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Date : 20210608


Dossier : IMM‑3990‑20

Référence : 2021 CF 572

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2021

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

CHENGXIAN JIANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Chengxian Jiang, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 août 2020 [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel au titre du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et confirmé la décision du 26 août 2019 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits

[3] Le demandeur, un citoyen chinois, craint d’être persécuté en raison de son opposition à l’expropriation de sa propriété par les autorités chinoises. Tous les détails relatifs à sa demande d’asile sont présentés dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile, puis soigneusement résumés comme suit dans son mémoire des faits et du droit.

[4] Le 10 août 2017, le demandeur a reçu un avis du gouvernement l’informant que son terrain serait exproprié. Deux semaines plus tard, il a reçu un avis d’indemnisation dont le montant lui a semblé déraisonnablement bas. Cinquante foyers de sa région étaient affectés par l’expropriation; les propriétaires se sont rencontrés pour discuter de l’affaire et ont décidé de se plaindre au gouvernement de la ville au sujet du montant de l’indemnisation.

[5] Le 28 août 2017, le groupe s’est rendu au bureau du gouvernement de la ville; il a été refoulé et sommé de désigner des représentants pour le défendre. Le groupe a élu par la suite huit représentants, dont le demandeur, puis a décidé d’obtenir des évaluations foncières. Ils ont aussi rédigé une pétition qui a été signée par les 50 propriétaires. Les représentants sont retournés voir le gouvernement de la ville à trois reprises et se sont fait dire qu’ils devaient attendre. Ils ont également été informés qu’une décision dans cette affaire pouvait prendre six mois ou plus.

[6] Au début de décembre 2017, deux propriétaires ont consulté des avocats qui leur ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire.

[7] Le 11 avril 2018, des agents de démolition se sont rendus dans le village du demandeur dans l’intention de démolir les maisons par la force. Les villageois ont protesté et formé un barrage humain pour empêcher la démolition. La police a fini par arriver sur les lieux et a procédé à l’arrestation de villageois. Une douzaine de personnes, dont le demandeur, ont été arrêtées. Il a été détenu pendant deux semaines puis libéré sous caution.

[8] Le demandeur a subi des blessures découlant des passages à tabac dont il a été victime en détention. Après sa mise en liberté, sa mère a décidé qu’il devait quitter la Chine. Avec l’aide d’un passeur, il a quitté le pays le 28 juin 2019. Sa propriété a été démolie le même mois.

[9] Le demandeur craint d’être persécuté en raison de son opposition à l’expropriation de sa propriété par les autorités chinoises.

A. La décision de la SPR

[10] En août 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, estimant que ses allégations n’étaient pas crédibles. Les éléments qu’elle a considérés comprenaient notamment les suivants :

Le demandeur a fourni une preuve incohérente concernant l’expropriation du terrain /la démolition et les événements connexes, sans fournir d’explication satisfaisante.

Le demandeur a déclaré durant son témoignage qu’il avait reçu l’avis de démolition le 10 août 2017 et que sa mère était partie au Canada le 15 août suivant. La SPR a estimé qu’il n’était pas crédible que sa mère quitte la Chine peu après la réception de l’avis de démolition, puis de nouveau lorsque le demandeur était en détention, pour s’occuper de l’enfant de son frère au Canada; compte tenu en particulier des efforts qu’elle a déployés pour assurer sa sécurité et son bien‑être.

Le demandeur n’a pas raisonnablement expliqué pourquoi le passeport qu’il a tenté de détruire à son arrivée au Canada indiquait qu’il avait voyagé avant d’arriver ici et pourquoi les tampons figurant sur ce passeport n’établissaient pas qu’il se trouvait en Chine au moment de sa prétendue détention. La SPR a rejeté les explications portant que les tampons n’étaient pas authentiques, que les passeports ne sont pas tamponnés au retour en Chine et qu’il avait reconnu avoir fait ces voyages durant son entrevue avec l’ASFC sur les conseils du passeur qui l’avait aidé à entrer au Canada.

Les documents fournis pour corroborer la demande d’asile n’étaient pas suffisamment probants pour l’emporter sur les préoccupations liées à la crédibilité. Ces documents étaient un avis de détention, un certificat de mise en liberté, et un reçu de la somme versée pour sa mise en liberté, fourni par le bureau de la sécurité publique (le BSP).

De plus, le demandeur n’a fourni aucun document concernant son traitement médical. Il a expliqué que le docteur chinois qui l’avait traité avait écrit quelque chose, mais qu’il n’avait pas soumis le document en question, pensant qu’il était inutile. Cependant, si le docteur avait véritablement écrit quelque chose, il n’était pas crédible qu’il n’ait pas fourni le document.

B. La décision de la SAR

[11] La SAR a examiné le dossier et convenu avec le demandeur que la SPR avait eu tort de ne pas évaluer convenablement ses documents justificatifs, attendu qu’ils concernaient le cœur de son allégation selon laquelle il avait été arrêté par les autorités chinoises pour avoir protesté contre l’expropriation de sa propriété.

[12] La SAR a estimé qu’elle était en mesure de mener sa propre évaluation de ces documents sans tenir d’audience. Elle a aussi conclu qu’elle pouvait évaluer la lettre de la mère du demandeur ainsi que l’affidavit de ce dernier sans tenir d’audience, à la lumière de l’ensemble des conclusions dans la décision. La SAR a estimé en outre que ces renseignements ne justifieraient pas en eux‑mêmes d’accueillir ou de rejeter la demande d’asile.

[13] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas été arrêté pour avoir protesté et qu’il n’était pas recherché par les autorités. Comme cela était déterminant pour l’issue de la demande d’asile, elle n’a pas jugé nécessaire d’aborder les autres arguments avancés par le demandeur.

[14] Même si elle a admis la nouvelle preuve de la mère du demandeur, la SAR n’a accordé aucun poids à la lettre de cette dernière parce qu’elle était incompatible avec les autres conclusions et éléments de preuve documentaire, et que le moment auquel la lettre avait été envoyée était suspect.

[15] Le demandeur a fourni plusieurs documents concernant l’expropriation du terrain en Chine. La SAR a estimé que ces documents ne pouvaient qu’attester l’expropriation, l’offre d’indemnisation, l’évaluation de sa propriété, la pétition et la destruction d’une propriété, sans toutefois appuyer les allégations du demandeur portant qu’il avait protesté contre l’offre d’indemnisation, qu’il avait été détenu et battu par les autorités, ou que ces dernières étaient encore à sa recherche.

[16] La SAR a estimé que de nombreux documents étaient frauduleux. Par ailleurs, elle a fait remarquer que le fait de soumettre un document faux ou irrégulier pouvait avoir une incidence sur le poids accordé aux autres documents fournis par le demandeur, surtout lorsqu’ils sont interreliés, ainsi que sur la crédibilité globale d’un appelant.

[17] La SAR a relevé des incohérences dans l’avis de détention et conclu qu’il ne s’agissait pas d’un document authentique. Elle a fait remarquer que, d’après la jurisprudence, un document peut se voir accorder peu ou pas de poids si une preuve suffisante met en doute son authenticité, soit en raison d’une irrégularité visible à première vue ou des circonstances douteuses dans lesquelles il a été obtenu ou fourni. Bien que la preuve de la disponibilité généralisée de documents frauduleux dans un pays ne suffise pas en soi à rejeter les documents étrangers comme étant des faux, la SAR a conclu que cette preuve pourrait être pertinente s’il existe d’autres raisons de remettre en cause les documents ou la crédibilité d’un demandeur d’asile. La SAR a également tenu compte du fait que les documents frauduleux, même d’une certaine complexité, sont très répandus en Chine. Elle a tiré une inférence défavorable en matière de crédibilité de la présentation du document frauduleux et conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été détenu.

[18] La SAR a également estimé que le reçu de caution du demandeur était frauduleux, citant les motifs suivants. Premièrement, le document ne mentionne nulle part que l’argent a été versé à titre de caution pour la mise en liberté du demandeur. Deuxièmement, sous la rubrique intitulée Nom du sujet figurait la mention [traduction] « Atteinte à la sécurité sociale » plutôt que le nom du demandeur. Troisièmement, la SAR a noté que le montant de 5 300 yuans a été versé par le demandeur, ce qui contredit sa preuve selon laquelle ce paiement avait été fait par son oncle. La SAR a également estimé que ce reçu était interrelié à d’autres documents touchant à sa détention et dont il a été établi qu’ils étaient frauduleux.

[19] D’après la SAR, aucune preuve n’attestait un procès en instance; le demandeur avait pu quitter le pays malgré le fait qu’il était défendeur dans un procès criminel; rien dans l’avis de mise en liberté ni dans un autre document ne faisait état d’une affection médicale nécessitant sa mise en liberté; et le reçu que le demandeur a fourni n’indique pas que l’argent a été versé à titre de caution. Pour ces motifs, la SAR a conclu que le certificat de mise en liberté n’était pas authentique.

[20] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il se trouvait en Chine au moment des événements allégués. Le passeport chinois portant son nom et ayant été récupéré par les autorités de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] dans la salle de bain de l’avion à bord duquel le demandeur est arrivé montrait qu’il était sorti de Chine à deux reprises : le 23 septembre et le 23 novembre 2017. Même si le demandeur a déclaré que les passeports ne sont pas tamponnés lorsque leurs détenteurs rentrent en Chine, il ressort clairement des tampons que les passeports sont tamponnés à la sortie, ce que confirme la preuve documentaire.

[21] La SAR a fait remarquer que le passeport du demandeur ne comportait aucun tampon de sortie daté du 28 juin 2018, date de son départ allégué de Chine. Le demandeur a déclaré que tous les tampons relatifs aux voyages qu’il avait faits dans d’autres pays avant juin 2018 ont été placés par le passeur dans le passeport et qu’il n’a jamais quitté la Chine avant cette date. Cependant, la SAR a fait remarquer que l’ASFC lui avait fourni, au moment de l’entrevue du 2 juillet 2018, des renseignements indiquant qu’il avait tenté d’entrer au Canada à au moins quatre reprises au cours de l’année précédente, en provenance du Panama, du Costa Rica, de la Jamaïque et des Pays‑Bas. L’agent de l’ASFC a noté qu’il avait tenté d’embarquer sur des vols à destination du Canada. Par ailleurs, le demandeur a déclaré en réponse à la question 4(E) de l’annexe A du formulaire 22 que l’entrée en provenance de la Jamaïque lui avait été refusée en janvier 2018.

[22] Le demandeur a déclaré à l’entrevue de l’ASFC qu’il avait tenté d’embarquer en Jamaïque dans un avion à destination du Canada avant que ses problèmes ne débutent, mais qu’il n’y avait pas été autorisé. À l’audience devant la SPR, il a affirmé que cela ne s’était jamais produit et que c’était ce que le passeur lui avait conseillé de dire. La SAR a estimé que l’explication donnée par le demandeur pour justifier l’incohérence n’était pas raisonnable étant donné qu’il avait évoqué la Jamaïque dans l’annexe A de son formulaire et parce que l’ASFC savait déjà qu’il avait tenté de venir au Canada à quatre reprises dans l’année précédente.

[23] La SAR a estimé que la question de savoir si le demandeur avait été arrêté pour avoir protesté en avril 2018 était au cœur de ses allégations et qu’elle était déterminante pour l’issue de la demande d’asile. Ayant conclu qu’il n’avait pas établi ces événements selon la prépondérance des probabilités, la SAR a conclu que le demandeur n’intéressait pas les autorités chinoises et qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse qu’il soit persécuté s’il retournait en Chine.

III. Questions en litige

[24] Le demandeur soulève un certain nombre d’arguments quant au caractère raisonnable de la décision de la SAR. D’après lui, la demande soulève trois questions distinctes :

(i) La SAR a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité?

(ii) La SAR a‑t‑elle commis une erreur déterminante lorsqu’elle a remis en question les documents corroborants du demandeur en invoquant des préoccupations qui n’avaient pas été soulevées par la SPR?

(iii) La SAR a‑t‑elle effectué une évaluation déraisonnable de la nouvelle preuve du demandeur et manqué de convoquer une audience?

IV. Norme de contrôle

[25] La norme de contrôle applicable ne fait pas débat. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle du caractère raisonnable, ajoutant qu’une cour de révision ne doit y déroger que « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige ». Aucune indication de ce type n’est présente en l’espèce.

[26] La norme du caractère raisonnable est fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La Cour doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont disposait le décideur et de l’incidence de la décision sur ceux qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[27] Les motifs fournis dans le cadre d’une décision sont le point de départ du contrôle (Vavilov, au para 84). Il n’est pas nécessaire que ces motifs soient parfaits; pour autant qu’ils permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi le décideur a rendu sa décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables, la décision sera normalement raisonnable (Beddows c Canada (Procureur général), 2020 CAF 166, au para 25, citant Vavilov, au para 91).

[28] Pour qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle contient des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit se garder d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve dont disposait le décideur et de revenir sur ses conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Les conclusions en matière de crédibilité appellent donc « la déférence » lors du contrôle (Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160, au para 6, citant N’kuly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1121, au para 21).

V. Analyse

A. Les conclusions de la SAR en matière de crédibilité

[29] Il est important de souligner d’emblée que la SAR a soulevé de nombreuses préoccupations importantes quant à la crédibilité de la preuve du demandeur, notamment le fait qu’il n’avait pas établi qu’il se trouvait en Chine durant la période des prétendus événements décrits dans sa demande d’asile. Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur se contente de passer sous silence ce détail critique et visiblement important, choisissant plutôt de se concentrer sur les erreurs qu’aurait commises la SAR lorsqu’elle a mis en doute ses documents justificatifs.

[30] Le demandeur fait valoir que, même s’il peut comprendre la préoccupation de la SAR à l’égard de son passeport, [traduction] « à ce stade de la décision de la SAR, son appel était déjà perdu et la présomption de vérité injustement réfutée ». D’après le demandeur, lorsqu’elle a examiné cette question, la SAR avait déjà déterminé qu’il mentait sur ce qui lui était arrivé en Chine et que tous ses documents étaient frauduleux. Le demandeur soutient que l’approche de la SAR quant à la question du passeport était donc fondée sur une présomption de mensonge et qu’elle ne peut subsister. Je ne suis pas d’accord.

[31] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il se trouvait en Chine au moment où les agents de démolition se sont rendus dans son village dans l’intention de démolir les maisons. Par conséquent, s’il se trouvait à l’extérieur du pays au moment où les villageois protestaient, les incidents dont il aurait été victime par la suite, comme la détention et le passage à tabac, s’écroulent comme un château de cartes.

[32] À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur était en voyage et à l’extérieur de la Chine durant la période des événements dont il prétend avoir été victime, notamment l’expropriation, la tentative de démolition et son arrestation, sa détention et son passage à tabac, est amplement appuyée par la preuve qui lui a été soumise.

[33] En fait, la meilleure preuve dont nous disposons est celle fournie par le demandeur durant son entrevue avec des fonctionnaires de l’ASFC. Les notes de l’agent ayant mené l’entrevue comprennent l’échange suivant :

[traduction]
Q : ALORS, QUAND AVEZ‑VOUS QUITTÉ LA CHINE POUR LE CANADA?

R : LE 28 JUIN 2018

Q : AVIEZ‑VOUS DÉJÀ TENTÉ DE VENIR AU CANADA AVANT CELA?

R : NON

Q : SAVEZ‑VOUS QUE NOUS AVONS RETROUVÉ VOTRE PASSEPORT ET LES DOCUMENTS QUE VOUS AVEZ TENTÉ DE DÉTRUIRE DANS L’AVION À BORD DUQUEL VOUS ÊTES ARRIVÉ?

R : OH

Q : NOUS SAVONS AUSSI QUE VOUS AVEZ DÉJÀ ESSAYÉ DE VENIR AU CANADA.

R : EH BIEN OUI. UNE FOIS VIA LA JAMAÏQUE, MAIS ILS ONT REFUSÉ DE ME LAISSER EMBARQUER. MAIS C’ÉTAIT AVANT QUE MES PROBLÈMES NE DÉBUTENT.

Q : POURQUOI TENTIEZ‑VOUS DE VENIR AU CANADA ALORS?

R : POUR UNE VISITE TOURISTIQUE.

DES RENSEIGNEMENTS EN POSSESSION DE L’ASFC MONTRENT QUE LE SUJET A TENTÉ D’ENTRER AU CANADA À AU MOINS QUATRE REPRISES AU COURS DE L’ANNÉE PRÉCÉDENTE, EN PROVENANCE DU PANAMA, DU COSTA RICA, DE LA JAMAÏQUE ET DES PAYS‑BAS, EN SE FAISANT PASSER POUR UN RÉSIDENT PERMANENT DES ÉTATS‑UNIS AUPRÈS DES COMPAGNIES AÉRIENNES. LES PAGES DE SON PASSEPORT QU’IL A TENTÉ DE DÉTRUIRE ET DE JETER COMPRENNENT DES TAMPONS DE L’ÉQUATEUR, DE LA RÉPUBLIQUE DOMINICAINE ET DE BUA. SON PASSEPORT COMPORTAIT UN VISA SCHENGEN VALIDE.

Q : NOS RENSEIGNEMENTS INDIQUENT QUE VOUS AVEZ TENTÉ À AU MOINS QUATRE REPRISES D’ENTRER AU CANADA AU COURS DE LA DERNIÈRE ANNÉE EN VOUS FAISANT PASSER POUR UN DÉTENTEUR DE CARTE VERTE AUX ÉTATS‑UNIS. POURQUOI AGIRIEZ‑VOUS AINSI POUR UNE « VISITE TOURISTIQUE »?

R : JE N’AI PAS DE CARTE VERTE

Q : JE SAIS – DONC POURQUOI AVOIR TENTÉ AUTANT DE FOIS D’ENTRER AU CANADA AVANT MÊME QUE LES « PROBLÈMES » NE COMMENCENT EN CHINE?

R : OK – MES FRÈRES VIVENT AU CANADA

. . .

Q : DONC VOUS RECONNAISSEZ AVOIR ÉTÉ EN AMÉRIQUE CENTRALE, EN AMÉRIQUE DU SUD ET DANS LES CARAÏBES AU COURS DE LA DERNIÈRE ANNÉE ENVIRON?

R : OUI, C’EST VRAI

Q : DONC COMMENT AURIEZ‑VOUS PU ÊTRE EN CHINE EN AVRIL DE CETTE ANNÉE?

R : JE SUIS RETOURNÉ

Q : POURQUOI AVEZ‑VOUS TENTÉ DE DÉTRUIRE VOTRE PASSEPORT CHINOIS?

R : POUR QUE VOUS NE PUISSIEZ PAS ME RENVOYER, ILS ME TUERONT […]

Q : OU POUR QUE NOUS NE PUISSIONS PAS VOIR QUE VOUS N’ÉTIEZ PAS DU TOUT EN CHINE EN 2018?

R : J’Y ÉTAIS, MAIS ILS NE TAMPONNENT PLUS LES PASSEPORTS EN CHINE

Q : SI VOUS ÉTIEZ EN CHINE, ET QUE VOUS AVEZ DÉCIDÉ DE PARTIR EN VOUS SERVANT DE VOTRE PASSEPORT, N’AURIEZ‑VOUS PAS ÉTÉ ATTRAPÉ PAR LE GOUVERNEMENT QUI CONTRÔLE LES SORTIES?

R : EH BIEN, LES CONTRÔLES TERRESTRES NE SONT PAS AUSSI RIGOUREUX, LE GOUVERNEMENT CENTRAL NE S’EN PRÉOCCUPE PAS.

Q : NE VENEZ‑VOUS PAS JUSTE DE DIRE QUE VOUS SERIEZ ASSASSINÉ SI VOUS RETOURNIEZ?

R : EH BIEN, PEUT‑ÊTRE PAS ASSASSINÉ […], MAIS JE NE SERAIS CERTAINEMENT PAS EN MESURE DE TROUVER DU TRAVAIL. MON NOM SERAIT INSCRIT SUR UNE LISTE NOIRE.

Q : AVEZ‑VOUS DÉJÀ ÉTÉ ARRÊTÉ EN DEHORS DE L’ARRESTATION ALLÉGUÉE EN AVRIL 2018?

R : À HONG KONG EN 2016, J’AI ÉTÉ DÉCLARÉ COUPABLE D’USAGE DE DOCUMENTS FRAUDULEUX. J’AI PURGÉ HUIT MOIS PUIS J’AI ÉTÉ RENVOYÉ EN CHINE.

[34] Le demandeur présume, compte tenu de l’ordre dans lequel les questions sont abordées dans la décision, que l’optique par laquelle la SAR a examiné la preuve était déformée, qu’elle a isolé les éléments de preuve en des silos individuels, ce qui l’a privé de la perspective qu’offre une évaluation globale. Je ne suis pas d’accord.

[35] Ayant examiné la décision et la manière dont elle est structurée, je suis convaincu que la SAR a tenu compte de l’ensemble de la preuve avant de la rédiger. La décision est dans l’ensemble transparente, intelligible, et surtout bien justifiée. Il existe un lien rationnel entre la preuve dont elle disposait et la décision, et les motifs tiennent compte des arguments du demandeur.

[36] De nombreux éléments de preuve documentaire et objective confirmaient que le demandeur ne se trouvait pas en Chine aux dates indiquées. Il n’a fourni aucun élément pour réfuter cette preuve objective, expliquant plutôt qu’il était sorti clandestinement de Chine. Son témoignage sur le prétendu passage clandestin a aussi changé et évolué. Il avait affirmé à l’agent de l’ASFC qu’il avait tenté d’entrer au Canada à une date précédente, et a ensuite changé son histoire. La SAR a raisonnablement conclu que le demandeur ne se trouvait pas en Chine durant la manifestation et l’arrestation subséquente.

B. Documents corroborants du demandeur

[37] D’après le demandeur, la SAR a jugé inapproprié de la part de la SPR qu’elle rejette ses documents justificatifs sans relever la moindre lacune; elle a toutefois rejeté ensuite ces mêmes documents pour des motifs différents. Le demandeur soutient qu’il s’agissait là d’une atteinte à l’équité procédurale, car la SAR ne l’a pas avisé avant de mettre en cause les documents. Il cite la décision Fu c Canada (MCI), 2017 CF 1074 [Fu] aux paragraphes 12‑15 à l’appui de cette proposition, et en particulier le paragraphe 14 :

[14] La Section d’appel des réfugiés a l’obligation de permettre aux parties de répondre à de nouvelles questions cruciales qui n’ont pas été soulevées par la Section de la protection des réfugiés (Ehondor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1253, aux paragraphes 13 et 14). Dans la décision Ortiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 180, le juge Shore a reproché à la Section d’appel des réfugiés d’avoir exprimé des doutes quant à l’authenticité d’un rapport de police, une question qui n’avait pas été examinée par la Section de la protection des réfugiés et qui n’avait pas non plus été présentée au demandeur (au paragraphe 22). Dans une autre affaire, le juge Hughes a conclu que « si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations » (Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684, au paragraphe 10).

[38] Cependant, en l’espèce, contrairement à la situation qui prévalait dans Fu, la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question en soi. Le demandeur faisait valoir en appel que le rejet par la SPR de la preuve corroborante [traduction] « découlait clairement de ses autres conclusions indéfendables » et demandait à la SAR d’intervenir si la SPR avait commis une erreur dans son évaluation des documents. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le décideur a apprécié une preuve extrinsèque sans donner au demandeur la possibilité de l’examiner. Au contraire, le demandeur a spécifiquement soulevé la question des conclusions de la SPR liées à la crédibilité et fait valoir que le rejet par cette dernière de ses documents corroborants avait été déterminant quant à l’ensemble de sa demande d’asile. Il ne peut soutenir à présent qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre attendu qu’il a fait valoir que ces documents étaient authentiques et probants. Je suis convaincu que la SAR a soumis ces documents à un examen indépendant, comme le lui avait demandé le demandeur et conformément à son obligation.

[39] Il était loisible à la SAR, après un examen indépendant de la preuve, de mettre en cause l’authenticité des trois documents justificatifs interreliés, à savoir l’avis de détention, le certificat de mise en liberté et le reçu. Cela concernait la crédibilité, la question déterminante dont était saisie la SPR, et renvoyait à un point soulevé dans les observations du demandeur en appel quant à la suffisance de l’évaluation par la SPR de cette preuve.

[40] La SAR a conclu à juste titre que le fait de soumettre un document faux ou irrégulier peut avoir un impact sur le poids accordé aux autres documents, surtout lorsqu’ils sont interreliés, ainsi que sur la crédibilité globale du demandeur (Uddin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 451, au para 10).

C. Évaluation de la nouvelle preuve du demandeur

[41] De plus, il était loisible à la SAR de n’accorder aucun poids à la nouvelle preuve de la mère du demandeur indiquant que les autorités étaient de nouveau venues le chercher en mai 2020, deux ans après qu’il eut prétendument quitté le pays et autour de la période où son appel était examiné par la SAR. À mon avis, cette dernière n’a pas eu tort de ne pas tenir d’audience sur la base de ces renseignements.

[42] Aux termes du paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR peut tenir une audience si de nouveaux éléments de preuve documentaire soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de l’appelant, sont essentiels pour la prise de la décision et, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

[43] Le demandeur soutient qu’en l’espèce, la lettre de sa mère, à supposer qu’elle soit crédible, était suffisante pour fonder sa demande d’asile, attendu qu’elle corrobore des aspects clés de son histoire et confirme qu’il est recherché par les autorités chinoises. De plus, compte tenu des préoccupations soulevées par la SAR quant à la crédibilité de cette preuve, son défaut de tenir une audience constituait une atteinte à l’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord.

[44] De nombreuses contradictions ont été relevées entre cette preuve et d’autres éléments. La SAR avait de bonnes raisons de se méfier du moment où la lettre a été envoyée et du compte rendu de la mère selon lequel un agent de police était venu chercher le demandeur deux ans après les événements allégués dans sa demande d’asile. Lorsque la chronologie des événements révèle une coïncidence extraordinaire et suspicieusement commode, la SAR peut raisonnablement considérer que la preuve est douteuse (Meng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 365, au para 22).

[45] Compte tenu des raisons évidentes de douter de la véracité de cette preuve, la SAR a raisonnablement conclu qu’elle n’était pas crédible, sans avoir eu à tenir d’audience. De plus, il vaut la peine de répéter que la SAR a conclu que cette preuve ne changerait pas l’issue. Je m’en remets à ses connaissances spécialisées sur cette question et ne vois aucune raison de revenir sur sa conclusion.

VI. Conclusion

[46] Pour les motifs qui précèdent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion tirée par la SAR au titre du paragraphe 111(1) de la LIPR, selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[47] Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3990‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger R. Lafreniѐre »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3990‑20

 

INTITULÉ :

CHENGXIAN JIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Juge LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

pour le demandeur

 

Amy Lambiris

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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