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Date : 20210604


Dossier : IMM‑934‑20

Référence : 2021 CF 545

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SHAMBHU SHARMA ET

BINITA DEVKOTA SHARMA

(ALIAS BENITA DEVKOTA SHARMA)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Shambhu Sharma, le demandeur principal, et son épouse sont des citoyens du Népal. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 16 juin 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de leurs demandes d’asile. La SAR était d’accord avec la Section de la protection des réfugiés (la SPR) pour conclure que les demandeurs ont une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Biratnagar, au Népal.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur principal craint d’être persécuté au Népal en raison de ses opinions politiques réelles et perçues et de son appartenance au parti du Congrès népalais (le NCP).

[4] Avant son départ du Népal en 2006, le demandeur principal était enseignant et membre de l’Association des enseignants du Népal, un sous‑groupe du NCP. Les maoïstes au Népal ont forcé deux écoles dans lesquelles il enseignait à déduire un pourcentage important du salaire de chaque enseignant et à donner les fonds à la cause maoïste. En 2001, tous les enseignants de l’école où travaillait le demandeur principal à Katmandou ont reçu des lettres leur demandant de se joindre au mouvement et d’enseigner des idéologies maoïstes à défaut de quoi il y aurait de graves conséquences. En 2005, le demandeur principal et d’autres enseignants ont été enlevés et obligés à suivre des cours sur les principes et l’idéologie maoïste.

[5] Ces événements ont amené le demandeur principal à quitter le Népal pour aller travailler à Dubaï en 2006, la même année où l’insurrection maoïste a officiellement pris fin. Le demandeur principal est retourné à Katmandou en 2007 pour un long congé et a lu au sujet des extorsions et des enlèvements commis par la Ligue de la jeunesse communiste (l’YCL), la branche étudiante des maoïstes, dans tout le pays. Le demandeur principal est retourné à Dubaï, mais s’est marié au Népal en novembre 2009. Il affirme que l’YCL a poursuivi ses efforts pour communiquer avec lui au cours des années qui ont suivi et a demandé à ce qu’il fasse des dons de plus en plus importants. L’épouse du demandeur principal l’a rejoint à Dubaï en 2011.

[6] Le demandeur principal est arrivé au Canada le 10 août 2014 en provenance de Dubaï. Son épouse est retournée au Népal. Elle a informé le demandeur principal qu’elle avait communiqué avec un membre de l’YCL et que le groupe continuait de chercher à recruter le demandeur principal et à demander des dons. À la suite d’une agression par des membres de l’YCL, l’épouse du demandeur principal a rejoint ce dernier au Canada en août 2015.

[7] En novembre 2015, le demandeur principal est entré en contact avec des réfugiés népalais à Toronto, qui l’ont informé de la possibilité de présenter une demande d’asile. Il a démissionné de son emploi à Edmonton, a déménagé à Toronto et a demandé l’asile. Le demandeur principal affirme que l’YCL a continué de contacter ses parents au Népal en janvier 2018, en les menaçant d’extorsion et en menaçant de leur causer de graves préjudices si elle les retrouve.

[8] La SPR a tenu une audience le 1er mars 2018 et a rendu le 5 avril 2018 sa décision par laquelle elle a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. Le fondement de la décision de la SPR était l’existence d’une PRI viable pour les demandeurs à Biratnagar. Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAR de la décision de la SPR.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Les demandeurs ont présenté à la SAR trois documents à titre de nouveaux éléments de preuve, conformément au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SAR a admis deux articles de presse, qui étaient postérieurs à la décision de la SPR et pertinents pour l’appel, car ceux‑ci montraient qu’une faction maoïste était active dans la PRI proposée. Le troisième document figurait déjà au dossier et ne constituait pas un nouvel élément de preuve. La SAR n’a pas tenu d’audience.

[10] La SAR a examiné les éléments de preuve des demandeurs au regard des deux volets du critère relatif à la PRI énoncés dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam). En ce qui concerne le premier volet, la SAR a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que les demandeurs seraient exposés à une sérieuse possibilité de persécution ou à un risque de préjudice de la part de la faction maoïste à Biratnagar. La SAR a mentionné les nouveaux éléments de preuve des demandeurs et a déclaré qu’il y avait eu une attaque contre le consulat de l’Inde à Biratnagar menée par une faction dissidente des maoïstes, la faction Biplav‑CPN, mais qu’aucune activité supplémentaire n’avait été signalée. Le tribunal a conclu que les éléments de preuve n’avaient pas établi que l’YCL a une importante présence à Biratnagar ou qu’elle a en réalité un réseau de contacts avec les factions qui se trouvent ailleurs. Selon la SAR, le profil du demandeur principal en tant que détenteur d’une carte de membre du NCP ne ferait pas en sorte qu’il soit reconnu ou recherché dans la PRI. Enfin, la SAR a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve montrant qu’il existe des connexions interrégionales entre les groupes maoïstes ou que des renseignements sont communiqués entre les factions. La SAR n’était pas convaincue que les insurgés maoïstes ou l’une quelconque des ramifications que les demandeurs craignent ont la capacité et la portée nécessaires pour les retrouver et les prendre pour cibles s’ils se réinstallaient à Biratnagar.

[11] En ce qui concerne le second volet du critère, la SAR a tenu compte de l’éducation, des antécédents professionnels et des précédentes réinstallations des demandeurs ainsi que de leur maîtrise du népalais, de l’anglais et du hindi et de la présence de membres de leur famille au Népal. La SAR a conclu que les demandeurs pouvaient se réinstaller et s’établir à Biratnagar sans que cela pose un problème important. Il n’y a aucun sérieux obstacle social, économique ou autre à cette réinstallation des demandeurs.

III. Question en litige et norme de contrôle

[12] La question à trancher dans la présente demande est de savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation d’une PRI viable pour les demandeurs.

[13] Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que les motifs et la conclusion de la SAR concernant l’existence d’une PRI sont soumis à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 10, 23 (Vavilov); Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430, au para 32). Aucune des situations prévues par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov et permettant de s’écarter de la norme de contrôle présumée ne s’applique en l’espèce.

[14] Dans Vavilov, la Cour suprême a donné aux cours de révision des directives concernant l’application de la norme de la décision raisonnable, en insistant sur l’importance du raisonnement suivi par le décideur et de l’issue pour la personne touchée par la décision (Vavilov, au para 83). La Cour suprême a précisé que la marque distinctive d’une décision raisonnable est une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au para 31). Une cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard d’une telle décision.

IV. Analyse

[15] La notion de PRI est inhérente à la définition de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR. Si un demandeur d’asile peut trouver refuge ailleurs dans un pays, habituellement son pays de nationalité, le Canada n’est pas tenu de lui offrir une protection. De plus, une personne qui a qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR est une personne qui est exposée à un risque de préjudice en tout lieu de ce pays. Par conséquent, l’existence d’une PRI viable entraîne le rejet d’une demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799, au para 7).

[16] Le critère pour déterminer si un demandeur d’asile a une PRI viable a été énoncé par la Cour d’appel fédérale (la CAF) dans Rasaratnam. Le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que :

  1. le demandeur ne sera pas exposé à une sérieuse possibilité de persécution ou à un risque au sens de l’article 97 dans la PRI proposée;

  2. la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[17] Le critère a été mentionné plusieurs fois dans la jurisprudence de la Cour. Il incombe au demandeur de montrer qu’il ne répond à aucun des deux volets du critère (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA); Obotuke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 407, au para 16).

Premier volet du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur énoncé dans l’arrêt Rasaratnam

[18] Les demandeurs affirment qu’il existe une sérieuse possibilité qu’ils soient victimes de persécution et exposés à un risque de préjudice à Biratnagar, parce que la faction Biplav‑CPN des insurgés maoïstes, par elle‑même ou par l’intermédiaire du réseau de l’YCL, se livre activement à des actes de violence et à l’extorsion dans la région. Ils affirment que la conclusion contraire de la SAR est incohérente avec les éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation (le CND) et avec leurs nouveaux éléments de preuve et qu’elle ne peut pas résister au contrôle de la Cour.

[19] Les demandeurs s’appuient d’abord sur leur observation selon laquelle la SAR a mal interprété les éléments de preuve objectifs concernant les activités continues d’extorsion de la faction Biplav‑CPN dans la PRI. Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur déterminante en citant une réponse à une demande d’information (la RDI) figurant dans le CND, qui indique que la faction Biplav‑CPN cible la région qui se trouve [traduction] « à l’extérieur de Katmandou, dans la région Teraï » pour appuyer sa conclusion selon laquelle la faction ne se livre pas activement à des actes d’extorsion à Biratnagar. Les demandeurs soulignent que Biratnagar se trouve en fait dans la région de Teraï au Népal.

[20] Les demandeurs soutiennent également que la SAR a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve n’établissent pas que l’YCL a une importante présence dans la PRI ou qu’elle a un réseau de contacts avec les autres branches de l’YCL, et en mettant de côté les nouveaux éléments de preuve relatifs à un attentat à la bombe commis en 2018 par la faction Biplav‑CPN, à Biratnagar. Enfin, les demandeurs affirment que la conclusion de la SAR, selon laquelle la protection de l’État est offerte dans la région proposée comme PRI pour lutter contre la violence et l’extorsion, ne tient pas compte du fait qu’une telle protection s’applique généralement dans les cas très médiatisés en raison des pressions politiques.

[21] J’estime que les observations des demandeurs ne sont pas convaincantes. Lue dans son ensemble, la décision de la SAR résume avec exactitude les parties pertinentes des documents contenus dans le CND et examine de manière raisonnable les nouveaux éléments de preuve des demandeurs.

[22] L’extrait de la RDI sur lequel les demandeurs appuient leur première observation figure dans la phrase qui suit, qui est reproduite en entier dans la décision :

[traduction]

les factions Biplav et Baidya [traduction] « ciblent principalement la communauté des affaires et certaines ONG, généralement à l’extérieur de Katmandou dans la région de Terai […] et dans certains districts de la région de l’Ouest du Népal ».

[23] Immédiatement après cet extrait, la SAR situe Biratnagar, en indiquant ceci : [TRADUCTION] « Or, le lieu proposé comme PRI est à environ 400 km à l’est (soit à 10 heures de route) de Katmandou ».

[24] Le défendeur soutient que la mention [traduction] « généralement à l’extérieur » de Katmandou doit être prise en contexte, avec les informations supplémentaires qui figurent dans la même section de la RDI. La section indique que les activités d’extorsion de la faction Biplav ont été menées à l’extérieur de Katmandou, et plus précisément dans les régions du Centre‑Ouest et de l’Extrême‑Ouest, avec quelques cas dans la région de l’Ouest.

[25] La SAR tient compte du fait que Biratnagar se trouve à 400 km à l’est de Katmandou pour situer les lieux dans la région de Teraï où la faction Biplav‑CPN est active, et cela est cohérent avec les éléments de preuve donnés dans la RDI. Les activités d’extorsion de la faction sont menées essentiellement dans la région Ouest du Népal. Selon moi, il était loisible à la SAR d’interpréter la RDI comme elle l’a fait. Rien n’indique dans la décision que la SAR a mal interprété la portée géographique des activités de la faction Biplav‑CPN ou la localisation de la PRI proposée. Je note que la SAR poursuit dans le paragraphe suivant de la décision son examen des éléments de preuve documentaire concernant la prévalence de l’extorsion. Le tribunal affirme que les éléments de preuve révèlent une série d’épisodes d’extorsion en 2015, mais qu’aucun de ces événements n’est survenu dans une collectivité proche de Biratnagar. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans cette partie de l’analyse de la SAR.

[26] Chacune des autres observations des demandeurs fait référence à un paragraphe ou à une partie distincte de la décision, en indiquant que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. D’abord, les demandeurs affirment que l’analyse par le tribunal des nouveaux éléments de preuve qui portent sur l’attentat à la bombe contre le consulat de l’Inde à Biratnagar en 2018 par la faction Biplav‑CPN écarte les liens qui existent entre la faction et la PRI. Je ne suis pas d’accord. Dans le paragraphe en question, la SAR reconnaît l’attaque contre le consulat indien, mais conclut qu’il n’existe aucun élément de preuve convaincant montrant que le groupe mène d’autres activités dans la région. Cette conclusion est reflétée dans les éléments de preuve documentaire. L’attentat était un événement isolé qui s’est produit dans le cadre de la campagne que menait la faction contre les institutions indiennes dans tout le pays. L’attentat ne donne pas à penser que la région où se trouve la PRI est particulièrement ciblée. Contrairement à l’argument des demandeurs, la SAR a ensuite évalué d’autres documents du CND portant sur l’extorsion à l’échelle nationale et d’autres activités de la faction Biplav‑CPN.

[27] Ensuite, les demandeurs affirment que la SAR n’a pas évalué de manière raisonnable les éléments de preuve variés concernant les liens de la faction Biplav‑CPN avec l’YCL et la capacité de cette dernière à établir un réseau dans tout le pays.

[28] J’estime que la SAR a pris en compte les interactions entre la faction Biplav‑CPN et l’YCL dans la région où se trouve la PRI et de manière plus générale. De plus, la SAR a examiné la capacité de l’YCL à rechercher les personnes et a appliqué cette capacité aux demandeurs. La SAR a conclu que, même s’il y a des éléments de preuve objectifs montrant que l’YCL a un réseau national, il n’y a aucune information supplémentaire concernant la capacité des diverses factions maoïstes à communiquer et à échanger des informations dans des circonstances similaires à celles des demandeurs. Rien ne justifie que la Cour intervienne dans les conclusions de la SAR concernant la capacité de la faction Biplav‑CPN et de l’YCL à retrouver les demandeurs à Biratnagar.

[29] Les demandeurs fondent leur crainte sur la possibilité d’extorsion, mais, comme l’a déclaré la SAR, il n’y a aucune preuve de l’existence d’activités d’extorsion par la faction Biplav‑CPN à Biratnagar. Cette conclusion et les déclarations de la SAR selon lesquelles la région est de plus en plus sûre, l’extorsion diminue à l’échelle nationale et la protection de l’État est offerte, sont cohérentes avec l’information qui figure dans le CND. Les éléments de preuve documentaire mentionnent des incidents dans lesquels des [traduction] « demandes » de dons de nature plus générale sont faites et sont parfois accompagnées de menaces, mais aucun de ces incidents n’est survenu dans la PRI.

[30] La SAR a tenu compte d’un certain nombre d’autres aspects des observations des demandeurs au moment de tirer sa conclusion selon laquelle ils n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour satisfaire au premier volet du critère relatif à la PRI. La SAR a conclu que le fait que le demandeur principal avait eu une carte de membre du NCP pendant un certain nombre d’années sans réelle preuve d’une participation active dans le parti n’établit pas un profil qui en ferait une cible d’extorsion. La SAR a également remarqué que les demandeurs avaient été absents du Népal pendant un certain nombre d’années, ce qui avait réduit la possibilité qu’ils soient recherchés et pris pour cibles en raison de leur association politique présumée.

[31] L’évaluation par la SAR du premier volet du critère relatif à une PRI viable énoncé dans l’arrêt Rasaratnam est détaillée et cohérente avec les éléments de preuve versés au dossier. Sa conclusion montre que le tribunal a pris en compte les éléments de preuve dont disposait la SPR ainsi que les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs. Le tribunal n’a pas écarté les éléments de preuve documentaire, comme l’ont soutenu les demandeurs. La SAR a tenu compte de la diminution des incidents de violence et d’extorsion au Népal en général, et à Biratnagar en particulier, et a appliqué ses conclusions à la situation personnelle des demandeurs et à la possibilité de persécution ou d’autres risques auxquels ils seraient exposés dans la PRI. L’analyse de la SAR était transparente et intelligible, et justifiée au regard des éléments de preuve et des contraintes juridiques et jurisprudentielles pertinentes.

Second volet du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur énoncé dans l’arrêt Rasaratnam

[32] Le second volet du critère énoncé dans Rasaratnam examine la question de savoir s’il était déraisonnable, dans toutes les circonstances, pour les demandeurs de se réfugier à Biratnagar. Le seuil que le demandeur doit atteindre pour satisfaire au second volet est très élevé et exige « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr »; il faut en outre une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF No 2118 (CA), au para 15).

[33] Les demandeurs soutiennent que l’analyse de la SAR portant sur leur capacité à raisonnablement se réinstaller dans la PRI est lacunaire à deux égards. D’abord, la SAR n’a pas tenu compte de leurs arguments en appel selon lesquels la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur la capacité du demandeur principal à s’établir au Canada comme étant un facteur en faveur d’une PRI viable à Biratnagar (Utoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 399, au para 17 (Utoh)). Ensuite, les demandeurs soutiennent que l’analyse de la SAR a été intrinsèquement incohérente entre le premier et le second volets du critère. Au cours de son analyse de la crainte de persécution des demandeurs dans la PRI, la SAR a déclaré que les demandeurs n’avaient pas de connaissances de longue date ni de membres de leur famille à Biratnagar, une ville située loin du lieu où ils avaient précédemment eu des problèmes avec l’YCL. En revanche, en examinant le caractère raisonnable de la ville comme PRI, la SAR a noté que les demandeurs avaient de nombreux membres de leur famille au Népal.

[34] Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation faite par la SAR concernant le fait que Biratnagar soit un grand centre urbain dans lequel les demandeurs peuvent raisonnablement se réinstaller. Les demandeurs contestent certains aspects spécifiques de l’examen de leurs circonstances personnelles par la SAR, mais cette partie de la décision est complète, apprécie de manière adéquate les profils personnels des demandeurs et leur capacité à s’établir dans différents pays et n’est pas intrinsèquement incohérente à l’égard des aspects essentiels.

[35] En ce qui concerne l’observation des demandeurs en appel et la prise en compte par la SPR de l’établissement du demandeur principal au Canada, la SAR n’a pas mentionné cette observation particulière, mais a examiné de manière appropriée la capacité des demandeurs de se réinstaller, en notant qu’ils avaient précédemment réussi à se réinstaller à Dubaï, en Alberta et en Ontario. C’est une situation différente de celle de la décision Utoh, dans laquelle le juge Rennie, alors membre de la Cour, a déclaré que la seule conclusion de la SPR était que la demanderesse s’était établie au Canada. La SPR n’avait pas rendu compte du témoignage de la demanderesse selon lequel elle avait été confrontée à d’importants problèmes sociaux, économiques et culturels lorsqu’elle s’est réinstallée toute seule dans une nouvelle ville. En l’espèce, la SAR a examiné de façon détaillée les circonstances propres aux demandeurs.

[36] En ce qui concerne l’argument des demandeurs relativement aux incohérences internes, les observations de la SAR concernant la famille des demandeurs au Népal ne se contredisent pas d’une façon qui mine l’analyse du tribunal. La déclaration de la SAR selon laquelle les demandeurs n’ont aucun membre de famille ni de connaissances de longue date à Biratnagar a été faite dans le contexte de la capacité de l’YCL à les retrouver et à les prendre pour cible dans la PRI. Sa référence à la présence de la famille des demandeurs au Népal comme étant un facteur favorable à leur capacité de se réinstaller dans la ville n’est pas incohérente avec le fait qu’ils ont de la famille dans les précédents lieux où ils vivaient et près de ces derniers, et ce n’était pas non plus un facteur important dans l’analyse de la SAR.

[37] En résumé, la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que, selon la prépondérance des probabilités, ils seraient confrontés à d’importants obstacles sociaux, économiques ou autres s’ils se réinstallaient à Biratnagar.

V. Conclusion

[38] La demande est rejetée.

[39] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑934‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑934‑20

 

INTITULÉ :

SHAMBHU SHARMA ET BINITA DEVKOTA SHARMA (ALIAS BENITA DEVKOTA SHARMA) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 26 mai 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

pour les demandeurs

 

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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