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Date : 20210611


Dossier : IMM‑4512‑20

Référence : 2021 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

PARAMJIT SINGH et

BALWINDER KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] datée du 26 août 2020, par laquelle elle a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de nier aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger, parce qu’ils seraient les garants de leur propre sécurité une fois de retour en Inde.

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, la présente demande sera rejetée. Après avoir apprécié les arguments des demandeurs, je conclus que la décision est raisonnable.

II. Le contexte

[3] Les demandeurs sont un mari et son épouse, tous deux citoyens indiens. Le demandeur est issu d’une famille sikhe d’une région rurale du Pendjab, en Inde. Sa famille possède des terres agricoles dans un village. Cependant, sa famille a un différend foncier avec un voisin, à savoir le cousin du demandeur, lequel serait connu pour être un informateur de la police et un membre du parti du Congrès.

[4] Le demandeur affirme que son cousin veut acheter sa terre, et que ce dernier ainsi que ses [traduction] « hommes de main » l’ont menacé, parce qu’il refuse de la vendre. En décembre 2016, ils l’ont battu au point qu’il a dû recourir à une aide médicale. Le demandeur a signalé l’incident à la police, mais celle‑ci n’a pas voulu prendre la plainte. Le cousin l’a également menacé de lui donner une leçon pour l’avoir dénoncé à la police, lorsque le parti du Congrès serait au pouvoir au Pendjab. Le parti du Congrès est effectivement arrivé au pouvoir au Pendjab en mars 2017. La police a ensuite commencé à venir au domicile des demandeurs, et a faussement accusé le demandeur d’aider des militants.

[5] En juin 2017, le demandeur a appris qu’un travailleur sur sa terre avait été battu par le cousin et d’autres personnes. Il se rendit à la police, mais celle‑ci l’arrêta pour avoir tenté de porter plainte. La police accusa de nouveau le demandeur de soutenir des militants, l’informa qu’il devait se présenter au poste de police tous les mois, et lui conseilla de vendre la terre à son cousin.

[6] Le demandeur a alors fui le Pendjab pour se rendre à New Delhi. La police a commencé à harceler la demanderesse, qui était restée au village. En juillet 2017, elle a été détenue par la police et interrogée sur l’association du demandeur avec des militants. Elle a été battue et agressée sexuellement pendant l’interrogatoire. Les demandeurs ont ultérieurement fui l’Inde, et sont arrivés au Canada le 30 décembre 2017. Le 2 janvier 2018, ils ont présenté une demande d’asile fondée sur des menaces, des mauvais traitements et de la violence qu’ils auraient subis en raison du conflit qui perdurait en Inde.

[7] Le 11 septembre 2019, la SPR a rendu sa décision et a rejeté la demande d’asile, en raison de l’absence de lien avec un motif prévu par la Convention. Bien que la SPR ait jugé leurs allégations crédibles, elle a conclu que tout risque encouru par les demandeurs serait résolu par la vente de la terre, ce qui mettrait fin au différend foncier. Les demandeurs ont interjeté appel devant la SAR, mais leur appel a été rejeté le 26 août 2020, dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. La décision de la Section d’appel des réfugiés

[8] La SAR a conclu que, bien que les demandeurs aient été crédibles, ils n’avaient pas réussi à établir un lien avec l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et qu’ils pouvaient éliminer les risques auxquels ils faisaient face s’ils acceptaient de vendre leur terre.

[9] En ce qui concerne le lien, la SAR a conclu que l’allégation selon laquelle les demandeurs étaient ciblés en raison de leurs opinions politiques était réfutée par le témoignage de la demanderesse, qui avait admis que c’était faux. La SAR a conclu que les allégations relevaient du droit criminel, tant en ce qui concernait le cousin que la police, lesquels avaient agi illégalement.

[10] En ce qui a trait à la capacité des demandeurs d’éviter les risques auxquels ils faisaient face en vendant la terre, la SAR a rejeté leur argument selon lequel la SPR avait commis une erreur en s’appuyant sur la jurisprudence énonçant que l’on peut s’attendre à ce que les demandeurs capables d’opérer des choix raisonnables et de se soustraire par là même à certains risques optent pour une telle solution.

[11] La SAR s’est aussi penchée sur l’argument des demandeurs selon lequel la SPR avait commis une erreur en omettant d’apprécier l’allégation de la demanderesse relative à la persécution fondée sur le sexe. La SAR a examiné les éléments de preuve objectifs concernant la discrimination et la violence fondées sur le sexe en Inde, et a conclu qu’ils n’atteignaient pas le seuil de la persécution au sens de la Convention. Elle a conclu que le profil de la demanderesse, à savoir une femme mariée avec 12 ans d’études et des moyens financiers, qui n’est pas membre d’un groupe social marginalisé en Inde, ne l’exposait pas à un risque élevé équivalant à de la persécution fondée sur le sexe.

[12] La SAR a donc rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR, selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni des personnes à protéger, aux termes de l’article 97 de la LIPR.

IV. La question en litige et la norme de contrôle

[13] Les arguments soulevés par les demandeurs dans leur contestation de la décision, tels qu’ils sont examinés ci‑dessous, sont assujettis à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Ainsi, la question que la Cour doit trancher est de savoir si la décision est raisonnable.

V. Analyse

[14] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en n’analysant pas leur crainte d’être persécutés en Inde comme étant liée à plus qu’un différend foncier. Ils soulignent que le cousin du demandeur a impliqué la police et le parti politique du Congrès pour appuyer sa position contre lui. Ils renvoient la Cour à l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] du demandeur, qui explique que le cousin l’a menacé de lui donner une leçon une fois que le parti du Congrès serait au pouvoir. De plus, ils relèvent la mention, dans le formulaire FDA, de la menace que la police inculpe le demandeur dans de [traduction] « faux dossiers » et l’envoie en prison. De ce fait, les demandeurs soutiennent qu’il y a un élément politique à leur crainte, et que la SAR a donc commis une erreur en ne constatant pas l’existence d’un lien avec un motif de la Convention.

[15] Je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle découlant de cet argument. La décision démontre que la SAR a clairement compris que le cousin avait invoqué ses relations avec la police et le parti du Congrès pour l’aider dans son différend foncier avec le demandeur. La décision mentionne expressément que la police a agi à la demande du cousin et a porté de fausses accusations contre le demandeur. Toutefois, la SAR a conclu que ces activités représentaient de la corruption, soit une infraction criminelle, et non une persécution fondée sur les opinions politiques des demandeurs. La SAR n’a donc pas constaté l’existence d’un lien avec un motif de l’article 96 de la Convention. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette analyse.

[16] En ce qui concerne l’analyse relative à l’article 97, les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en s’attendant à ce qu’ils vendent la terre au cousin pour éviter le risque de préjudice, parce qu’ils dépendent de cette terre pour gagner un revenu de subsistance. La SAR s’est appuyée sur la jurisprudence selon laquelle on doit s’attendre à ce que les demandeurs capables d’opérer des choix raisonnables et de se soustraire par là même à certains risques optent pour une telle solution (voir Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 955 [Malik] aux paras 25‑30; Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 [Sanchez] au para 19). Les demandeurs soutiennent néanmoins que ce principe ne s’applique pas lorsque le choix impliquerait une privation de droits fondamentaux de la personne, comme le droit de gagner sa vie (voir Malik au para 30; Sanchez au para 19).

[17] Je suis d’accord avec l’interprétation du droit que font les demandeurs. En revanche, comme le fait valoir le défendeur, la preuve ne permet pas de conclure que les demandeurs dépendent de la terre pour gagner un revenu de subsistance. À l’audience de la présente demande, lorsqu’on lui a demandé de préciser les éléments de preuve sur lesquels les demandeurs s’appuyaient pour faire valoir cet argument, leur avocat a évoqué le témoignage de la demanderesse selon lequel ils ne pouvaient vivre nulle part ailleurs en Inde, parce qu’ils n’avaient aucun moyen d’y gagner de l’argent. L’avocat a également mentionné le témoignage du demandeur selon lequel l’acquisition de la terre par le cousin était importante pour ce dernier, parce qu’elle ferait augmenter la valeur de sa propre terre contiguë.

[18] Ces éléments de preuve ne permettent pas de conclure que les demandeurs dépendent de la terre pour gagner leur vie. De plus, le défendeur renvoie au témoignage du demandeur selon lequel il a travaillé comme chauffeur de camion pendant 13 à 14 ans avant de commencer à travailler comme agriculteur sur la terre familiale en 2010. Qui plus est, le demandeur a déclaré que sa famille possédait des terres autres que celle faisant l’objet du litige avec le cousin, et qui sont toutes au nom de son père. Je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur en rejetant la demande au motif qu’il serait raisonnable pour les demandeurs de vendre la terre, pour éviter tout préjudice.

[19] Après avoir examiné les arguments des demandeurs, je conclus que la décision est raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire devra être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4512‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4512‑20

INTITULÉ :

PARAMJIT SINGH et BALWINDER KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence À Toronto

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Lakhwinder Sandhu

POUR LES DEMANDEURS

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Brampton (Ontario)

pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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