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Date : 20210607

Dossier : IMM-4763-20

Référence : 2021 CF 540

Ottawa, (Ontario), le 7 juin 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ISSA HASSAN IDRISS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Issa Hassan Idriss demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAR] du 10 septembre 2020, rejetant son appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] du 26 juin 2019.

[2] La SAR confirme la décision de la SPR à l’effet que M. Idriss n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch 27 [la Loi] ni la qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

[3] Pour les motifs exposés plus bas, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[4] M. Idriss est citoyen de la République de Djibouti [le Djibouti]. Le 29 novembre 2016, il reçoit un visa de visiteur à entrées multiples, valide pour un an, des autorités américaines. Le 8 juin 2017, M. Idriss quitte le Djibouti pour se rendre en Éthiopie; la Police des Frontières et Immigration à l’aéroport international de Djibouti, étampe son passeport à sa sortie. Le 11 juin 2017, M. Idriss est admis aux États-Unis.

[5] Le 27 juillet 2017, M. Idriss entre au Canada et il y demande l’asile. Il allègue alors craindre les autorités de son pays à cause de son implication, depuis 2013, comme membre du parti politique d’opposition Rassemblement pour l’Action, la Démocratie, le Développement Écologique [RADDE].

[6] Le 21 mai 2019, la SPR entend la demande d’asile de M. Idriss, et suite à l’audience, prend l’affaire en délibéré.

[7] Le 28 mai 2019, la SPR ajourne l’audience d’un autre revendicateur, représenté par la même procureure que M. Idriss, puisque la commissaire a demandé au ministre d’intervenir « pour intégrité au système » (Dossier certifié du tribunal [DCT] à la page 30), en alléguant que le dossier était similaire à un autre dossier.

[8] Le 31 mai 2019, une lettre est envoyée à M. Idriss pour lui demander l’autorisation, conformément à la Règle 21 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256 [les Règles]), de verser des renseignements de son dossier dans celui d’une autre demande d’asile.

[9] Le 19 juin 2019, la procureure de M. Idriss écrit au coordonnateur de la SPR et lui demande d’ordonner une audience de novo devant un nouveau commissaire, soulevant une allégation de crainte raisonnable de partialité de la part de la commissaire.

[10] Le 26 juin 2019, la SPR conclut, considérant son absence de crédibilité, que M. Idriss, n’est pas un « réfugié au sens de la Convention », ni une « personne à protéger » et rejette sa demande d’asile (paragraphe 22 de la décision, à la page 7 du DCT).

[11] La SPR conclut que M. Idriss a livré un témoignage non crédible sur des éléments déterminants de sa demande d’asile et soulève plusieurs contradictions, omissions et incohérences dans son témoignage en lien avec (1) son départ du Djibouti; (2) son appartenance au RADDE et à l’Alliance des mouvements pour l’alternance et la Nation (AMAN); (3) les arrestations des 21 février et 21 décembre 2015 et les documents médicaux afférents.

[12] Quant à son implication politique depuis son arrivée au Canada, compte tenu de la conclusion à l’effet que M. Idriss n’est pas crédible, la SPR conclut qu’il n’a pas pu établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses photos soumises en preuve ont été publiées sur les réseaux sociaux, qu’elles auraient été portée à la connaissance des autorités djiboutiennes, ou que les autorités djiboutiennes auraient la capacité ou l’intérêt de l’identifier comme opposant politique compte tenu de son profil apolitique au Djibouti.

[13] Le 2 juillet 2019, la demande de la procureure pour une audience de novo est transmise au bureau du commissaire-coordonnateur.

[14] Le 22 juillet 2019, la greffier/la greffière de la SPR émet un Avis de décision concernant une demande en vertu de la Règle 50 des Règles, et rejette la demande de la procureure de M. Idriss pour une audience de novo. La SPR confirme que la demande de la procureure, transmise à la SPR le 19 juin, était adressée au commissaire-coordonnateur et n’a, en conséquence, pas été portée à la connaissance de la commissaire assignée au dossier. La SPR ajoute qu’en date du 26 juin, la décision sur la demande d’asile a été rendue et signée par ladite commissaire et que depuis cette date, la commissaire est functus officio et ne peut donc pas rendre de décision à ce sujet (page 25 du DCT).

[15] Le 6 août 2019, M. Idriss interjette appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Devant la SAI, M. Idriss soulève la crainte de partialité de la commissaire à titre de question préliminaire et soumet également qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable.

[16] En lien avec sa crédibilité, M. Idriss soumet que les erreurs ne sont pas déterminantes, que la SPR a ignoré son témoignage de vive voix et d’autres preuves concernant son implication politique, que les incohérences et erreurs en lien avec les certificats médicaux ne sont pas suffisantes, et que la SPR a omis d’analyser les activités au Canada.

[17] Le 28 juillet 2020, M. Idriss dépose des documents additionnels auprès de la SAR concernant ses activités politiques au Canada, soit (1) des photos; (2) une lettre du 12 mars 2020 du président du RADDE au Djibouti attestant que la police politique du régime du Djibouti fiche et poursuit systématiquement tout militant d’opposition ayant fui le pays et déposé une demande d’asile à l’étranger; (3) un article de presse; et (4) un affidavit confirmant sa participation à une réunion le 9 février 2020 et à une manifestation le 27 juin 2020. Il dépose aussi une décision de la SAR et un rapport de 2019.

III. La décision de la SAR

[18] Le 10 septembre 2020, la SAR confirme la décision de la SPR et rejette l’appel de M. Idriss.

[19] La SAR examine d’abord l’admissibilité de la nouvelle preuve déposée par M. Idriss en juillet 2020, et conclut que les documents ne sont pas admissibles comme preuve, en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi.

[20] La SAR s’appuie sur les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] de la Cour d’appel fédérale, qui a statué que les conditions prévues au paragraphe 110(4) de la Loi doivent être respectées, et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR et ajoute que les trois critères implicites d’amissibilité mentionnés dans Raza, soit la crédibilité, la pertinence et la nouveauté, sont requis.

[21] La SAR note que les documents sont postérieurs à la décision et à la mise en état du dossier, et que la Règle 29(4) des Règles est « rencontré[e] » (paragraphe 11 de la décision à la page 5 du DCT). La SAR indique qu’elle doit analyser les documents sous la lorgnette de l’article 110(4) de la Loi.

[22] Ainsi, au regard de l’affidavit de M. Idriss, la SAR souligne que ce dernier y soutient qu’il poursuit ses activités politiques au sein du RADDE et qu’il participe à des réunions ainsi qu’à des manifestations politiques au Canada. La SAR note que ce texte reprend essentiellement des éléments connus lors de l’audience devant la SPR.

[23] En lien avec les photographies à l’effet que M. Idriss a participé à des rencontres et des manifestations, la SAR rappelle que M. Idriss a soumis des photos du même genre à la SPR et qu’en fait, il n’y a rien de nouveau dans le genre de photos soumises.

[24] En lien avec l’attestation du 12 mars 2020, la SAR note les caractéristiques différentes sur le document lui-même, différences déjà soulevées par la SPR en lien avec une autre lettre de la même organisation, et note aussi que l’en-tête est différent de celui de la lettre soumise à la SPR et que le document n’a pas de numéro de référence, contrairement à celui soumis à la SPR. La SAR commente aussi le contenu et conclut que l’attestation n’est pas crédible.

[25] En lien avec l’article de presse, la SAR conclut ne pas pouvoir juger de son contenu de cet article ne connaissant pas la source et la provenance. Elle note aussi que l’article n’est pas pertinent, car il ne mentionne pas le nom de M. Idriss.

[26] En lien avec l’allégation de bris d’équité procédurale et de crainte de partialité soulevée par M. Idriss, la SAR cite l’arrêt de la Cour suprême dans Committee for Justice and Liberty c l’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369. Elle rejette les arguments de M. Idriss quant à l’équité procédurale et conclut qu’il n’y a pas de crainte raisonnable de partialité de la commissaire dans le processus et la prise de décision et qu’il n’y a pas eu bris d’équité procédurale.

[27] La SAR conclut comme la SPR, que M. Idriss n’est pas crédible et examine les éléments soulevés par M. Idriss dans son mémoire, soit (1) l’erreur au sujet du moment où il a décidé de quitter le pays; (2) sa sortie du pays et l’omission d’avoir indiqué dans son formulaire l’aide d’un gendarme pour sortir du pays; (3) son affiliation politique au Djibouti; (4) les évènements datant de 2014 et 2015 et les blessures subies à ces occasions; et (5) son implication politique au Canada.

[28] La SAR examine l’implication politique de M. Idriss au Canada. La SAR note l’allégation de M. Idriss que sa participation reprise sur les réseaux sociaux peut être un indice de la possibilité que les autorités djiboutiennes sont au courant de ses activités hors pays. La SAR souligne que la SPR est d’avis que M. Idriss n’est pas un témoin crédible, qu’elle ne croit pas en son implication politique dans son pays d’origine et n’accorde pas de poids aux photographies prises à Montréal. La SAR note le témoignage tenu de M. Idriss concernant son implication politique au Canada, considérant qu’il se dit militant depuis 2013.

[29] La SAR ajoute des commentaires quant au comportement de M. Idriss qui (1) a quitté le Djibouti environ 7 mois après avoir reçu son visa américain; (2) a séjourné quelques jours dans un pays voisin avant de se rendre aux États-Unis; (3) n’a pas demandé la protection des autorités américaines, en dépit du fait que des membres de sa famille et de sa communauté y sont installés; comportements qui peuvent indiquer qu’il ne craint pas pour sa vie.

[30] La SAR confirme donc la décision de la SPR comme correcte.

IV. Arguments des parties et décision

[31] La Cour est d’accord avec les parties qu’il convient de contrôler la décision de la SAR selon la norme de la décision raisonnable. Effectivement, selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, et rien ne réfute la présomption en l’espèce.

[32] Ainsi, M. Idriss soumet que ses craintes de persécutions n’ont pas fait l’objet d’une analyse raisonnable, ce qui commanderait l’intervention de la Cour en ce que la décision de la SAR est issue de (1) une analyse déraisonnable de la crainte sur place et des risques qu’il encourt suivant son association à l’opposition politique djiboutienne au Canada; (2) l’analyse déraisonnable quant à l’admissibilité de la nouvelle preuve déposée en appel; et (3) certaines analyses déraisonnables des éléments de preuve apportés par M. Idriss au soutien de sa demande d’asile.

[33] M. Idriss ne dépose pas d’affidavit devant la Cour.

A. L’analyse de la crainte sur place

(1) Arguments des parties

[34] Premièrement, M. Idriss soumet que la SAR a évalué de façon déraisonnable son implication politique au Canada au sein d’un parti d’opposition djiboutien, ainsi que les risques de persécution liés à cet engagement politique au Canada advenant son retour dans son pays d’origine.

[35] M. Idriss soumet que la SAR a fait une analyse sommaire et déraisonnable de cette implication et de cette crainte sur place, entachant ainsi sa décision, alors que M. Idriss avait lui plutôt fait une preuve claire et sans ambages de sa participation et sa mobilisation au sein de l’opposition politique conte le régime en place au Djibouti à partir du Canada.

[36] La SAR se serait limitée à un examen sommaire aux paragraphes 51 et 52 de sa décision, alors que, selon M. Idriss, la preuve au dossier est indubitable qu’il est un membre actif de l’opposition djiboutienne à Montréal. M. Idriss cite à titre d’exemples (1) la lettre du 28 avril 2019 fournie à la SPR qui mentionnait 4 activités entre les 23 février et 22 décembre 2018; (2) un nombre important de photographies; (3) une déclaration signée le 27 juillet 2020 et les photographies qui l’accompagnaient; (4) son témoignage devant la SPR.

[37] M. Idriss soumet que les conclusions en matière de crédibilité qui touchent les évènements survenus au Djibouti ne permettaient pas raisonnablement à la SAR de rejeter du revers de la main l’implication politique au Canada et les dangers qui y sont associés. La SAR devait évaluer et considérer la preuve d’engagement politique du demandeur, ce qu’elle n’a pas fait. Rien ne permettait à la SAR de mettre en doute que M. Idriss est un membre actif de l’opposition politique djiboutienne.

[38] M. Idriss s’appuie sur la décision de la Cour dans Mohajery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 185 [Mohajery] pour soutenir la proposition que la Cour devrait ignorer essentiellement les conclusions de crédibilité affectant la preuve de l’implication politique de M. Idriss à l’étranger dans le cadre de l’analyse de sa crainte sur place, et cite le paragraphe 32 de la décision dans lequel la Cour indique : « Il convient de mentionner que cette analyse doit être faite, et ce, même si le récit du demandeur dans son entier ou sur ses activités dans son pays d’origine n’a pas été cru, dans la mesure où des éléments de preuve digne de foi établissent les activités au Canada au soutien de la demande de réfugié sur place ». Il n’est pas inutile de préciser d’emblée qu’aucune analyse de la crainte sur place n’avait été faite dans ce dossier.

[39] M. Idriss soumet que la SPR a admis que les autorités djiboutiennes contrôlent ou surveillent la diaspora à l’étranger dans sa décision, et que cette admission constitue la preuve des risques de son retour; il cite à cet égard le paragraphe 16 de la décision de la SPR.

[40] Selon M. Idriss, la SAR aurait déraisonnablement omis d’étudier adéquatement la preuve documentaire et ses arguments quant à la crainte sur place. Par ailleurs, la SAR ne pouvait se fonder sur les conclusions générales quant à sa crédibilité, puisque ses conclusions concernent son implication au Djibouti (et non au Canada) (Mohajery au para 32; X (Re), 2015 CanLII 69229 (CA CISR) [X (Re)]).

[41] M. Idriss note par ailleurs que la conclusion de la SPR à l’effet que les autorités djiboutiennes surveillent certains ressortissants à l’étranger sur les médias sociaux n’a pas été contestée, et fait l’objet d’un courant de décisions constant de la SAR (notamment X (Re)) qui devrait éclairer la Cour.

[42] En somme M. Idriss souligne que la crainte sur place est établie puisque, d’une part, la preuve documentaire établit que l’état Djiboutien peut surveiller les militants d’opposition à l’étranger et, puisque d’autre part, M. Idriss participe à des activités militantes au Canada. Il soutient que la décision de la SAR est donc déraisonnable.

[43] Le Ministre répond que M. Idriss tente erronément de dissocier l’analyse de la crédibilité de l’analyse de la crainte sur place, alors que la SAR peut considérer ses conclusions de crédibilité dans son analyse de la crainte sur place. Le Ministre ajoute que la SPR conclut qu’il n’a pas pu établir, selon la prépondérance des probabilités que ses photos soumises en preuve ont été publiées sur les réseaux sociaux, qu’elles auraient été portée à la connaissance des autorités djiboutiennes, ni que les autorités djiboutiennes auraient la capacité ou l’intérêt d’identifier le demandeur comme opposant politique compte tenu de son profil apolitique au Djibouti.

[44] Le Ministre souligne que les prétentions de M. Idriss lorsqu’il qualifie la preuve qu’il a déposée détonne de manière importante avec son témoignage laconique. Il était donc raisonnable pour la SAR de tirer une inférence négative quant à sa crédibilité.

[45] Le Ministre répond par ailleurs que la SAR pouvait raisonnablement conclure que la preuve était insuffisante pour établir une crainte due à la surveillance des autorités djiboutiennes.

(2) Décision sur l’analyse de la crainte sur place

[46] Lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable est appliquée, il incombe « à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il n’appartient pas à la Cour de substituer l’issue qui serait selon elle préférable à celle qui a été retenue (Vavilov au para 99).

[47] M. Idriss ne m’a pas convaincue que la SAR a erré et que son analyse est déraisonnable.

[48] D’abord, la preuve soumise par M. Idriss ne peut pas raisonnablement être qualifié d’indubitable, claire et sans ambages qu’il est un membre actif de l’opposition djiboutienne à Montréal, faisant état de convictions politiques profondes et étayées. En effet, l’attestation de M. Idriss, comprenant 4 paragraphes et totalisant à peine une page, ne peut raisonnablement pas être qualifiée d’exposé dans lequel les opinions politiques et les dénonciations sont étayées de manière précise.

[49] De plus, la SAR note que le témoignage de M. Idriss s’est limité à indiquer qu’il « continue à participer et à militer de façon légale … on fait tout ce qui est nécessaire » et pouvait raisonnablement être qualifié de ténu. Ce qui est conforme à la preuve au dossier.

[50] Ensuite, la décision sur laquelle s’appuie M. Idriss dans Mohajery n’oblige pas la SAR à ignorer les conclusions de crédibilité tirées par la SAR en lien avec les activités politiques au Djibouti dans le cadre de l’analyse de la crainte sur place. La SAR doit examiner la crainte sur place, même si elle est d’avis que le demandeur n’est pas crédible, mais cela ne l’empêche pas de considérer les conclusions de crédibilité (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1174). En l’instance, la SAR a examiné les allégations de crainte sur place.

[51] À tout évènement, et tel que le souligne le Ministre, la SAR a aussi conclu à l’insuffisance de preuve. La SAR pouvait raisonnablement conclure que la preuve était insuffisante pour établir une crainte sur place, même en reconnaissant que les autorités djiboutiennes peuvent faire de la surveillance, notamment puisque M. Idriss n’a pas établi que (1) ses photos ont été publiées sur les réseaux sociaux; (2) ses photos auraient été portées à la connaissance des autorités djiboutiennes et (3) les autorités djiboutiennes auraient la capacité ou l’intérêt à l’identifier comme opposant politique.

[52] M. Idriss n’a pas présenté d’autorités pour soutenir qu’il suffit, pour démontrer une crainte sur place, d’établir (1) que les autorités peuvent faire de la surveillance; et (2) qu’il s’est impliqué au Canada.

[53] Ainsi, M. Idriss ne m’a pas convaincue que l’analyse de sa crainte sur place est déraisonnable. La décision de la SAR trouve appui dans la preuve et se fonde sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle.

B. Nouveaux éléments de preuve devant la SAR (paragraphe 110(4) de la Loi)

(1) Arguments des parties

[54] Deuxièmement, M. Idriss soutient que la décision de la SAR de rejeter certains nouveaux éléments de preuve est déraisonnable. Il note que SAR a refusé d’admettre en preuve quatre pièces, soit (1) un affidavit de M. Idriss daté du 27 juillet 2020; (2) des photos; (3) une lettre du président du parti RADDE au Djibouti datée du 12 mars 2020; et (4) un article de presse du HCH24.com décrivant une tentative d’assassinat d’un opposant politique djiboutien au Canada.

[55] Il cite avec justesse les décisions Raza et Singh dans lesquelles la Cour d’appel fédérale a confirmé que, en plus d’appartenir à l’une des trois catégories expressément décrites au paragraphe 110(4) de la Loi, les nouveaux éléments de preuve doivent respecter les critères implicites de la crédibilité, de la pertinence et de la nouveauté. M. Idriss insiste sur le sous-critère de la nouveauté.

[56] Quant à l’article de presse, du site HCH24.com, M. Idriss soumet que, contrairement à la conclusion de la SAR, la pièce est pertinente puisque, même si elle ne mentionne pas le nom de M. Idriss. Elle vise effectivement à démontrer l’intérêt des autorités djiboutiennes à surveiller les activités des opposants politiques, ce qui est très pertinent. Il ajoute que la référence complète permet d’identifier la source.

[57] Quant à l’affidavit et aux photographies, il soumet que ces derniers concernent ses activités politiques postérieures à l’audience devant la SPR, en date des 9 février et 27 juin 2020. Il ajoute que la SAR devait accepter les pièces puisqu’elles concernent des faits postérieurs, tendent à réfuter des conclusions de la SPR et satisfont aux critères établis dans Raza et surtout dans Singh. M. Idriss soumet que la SAR aurait dû ordonner la tenue d’une audience si elle doutait de la véracité ou de la crédibilité de la preuve.

[58] Quant à la lettre dans laquelle le président du RADDE confirme que M. Idriss est membre de son parti, la SAR a conclu que la lettre contenait de nombreuse irrégularités, notamment à l’effet que le tampon ne correspond pas au texte écrit, que l’adresse indiquée diffère de celle d’une autre pièce analogue (rédigée par la même personne) et que le nom du parti politique est inexact.

[59] Le Ministre répond que les conclusions de la SAR rejetant les nouveaux éléments de preuve au motif que les critères jurisprudentiels ne sont pas remplis sont raisonnables.

[60] Le Ministre soumet que la SAR n’a pas ignoré la référence au site de l’article de journal, mais a plutôt indiqué qu’elle ne connaissait pas cette source et que l’article n’était pas pertinent puisque le demandeur n’est pas nommé.

[61] Le Ministre soumet que la conclusion de la SAR sur l’affidavit et les photos est raisonnable, puisque l’implication politique de M. Idriss était déjà en jeu et des photos semblables avaient déjà été soumises.

[62] Le Ministre soumet et que les caractéristiques problématiques sont les mêmes que celles soulevées par la SPR, en plus d’autres caractéristiques problématiques.

(2) Décision sur les nouveaux éléments de preuve devant la SAR

[63] Les parties s’entendent sur les critères explicites du paragraphe 110(4) et sur les critères implicites développés par la jurisprudence, qui sont ceux que la SAR a cités et appliqués.

[64] Je suis d’accord avec les soumissions du Ministre. D’abord, rien ne vient contredire la conclusion de la SAR que la source n’est pas connue et que M. Idriss n’est pas nommé. Considérant qu’il était reconnu que les autorités djiboutiennes pouvaient faire de la surveillance et que cet article n’apportait rien quant à la possible connaissance par les autorités djiboutiennes des activités de M. Idriss, il est raisonnable de conclure que l’article n’est pas pertinent.

[65] Il est vrai que l’affidavit et les photos réfèrent à des évènements temporellement postérieurs à la décision de la SPR et seraient, en ce sens, nouveaux. Cependant, ils visent à établir l’implication politique de M. Idriss au Canada, laquelle était déjà devant la SPR, et c’est pourquoi la SAR a conclu qu’il n’y avait pas là de nouveauté. Cette conclusion ne peut pas être qualifiée d’arbitraire.

[66] Quant au rejet de certains documents, la Cour doit évaluer si la décision de la SAR est intelligible et étayée (Mavangou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 177 aux para 22 et 27; Singh; Raza). Elle l’est. La SAR a énoncé les critères jurisprudentiels et expliqué sa décision quant à chaque élément de preuve. Ses conclusions sont appuyées par la preuve. La décision de la SAR n’est donc pas déraisonnable.

C. Demande d’asile

(1) Arguments des parties

[67] Troisièmement, M. Idriss accepte le caractère raisonnable de certaines inférences négatives en matière de crédibilité tirées par la SAR, mais soumet par ailleurs qu’aucune ne permettait de remettre en doute sa crédibilité quant à la crainte sur place.

[68] M. Idriss ne conteste pas l’ensemble des conclusions de la SAR mais soulève certaines réserves quant à l’analyse faite par la SAR.

[69] Il note qu’une conclusion générale d’absence de crédibilité est une affaire sérieuse et doit être étayée (Peter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 619).

[70] Il soulève deux conclusions déraisonnables soit (1) l’erreur sur la date de la décision de quitter le pays et (2) l’aide qu’il a reçue au départ du Djibouti.

[71] Il ajoute que la SAR a retenu contre lui une erreur quant à la date à laquelle il a quitté le Djibouti, alors qu’il était manifeste qu’il s’agissait d’une erreur. La SAR aurait également confondu le stress et la fatigue en soulevant une explication potentielle pour son erreur. Il note s’être ensuite corrigé. Il critique également une contradiction soulevée par la SAR quant à sa sortie du Djibouti, à l’effet qu’il a affirmé être passé inaperçu avec l’aide d’un ami gendarme, alors qu’une étampe apparait dans son passeport.

[72] En réponse, le Ministre note les multiples contradictions soulevées par la SPR. M. Idriss se serait contredit quant à sa date de départ du Djibouti et aux circonstances entourant son passage à la frontière, aurait attendu pour quitter le pays tout en soutenant que sa sécurité était menacée, a soumis des documents en lien avec le RADDE et avec ses traitements médicaux qui contenaient de nombreuses anomalies et incohérences, et a livré un témoignage vague quant à ses blessures et à leur traitement, et ce, malgré sa formation en santé. Suite à cette conclusion générale quant à sa crédibilité, la SPR a accordé une faible valeur probante au reste de la preuve documentaire. Elle a également déterminé que certains documents soumis étaient frauduleux. Quant à la crainte sur place, la SPR a déterminé que M. Idriss n’avait pas établi que ses photos ont été publiées sur les médias sociaux ou portés à la connaissance des autorités djiboutiennes, qui n’auraient pas la capacité ni l’intérêt de l’identifier comme opposant politique, puisque la SAR n’a pas cru à son implication politique au Djibouti.

(2) Décision sur la demande d’asile

[73] M. Idriss invite la Cour à réévaluer la preuve, ce qui dépasse son rôle en contrôle judiciaire. Encore une fois, les conclusions de la SAR sont appuyées par la preuve. La décision de la SAR, comme celle de la SPR, soulève de multiples problèmes quant à la crédibilité de M. Idriss. Ces conclusions sont raisonnables et ancrées dans la preuve. Elles découlent d’un examen indépendant par chacun des deux tribunaux.

V. Conclusion

[74] Pour les motifs exposés plus haut, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans IMM-4763-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4763-20

INTITULÉ :

ISSA HASSAN IDRISS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec) – par vidéo-conférence zoom

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 mai 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juin 2021

COMPARUTIONS :

Me Guillaume Cliche-Rivard

Pour le demandeur

Me Sean Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cliche-Rivard Avocats Inc.

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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