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Date : 20210608


Dossier : IMM‑7496‑19

Référence : 2021 CF 571

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

CARINA DEL ROSARIO VELIZ BALCARCEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

  • [1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue le 25 novembre 2019 par laquelle un agent des visas [l’agent] d’Immigration et Citoyenneté Canada a refusé la demande de visa de la demanderesse qui sollicitait une levée de son exclusion de la catégorie du regroupement familial en invoquant des motifs d’ordre humanitaire [la décision].

  • [2] La demanderesse est une citoyenne du Guatemala. Son époux [l’époux], un citoyen canadien, est arrivé au Canada en 2013 et figurait sur la demande de résidence permanente de ses parents comme personne à charge les accompagnant. L’époux vit depuis au Canada et travaille dans la construction des espaces verts.

  • [3] En avril 2015, l’époux a présenté une demande en vue de parrainer la demanderesse et leur fils [le fils]. Je note que ce dernier est né en 2012, avant que l’époux n’arrive au Canada. Ni l’époux ni le fils n’avaient été déclarés sur la demande originale de 2013. Cette demande de 2015 a été refusée en juillet 2016, l’agent ayant estimé que la demanderesse et le fils n’étaient pas admissibles aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Le refus découlait du fait incontesté qu’ils n’avaient pas été déclarés lors du traitement de la demande de résidence permanente de l’époux :

II. Faits

Restrictions

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

Excluded relationships

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member of the sponsor and was not examined.

  • [4] L’époux a déposé un avis d’appel à la Section d’appel de l’immigration [la SAI], mais l’a retiré en apprenant que celle‑ci n’était pas compétente. Je note que la demanderesse affirme que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas demandées dans cette demande initiale, mais le défendeur soutient que ces considérations devaient être indiquées.

  • [5] En 2019, l’époux a présenté une nouvelle demande et sollicité, aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], la levée de l’interdiction de parrainer sa famille au titre de l’alinéa 117(9)d) du Règlement en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

  • [6] L’époux affirme dans sa preuve qu’il figurait comme personne à charge de ses parents lorsqu’il est devenu résident permanent, et que sa famille n’avait pas compris qu’ils devaient déclarer la demanderesse et le fils. Il ajoute qu’il avait l’intention de les parrainer une fois qu’il serait installé au Canada et qu’il aurait épousé la demanderesse. À son arrivée ici, cela faisait à peine un an qu’il vivait avec elle, il n’a pas réalisé qu’ils vivaient une union de fait qui devait être déclarée et pensait qu’il devait se marier pour pouvoir la parrainer. Il n’était pas représenté à l’époque et affirme ne pas avoir bien compris l’obligation de déclarer ses relations même si les personnes en cause ne l’accompagnaient pas au Canada à ce moment‑là.

  • [7] Dans sa demande, l’époux reconnaît avoir fait une erreur en omettant de mettre à jour/déclarer les renseignements pertinents. Il affirme que cette omission n’était pas intentionnelle et qu’elle ne visait ni à tromper ni à induire quiconque en erreur. La demande souligne les difficultés, le stress et le chagrin considérables endurés par la famille.

  • [8] La demanderesse fait aussi remarquer qu’elle a souffert au Guatemala. En 2003, son frère a été assassiné par des criminels. En 2015, sa famille a été victime d’extorsion et a reçu des menaces de mort. En 2018, un autre de ses frères a été poignardé à l’estomac et a failli mourir.

  • [9] En novembre 2019, l’agent a refusé d’accorder la dispense exceptionnelle fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et rejeté la demande de visa de résident permanent après avoir conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour lever l’interdiction au titre de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR.

  • [10] La seule question à trancher dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si la décision est raisonnable.

  • [11] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], le juge Rowe affirme que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] établit un cadre révisé de détermination de la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable en est le point de départ. Cette présomption peut être réfutée dans certains cas, dont aucun ne s’applique à la présente affaire. Par conséquent, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

  • [12] Dans l’arrêt Postes Canada, le juge Rowe explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et la démarche devant être suivie par une cour de justice qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle

IV. Question en litige

V. Norme de contrôle

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

  • [13] La Cour suprême déclare ce qui suit au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov : « [I]l ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ». La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

  • [14] Par ailleurs, l’arrêt Vavilov établit clairement que notre Cour n’a pas pour rôle d’apprécier et d’évaluer à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles » :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

  • [15] L’article 25 de la LIPR prévoit qu’un étranger peut demander la résidence permanente et solliciter une levée discrétionnaire des exigences prévues par la loi que le ministre pourra lui accorder s’il est d’avis que des considérations d’ordre humanitaire le concernant le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

  • [16] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada précise que les dispenses pour motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 sont l’exception et non la règle, et qu’elles ne sont pas censées constituer un régime d’immigration parallèle. À ce titre, il n’y a pas de droit à un résultat particulier.

  • [17] La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas accordé l’attention voulue aux circonstances d’ordre humanitaire de la présente affaire parce qu’il a omis de définir ou d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant touché, a imposé des critères stricts et distincts qui ont entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et a déraisonnablement négligé les conditions difficiles au Guatemala.

  • [18] À cet égard, la demanderesse avance un certain nombre d’observations alléguant que la décision est déraisonnable; j’examinerai celles que je juge les plus pertinentes sur ce point.

  • [19] Je note que le fils n’est pas une partie à la présente demande.

  • [20] La demanderesse fait valoir que l’agent ne s’est pas montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, a imposé des critères stricts et distincts semblables à celui des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » jugé déraisonnable dans l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 33, et n’a pas tenu compte du fait que l’octroi de la mesure permettrait à l’enfant de vivre avec ses deux parents, de recevoir un soutien physique et émotif quotidien sans se heurter aux difficultés que supposerait une séparation d’avec son père. Cette mesure permettrait également à l’époux de continuer à travailler pour son employeur actuel, de subvenir financièrement aux besoins de la famille et d’alléger le fardeau financier de devoir entretenir un foyer dans chaque pays.

  • [21] La demanderesse affirme que ces facteurs doivent être mis en contraste avec les difficultés qu’occasionnerait le refus pour les parents et l’enfant, notamment, une séparation constante et les conséquences défavorables découlant de l’absence inexpliquée d’un parent dans la vie de son enfant. La demanderesse ajoute qu’en tant que mère célibataire, elle continuera de faire face aux exigences physiques et émotionnelles ainsi qu’au chagrin que suppose la séparation d’avec son partenaire, laquelle a une incidence sur sa capacité de pourvoir à l’intérêt supérieur de son fils.

  • [22] La demanderesse affirme que la décision d’instance inférieure est semblable à celle qui avait été jugée déraisonnable dans la décision Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 175 [juge Russell], où le parrainage avait pareillement été interdit aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’agent avait fait une fixation sur le défaut du répondant de déclarer le demandeur à titre de membre de la famille, aux dépens de tous les autres facteurs, qu’il avait présenté un exposé général du droit pour dire que l’intérêt supérieur de l’enfant avait été pris en compte et qu’il n’avait ni cerné ni abordé les principaux facteurs d’ordre humanitaire avancés par le demandeur, ce qui rendait la décision déraisonnable. La Cour a qualifié cette analyse, qui voyait l’enfant séparé indéfiniment de son parent canadien, d’« inhumaine […] par son effet sur un jeune enfant, ainsi que sur sa famille immédiate », et déclaré :

A. Intérêt supérieur de l’enfant

[52] Les choix de ses parents n’ont rien à voir avec le dénuement dans lequel se trouve actuellement le demandeur. La décision est remplie d’erreurs susceptibles de révision selon l’ancienne loi, et elle devrait faire l’objet d’un réexamen quoi qu’il en soit. Cette loi a changé considérablement depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61.

[…]

[54] À mon avis, l’agent n’aurait pu parvenir à ces conclusions qu’en ignorant les éléments de preuve dans cette affaire ou en faisant preuve d’aveuglement volontaire quant aux faits dont il disposait, lesquels appuyaient la demande pour considération d’ordre humanitaire.

  • [23] Le défendeur fait valoir que la demanderesse demande essentiellement à notre Cour d’apprécier à nouveau la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Je suis respectueusement d’accord. Il cite l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana] [juge d’appel Nadon], une affaire de demande de dispense d’ordre humanitaire visant le refus d’un visa au titre de l’alinéa 117(9)d) qui porte sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a réitéré la décision qu’elle avait rendue dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 [juge d’appel Décary] selon laquelle un agent est présumé savoir que les enfants vivant au Canada bénéficieront généralement de nombreuses opportunités dont ils ne pourraient se prévaloir dans d’autres pays, et qu’il est généralement plus désirable pour eux de résider avec leurs parents que d’en être séparés. La Cour d’appel fédérale a noté que les facteurs pertinents appelés à être examinés par l’agent des visas comprenaient notamment : la séparation géographique d’avec le parent; les liens véritables avec les membres de la famille en termes de relation continue par opposition à un simple lien biologique; les périodes antérieures de séparation; le degré de soutien psychologique et émotif pour ce qui est des autres membres de la famille; les possibilités pour la famille d’être réunie dans un autre pays; la dépendance financière et la situation particulière des enfants.

  • [24] La demanderesse soutient que la décision Kisana ne peut se voir accorder aucun poids étant donné qu’elle a été tranchée avant l’arrêt Kanthasamy aux termes duquel l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini » et « examiné avec beaucoup d’attention ». Elle ajoute que la décision Kisana va également à l’encontre de l’arrêt Vavilov qui établit au paragraphe 98 que « [l]orsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité ».

  • [25] Cependant, à mon avis, la décision en l’espèce n’a pas été tranchée suivant une norme juridique incorrecte, mais sur les faits. À cet égard, et selon mon analyse, l’agent a raisonnablement considéré le fils et reconnu qu’il pourrait bénéficier de meilleures opportunités au Canada. Il a également tenu compte du fait qu’il a vécu avec la demanderesse et ses grands‑parents établis au Guatemala, et que l’époux vit avec la famille pendant 3‑5 mois par année. À mon avis, l’agent s’est montré réceptif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.

  • [26] Même si la demanderesse affirme que l’importance de l’unité familiale est reconnue comme un objet directeur de la LIPR et dans le droit canadien en général, une proposition à laquelle je souscris, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant tient compte du fait que les avantages inhérents au fait de vivre au Canada ne font pas en eux‑mêmes pencher la balance en faveur de l’enfant qui tombe sous le coup de notre système d’immigration (Habtenkial c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180 [juge d’appel Pelletier], aux para 46‑48).

  • [27] La demanderesse fait valoir que la décision est déraisonnable parce qu’elle minimise et néglige les difficultés pour l’enfant et la famille. D’après elle, le décideur a reconnu que la séparation était difficile tout en négligeant de manière déraisonnable les difficultés inhérentes à l’arrangement actuel. À cet égard, l’agent a estimé que la demanderesse [traduction] « n’a fourni aucune preuve indépendante établissant que ce [sic] a reçu un diagnostic d’anxiété ou de dépression ou qu’il ne peut obtenir de traitement adéquat », ajoutant que [traduction] « de nombreuses personnes dans le monde sont séparées de leur famille et il ne s’agit pas d’une situation unique ». L’agent a estimé et déclaré s’être montré [traduction] « sensible aux difficultés auxquelles fait face le Guatemala, [mais] les conditions générales du pays ne peuvent être considérées comme visant exclusivement la DP et l’enfant qui l’accompagne », appliquant ainsi au fond le critère des difficultés « inhabituelles », injustifiées et démesurées jugé inapproprié comme fondement unique de l’analyse d’ordre humanitaire dans l’arrêt Kanthasamy.

  • [28] J’ai examiné l’incidence de l’arrêt Kanthasamy dans la décision Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72 :

B. Difficultés

[29] À mon humble avis, la Cour suprême du Canada, dans Kanthasamy, a modifié les critères juridiques que les représentants du ministre doivent utiliser pour évaluer les demandes pour des motifs d’ordre humanitaire. Il ne fait aucun doute qu’avant Kanthasamy, le critère des difficultés était le critère général, même si les tribunaux avaient reconnu qu’il ne s’agissait pas du seul.

[30] Dans Kanthasamy, la Cour s’est penchée sur l’historique du pouvoir discrétionnaire lié aux motifs d’ordre humanitaire conféré à l’article 25 de la LIPR. La Cour suprême du Canada a réaffirmé que Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] AIA no 1 [Chirwa], présentait des principes directeurs importants pour les évaluations liées aux motifs d’ordre humanitaire qui doivent être appliqués avec l’analyse plus ancienne des « difficultés » exigée par les Lignes directrices :

[13] C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 338, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 350). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [traduction] « chagrin ou pitié provoquée par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 350). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 350).

[31] La Cour suprême du Canada a ensuite indiqué ce qui suit :

[21] Mais comme le montre l’historique législatif, la série de dispositions « d’ordre humanitaire » formulées en termes généraux dans les différentes lois sur l’immigration avait un objectif commun, à savoir offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Chirwa, p. 350).

[32] En ce qui concerne les difficultés, la Cour suprême du Canada a indiqué que le critère à cet égard s’applique toujours, tout en ajoutant ce qui suit :

[33] L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent.

[Caractères italiques dans l’original.]

[33] Dans mon examen des motifs de l’agent, je n’arrive pas à trouver d’appréciation de l’approche Chirwa. À mon humble avis, les agents chargés des demandes pour motifs d’ordre humanitaire doivent non seulement tenir compte des facteurs traditionnels des difficultés, mais également de l’approche Chirwa. Je ne dis pas qu’ils doivent réciter Chirwa dans son intégralité, non plus qu’ils doivent utiliser une formule magique ou des mots spéciaux. Les cours de révision doivent cependant avoir une raison de croire que les agents ont fait leur travail, autrement dit, que les agents chargés des demandes pour motifs d’ordre humanitaire ont tenu compte, outre les difficultés, de facteurs humanitaires au sens plus élargi.

  • [29] Cependant, malgré les habiles observations de l’avocat, je ne suis pas convaincu que les circonstances dans Marshall s’appliquent en l’espèce.

  • [30] Au contraire, je suis d’accord avec le défendeur qui a soutenu que les notes et les motifs de l’agent rendent compte des observations de la demanderesse et attestent qu’il a examiné tous les facteurs, la situation de la famille et les documents sur les conditions dans le pays :

  1. Raisons pour lesquelles l’époux et l’enfant n’ont pas été déclarés : L’agent a reconnu l’explication de l’époux portant que l’omission n’était pas intentionnelle, mais il a raisonnablement estimé que les dispenses d’intérêt public étaient inapplicables attendu que l’époux n’aurait pas été admissible en tant qu’enfant à charge au titre de la demande de ses parents s’il avait déclaré son épouse et son enfant.

  2. Séparation familiale : L’agent a tenu compte du fait que la séparation de la famille a entraîné une dépression et de l’anxiété. Cependant, l’époux n’a fourni aucune preuve indépendante attestant un diagnostic ou un traitement. L’agent a estimé que la séparation de la famille était un choix de l’époux qui pouvait retourner au Guatemala. Le défendeur a également noté que la demanderesse n’avait fourni aucune preuve établissant que l’époux ne pouvait obtenir un emploi ou vivre en sécurité au Guatemala.

  3. Intérêt supérieur de l’enfant : Ayant examiné les observations de la demanderesse concernant les conditions dans le pays pour ce qui est de la criminalité et de l’insécurité, l’agent a reconnu que le Canada offrait de meilleures opportunités, tout en estimant que cela ne suffisait pas à justifier l’octroi d’une dispense aux termes de l’article 25 de la LIPR.

  4. Conditions régnant au Guatemala : Les allégations liées aux menaces et à l’attaque au couteau d’un membre de la famille ont également été prises en compte, mais n’ont pas été corroborées. De plus, rien n’indique que la demanderesse et le fils ont été directement menacés ou qu’ils ont subi un préjudice et aucune preuve n’établit qu’ils ont continué de vivre avec des membres de la famille qui recevaient des menaces.

  • [31] Je ne suis pas convaincu que l’agent ait tiré une conclusion liée à la crédibilité en ce qui touche les conditions dans le pays et l’extorsion de membres de la famille; il a plutôt conclu en évaluant le dossier que la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments attestant des menaces directes ou établissant que l’époux ne pouvait trouver du travail au Guatemala, ni présenté de preuve sur les conditions au Guatemala qui lui rendraient la vie difficile dans ce pays. Il était loisible à l’agent de tirer ces conclusions.

  • [32] La demanderesse demande vraiment à notre Cour en l’espèce d’apprécier et d’évaluer à nouveau les facteurs, les circonstances et la preuve. Cependant, comme l’indique clairement la jurisprudence, notre Cour n’a pas pour rôle, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve ni de substituer ses conclusions factuelles à celles de l’agent. Pour autant que les conclusions ont un fondement raisonnable et qu’elles sont transparentes, intelligibles et justifiées au regard des contraintes découlant du droit et du dossier, notre Cour ne peut intervenir.

  • [33] J’estime respectueusement que la demanderesse n’a pas établi que la décision était déraisonnable. Les conclusions de l’agent étaient transparentes, intelligibles et justifiées compte tenu des faits et du droit qui lui ont été présentés. Par conséquent, le contrôle judiciaire doit être rejeté conformément à l’arrêt Vavilov.

  • [34] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et aucune question de ce type ne se pose.

VII. Conclusion

VIII. Question certifiée


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7496‑19

LA COUR STATUE que le contrôle judiciaire est rejeté, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7496‑19

 

INTITULÉ :

CARINA DEL ROSARIO VELIZ BALCARCEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Erica Olmstead

POUR LA DEMANDERESSE

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co. Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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