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Date : 20210611


Dossier : IMM-6325-20

Référence : 2021 CF 598

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

MELIKA HAGHIGHAT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 6 mars 2020 par laquelle un agent de migration [l’agent] a rejeté la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse [la décision].

II. Les faits

[2] La demanderesse, Melika Haghighat, est une citoyenne de l’Iran. En août 2019, elle a retenu les services d’un consultant en immigration pour l’aider à présenter une demande de visa de résident temporaire. À l’époque, la demanderesse ne connaissait pas le processus et ne pouvait pas lire l’anglais.

[3] Le père de la demanderesse a accepté de payer 6 000 dollars américains en plusieurs versements pour les services du consultant en immigration, lequel, d’après ce que la demanderesse a compris, avait présenté en son nom une demande de visa de résident temporaire par le biais du portail en ligne. Le consultant en immigration a refusé de donner à la demanderesse l’accès au compte ou au portail en ligne.

[4] En septembre 2019, selon les conseils du consultant en immigration, la demanderesse s’est rendue à Istanbul, en Turquie, pour un rendez-vous de collecte de données biométriques au centre de traitement des demandes de visa.

[5] Selon les notes dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], la demande a été rejetée le 16 octobre 2019. La demanderesse dit qu’elle n’a pas été informée de ce rejet.

[6] Le consultant en immigration a fourni à la demanderesse une lettre de demande de passeport frauduleuse datée du 18 décembre 2019. La demanderesse croyait donc que sa demande de visa de résident temporaire avait été acceptée, et que son passeport était requis.

[7] Le 2 janvier 2020, ou vers cette date, la demanderesse a envoyé son passeport directement à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, car elle et son père craignaient que le consultant en immigration ne retienne le passeport et ne demande plus d’argent.

[8] Une entrée datée du 16 janvier 2020 dans le SMGC fait état de [traduction] « préoccupations quant à l’authenticité de la lettre de demande de passeport. LEP [lettre d’équité procédurale] envoyée ». La demanderesse n’a pas reçu la lettre d’équité procédurale et n’y a pas répondu.

[9] À un certain moment par la suite, la demanderesse et son père ne pouvaient plus joindre le consultant en immigration. Le 23 janvier 2020, la demanderesse a envoyé un courriel au bureau des visas d’Ankara, en Turquie, pour s’enquérir de l’état de sa demande. Elle a utilisé « Google Traduction » pour rédiger son message. Elle n’a pas reçu de réponse.

[10] En février 2020, le père de la demanderesse a appris que le consultant en immigration avait escroqué d’autres clients. Il a reçu un appel d’une agence de voyage en Iran, laquelle lui a fait savoir que huit de ses clients avaient eu recours aux services du consultant en immigration et reçu des lettres de demande de passeport frauduleuses.

[11] Le père de la demanderesse a déposé une plainte contre le consultant en immigration auprès du bureau du procureur d’Esfahan, en Iran, le 25 février 2020. Après qu’un mandat d’arrêt eut été lancé contre lui le 20 août 2020, le consultant en immigration a été jugé coupable le 16 janvier 2021.

[12] Dans la décision du 6 mars 2020, l’agent a déclaré la demanderesse interdite de territoire au Canada, au motif que la lettre de demande de passeport frauduleuse qu’elle avait présentée constituait une fausse déclaration dans sa demande de visa de résident temporaire. Le 4 décembre 2020, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision.

[13] La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent, et prie la Cour de lui donner la possibilité de fournir des documents nouveaux et mis à jour, selon les directives que la Cour jugera appropriées.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[14] L’agent a rejeté la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse et a conclu qu’elle était interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans :

[traduction]
Dans votre demande, vous avez fait de fausses déclarations, ou dissimulé les faits importants suivants :

La lettre de demande de passeport qui aurait été envoyée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et présentée à l’appui de votre demande était frauduleuse.

Le 16 janvier 2020, notre bureau vous a envoyé une lettre vous offrant la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent quant à l’authenticité du document que vous avez présenté ou à l’omission des faits importants mentionnés plus haut, mais vous n’avez pas su répondre de façon appropriée à ces préoccupations.

IV. Les questions en litige

[15] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale lorsqu’il n’a pas fourni la lettre d’équité procédurale directement à la demanderesse?
  2. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

V. La norme de contrôle

[16] La première question en litige est une question d’équité procédurale à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 36). Pour ce qui est de la deuxième question, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

VI. Les dispositions pertinentes

[17] Le paragraphe 11(1) et l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] sont pertinents en l’espèce :

Visa et documents

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Application before entering Canada

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

VII. Analyse

[18] La demanderesse soutient que la décision est inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable. La lettre de demande de passeport frauduleuse lui a été fournie par son consultant en immigration, qui ne lui a pas révélé l’inauthenticité de la lettre. De plus, elle n’a pas reçu la lettre d’équité procédurale envoyée par l’agent. Selon elle, la lettre de demande de passeport frauduleuse n’était pas importante, de sorte qu’elle ne pouvait entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[19] Selon le défendeur, il incombe à un demandeur de fournir des renseignements exacts dans le cadre d’une demande de statut au Canada, même lorsqu’un tiers présente les renseignements. La décision de l’agent est raisonnable, et il n’y a pas eu de violation de l’équité procédurale. La demanderesse a présenté sa demande par le biais d’un portail en ligne, et il était raisonnable pour l’agent de penser qu’elle recevrait la lettre relative à l’équité procédurale par le biais de ce portail.

A. Les nouveaux éléments de preuve

[20] La demanderesse souhaite produire de nouveaux éléments de preuve, notamment son propre affidavit souscrit le 27 janvier 2021, ainsi que les pièces « C » et « E » à « I ». J’admets ces éléments de preuve, car j’estime qu’ils n’ont aucune incidence sur l’issue de la présente instance. Toute préoccupation quant à ces éléments sera prise en compte.

B. L’équité procédurale

[21] Les circonstances de l’espèce sont malheureuses. La demanderesse a fait confiance à un consultant en immigration, et elle a été dupée. Cependant, ces circonstances ne l’exonèrent pas des conséquences de sa fausse déclaration.

[22] Selon les notes au SMGC, la lettre d’équité procédurale a été transmise à la demanderesse le 16 janvier 2020. Si la demanderesse n’a pas reçu cette lettre, seules les interactions entre elle et son consultant en immigration peuvent expliquer cet état de fait. Le consultant en immigration a présenté la demande, au nom de la demanderesse, par le biais du portail en ligne et lui en a refusé l’accès. Les circonstances sont certes regrettables, mais on ne peut pas dire que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale. L’agent n’était pas tenu de répondre à la demanderesse par le biais de son adresse électronique personnelle.

C. Le caractère raisonnable de la décision

[23] Il était également raisonnable pour l’agent de conclure que la lettre de demande de passeport frauduleuse présentée par la demanderesse constituait une fausse déclaration. Le demandeur « a une obligation de franchise et doit fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques en tout point lorsqu’il présente une demande d’entrée au Canada » (Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542 au para 12 [Brar]). La demanderesse ne conteste pas qu’une lettre de demande de passeport frauduleuse a été présentée, mais demande plutôt à la Cour de tenir compte des circonstances entourant sa présentation.

[24] Dans la décision Duquitan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769 [Duquitan], la Cour fédérale a décrit comme suit l’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Duquitan, précité, au para 10) :

[10] La Cour a statué que l’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est de veiller à ce que les demandeurs fournissent « des renseignements honnêtes, complets et véridiques, et à dissuader les fausses déclarations » et que la « divulgation complète est fondamentale à l’application juste et équitable du régime d’immigration ». Il a également été statué que le paragraphe 40(1) de la LIPR englobe les omissions innocentes de divulguer des renseignements importants. De plus, « une présentation erronée n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante. Elle est importante si elle est suffisamment grave pour nuire au bon déroulement du processus » (Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327, aux paragraphes 18, 25 et 26).

[25] La Cour ne fait pas de distinction entre les déclarations délibérément fausses et les déclarations inexactes faites innocemment, y compris celles « découlant d’un conseil juridique erroné » (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 678 au para 10). L’intégrité du régime d’immigration repose sur la présentation d’informations complètes, honnêtes et véridiques, même si cela peut sembler rigide. Le défaut du demandeur de s’acquitter de son devoir de s’assurer que sa demande est véridique et complète, comme l’exige la Loi, ne saurait lui permettre de s’affranchir de son entière obligation de franchise.

[26] On ne peut mettre en doute l’importance de la lettre frauduleuse de demande de passeport, car la présentation erronée de ce document était suffisamment grave pour nuire au bon déroulement du processus (Duquitan, au para 10). J’estime qu’en l’espèce, le fait pour l’agent de ne pas avoir expliqué exactement comment la lettre de demande de passeport frauduleuse a pu entraîner une erreur ne rend pas ses motifs de décision insuffisants. Le demandeur « ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande » (Brar, précité, au para 12).

VIII. Conclusion

[27] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6325-20

LA COUR DÉCLARE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6325-20

 

INTITULÉ :

MELIKA HAGHIGHAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VidÉoconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Mojan Farshchi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lauren McMurtry

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maynard Kischer Stojicevic

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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