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Date : 20210610


Dossier : IMM‑7737‑19

Référence : 2021 CF 590

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

AMANDEEP KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Amandeep Kaur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas [l’agent] de New Delhi, en Inde, a rejeté sa demande de permis de travail à titre d’aide familiale dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [le PTET]. L’agent n’était pas convaincu que l’offre d’emploi de Mme Kaur était authentique.

[2] La décision de l’agent était inéquitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

II. Contexte

[3] Mme Kaur est une citoyenne de l’Inde. Elle possède des compétences en tant qu’infirmière et aide familiale, qu’elle a acquises dans divers établissements scolaires du Punjab, en Inde. Elle a également un frère qui demeure à Surrey, en Colombie‑Britannique.

[4] Mme Kaur a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du PTET à titre d’aide familiale, en fonction d’une offre d’emploi qu’elle a reçue de Jatinderpal Singh Khunkhun et de sa femme Gurinderjit Khunkhun. M. et Mme Khunkhun demeurent à Surrey, en Colombie‑Britannique, avec leurs deux adolescents et la mère âgée de M. Khunkhun. Selon cette offre d’emploi, Mme Kaur devait fournir une assistance physique et des soins personnels à la mère de M. Khunkhun, faire ses repas et lui tenir compagnie.

[5] Mme Kaur devait recevoir un salaire de 18,50 $ l’heure, ce qui équivaut à un salaire annuel d’environ 38 480 $. Son contrat précisait également qu’elle aurait le droit de se faire payer des heures supplémentaires à un taux de 27,75 $ l’heure.

[6] L’agent a noté que Mme Kaur s’était vu refuser à deux reprises des visas de résident temporaire pour visiter le Canada, que son frère vivait à proximité de son employeur éventuel, que ce dernier pourrait en fait être un parent et que le salaire proposé était plus élevé que le salaire moyen d’une aide familiale. L’agent a donc douté de l’authenticité de cette offre d’emploi et a écrit ceci dans le système mondial de gestion des cas : [TRADUCTION] « Entrevue nécessaire ».

[7] Le 21 novembre 2019, Mme Kaur a reçu une lettre l’invitant à une entrevue. Cette lettre ne précisait pas la nature des préoccupations de l’agent. Celles‑ci ont été expliquées à Mme Kaur uniquement durant l’entrevue, qui a eu lieu le 5 décembre 2019.

[8] Mme Kaur a reconnu qu’elle s’était vu refuser deux fois ses visas de touriste. Elle a nié s’en aller vivre chez son frère et a affirmé qu’elle n’avait jamais rencontré ses employeurs éventuels en personne. Elle était en mesure de décrire en détail ses fonctions et était au courant des conditions de son contrat d’emploi.

[9] L’agent a interrogé Mme Kaur concernant son salaire élevé par rapport aux moyens financiers de ses employeurs, en particulier si l’on tient compte du fait qu’elle vivrait chez eux et qu’ils lui offriraient des repas et un hébergement. L’agent a mentionné que le revenu du ménage des Khunkhuns était de 92 001 $ en 2018. Après avoir payé le salaire de Mme Kaur, il ne leur resterait que 53 521 $ par année pour une famille de cinq.

[10] L’agent a mentionné que le revenu minimal d’une famille de cinq qui cherche une aide familiale, aussi appelé le seuil de faible revenu [le SFR], était de 52 583 $ par année. Si les Khunkhuns embauchaient Mme Kaur, leur revenu de ménage restant dépasserait à peine le SFR (sans tenir compte des heures supplémentaires qu’ils pourraient avoir à payer à Mme Kaur au cours de l’année).

[11] L’agent a donné à Mme Kaur l’occasion de répondre. Elle a simplement dit [traduction] « [qu’]ils ont l’argent ». L’entrevue a pris fin ainsi.

[12] La demande de Mme Kaur a été rejetée le 6 décembre 2019.

III. Questions en litige

[13] Mme Kaur conteste l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision de l’agent. L’une de ces questions est déterminante. La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie au motif que la décision de l’agent était inéquitable sur le plan procédural.

IV. Analyse

[14] Les questions d’équité procédurale ne sont soumises à aucune norme de contrôle particulière. La Cour doit plutôt être convaincue que l’équité procédurale a été respectée (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14, citant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54‑55).

[15] Le niveau d’équité procédurale qui s’impose à l’égard d’une personne qui demande un permis de travail temporaire se trouve à l’extrémité inférieure du spectre. Les demandeurs ne bénéficient généralement pas d’une occasion de répondre aux préoccupations pouvant être soulevées concernant le respect des exigences prévues à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ou au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] (Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 935 au para 19).

[16] Cependant, il peut y avoir une exception lorsqu’un agent a des préoccupations concernant l’authenticité ou la crédibilité des renseignements fournis dans la demande (Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 au para 15, citant Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24). Dans ces circonstances, un agent peut avoir l’obligation de demander des renseignements supplémentaires au demandeur. Lorsque cette obligation prend naissance, le demandeur doit avoir la possibilité de présenter son point de vue complètement de sorte qu’il soit considéré par le décideur (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 1999 CSC 699 au para 22).

[17] En l’espèce, l’agent a reconnu que Mme Kaur devait avoir l’occasion de prouver que son offre d’emploi était authentique puisqu’il a noté la mention suivante : [traduction] « Entrevue nécessaire ». Cependant, il n’a pas informé Mme Kaur de la nature de ses préoccupations avant qu’elle se présente à son entrevue.

[18] L’agent a émis l’hypothèse selon laquelle il serait déraisonnable pour les employeurs éventuels de Mme Kaur de lui offrir un salaire aussi élevé compte tenu de leurs ressources financières limitées. Il ne s’agissait pas d’une préoccupation à laquelle Mme Kaur pouvait répondre efficacement à l’entrevue sans avoir eu de préavis ou sans avoir eu l’occasion de consulter ses employeurs éventuels.

[19] La préoccupation de l’agent n’était pas liée au respect des exigences officielles prévues à la LIPR ou au RIPR, mais découlait d’une opinion subjective selon laquelle il serait déraisonnable pour les Khunkhuns d’embaucher Mme Kaur et de lui offrir un tel salaire. Cependant, comme le juge Manson l’a déclaré dans l’affaire Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 866, au paragraphe 21 :

[...] l’agent ne peut pas, sans motif raisonnable, attaquer la preuve sur la capacité financière de payer le salaire de la demanderesse alors que les éléments de preuve semblent clairement indiquer le contraire, et ne peut pas non plus ne pas donner la possibilité, par écrit ou autrement, à la demanderesse ou à l’employeur éventuel de réfuter les préoccupations de l’agent sur ce point, lorsque le refus repose sur ce seul motif. Au mieux, l’agent a tiré des inférences défavorables relativement à la capacité financière en se basant sur de simples conjectures. La décision enfreint les règles d’équité procédurale et est déraisonnable (Morillo de Ocampo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 447, au paragraphe 14).

[20] Je conclus donc que Mme Kaur n’a pas été adéquatement avisée des préoccupations de l’agent concernant la question de savoir si son offre d’emploi était authentique et qu’elle n’a pas eu non plus de véritable occasion d’y répondre.

V. Conclusion

[21] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7737‑19

 

INTITULÉ :

AMANDEEP KAUR c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence entre Surrey et Vancouver (Colombie‑Britannique) et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 10 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Aman Sandu

 

Pour la demanderesse

 

Ely‑Ann Hidalgo‑Simpson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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