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Date : 20000420


Dossier : T-132-99



Entre :

     JULES BERNARD,

     Demandeur,

     - et -

     LE CONSEIL DE BANDE

     DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK

     et

     BERNARD ROSS,

     Défendeurs,

     - et -

     LE REGISTRAIRE DES TERRES DE RÉSERVE

     et

     L'HONORABLE ROBERT NEAULT,

     Mis-en-cause.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT


[1]      La Cour est saisie de deux requêtes déposées par le demandeur. La première vise à obtenir l'autorisation de la Cour de déposer hors délai un affidavit au soutien de sa demande de jugement déclaratoire, le dossier du demandeur et la production des pièces P-1 à P-13. La seconde demande l'émission d'une injonction interlocutoire visant à interdire à la partie défenderesse de procéder à la vente d'un immeuble.


[2]      Les parties sont à couteaux tirés au sujet d'un immeuble dont chacune revendique la propriété. Cet immeuble est situé au 10125 rue Kolipaïo à Wôlinak. Cette saga se déroule dans le cadre d'une guerre de pouvoir au sein du Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak.


[3]      Un bref historique s'impose pour situer la présente demande dans son contexte. Il appert des faits allégués au dossier que le 19 février 1996, le demandeur a acquis du Conseil des Abénakis de Wôlinak une maison portant le numéro civique 10125 rue Koliapïo érigée sur une partie du lot no 582-6-1 dans la réserve indienne de Wôlinak. Au contrat de vente à terme est annexée une résolution1 du Conseil de bande autorisant cette vente. En juillet 1997, après avoir fait part de son intention au Conseil de bande de ne plus occuper cette maison, le demandeur l'a louée à Dame Murielle Lefebvre; il s'en est allé habiter une autre maison située au 4755 rue Sôlinak. À l'époque, un conflit au sein du Conseil de bande l'empêchait de tenir ses assemblées de sorte qu'on n'a pas donné suite à l'avis du demandeur au sujet de ce transfert.. Lorsque le Conseil de bande a repris ses assemblées régulières en octobre 1997, celui-ci a décidé d'expédier des mises en demeure au demandeur et à d'autres personnes qui, de l'avis du Conseil, occupaient illégalement des maisons et des terrains dans la réserve indienne de Wôlinak. Le demandeur refusa d'obtempérer à cette mise en demeure et fit alors l'objet d'une poursuite devant cette Cour2. Une décision du juge Blais de cette Cour rendue le 16 novembre 1998 ordonnait à Jules Bernard de quitter la maison sise au 4755 de la rue Sôlinak afin que le défendeur puisse en recouvrer la possession. Le demandeur dut donc quitter les lieux sans pouvoir cependant réintégrer sa résidence du 10125 de la rue Kolipaïo dont le Conseil se disait maintenant propriétaire. Bref, le demandeur se retrouvait . . . sans maison. Il faut préciser qu'entre temps, le demandeur avait été à l'emploi de la Bande . . . mais congédié le 13 juin 1998.


[4]      Le 29 janvier 1999, le demandeur a intenté - c'est le présent dossier - une demande de jugement déclaratoire en vue de se faire déclarer propriétaire de la maison située au 10125 de la rue Kolipaïo à Wôlinak . . . dont il avait fait l'acquisition le 19 février 1996. Le Conseil de bande prétend cependant que cette maison est redevenue sa propriété et il tente maintenant de la vendre. Fort inquiet depuis que des appels d'offre ont été lancés par le Conseil de bande aux membres de la communauté de Wôlinak le 31 mars 1999 et le 5 août 1999, le demandeur veut obtenir de cette Cour une injonction interlocutoire pour empêcher le Conseil de bande de procéder à la vente de la maison dont on se dispute la propriété jusqu'à ce que le litige à son sujet soit vidé devant cette Cour.


[5]      Lors de l'audition de ces requêtes, j'ai signalé l'existence, dans le dossier du demandeur, de certaines lacunes procédurales qu'il devra corriger. Ces lacunes concernent les parties en cause au litige et le dépôt du dossier du demandeur; j'en disposerai dans les conclusions. Qu'il suffise, à ce stade, de souligner le dépôt, avec le consentement du procureur du défendeur, des affidavits du demandeur concernant les pièces P-1 à P-13; des pièces qui, de toute façon, avaient été signifiées à la partie défenderesse avec la demande initiale. J'ai également accueilli, séance tenante, la demande de désistement formulée par le procureur du demandeur quant aux mise-en-cause le Registraire des terres de réserve et l'honorable Robert Neault, avec le consentement du procureur des défendeurs, et sans frais. L'intitulé du nom des parties devra en conséquence être modifié.


[6]      Il s'agit maintenant de disposer de la demande interlocutoire recherchée par le demandeur. Le contrat de vente à terme intervenu entre les parties le 19 février 1996 prévoyait que l'acheteur s'engageait à payer au vendeur pour une partie du lot no 582-6-1, avec la maison dessus érigée, la somme de 30 000$ en 120 versements égaux et consécutifs de 250$ exigibles le premier de chaque mois jusqu'à complet paiement. Le contrat contenait une clause résolutoire rédigée dans les termes suivants:

"À défaut par l'acheteur d'acquitter dans les quinze (15) jours de son échéance, l'un quelconque des versements susdits, le vendeur aura la faculté de demander la résolution de la présente vente, conformément aux dispositions prévues à cet effet par le Code civil de la Province de Québec, sans être tenu de rembourser à l'acheteur tous les acomptes reçus."

Parmi les conditions de la vente se trouve aussi la condition suivante:

"Le vendeur s'engage à signer une résolution du Conseil de bande allouant une partie du lot no 582-6-1 . . . à l'acheteur au plus tard soizante (60) jours après que le solde du prix de vente soit acquitté en totalité."

[7]      Les prétentions des parties se résument à peu de chose. Le demandeur se dit propriétaire de cette maison alléguant avoir rencontré ses obligations contractuelles tant par lui-même que par sa locataire Murielle Lefebvre. Le défendeur prétend pour sa part que le demandeur a choisi de renoncer à cette propriété en allant habiter au 4755 de la rue Sôlinak, qu'il n'a pas respecté ses obligations contractuelles et que, partant, le Conseil de bande est redevenu propriétaire de cet immeuble.

[8]      Le demandeur rencontre-t-il les critères justifiant l'émission d'une injonction interlocutoire, à savoir une question sérieuse à trancher, un tort irréparable dont il pourrait souffrir et la prépondérance des inconvénients en sa faveur.

[9]      En l'espèce, les parties ne s'entendent même pas sur la nature du contrat intervenu entre elles et sur la portée de la clause résolutoire et de la condition énoncées plus haut. Il m'apparaît évident que le juge qui aura à décider à qui appartient la maison située au 10125 de la rue Kolipaïo à Wôlinak devra trancher à tout le moins certaines des questions suivantes: y a-t-il eu transfert de propriété lors de la vente; dans la mesure où la propriété est située sur une réserve indienne, la clause résolutoire par laquelle on s'en reporte, en cas de défaut, aux règles du Code civil est-elle valable; le défendeur a-t-il suivi les règles prévues au Code civil pour reprendre possession de cette maison? Bref, j'estime que le demandeur a fait la démonstration que le dossier soulève plusieurs questions sérieuses à trancher.

[10]      J'estime de plus que le demandeur a démontré, dans les circonstances, que si l'immeuble dont il se dit propriétaire devait être vendu, il subirait un tort irréparable.

[11]      J'estime enfin que la prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur, le défendeur ne subissant actuellement aucun inconvénient dans la mesure où la maison est présentement occupée et qu'au dire des procureurs des parties le coût d'habitation en est dûment acquitté.

[12]      Pour ces motifs, la requête en injonction interlocutoire est accordée, frais à suivre l'issue de la cause.


                             ____________________________

                                     Juge


Ottawa (Ontario

le 20 avril 2000

__________________

     1      Résolution du Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak, annexée à la pièce à la pièce P-1 de l'affidavit du demandeur.

     2      T-907-98, Le Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak et Jules Bernard et al. , décision du 16 novembre 1998.

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