal. Par nouvelle preuve, on entend une preuve qui n'était pas disponible lors de l'audience initiale ou qui était disponible mais que l'on ne pouvait obtenir même en faisant preuve de diligence raisonnable.

Il faut souligner que les décisions de cette nature sont discrétionnaires et que la Section d'appel a une vaste discrétion à cet égard.

et à la page 6 :

Même si le seuil probant pour accorder une requête en réouverture est faible (une possibilité raisonnable, par opposition à une probabilité), il n'est pas le seul critère déterminant dans l'exercice de la discrétion de la Section d'appel. Manifestement, la déclaration de la Cour d'appel fédérale susmentionnée et d'autres cas de jurisprudence de la Cour d'appel fédérale indiquent clairement que la Section d'appel peut examiner les circonstances qui entourent le dépôt de la requête et peut évaluer le bien-fondé de celle-ci en tenant compte de considérations comme la bonne foi de la partie en question et l'importance de mettre fin au litige.

Puis la SAI s'est exprimée ainsi, à la page 6 :

Manifestement, cette démarche envisage un équilibre entre, d'une part, l'octroi d'une compétence continue, et d'autre part, l'importance de mettre fin au litige. Ce n'est qu'en exerçant de la discrétion que l'on peut atteindre le bon équilibre.

Puis elle a examiné ces circonstances, à la page 7 :

...

Le fait de considérer la norme de preuve de manière isolée a pour effet, lors de la réouverture, de fixer une norme inférieure (une possibilité raisonnable) à celle qui sert à décider véritablement en fonction du bien-fondé (prépondérance des probabilités). Si la norme de la preuve est considérée isolément, alors l'importance de mettre fin au litige peut être sérieusement amoindrie. C'est la raison pour laquelle toute nouvelle preuve présentée doit être envisagée en fonction des autres circonstances qui entourent le cas, comme le moment où la requête en réouverture est présentée ainsi que la sincérité et la bonne foi de la partie en question.

[6]                 Elle a ensuite conclu ainsi, à la page 20 de ses motifs :


En examinant la preuve présentée pour cette requête dans sa totalité, je conclus que le fait de permettre la réouverture de l'appel aurait comme conséquence de réduire l'importance de mettre fin au litige. Il en est ainsi parce que la présentation de la requête peut, en toute justice, être dépeinte comme une tentative de retarder le renvoi. Le moment où la requête a été déposée est suspect et le requérant n'est pas franc dans son compte rendu des événements entourant son témoignage au procès criminel. Les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ne constituent pas une nouvelle preuve. Il n'existe pas de possibilité raisonnable qu'un tribunal de la Section d'appel en arrive à une conclusion différente de celle du premier tribunal. Par conséquent, la requête est rejetée.

[7]                 S'agissant des conclusions de fait de la SAI, la norme de contrôle est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Voir l'affaire Jessani c. Canada (M.C.I.), [2001] C.A.F. 127. La norme de contrôle qui s'applique à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de la SAI est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voir l'affaire Baker c. Canada (M.C.I.), précitée.

[8]                 Selon le demandeur, les conclusions de fait n'étaient pas raisonnables. Cependant, comme il est indiqué ci-dessus, des conclusions de fait doivent être manifestement déraisonnables avant qu'une erreur ne devienne une erreur sujette à révision. L'avocat du demandeur exprime l'avis que son client n'a jamais déclaré avoir conclu une entente avec la police ou les autorités. Le demandeur signale les paragraphes 18 et 23 de son affidavit, rédigés ainsi :

      [TRADUCTION]

18. L'officier m'a dit d'entrée de jeu que, s'il pouvait m'aider relativement à l'accusation de vol portée contre moi, il ne pouvait m'aider dans mon dossier d'immigration.

...

23. Durant toute la période que j'ai passée dans le Programme de protection des témoins, j'ai reçu des policiers que je connaissais l'assurance que je ne devrais pas m'inquiéter de mes problèmes d'immigration. Je savais que cela ne constituait pas une garantie et qu'il me faudrait quand même présenter des demandes, mais je ne me suis jamais avisé que les autorités décideraient aussi rapidement de me faire expulser. ...


[9]                 La SAI a examiné minutieusement les arguments aux pages 8 et 9 de ses motifs. Elle a jugé que la version des événements figurant dans le dossier du défendeur était plus fiable que l'affidavit sous serment du demandeur. La décision de la SAI indique aussi que, lors de la requête initiale présentée à la SAI, le demandeur s'est fondé sur son témoignage proposé, mais il n'a pas fait remarquer que son témoignage devait être écarté à cause de ses explications selon lesquelles on allait l'aider à rester au Canada. À mon avis, la SAI avait toute latitude de considérer comme elle l'a fait la position du demandeur pour ce qui est de demeurer au Canada. À l'évidence, la conclusion de la SAI sur ce point n'est pas manifestement déraisonnable.

[10]            La SAI a conclu que le défendeur avait avec justesse qualifié la requête en réouverture présentée par le demandeur de tactique visant à retarder le renvoi du demandeur, et elle fait observer à juste titre qu'une suspension avait été accordée qui interdisait le renvoi. La SAI mentionne effectivement que la possibilité qu'avait le demandeur de prendre un avocat lorsque son renvoi était imminent, au lieu de le faire plus tôt, est certainement un facteur. Toutefois, la SAI était fondée à considérer la question du délai en décidant que la requête en réouverture présentée par le demandeur constituait une dernière tentative de reporter son renvoi du Canada.


[11]            Je me réfère aussi à l'argument trouvé aux paragraphes 45-48 des arguments présentés par le ministre à la SAI. Ces arguments soutiennent la conclusion négative de la SAI au regard de la crédibilité du demandeur et tendent à confirmer mon point de vue selon lequel le prononcé de la SAI sur la question du délai est raisonnable.

[12]            L'avocat du demandeur affirme aussi que la SAI a commis une erreur de droit lorsqu'elle a tiré la conclusion, prétendument déraisonnable, selon laquelle rien ne prouvait que le demandeur s'était réadapté. Le demandeur affirme que la SAI n'a pas accordé de poids au fait que le demandeur n'avait pas eu d'autres condamnations criminelles. Cependant, la SAI a expressément déclaré que :

Le fait que le requérant n'ait pas fait l'objet d'autres condamnations après l'audience initiale de la Section d'appel lui est favorable. Cependant, l'importance qu'il faut accorder à ce facteur doit être examinée en fonction des circonstances avoisinantes.

La SAI est fondée à apprécier la preuve, et il n'y a rien de manifestement déraisonnable dans sa conclusion selon laquelle le demandeur ne s'était pas réadapté.

[13]            Selon le demandeur, la SAI a eu tort aussi d'affirmer que l'arrêt Baker, précité, était hors de propos parce que son pouvoir discrétionnaire de rouvrir l'appel était fondé sur des changements de fait par opposition à des changements de droit. À mon avis, la conclusion de la SAI sur ce point était juste. La SAI s'est exprimée ainsi, à la page 13 :

Le changement le plus important survenu dans la situation familiale du requérant depuis l'audition initiale de l'appel a été la naissance d'un quatrième enfant. Exception faite de ce changement, la situation familiale du requérant n'a pas changé depuis la date de l'audition, où il avait trois enfants, nés au Canada, et était marié à une citoyenne canadienne.


L'avocat du demandeur affirme que l'existence d'un quatrième enfant constitue une nouvelle preuve. Cependant, il n'a donné aucune raison pour laquelle le quatrième enfant se trouve dans une position différente de celle des trois premiers. Je souscris aux propos de la SAI, à la page 15 de sa décision :

Le pouvoir de la Section d'appel à l'égard des requêtes en réouverture ne va pas jusqu'à l'application rétroactive de la loi.                  

[14]            S'agissant de sa manière de considérer l'arrêt Baker, la SAI s'est exprimée ainsi, à la page 18 :

Dans ce cas, la preuve ayant trait aux enfants du requérant a été présentée devant le tribunal de l'audience initiale et a été prise en compte en se fondant sur le droit existant au moment de l'audition initiale. Le changement apporté au droit par suite de la décision Baker ne constitue ni une nouvelle circonstance ni un faut nouveau qui justifie la réouverture de l'appel.

[15]            La SAI conclut ainsi, à la page 20 :

La preuve relative à la requête ne révèle pas que la relation entre le requérant et ses enfants a changé, sinon qu'il y a maintenant un quatrième enfant dans la famille. Pour cette raison, j'en conclus qu'aucun nouvel élément de preuve susceptible de justifier une réouverture n'a été présenté à la Section d'appel en ce qui concerne la situation familiale ou l'intérêt supérieur de l'enfant.

Pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur a cherché à faire certifier la question suivante :

        [TRADUCTION]

Lorsque la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié exerce sa compétence continue en equity et reçoit une demande de réouverture d'un appel à l'encontre d'une mesure d'expulsion, demande renfermant de nouvelles preuves qui n'ont pas été considérées par le tribunal qui a rejeté l'appel, la section d'appel de l'immigration est-elle tenue d'appliquer la loi se rapportant à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire telle que cette loi existe au moment de la demande de réouverture?


Vu mes conclusions, cette question ne modifierait pas le résultat en la matière. Par conséquent, je ne certifie pas la question.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

Ottawa (Ontario)

le 25 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-334-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             ABZ c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 9 MAI 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE MCKEOWN

EN DATE DU                                       25 MAI 2001

ONT COMPARU :

LORNE WALDMAN,                                                    POUR LE DEMANDEUR

STEPHEN GOLD,                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIATES POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                 POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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