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Date : 20030721

Dossier : T-1878-02

Référence : 2003 CF 903

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE ROGER R. LAFRENIÈRE

ENTRE :

                                           AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                               demanderesses

                                                                            et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Sommaire


[1]         Les présents motifs traitent de l'étendue d'un contre-interrogatoire sur un affidavit déposé à l'appui d'une requête en autorisation visant la présentation d'une contre-preuve. La défenderesse, Apotex Inc. (Apotex), a présenté une requête demandant à la Cour d'ordonner au Dr Jörgen Lindquist de se représenter à Toronto, aux frais des demanderesses, afin d'y être contre-interrogé au sujet de son affidavit du 6 mai 2003 et de répondre à certaines questions auxquelles il a refusé de répondre lors du contre-interrogatoire. La requête d'Apotex découle de celle des demanderesses visant à produire une contre-preuve, à savoir l'affidavit de Lindquist, à l'appui de leur demande en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement MBAC). Apotex soutient que les questions auxquelles le Dr Lindquist a refusé de répondre en contre-interrogatoire l'ont empêchée de vérifier les compétences du témoin et les prétentions des demanderesses affirmant que le témoignage du Dr Lindquist aiderait la Cour à instruire l'instance principale.


[2]         Les parties conviennent que les questions soulevées par la requête doivent être tranchées en appliquant le critère d'admission de la contre-preuve énoncé par Monsieur le juge MacKay dans Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 377 (C.F. 1re inst.). Le juge MacKay a fait remarquer que, même si les Règles de la Cour fédérale, à l'époque du jugement, ne prévoyaient pas expressément le dépôt d'affidavits en contre-preuve, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d'autoriser une contre-preuve lorsque cela sert les intérêts de la justice, aide la Cour et ne cause pas de préjudice grave à l'autre partie. Monsieur le juge Rouleau cite cette déclaration avec approbation dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 492 (C.F. 1re inst.), conf. (1995), 64 C.P.R. (3d) 78 (C.A.F.).Apotex soutient que le témoin n'aurait pas dû refuser de répondre à ces questions parce qu'elles sont pertinentes pour le second facteur, à savoir si le témoignage du Dr Lindquist aidera la Cour.

Historique de l'instance

[3]         L'instance a été introduite par l'Avis de demande daté du 8 novembre 2002 conformément au Règlement MBAC en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité relativement à des comprimés de 10 mg et de 20 mg de magnésium d'oméprazole avant l'expiration des brevets canadiens 1,292,693, 1,302,891 et 2,166,486 (les brevets).

[4]         Les demanderesses ont signifié leur preuve le 10 janvier 2003. Apotex a signifié sa preuve par affidavit le 2 avril 2003, y compris un affidavit du Dr Michael J. Cima (le Professeur Cima). Une ordonnance de non-divulgation a ensuite été rendue à la demande d'Apotex.


[5]         Les demanderesses ont alors introduit une requête devant être présentée le 12 mai 2003 et visant à faire radier certains passages de la preuve par affidavit d'Apotex. Subsidiairement, au cas où elles ne réussiraient pas à obtenir la radiation de certains passages de l'affidavit du Professeur Cima, elles demandaient aussi l'autorisation de présenter en contre-preuve un affidavit du Dr Lindquist. La requête des demanderesses s'appuie en partie sur cet affidavit. Le 12 mai 2003, les avocats ont comparu devant moi pour demander ensemble un ajournement dans le but de contre-interroger le Dr Lindquist et de présenter des observations sur les limites permises dans un contre-interrogatoire. Après avoir entendu les avocats, j'ai ajourné l'audition de la requête pour deux semaines et donné les directives suivantes :

ET AUX parties qui demandent à la Cour de leur donner des directives relativement à l'étendue du contre-interrogatoire du Dr Jürgen Lindquist sur son affidavit qui a été présenté à l'appui de la requête;

L'article 83 des règles donne droit au contre-interrogatoire de l'auteur des affidavits déposés dans le cadre d'une requête. En conséquence, la défenderesse Apotex Inc. peut contre-interroger le Dr Jürgen Lindquist au sujet de toute affaire utile pour trancher les questions soulevées par la requête. Le contre-interrogatoire ne devrait toutefois pas porter sur toutes les questions litigieuses de la demande : voir Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc. (1989) 23 C.P.R. (3d) 363 (C.F. 1re inst.).

[6]         Un litige est ensuite survenu entre les parties au sujet de la date du contre-interrogatoire du Dr Lindquist. Ayant conclu que les demanderesses refusaient de produire le Dr Lindquist pour contre-interrogatoire, Apotex a présenté une requête pour faire radier de la requête des demanderesses l'affidavit du Dr Lindquist.

[7]         Avant la reprise de l'audition de la requête en radiation d'Apotex, j'ai convoqué les parties à un appel conférence. Le 22 mai 2003, la requête en radiation d'Apotex a été ajournée sine die et la requête des demanderesses a été ajournée jusqu'aux séances générales à Toronto le 2 juin 2003. Les directives suivantes ont alors été données au sujet du contre-interrogatoire du Dr Lindquist :


3.              Le Dr Lindquist sera produit, par téléphone, pour contre-interrogatoire aux fins de la requête des demanderesses en instance, soit le vendredi 23 mai 2003, soit le mardi 27 mai 2003, à l'heure convenue par les parties ou indiquée par la Cour. La défenderesse, Apotex Inc., a aussi le choix d'aller contre-interroger le Dr Lindquist à Londres (Angleterre) le 27 mai 2003.

4.              Les avocats d'Apotex aviseront ceux des demanderesses au plus tard à midi, le vendredi 23 mai 2003, de la date et de la méthode du contre-interrogatoire du Dr Lindquist.

[8]         Les avocats d'Apotex ont choisi d'aller contre-interroger en personne le Dr Lindquist à Londres (Angleterre) le 27 mai 2003. En réponse à une demande formulée antérieurement par Apotex, les avocats des demanderesses ont signifié que le contre-interrogatoire du Dr Lindquist se limiterait à la période de sa participation et à sa compétence d'expert. En conséquence, le Dr Lindquist a refusé de répondre à un certain nombre de questions de fond qui lui ont été posées lors du contre-interrogatoire.

[9]         Les parties ont ensuite comparu devant moi le 3 juin 2003 au sujet de la requête des demanderesses. Les avocats d'Apotex ont annoncé qu'ils allaient retirer leur requête en radiation. Après audition des observations des avocats, j'ai ordonné à Apotex de signifier et déposer des éléments de preuve supplémentaires pour corriger certains défauts de ses affidavits sinon des passages de l'affidavit du Professeur Cima seraient radiés. La requête subsidiaire des demanderesses a été ajournée en attendant qu'Apotex se conforme à l'ordonnance du 3 juin 2003.


[10]       Le 4 juin 2003, Apotex a déposé la présente requête pour obliger le Dr Lindquist à se présenter de nouveau. Dans une ordonnance datée du 10 juin 2003, Monsieur le juge O'Reilly a ajourné la motion aux conditions suivantes :

Au cas où la requête en dépôt de l'affidavit Lindquist des demanderesses est présentée, la Cour entendra la requête d'Apotex et statuera à une date antérieure à celle de l'audition de la requête des demanderesses visant l'autorisation de déposer l'affidavit Lindquist.

Principes de droit : Questions acceptables au contre-interrogatoire

[11]       L'article 83 des Règles de la Cour fédérale (1998) confère le droit de contre-interroger l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une requête. Bien que l'article soit muet sur l'étendue du contre-interrogatoire, un contre-interrogatoire peut généralement couvrir tout sujet pertinent pour trancher les questions que soulève la requête visée par l'affidavit déposé.

[12]       Dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550 (C.F. 1re inst.), confirmée par la Cour d'appel (2000), 249 N.R. 15, Monsieur le juge Hugessen a statué que le contre-interrogatoire est différent de l'interrogatoire préalable à plusieurs égards, notamment parce que les règles de pertinence sont plus strictes. Il estime que la principale question est celle de la pertinence.

Aux fins de la présente instance, j'estime utile de scinder la pertinence en deux catégories, soit la pertinence formelle et la pertinence juridique.


La pertinence formelle est liée aux questions de fait qui opposent les parties. Dans le cas d'une action, ces questions sont délimitées par les actes de procédure, mais dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire, où aucun acte de procédure n'est déposé (l'avis de requête lui-même ne devant faire état que du fondement juridique, et non factuel, de la demande de contrôle), elles sont circonscrites par les affidavits que déposent les parties. Le contre-interrogatoire de l'auteur d'un affidavit ne peut donc porter que sur les faits énoncés dans celui-ci ou dans un autre affidavit produit dans le cadre de l'instance.

Toutefois, outre la pertinence formelle, les questions posées en contre-interrogatoire doivent avant tout satisfaire à l'exigence de la pertinence juridique. Même le fait énoncé dans un affidavit produit dans le cadre de l'instance n'est pertinent sur le plan juridique que lorsque son existence ou son inexistence peut contribuer à déterminer si le redressement demandé peut ou non être accordé.

Objections lors du contre-interrogatoire du Dr Lindquist

[13]       Selon les demanderesses, l'affidavit Lindquist répond à certaines questions soulevées par l'affidavit du Dr Cima et aux techniques d'essai employées par ce dernier. Apotex veut interroger le Dr Lindquist au sujet de ses compétences et de ses critiques des travaux du Dr Cima (préparation des échantillons, spectrométrie Raman, microscopie par fluorescence et emploi d'une solution de lavage à l'acétone).

[14]       Les avocats d'Apotex ont posé des questions sur la qualification que possède le Dr Lindquist pour donner l'opinion exposée dans son affidavit. Bien que le Dr Lindquist ait répondu à un certain nombre de questions sur ses qualités et titres, il a refusé de répondre à d'autres questions qu'Apotex classait dans la même catégorie. À mon avis, les objections des demanderesses étaient tout à fait légitimes.


[15]       Les questions numéros 1, 2 et 3 à l'annexe « A » (questions nos 267, 268 et 269 de la transcription) ont toutes trait aux raisons pour lesquelles le Dr Lindquist n'a pas témoigné dans les instances en cours aux États-Unis au sujet des brevets américains correspondants et pour lesquelles c'est un autre témoin qui a fourni la preuve équivalente. Ces questions n'ont aucun rapport avec la qualification du Dr Lindquist. Il est inacceptable d'apprécier ses compétences en le comparant à un autre témoin, dans un autre ressort, qui n'a pas été choisi pour la présente instance et dont les compétences n'ont pas été présentées à la Cour. Le fait que le Dr Lindquist n'ait pas témoigné dans l'autre instance est sans rapport avec sa capacité de fournir un témoignage expert dans la présente instance. La bonne manière de faire accepter ou écarter un témoin expert, c'est de lui poser des questions sur son expérience et son expertise. Cependant, il n'est pas légitime de tenter de faire des inférences à partir des raisons pour lesquelles un autre que lui a été choisi pour témoigner dans une autre instance et ce n'est pas du tout pertinent dans la présente requête.

[16]       La question 4 n'a pas le moindre rapport avec la qualification du Dr Lindquist; elle a plutôt trait aux différences possibles entre la présente instance et l'affaire tranchée par la Cour dans RhoxalPharma (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) 2000 10 C.P.R. (4th) 38, décision confirmée 18 C.P.R. (4th) 558 (C.A.F.)), dans laquelle le Dr Lindquist avait été reconnu comme expert.


[17]       De même, la question 5 vise à obtenir la production d'une copie de l'affidavit du Dr Lindquist employé dans la cause RoxalPharma, la transcription de son contre-interrogatoire, l'affidavit du Dr Cartilier (un témoin produit par RoxalPharma) et son contre-interrogatoire. Les avocats d'Apotex n'ont fourni aucune explication sur la pertinence du témoignage du Dr Lindquist ou de celui d'un expert présenté pour une autre partie. De plus, la preuve dans cette affaire n'est pas pertinente eu égard aux questions soulevées dans la présente requête, pas plus que pour apprécier la qualification du Dr Lindquist.

[18]       Les questions des catégories 2 à 5, classées par l'avocat d'Apotex sous des rubriques différentes (préparation d'échantillons, spectrométrie Raman, microscopie par fluorescence et solution de lavage à l'acétone) ne sont pas davantage pertinentes. Bien que de telles questions puissent être recevables lors d'un contre-interrogatoire au fond, elles ne sont nettement pas pertinentes pour les questions restreintes soulevées dans la présente requête. Apotex veut que la Cour, pour décider s'il y a lieu d'accepter la preuve le témoignage du Dr Lindquist, statue sur les questions de fait soulevées par l'affidavit Lindquist. C'est la fonction du juge qui instruit l'affaire au fond, non celle du juge qui statue sur la requête.


[19]       Apotex soutient qu'elle a le droit d'interroger le Dr Lindquist à ce sujet, probablement parce que cela se rapporte à la question de savoir si le témoignage va aider la Cour. Toutefois, pour décider si des éléments matériels vont aider la Cour, il n'est pas nécessaire, ni approprié, de s'engager dans une évaluation rigoureuse des témoignages d'expert. Ce serait employer à mauvais escient les ressources des parties et de la Cour. De surcroît, cela compliquerait et prolongerait indûment l'instance.

[20]       La Cour d'appel fédérale a statué à maintes reprises que la Cour avait le devoir de régler rapidement les actions intentées en application du Règlement MBAC. Il faut donc décourager la présentation de requêtes à l'intérieur d'autres requêtes, en particulier comme celle qui nous occupe au sujet de questions refusées lors du contre-interrogatoire sur un affidavit déposé à l'appui d'une requête. À mon avis, la procédure la plus efficace et celle qui convient le mieux, c'est que la partie lésée dépose un dossier du défendeur, se représente lorsque la partie adverse présente sa requête et demande réparation en vertu de l'article 97 des règles prévoyant que, si un témoin refuse de répondre à une question légitime, la Cour peut soit ordonner que le témoin se représente pour subir un nouveau contre-interrogatoire et l'obliger à répondre à la question à laquelle il n'était pas justifié de refuser de répondre, soit radier tout ou partie de l'affidavit de cette personne.

Conclusion


[21]       Apotex a confondu la question de savoir si le témoignage du Dr Lindquist allait aider la Cour avec la question du poids à accorder à la preuve sur le fond de l'affaire; or, cette dernière question relève de la compétence exclusive du juge du procès. Pour établir si le témoignage du Dr Lindquist va aider la Cour, il suffit de déterminer si le témoignage répond bien aux questions soulevées dans la preuve d'Apotex. En conséquence, je conclus que les questions soulevées par Apotex ne sont pas du tout pertinentes aux fins de la présente requête, lesquelles consistent à déterminer si les demanderesses devraient être autorisées à déposer d'autres éléments de preuve.

[22]       La requête est mal fondée et il n'y aura pas d'ordonnance enjoignant le témoin de répondre aux questions qui ont été refusées.

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

1.          La requête soit rejetée, les dépens étant payés aux demanderesses par la défenderesse, Apotex Inc., quelle que soit l'issue de la cause.

« Roger R. Lafrenière »

ligne

                                                                                                                                       Protonotaire                  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        T-1878-02

INTITULÉ :                                                        AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

            ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                  demanderesses

            et

            APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                          défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              14 JUILLET 2003   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :                                     21 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :             

M. Gunars A. Gaikis                                            POUR LES DEMANDERESSES

M. Andrew R. Brodkin                                        POUR LA DÉFENDERESSE Apotex Inc.

Mme Nathalie Butterfield                                       POUR LA DÉFENDERESSE Apotex Inc.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Smart & Biggar                                                   POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Toronto (Ontario)

Goodmans s.r.l.                                                    POUR LA DÉFENDERESSE Apotex Inc.

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR le Ministre de la

Procureur général adjoint du Canada Santé


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                            

Date : 20030721

Dossier : T-1878-02

ENTRE :

AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                            

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