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Date : 20210611


Dossier : IMM-6625-19

Référence : 2021 CF 593

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

KAHSAY HAILEMICHAEL TESFAY

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Kahsay Hailemichael Tesfay, est citoyen d’Érythrée. En janvier 2018, il entre au Canada et présente une demande d’asile sous une fausse identité. Sa demande est jugée irrecevable pour examen devant la Section de la protection des réfugiés au motif qu’il a déjà été reconnu comme réfugié au sens de la Convention en Italie et qu’il peut retourner dans ce pays.

[2] En juin 2018, le demandeur présente une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Dans sa demande, il invoque d’abord sa crainte de retour en Italie puisqu’il sera sans emploi et sans abri et que sa vie sera à risque en raison des autres sans-abri atteints de troubles de santé mentale et de toxicomanie. Il allègue qu’il y a trop de réfugiés en Italie et que le gouvernement n’est pas en mesure de les aider. De plus, il souligne son désir de demeurer au Canada pour apprendre une profession afin de subvenir aux besoins de ses enfants et de sa conjointe qui habitent en Suède. Enfin, il invoque également une crainte de retour en Érythrée en raison de la situation politique dans ce pays.

[3] La demande est rejetée le 11 octobre 2018. L’agent d’ERAR [agent] conclut, après analyse, que le demandeur n’a pas démontré qu’il encourt les risques prévus aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Pour conclure ainsi, l’agent se fonde sur les éléments suivants :

  • a) La portée d’un ERAR ne s’étend pas aux considérations d’ordre humanitaire reliées aux obligations familiales du demandeur puisqu’elles ne concernent pas des risques de retour;

  • b) La crainte alléguée envers l’Érythrée n’a pas besoin d’être analysée puisque le demandeur ne sera pas refoulé dans ce pays. Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] ont reçu la confirmation des autorités italiennes que le demandeur serait réadmis en Italie puisqu’il a été reconnu comme réfugié dans ce pays;

  • c) Le demandeur n’a déposé aucune preuve à l’appui de sa demande d’ERAR. Les hyperliens fournis par le demandeur vers des vidéos sur les conditions générales pour les réfugiés en Italie menaient plutôt vers la page d’accueil de sites de nouvelles et le demandeur n’a produit aucune transcription certifiée des vidéos qu’il voulait que l’agent considère; et

  • d) Bien que la preuve documentaire sur les conditions en Italie mentionne l’existence de difficultés pour les réfugiés à se trouver de l’hébergement et de l’emploi, le demandeur n’a déposé aucune preuve objective pour étayer ses allégations de risque en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR et pour réfuter la présomption de la protection étatique en Italie.

[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Bien que formulé autrement dans son mémoire, le demandeur reproche à l’agent son appréciation de la preuve et l’insuffisance de ses motifs. Il soutient également que l’agent aurait dû l’inviter à lui fournir des éléments de preuve complémentaires pour étayer sa preuve, violant ainsi l’équité procédurale.

II. Analyse

[5] La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR, y compris son évaluation des éléments de preuve, est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Mombeki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 931 au para 8; Ashkir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 861 au para 11).

[6] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

[7] Quant aux allégations de manquement à l’équité procédurale soulevées par le demandeur, la Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Canadien Pacifique aux para 54-56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[8] La suffisance des motifs ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale sauf s’il y a absence totale de motifs (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14-16).

[9] La Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[10] L’examen du dossier démontre que le demandeur n’a soumis aucun document pour appuyer sa demande autre que deux (2) narratifs. Le demandeur avait le fardeau de démontrer qu’il était à risque, ce qu’il n’a pas fait (Nhengu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 913 aux para 14-15). Ses allégations de persécution ou de risque demeurent des allégations. Malgré cela, l’agent considère néanmoins de la preuve documentaire des conditions en Italie. L’agent est d’avis que celle-ci ne permet pas de conclure que le demandeur serait exposé aux risques allégués.

[11] Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur introduit de la preuve et des faits qui n’apparaissent pas au dossier certifié du tribunal. Le défendeur s’y oppose en invoquant le principe que toute preuve qui n’était pas devant l’agent doit être écartée par cette Cour (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). En réponse, le demandeur soutient qu’il n’avait pas à soumettre la preuve documentaire objective à l’agent puisque celle-ci provient du Cartable national de documentation.

[12] La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher l’opposition du défendeur ni les autres moyens préliminaires qu’il soulève puisque le demandeur ne démontre pas le lien entre cette preuve documentaire objective et sa situation personnelle ni en quoi l’analyse de l’agent est déficiente.

[13] Concernant l’argument du demandeur que les motifs de l’agent sont insuffisants, la Cour estime, après examen du dossier et de la décision en cause, que les motifs sont suffisants pour comprendre le fondement de la décision.

[14] L’argument du demandeur voulant que l’agent aurait dû lui donner la possibilité de fournir des éléments de preuve complémentaire pour étayer sa demande est également mal fondé. Le demandeur avait la responsabilité de s’assurer qu’il présentait tous les éléments de preuve pertinents à l’appui de sa demande. L’agent n’avait pas l’obligation de signaler au demandeur que sa preuve était insuffisante ou de lui demander de fournir une preuve additionnelle (Mbengani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 706 au para 15; Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422 au para 52; Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 490 au para 21).

[15] Lors de l’audience, le demandeur a beaucoup insisté sur le fait qu’il n’avait pas de statut en Italie. Si le demandeur n’avait aucun statut en Italie, il est peu probable que les autorités italiennes auraient confirmé aux agents de l’ASFC que le demandeur pourrait retourner en Italie puisqu’il a été reconnu comme un réfugié au sens de la Convention, comme il est mentionné dans les motifs de l’agent. Quoi qu’il en soit, la Cour ne peut considérer cet argument puisqu’il n’a pas été soulevé devant l’agent (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22-26). De plus, le demandeur affirme plutôt le contraire dans sa demande d’ERAR.

[16] Pour conclure, l’examen de la preuve documentaire objective et personnalisée ainsi que l’évaluation des risques de retour pour un demandeur relèvent de l’expertise spécialisée de l’agent d’ERAR. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision rendue. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec cette évaluation, il n’appartient pas à cette Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve afin d’obtenir un résultat qui est favorable au demandeur (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). Le demandeur n’a pas démontré, en l’espèce, que la décision de l’agent ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov au para 99) ou qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale.

[17] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-6625-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6625-19

INTITULÉ :

KAHSAY HAILEMICHAEL TESFAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Wilerne Bernard

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Evans Liosis

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilerne Bernard

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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