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Date : 20210604


Dossier : IMM-6078-19

Référence : 2021 CF 547

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

FRANCESCAR DAMAS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITYOYENNTÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Francesca Damas, est citoyenne d’Haïti. Elle est interdite de territoire pour grande criminalité en vertu de l’article 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à la suite d’une condamnation pour enlèvement d’enfant. Une mesure d’expulsion est émise contre elle le 4 juin 2019. Le 19 juin 2019, elle dépose une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], sa demande d’asile ayant été jugée irrecevable en vertu de l’alinéa 112(3)b) de la LIPR.

[2] Le 5 août 2019, un agent d’ERAR rejette la demande notamment pour le motif que la demanderesse n’a soumis aucun élément de preuve au soutien de celle-ci ni invoqué de risques de retour.

[3] Le 6 septembre 2019, la demanderesse présente des soumissions additionnelles et de la nouvelle documentation. Elle allègue d’abord une crainte de retour au Brésil, où elle a habité de 2014 à 2016, car elle sera persécutée en raison de sa nationalité. Elle allègue également craindre un retour en Haïti en raison de son appartenance au groupe social des femmes monoparentales vivant seules. Elle ajoute de plus craindre les bandits qui ont tué ses parents pour des motifs politiques en 2009 et 2011 et qui l’ont violée et menacée de mort. Outre ses soumissions écrites, la demanderesse produit divers documents portant sur la situation générale en Haïti et plus particulièrement, la situation des femmes vivant seules, ainsi que de la documentation portant sur la situation des minorités et des Haïtiens au Brésil.

[4] Après avoir réévalué le dossier en tenant compte des nouvelles allégations et de la documentation soumise par la demanderesse, l’agent maintient sa décision et conclut qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle encourt les risques prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR advenant un retour en Haïti. La décision amendée est signifiée à la demanderesse le 5 décembre 2019.

[5] L’agent note d’abord que les considérations humanitaires ne peuvent être considérées dans le cadre de l’ERAR et que malgré la demande de retrait du plaidoyer enregistré pour l’infraction d’enlèvement d’enfant, la demanderesse demeure interdite de territoire au moment de l’examen. Ensuite, l’agent souligne que la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve personnalisé pour appuyer les allégations contenues dans son récit en lien avec sa crainte des bandits qui auraient tué ses parents et qui l’auraient violée et menacée. Considérant l’absence d’éléments de preuve, l’agent conclut que la demanderesse n’a pas démontré ses allégations de risque. Quant à sa crainte en tant que femme monoparentale seule, l’agent reconnait que la situation des femmes en Haïti n’est pas parfaite et que la violence basée sur le genre demeure un problème. L’agent est toutefois d’avis que la demanderesse n’a pas démontré que sa situation était similaire à celle des femmes vulnérables et qu’elle s’exposerait à des risques advenant son retour en Haïti. Pour terminer, l’agent conclut qu’il n’est pas pertinent d’évaluer les risques de retour au Brésil puisque la demanderesse ne possède pas de statut dans ce pays.

[6] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle reproche notamment à l’agent d’avoir exigé le dépôt d’une preuve personnalisée pour démontrer son profil comme personne à risque. Selon la demanderesse, sa situation familiale avait été expliquée à l’agent et il ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle démontre qu’elle n’avait plus de famille en Haïti. De plus, puisqu’elle a démontré son appartenance au groupe social particulier et que ce groupe est victime de persécution, la demanderesse soumet qu’elle a rencontré son fardeau de preuve. Elle soutient également que l’agent a examiné sa demande uniquement sous l’angle de l’article 97 de la LIPR en ajoutant un degré de personnalisation supplémentaire du risque. Il a rendu, sans le dire, une décision concernant la crédibilité de la demanderesse.

II. Analyse

[7] La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR, y compris son évaluation des éléments de preuve, est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Mombeki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 931 au para 8; Ashkir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 861 aux para 11).

[8] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

[9] L’argument de la demanderesse quant à l’exigence de preuve personnalisée est mal fondé. L’agent mentionne l’absence de preuve personnalisée dans le cadre de son analyse sous l’article 97 de la LIPR. La demanderesse allègue une crainte à l’égard des bandits. Elle affirme qu’elle a été enlevée et violée par des bandits qui ont menacé de la tuer. Elle aurait également été amenée à l’hôpital en raison des blessures subies et aurait porté plainte à la police. Elle affirme de plus que ces bandits ont tué ses parents. L’agent pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la demanderesse présente de la preuve pour corroborer son récit comme les certificats de décès de ses parents, un rapport de police, un rapport médical ou même un affidavit de sa grand-mère qui s’occupait d’elle avant son départ d’Haïti en 2014. La demanderesse n’a pas convaincu la Cour qu’il s’agit de preuve « impossible » à obtenir.

[10] Par ailleurs, la Cour ne peut souscrire à l’argument de la demanderesse que l’analyse de sa crainte en tant que femme monoparentale seule manque d’intelligibilité. L’agent n’a pas analysé cette crainte sous l’angle de l’article 97 de la LIPR en ajoutant, comme elle le prétend, un degré de personnalisation supplémentaire du risque. Il procède plutôt à l’analyse de cette crainte sous l’article 96 de la LIPR.

[11] Dans ses motifs, l’agent reconnait que la violence basée sur le genre demeure un problème et que les femmes haïtiennes peuvent être victimes de violences. Il ajoute que plusieurs crimes violents commis à l’égard des femmes haïtiennes découlent des conditions difficiles suite au séisme de janvier 2010. L’agent indique cependant que ces circonstances difficiles prévaudraient surtout dans des camps pour personnes déplacées, tel qu’en témoigne la preuve documentaire. L’agent est d’avis que la demanderesse n’a pas établi que sa situation est similaire à celles des femmes vulnérables qui se trouvent dans de telles circonstances. À cet égard, l’agent note que la demanderesse a de la famille en Haïti, notamment de la parenté chez qui elle a déjà habité, et qu’elle a des aptitudes d’adaptation, ayant été en mesure de vivre au Brésil et de traverser plusieurs pays avant de se rendre aux États-Unis et au Canada. L’agent mentionne que la documentation soumise par la demanderesse démontre que les femmes seules en Haïti sont en mesure de travailler et de se trouver un logement. Il réfère à de la preuve documentaire qui indique que les femmes seules avec enfants constituent « le noyau familial dans la plupart des cas ». En ce qui concerne la violence conjugale qu’elle allègue avoir subie aux mains de son ex-conjoint, l’agent ajoute que ce dernier se trouverait au Canada et que la demanderesse n’a pas invoqué de risques en lien avec celui-ci. L’agent conclut que la demanderesse n’a pas démontré que selon son profil, elle s’exposerait à des risques advenant son retour en Haïti. La demanderesse n’a pas démontré que cette conclusion est déraisonnable à la lumière du dossier.

[12] Contrairement à ce que prétend la demanderesse, l’agent n’a pas rendu une décision sur sa crédibilité. L’agent rejette sa demande au motif qu’elle ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[13] Pour conclure, la Cour estime que lorsque les motifs de l’agent d’ERAR sont interprétés de manière globale et contextuelle, ils possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 97, 99).

[14] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-6078-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6078-19

INTITULÉ :

FRANCESCAR DAMAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUIN 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Éric Taillefer

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Sean Doyle

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique de Montréal

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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