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Date : 20210609


Dossier : IMM-4582-20

Référence : 2021 CF 577

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

ELENA ALEXANDRA, BUZA

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Elena Alexandra Buza, est citoyenne de la Roumanie. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 4 septembre 2020. Dans cette décision, la SAR rejette son appel et confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle elle n’est ni réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] La demanderesse est entrée au Canada le 2 mars 2018. Selon son formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA], en date du 17 mars 2018, la demanderesse allègue qu’elle craint l’abus physique et émotionnel en Roumanie. Elle affirme être venue au Canada pour avoir une meilleure vie.

[3] Le 4 février 2019, la demanderesse amende son formulaire FDA. Elle y indique que durant l’été 2017, elle est séquestrée par un groupe de la mafia qui sévit sur tout le territoire européen. Elle est contrainte à se prostituer au bénéfice du groupe. Elle porte plainte auprès de la police, mais quelques jours plus tard, elle est battue et menacée de mort par des membres du groupe. Elle est hospitalisée aux soins intensifs pendant douze (12) jours. À sa sortie de l’hôpital, elle est à nouveau contrainte à se prostituer pour ce groupe. N’ayant pas le courage de retourner chez ses parents où elle vivait, elle s’enfuit vers d’autres villes où elle se cache. Son père est battu et sa voiture est vandalisée. Ces évènements se déroulent en 2017-2018, en Roumanie, où selon la demanderesse, les forces policières sont liées d’amitiés avec les criminels.

[4] Le 4 juin 2019, le ministre intervient devant la SPR sur la question de la crédibilité. Il soumet en preuve un rapport de police qui indique que la demanderesse a été retrouvée le 16 mars 2018 dans un salon de massage érotique. Selon le rapport, la demanderesse aurait déclaré qu’elle y travaillait de son plein gré et qu’elle effectuait des massages érotiques pour les clients. Le ministre produit également des extraits provenant d’un compte de la demanderesse sur les réseaux sociaux qui comprennent des photos d’elle prises et publiées à Londres, en Angleterre, en décembre 2017. Le ministre soutient que la demande d’asile de la demanderesse met en cause le paragraphe 107(2) de la LIPR puisque la demanderesse n’a présenté aucune preuve crédible et digne de foi au soutien de sa demande.

[5] Le 29 juillet 2019, la SPR rejette la demande d’asile. Elle juge que la demanderesse n’est pas crédible. À cet égard, elle indique croire davantage le rapport de la police que les affirmations de la demanderesse qu’elle se retrouvait au salon de massage pour venir chercher quelqu’un ou quelque chose et qu’elle n’avait jamais dit aux policiers qu’elle y travaillait. D’avis que la demanderesse travaillait de plein gré dans un salon de massage peu de temps après son arrivée au Canada, la SPR ne donne aucune valeur probante au rapport psychologique produit par la demanderesse qui indique qu’elle souffre de plusieurs symptômes associés au syndrome du stress post-traumatique. De plus, elle estime que le fait d’attendre près d’un an pour amender son récit afin d’inclure ses allégations de crainte de la mafia européenne entache sa crédibilité.

[6] Le 4 septembre 2020, la SAR rejette l’appel de la demanderesse. La SAR reconnait que la SPR a erré en tirant une inférence négative du fait que la demanderesse n’a pas mentionné son risque relatif à ses antécédents d’exploitation sexuelle dans son récit initial. Elle est également d’avis que la SPR a erré en n’accordant aucun poids au rapport psychologique en raison de son opinion que le travail de la demanderesse dans un salon de massage à Montréal contredit ce rapport. Malgré ces erreurs, la SAR confirme les conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité de la demanderesse.

[7] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle soulève deux (2) motifs.

[8] Premièrement, elle reproche à la SAR son évaluation du rapport psychologique. Bien qu’elle admette que la SPR a commis une erreur en écartant le rapport psychologique, la SAR ne réexamine pas le témoignage de la demanderesse à la lumière du rapport. L’omission d’en tenir compte, selon la demanderesse, rend la décision déraisonnable.

[9] Deuxièmement, elle soutient que la SAR a erré lorsqu’elle conclut que la demanderesse n’est pas à risque d’être persécutée en tant que travailleuse du sexe en Roumanie. À cet égard, elle reproche à la SAR d’avoir omis de tenir compte de la preuve documentaire qui démontre que les femmes roumaines sont les plus à risque d’être victimes de trafic à des fins d’exploitation sexuelle en raison d’un manque de réponse de la part des autorités roumaines et d’une culture du viol en Roumanie. Elle allègue être à risque en raison de son appartenance à ce groupe social. De plus, en s’attardant au caractère volontaire ou non de ce travail, la SAR n’applique pas le droit canadien qui veut que les personnes travaillant dans l’industrie du sexe soient considérées comme des victimes, peu importe si l’implication est volontaire ou non.

II. Analyse

[10] La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 143 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] FCJ No 732 au para 4 (CAF) (QL)).

[11] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

[12] Contrairement à ce que la demanderesse allègue, la SAR a bel et bien considéré le rapport psychologique. Elle reconnait que le rapport psychologique établit que la demanderesse souffre du syndrome de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression. Toutefois, l’élément déterminant pour la SAR est le manque de crédibilité de la demanderesse. Elle conclut que le rapport psychologique ne réhabilite pas sa crédibilité puisqu’il n’explique pas l’absence de preuve à l’appui de la demande d’asile, l’omission de faits importants au formulaire FDA et le comportement incompatible de la demanderesse avec la crainte alléguée.

[13] À cet égard, la SAR souligne d’abord que la demanderesse n’a fourni aucune documentation pour corroborer ses allégations ou d’explication raisonnable pour ne pas l’avoir fait, conformément aux exigences de l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256. Bien que la demanderesse allègue avoir été hospitalisée pour une période de douze (12) jours, elle n’a fourni aucune explication raisonnable pour l’omission de fournir une copie de son rapport médical et n’a fait aucune tentative pour l’obtenir après son arrivée au Canada, malgré le fait qu’elle était représentée par un avocat devant la SPR et la SAR.

[14] La SAR souligne ensuite que la demanderesse allègue dans son récit amendé s’être déplacée d’une maison à une autre lorsqu’elle a réussi à s’échapper de ses persécuteurs parce qu’elle n’avait pas le courage de retourner chez ses parents. Toutefois, le compte de réseau social de la demanderesse affiche des photographies d’elle qu’elle a publiées à Londres, en Angleterre, le 25 décembre 2017. Questionnée afin de savoir pourquoi elle a affiché une série d’autoportraits alors qu’elle était supposément cachée en Roumanie, la demanderesse a reconnu qu’elle s’était rendue à Londres en décembre 2017 pour rendre visite à un ami proche, puis qu’elle était retournée en Roumanie le 8 janvier 2018. La SAR rejette l’explication de la demanderesse selon laquelle ses persécuteurs auraient pris son téléphone et publié sur son compte des photographies et messages avant qu’elle ne puisse le récupérer et reprendre le contrôle de son compte. La SAR juge cette explication déraisonnable compte tenu de la nature personnelle des messages et son omission de le mentionner dans ses récits.

[15] Enfin, la SAR souligne le comportement incompatible de la demanderesse eu égard à sa crainte alléguée. La demanderesse est retournée en Roumanie après son séjour en Angleterre malgré son allégation que les membres de la mafia l’ont agressée et la recherchaient activement. La SAR juge non crédible l’explication qu’elle y est retournée à la demande de son père qui voulait lui fournir un billet d’avion pour le Canada.

[16] Le rapport psychologique indique que la demanderesse pourrait oublier des détails importants et, si elle se sent menacée ou harcelée, son récit pourrait devenir confus et elle pourrait vivre des moments d’absence ou de panique. Il indique également que de « la patience, de la douceur et de la compréhension sont recommandés [sic] ». À la lumière de ces conclusions et recommandations, la SAR pouvait raisonnablement conclure que le rapport psychologique ne pouvait pallier les lacunes identifiées puisque celles-ci ne découlaient pas du témoignage de la demanderesse et de son état psychologique (Boyce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 922 au para 56, citant Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 159 au para 86).

[17] Quant à l’argument voulant que la SAR a erré lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas à risque d’être persécutée en tant que travailleuse du sexe en Roumanie, la demanderesse avait le fardeau de faire le lien entre la preuve documentaire objective au dossier et sa situation personnelle. Ayant jugé que le récit de la demanderesse était non crédible, la SAR n’avait pas à poursuivre l’analyse pour déterminer si les travailleuses du sexe étaient à risque de persécution en Roumanie. La preuve documentaire objective ne pouvait à elle seule pallier le récit de la demanderesse (Ayikeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1395 au para 22).

[18] Il importe de rappeler que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile et l’évaluation de la preuve commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR et celles de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui lui serait favorable (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[19] Pour conclure, la Cour estime que lorsque les motifs de la SAR sont interprétés de manière globale et contextuelle, ils possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 97, 99).

[20] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-4582-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est modifié afin de remplacer le « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »; et

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4582-20

INTITULÉ :

ELENA ALEXANDRA, BUZA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Serban Mihai Tismanariu

Clémence C. Chevalier

Pour LA DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

Mathieu Laliberté (stagiaire)

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Serban Mihai Tismanariu

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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