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Date : 20210609


Dossier : IMM‑7145‑19

Référence : 2021 CF 579

[traduction française]

Ottawa, (Ontario), le 9 juin 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SALIM MUHAMMED ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] en date du 29 octobre 2019 rendue par un agent des visas [l’agent] à l’ambassade du Canada au Mexique rejetant la demande de permis de travail au Canada du demandeur et concluant que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour cinq ans aux termes de l’alinéa 40(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important dans sa demande.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, la demande est accueillie parce que l’agent a omis de procéder à une analyse intelligible de l’exigence du caractère substantiel aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. En juin 2018, pendant qu’il résidait au Mexique, il a présenté une demande de permis de travail temporaire au Canada. Dans la demande, il a répondu « Oui » à la question « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » sur le formulaire. Sous sa réponse, il a écrit qu’il lui avait été ordonné de quitter les États‑Unis [les É.‑U.] en 2011 et qu’il était retourné au Pakistan. Il a aussi répondu « Oui » à la question « Avez‑vous déjà commis, été arrêté, accusé ou reconnu coupable d’une infraction pénale quelconque dans un pays ou un territoire? ».

[4] Le demandeur a joint à sa demande un avis juridique qui abordait la question de l’interdiction de territoire pour criminalité. Selon cet avis, le demandeur a fait l’objet d’une ordonnance de probation de cinq ans aux É.‑U. pour deux chefs d’accusation d’attentat à la pudeur d’un enfant le 14 octobre 1993 et les accusations ont été abandonnées en 2003 à l’issue de la période de probation. Le document portait aussi sur les procédures de renvoi aux É.‑U., qui avaient été prises contre le demandeur à la suite des accusations mentionnées précédemment et sur l’omission de celui‑ci de divulguer les accusations aux autorités américaines de l’immigration, et comportait en annexe des copies de documents connexes.

[5] Le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale [la LEP], en date du 9 octobre 2019, l’informant de préoccupations selon lesquelles il n’avait pas répondu honnêtement à toutes les questions qui étaient posées dans la demande. Plus précisément, l’agent des visas qui a traité sa demande n’était pas convaincu que le demandeur avait déclaré tous ses démêlés avec les forces de l’ordre et refus antérieurs prononcés aux É.‑U. dans sa demande. L’agent a expliqué que, s’il était établi que le demandeur avait fait de fausses déclarations quand il a présenté sa demande, il serait déclaré interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et une telle déclaration le rendrait interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans aux termes de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[6] Le 16 octobre 2019, l’avocat du demandeur a produit une lettre en réponse à la LEP. L’avocat a reconnu que le demandeur n’avait pas inscrit deux refus de dispense qui avaient été prononcés aux É.‑U. après son renvoi de ce pays, en 2011. La lettre expliquait que le demandeur croyait que les dispenses n’étaient pas considérées comme [traduction] « un visa ou un permis » selon la formulation utilisée sur le formulaire de demande et, par conséquent, ne les avait pas incluses dans sa réponse.

[7] Le demandeur a aussi répondu par écrit à la LEP. Il a réitéré qu’il n’avait pas sciemment caché de l’information ou fait une présentation erronée sur de l’information dans sa demande. Il a fourni des explications quant à la procédure de renvoi prise contre lui aux É.‑U., à l’issue de laquelle il a été renvoyé de ce pays en 2011. Il a précisé qu’il avait présenté deux demandes de dispense pour entrer à nouveau aux É.‑U. après son renvoi, mais qu’elles avaient été rejetées. Il a aussi fait savoir qu’il avait été accusé de vol après avoir reçu des biens volés en 1999, mais que les accusations avaient été abandonnées. Il a expliqué que, parce que les accusations criminelles ayant été portées en 1999 avaient été abandonnées et qu’elles étaient beaucoup moins graves que les accusations portées contre lui en 1993 qui avait été divulguées sur sa demande de permis de travail, il estimait qu’elles n’avaient pas le même poids que les accusations de 1999. Il a aussi produit un affidavit de son avocat aux É.‑U. décrivant ses antécédents en matière pénale et d’immigration, et des documents d’appui.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. L’agent a aussi fait savoir au demandeur qu’il serait interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans aux termes de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[9] La décision est consignée dans une lettre de l’agent datée du 29 octobre 2019 et dans les notes connexes versées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. La lettre disait que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions dans les documents qu’il avait produits à l’appui de sa demande, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR. Plus précisément, l’agent renvoie à l’omission du demandeur de déclarer les multiples refus ou mesures d’application de la loi dont il avait fait l’objet aux É.‑U.

[10] Les notes consignées dans le SMGC exposent le contexte quant à la décision d’envoyer la LEP au demandeur. Elles précisent que les autorités canadiennes ont appris grâce au partage d’information que des mesures d’application de la loi avaient été prises à l’encontre du demandeur en 2005, en 2011 et en 2017 et que ce dernier avait présenté des demandes aux É.‑U. en 2005, en 2014 et en 2015, mais qu’il n’avait déclaré qu’un ordre de quitter le pays en 2011.

[11] Les notes versées dans le SMGC font aussi état d’arguments soulevés par le demandeur et son représentant en réponse à la LEP à la suite desquels l’agent affiche l’analyse sous‑tendant la décision. L’agent fait remarquer que le demandeur était représenté par un avocat chevronné et dit estimer qu’il aurait dû saisir et comprendre les questions et les conséquences des déclarations qu’il a faites sur ses formulaires de demande. Il précise qu’il a examiné la réponse du demandeur à la LEP et qu’il l’a prise en compte. Toutefois, après avoir consulté les dispositions de la LIPR sur les fausses déclarations, l’agent conclut que celles‑ci s’appliquent clairement en l’espèce parce que, si les fausses déclarations du demandeur avaient été tenues pour avérées, les procédures administratives habituelles pour le traitement de la demande, en ce qui concerne les présentations erronées, n’auraient pas été suivies.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[12] Le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. Le demandeur a‑t‑il bénéficié d’une occasion équitable sur le plan de la procédure de répondre aux préoccupations de l’agent;

  2. La conclusion de fausses déclarations aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR était‑elle déraisonnable;

  3. Les fausses déclarations alléguées portaient‑elles sur un fait important?

[13] Les parties conviennent que les deux dernières questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et que la norme de la décision correcte s’applique à la première question se rapportant à l’équité procédurale.

V. Analyse

[14] Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur les arguments avancés par le demandeur au sujet de la troisième question mentionnée précédemment : les fausses déclarations du demandeur, s’il y a lieu, portaient‑elles sur un fait important? Comme en conviennent les deux parties, pour que s’applique l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, deux exigences doivent être remplies : a) il doit y avoir eu une fausse déclaration; b) cette fausse déclaration doit être importante au point d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (voir, p. ex., la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1313 au para 17).

[15] La lettre en date du 29 octobre 2019 communiquant la décision au demandeur ne fait pas état expressément des fausses déclarations sur lesquelles est fondée la décision. Elle ne fait que mentionner que le demandeur a omis de déclarer de multiples refus ou mesures d’exécution de la loi dont il avait fait l’objet aux É.‑U. Les notes versées dans le SMGC sont plus étoffées, mais, même si elles ne sont pas beaucoup plus édifiantes quant aux fausses représentations en question, je crois comprendre que les parties conviennent que la décision porte, du moins de manière importante, sur l’omission de déclarer le rejet de deux demandes de dispense de visa aux É.‑U. signifié au demandeur après son renvoi, en 2011.

[16] Je souscris à cette interprétation de la décision, puisque les notes versées dans le SMGC soulignent l’explication donnée par le demandeur, en réponse à la LEP, selon laquelle il croyait que les deux refus de ses demandes de dispense de visa aux É.‑U. n’étaient pas considérés comme des visas ou permis qui, selon le libellé de la question en cause dans le formulaire de demande qu’il avait rempli en juin 2018 devaient faire l’objet d’une divulgation. Les notes font ensuite état de l’analyse effectuée par l’agent selon laquelle, comme le demandeur était représenté par un avocat chevronné qui comprend les exigences du processus, le demandeur aurait dû comprendre les questions et les conséquences de ses déclarations. Pour moi, cette analyse signifie que l’agent rejette l’explication donnée par le demandeur quant à son omission de divulguer les refus des demandes de dispense de visa. Cette interprétation est conforme à la conclusion selon laquelle la décision était fondée sur l’omission de divulguer ces refus.

[17] Toutefois, en ce qui concerne l’importance de l’omission de divulguer ces refus, l’analyse figurant dans la décision se limite au passage qui suit des notes versées dans le SMGC :

[traduction]

Cela s’applique clairement dans le présent cas. Si les fausses représentations avaient été tenues pour avérées, l’agent n’aurait pas suivi les procédures administratives habituelles pour le traitement de la demande, en ce qui concerne les présentations erronées.

[18] Le demandeur soutient que cette conclusion n’est pas intelligible parce qu’elle ne tient pas compte du fait que les refus des demandes de dispense de visa prononcés aux É.‑U. reposaient sur les mêmes faits dans les antécédents du demandeur en matière pénale et d’immigration, comme le renvoi de 2011, qu’il avait dévoilé totalement. Il souligne que sa demande initiale de juin 2018 comportait des précisions importantes sur ces antécédents. Il prétend que, avec cette demande, l’agent possédait l’information voulue pour effectuer une analyse exhaustive de ses antécédents aux É.‑U., et pour examiner son admissibilité actuelle au Canada. Par conséquent, le demandeur soutient qu’il ne ressort pas clairement quelles procédures administratives pour le traitement de sa demande auraient pu être omises à la suite de son omission de divulguer les refus des demandes de dispense de visa prononcés aux É.‑U.

[19] Le demandeur soutient que ces circonstances sont analogues à celles dans la décision Koo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, qui concernaient des omissions dans l’information fournie dans un formulaire de demande, alors que l’information en question avait été communiquée aux autorités de l’immigration dans d’autres documents. Le juge de Montigny a conclu que l’agente n’avait pas effectué l’analyse appropriée afin d’établir si l’omission était importante puisque l’information figurait au dossier et que l’agente pouvait la consulter (au para 26).

[20] C’est là un argument que je trouve convaincant. Il y a peut‑être des mesures que l’agent des visas aurait prises ou des procédures qu’il aurait suivies s’il avait eu connaissance des refus des demandes de dispense de visa et des autres renseignements divulgués par le demandeur. Cependant, la décision ne contient aucune explication quant à ces procédures ni aucune analyse de la question.

[21] Le défendeur souligne qu’il n’est pas nécessaire qu’une fausse déclaration soit décisive ou déterminante pour être importante. Il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé. Ce qui compte, c’est de savoir si des réponses mensongères ou trompeuses ont pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes, même si ces enquêtes pourraient ne pas révéler un motif d’interdiction de territoire indépendant (voir la décision Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87 au para 13).

[22] De plus, le défendeur cite d’autres décisions dans lesquelles ces principes ont été appliqués dans le contexte de l’omission de divulguer un refus de visa prononcé antérieurement aux É.‑U. Dans les décisions Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun] et Algohar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1364, la Cour a conclu que les omissions des demandeurs de visa de résident temporaire de divulguer des refus de visas prononcés antérieurement aux É.‑U. constituaient des omissions importantes.

[23] Bien que j’accepte les principes abordés dans ces décisions, je souscris néanmoins à la position du demandeur selon laquelle ces affaires sont différentes étant donné qu’il s’agissait de situations dans lesquelles le demandeur avait complètement omis de divulguer ses antécédents défavorables en matière d’immigration. Par exemple, la décision Goburdhun mentionne que l’agent avait conclu que l’omission du demandeur de divulguer les refus de demandes de visa antérieurs constituait une tentative délibérée de dissimuler à la fois le refus et les motifs du refus (au para 8). C’est dans ce contexte que la juge Strickland a statué que, bien qu’il eût été préférable que l’agent précise la procédure d’enquête et de vérification que la fausse déclaration aurait empêché d’amorcer, le manque de précision n’entache pas la décision de l’agent de nullité (au para 42).

[24] En revanche, en l’espèce, l’agent connaissait les motifs des refus des demandes de dispense de visa prononcés antérieurement aux É.‑U. (c.‑à‑d. les fausses déclarations que le demandeur avait faites aux autorités américaines de l’immigration et le renvoi des É.‑U. qui s’en était suivi) grâce à la divulgation qu’en avait faite le demandeur dans sa demande initiale de juin 2018. Par conséquent, j’estime que l’agent était tenu de fournir une explication quant à sa conclusion selon laquelle l’omission de divulguer ces refus aurait fait en sorte que des procédures particulières auraient été omises dans le traitement de la demande.

[25] Dans la décision Goburdhun, la juge Strickland a aussi rejeté l’argument avancé par le défendeur selon lequel sa réponse incorrecte n’avait pas eu d’incidence sur le processus parce que l’erreur avait été découverte par les autorités de l’immigration avant qu’une décision ne soit rendue (au para 43). Là encore, la situation est différente de la présente affaire, puisqu’en l’espèce le contexte des refus de dispense avait été dévoilé par le demandeur dans sa demande de juin 2018 et n’avait pas été découvert par les autorités par d’autres moyens.

[26] Pour conclure, j’estime que la décision n’est pas intelligible et, par conséquent, est déraisonnable en ce qui concerne l’appréciation de l’exigence du caractère substantiel prévue à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Ainsi, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, la décision de l’agent doit être annulée, et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision. Il est donc inutile que la Cour examine les autres arguments soulevés en l’espèce.

[27] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question n’est énoncée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7145‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOssier :

IMM‑7145‑19

INTITULÉ :

SALIM MUHAMMED ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par vidéoconférence à partir de TORONTO

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 mai 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

le 9 JUiN 2021

COMPARUTIONS :

Peter Salerno

pour lE demandeUR

 

James Todd

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Toronto (Ontario)

pour lE demandeUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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