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Date : 20210611


Dossier : IMM‑877‑20

Référence : 2021 CF 601

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 11 juin 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

JIANCAI ZHOU

ANGIE ZHOU YANG (personne mineure)

YUMING ZHOU YANG (personne mineure)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) concernant une famille de cinq personnes. Les demandeurs adultes et l’enfant aîné sont citoyens de la Chine. Les autres demandeurs mineurs sont citoyens du Pérou. Dans une décision aux issues partagées, la SAR a conclu que la demanderesse adulte avait qualité de réfugié au sens de la Convention en raison de la persécution religieuse et de la politique de planification familiale de la Chine. La SAR a également accordé le statut de réfugié au fils aîné en raison de la persécution religieuse dans ce pays. Toutefois, la SAR a rejeté les demandes d’asile du demandeur et des deux enfants mineurs.

[2] Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que la SAR n’a pas tenu compte des risques que représentait, pour le demandeur, un retour en Chine alors qu’il a enfreint la politique de planification familiale.

Contexte

[3] Le demandeur, Jiancai Zhou, est citoyen de la Chine. Les deux plus jeunes demandeurs mineurs, ses enfants, sont citoyens du Pérou. L’épouse de M. Zhou est citoyenne chinoise, tout comme l’aîné de leurs enfants, Yanming Zhou.

[4] En 2005, le demandeur a déménagé de la Chine au Pérou pour travailler comme chef de cuisine. En 2006, son épouse et son fils aîné sont venus le rejoindre. Les deux demandeurs mineurs sont nés au Pérou.

[5] En 2011, le demandeur et son épouse ont envoyé les demandeurs mineurs en Chine parce qu’ils craignaient pour leur sécurité au Pérou. Lorsqu’ils ont tenté de les inscrire en Chine, les parents se sont [traduction] « fait dire que leurs enfants seraient inscrits seulement si leurs parents payaient une amende et acceptaient que l’un d’eux soit stérilisé ».

[6] En 2017, les demandeurs mineurs sont retournés au Pérou. Peu après, un ami de l’un des demandeurs mineurs a été victime d’une agression sexuelle au Pérou. Dès lors, les demandeurs ont eu peur pour leur famille au Pérou, mais ils craignaient aussi de retourner en Chine parce qu’ils n’auraient pas le droit d’avoir plus d’enfants, et la foi catholique de la demanderesse interdit l’utilisation de moyens de contraception.

[7] À leur arrivée au Canada en 2018, le demandeur, son épouse et leurs trois enfants ont présenté une demande d’asile conjointe fondée sur leur crainte d’être persécutés en Chine en raison de la politique de planification familiale de la Chine. L’épouse et le fils aîné du demandeur ont affirmé craindre la persécution religieuse en raison de leur foi catholique. Les demandeurs mineurs craignent de retourner au Pérou en raison de la criminalité et de la violence visant les personnes d’origine chinoise.

[8] La Section de la protection des réfugiés a rejeté leurs demandes d’asile. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision à la SAR.

Décision de la SAR

[9] La SAR a fait droit aux appels interjetés par l’épouse et le fils aîné du demandeur sur le fondement de leur crainte de persécution pour des motifs religieux en tant que catholiques et du risque que l’épouse du demandeur ait enfreint la politique de planification familiale de la Chine.

[10] La SAR a rejeté l’appel du demandeur au motif qu’il n’était pas exposé à plus qu’un simple risque de stérilisation en tant qu’homme ayant enfreint la politique de planification familiale.

[11] La SAR a conclu que la crainte des demandeurs mineurs, qui sont citoyens du Pérou, n’avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention et qu’ils n’étaient pas exposés à un risque personnalisé de peines cruelles et inusitées. Les demandeurs mineurs n’avaient pas non plus réfuté la présomption selon laquelle une protection adéquate de l’État leur serait offerte au Pérou.

Norme de contrôle et question en litige

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Comme il est énoncé dans l’arrêt Vavilov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CSC 65 au para 99, « [l]a cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci ».

[13] La question permettant de trancher la présente demande de contrôle judiciaire est le caractère raisonnable de l’examen fait par la SAR de la politique de planification familiale de la Chine par rapport à la situation du demandeur.

Analyse

[14] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR selon laquelle la politique de planification familiale de la Chine ne s’appliquerait pas au demandeur est déraisonnable, car la SAR n’a pas examiné l’application possible de la politique au demandeur, qui, par suite de la décision de la SAR d’accueillir la demande d’asile de la demanderesse, retournerait en Chine avec ses deux enfants mineurs.

[15] La SAR a accepté la preuve selon laquelle les autorités de planification familiale du Guangdong ont dit à la demanderesse que, s’ils voulaient inscrire leurs enfants, son époux ou elle devait être stérilisé. La SAR a conclu ce qui suit : « J’estime que les plus récents éléments de preuve sur les conditions dans le pays présentés dans le CND et concernant la politique de planification familiale en Chine, y compris à Guangdong, appuient la crainte subjective de la [demanderesse]. » La SAR a également souligné que, « [s]elon les éléments de preuve objectifs, en 2016, la Chine a adopté la politique des deux enfants, laquelle est appliquée rigoureusement ».

[16] La SAR s’est reportée au 2018 US Congressional‑Executive Commission on China [rapport annuel de 2018 de la Commission exécutive du Congrès américain sur la Chine] dans lequel il est écrit que les discours officiels et les rapports des gouvernements des provinces chinoises, y compris Guangdong, [TRADUCTION] « continuaient de prôner la mise en œuvre de mesures sévères et invasives en matière de planification familiale ». La SAR a également fait observer que « [b]ien qu’ils soient dorénavant moins courants, les avortements et la stérilisation forcés continuent d’exister ».

[17] En ce qui concerne la demande d’asile de la demanderesse, la SAR a admis que la province du Guangdong applique fermement sa politique des deux enfants à l’égard des femmes. La SAR a également accepté la preuve selon laquelle les demandeurs se sont fait dire que leurs enfants ne seraient inscrits que si les parents payaient une amende et acceptaient que l’un d’eux soit stérilisé. La SAR a pris acte de la preuve documentaire selon laquelle un père dans la province du Yunnan a été stérilisé de force.

[18] Pour conclure que le demandeur ne serait pas exposé à un risque à son retour en Chine, la SAR s’est appuyée sur le rapport de 2018 du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni (rapport du Royaume‑Uni), qui mentionne que [traduction] « les rapatriés de sexe masculin ne sont généralement pas exposés à un risque réel de stérilisation forcée ».

[19] Toutefois, la SAR ne démontre pas dans sa décision qu’elle a tenu compte de la situation particulière du demandeur au regard de deux facteurs. Premièrement, en raison de la décision de la SAR, le demandeur retournerait dans la province du Guangdong sans son épouse, mais avec deux enfants. Deuxièmement, bien que la SAR ait accepté la preuve selon laquelle les autorités de planification familiale du Guangdong ont dit à la demanderesse que, s’ils voulaient inscrire leurs enfants, son époux ou elle devait être stérilisé, la SAR ne semble pas avoir réexaminé ce facteur à la lumière de l’évolution de la situation familiale découlant de sa décision.

[20] De plus, le rapport du Royaume‑Uni sur lequel la SAR s’est fondée mentionne également ce qui suit au paragraphe 2.4.14 :

[traduction]
Une personne peut être en mesure de démontrer que sa situation particulière l’expose à un risque accru d’être contrainte de subir un avortement ou d’être stérilisée et, dans ce cas, elle est exposée à un risque de persécution et de préjudice grave aux mains des autorités. Chaque affaire doit être examinée à la lumière de ses propres faits, et il incombe à cette personne de démontrer qu’elle serait exposée à un risque.

[21] À la lumière des éléments de preuve acceptés par la SAR selon lesquels la famille avait été visée par les autorités de planification familiale et de la situation particulière du demandeur advenant son retour en Chine avec ses enfants mineurs, la SAR devait expressément examiner ces facteurs. Comme elle ne l’a pas fait, sa décision n’est pas justifiée au regard des faits pertinents et n’est donc pas raisonnable.

[22] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée est annulée et renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour qu’un décideur différent rende une nouvelle décision.


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM‑877‑20

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée est annulée et renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour qu’un décideur différent rende une nouvelle décision.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑877‑20

 

INTITULÉ :

JIANCAI ZHOU ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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