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Date : 20210604


Dossier : IMM‑3933‑20

Référence : 2021 CF 551

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SHEQUELLA WILLIAMS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Williams est citoyenne des Bahamas. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 30 juillet 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de sa demande d’asile. La SAR a convenu avec la Section de la protection des réfugiés (la SPR) que la demanderesse dispose d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Freeport, aux Bahamas.

[2] La demande de contrôle judiciaire de Mme Williams sera accueillie. Bien que j’aie conclu que la SAR a raisonnablement refusé d’admettre comme nouvel élément de preuve l’affidavit de 2019 de Mme Williams, elle a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de l’identité et de la motivation des agents de persécution de Mme Williams et en ne tenant pas compte d’éléments de preuve importants.

I. Contexte

[3] Mme Williams est arrivée au Canada en mars 2017, car elle craignait d’être persécutée par la famille de celui qui est désormais son ex‑petit ami aux Bahamas. Elle a présenté une demande d’asile au Canada sur le fondement de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[4] Aux Bahamas, Mme Williams vivait à Nassau avec son ex‑petit ami. En février 2017, elle s’est rendue à l’aéroport avec lui pour ramasser un colis. Mme Williams et son ex‑petit ami ont été arrêtés à l’aéroport, car le colis en question contenait une cargaison illégale de munitions en provenance des États‑Unis. Mme Williams a finalement été acquittée, mais son ex‑petit ami a été reconnu coupable et a reçu une peine d’emprisonnement de six ans.

[5] Mme Williams allègue que la famille de son ex‑petit ami est entrée par effraction dans son appartement et a volé ses effets personnels et sa voiture pendant qu’elle était en prison. Elle affirme également que la famille a commencé à la menacer et à la harceler, lui disant qu’elle devrait craindre pour sa vie. Mme Williams a tenté de signaler l’introduction par effraction à la police, mais celle‑ci a refusé d’agir jusqu’à ce que son père intervienne. Lorsqu’elle a tenté de signaler les menaces et le harcèlement, la police n’a pris aucune mesure.

[6] Après son départ des Bahamas, Mme Williams a appris que deux des associés de son ex‑petit ami, qui selon elle étaient liés à ses activités illégales, avaient été tués.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Williams le 6 décembre 2018 au motif qu’elle disposait d’une PRI viable à Freeport, aux Bahamas.

[8] En appel devant la SAR, Mme Williams a soutenu que la SPR avait commis une erreur dans son appréciation de la capacité et de la motivation de ses agents de persécution de la poursuivre à Freeport et dans sa conclusion selon laquelle elle dispose d’une PRI viable. Elle a fondé son argument en partie sur le fait que les Bahamas sont un petit pays et que tout le monde se connaît. Mme Williams a également soutenu que la SPR avait utilisé la mauvaise norme de preuve pour évaluer le risque auquel elle serait exposée à Freeport.

[9] Mme Williams a présenté de nouveaux éléments de preuve à la SAR à l’appui de son appel et a demandé la tenue d’une audience.

II. La décision de la SAR

[10] La SAR a examiné les nouveaux éléments de preuve que Mme Williams avait présentés conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR et a admis un rapport de 2018 du rapporteur spécial sur la violence contre les femmes (le rapport de 2018). Le commissaire a exclu l’affidavit de Mme Williams daté du 8 février 2019, un rapport de 2014 de la rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains (le rapport de 2014), ainsi qu’un article de presse des Bahamas daté de 2010 concernant les programmes de protection des témoins. La question en litige en l’espèce est l’exclusion de l’affidavit de Mme Williams.

[11] Pour ce qui est de la décision au fond, la SAR a renvoyé au critère à deux volets applicable pour établir l’existence d’une PRI viable énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam). L’analyse de la SAR a porté principalement sur le premier volet du critère, car Mme Williams n’avait pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle il ne serait pas déraisonnable pour elle de se réinstaller à Freeport.

[12] En appel, Mme Williams a principalement fait valoir que la conclusion de la SPR quant à la PRI était erronée pour deux motifs. Elle a soutenu que la SPR avait commis une erreur dans son appréciation de la capacité de ses agents de persécution à la poursuivre à Freeport et de la question connexe selon laquelle les Bahamas sont un petit pays et tout le monde se connaît.

[13] La SAR a conclu que Mme Williams n’avait pas établi l’identité de ses agents de persécution ni qu’ils avaient la motivation ou les ressources pour la trouver et la poursuivre à Freeport. La SAR a affirmé que Mme Williams avait fourni très peu de détails sur les profils, les liens, les ressources et la motivation de ses présumés agents de persécution. En ce qui concerne la menace que représentait toujours son ex‑petit ami, la SAR a conclu que Mme Williams n’avait donné aucun renseignement sur la relation de son ex‑petit ami avec les personnes qui selon elle étaient des associés ni sur les liens entre elle, son ex‑petit ami et les meurtres. Selon la SAR, l’affirmation de Mme Williams selon laquelle les décès étaient liés à son risque de persécution était hypothétique.

[14] La SAR a accepté le témoignage de Mme Williams selon lequel les Bahamas sont un petit pays, mais a déclaré que la taille d’un pays n’est pas déterminante en ce qui concerne l’existence d’une PRI. Plus important encore, Mme Williams n’a pas établi le profil de ses présumés agents de persécution ni leur capacité à la poursuivre. Lorsqu’elle s’est penchée sur la question de la taille des Bahamas, la SAR a affirmé que le gouvernement avait de la difficulté à fournir un refuge exclusif aux victimes rescapées de la traite de personnes puisqu’il peinait à préserver leur sécurité et leur confidentialité. Dans le cadre de sa demande en l’espèce, Mme Williams fait notamment valoir que la SAR a fondé cette affirmation sur le rapport de 2014, alors qu’elle avait refusé d’admettre ce rapport comme nouvel élément de preuve.

[15] Enfin, la SAR n’était pas d’accord avec Mme Williams pour dire que la SPR a appliqué la mauvaise norme de preuve pour déterminer le risque auquel elle serait exposée à Freeport. La SAR a conclu que la SPR avait correctement appliqué le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam lorsqu’elle a conclu qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse de persécution ou de risque de préjudice pour Mme Williams à Freeport selon la prépondérance des probabilités. Mme Williams n’a pas contesté cette conclusion.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[16] Mme Williams soutient que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son appréciation de l’admissibilité de ses nouveaux éléments de preuve et de son risque de persécution à Freeport, la ville proposée comme PRI. Elle soutient également que la SAR a commis un manquement à la justice naturelle en renvoyant aux mauvais éléments de preuve dans sa décision. À cet égard, Mme Williams soutient que l’erreur de la SAR commande l’application de la norme de la décision correcte, mais je ne suis pas d’accord. La SAR s’est effectivement fondée sur ces éléments de preuve, mais il ne s’agit que d’une partie de son appréciation de la preuve dans son ensemble. Cela ne soulève aucune question procédurale.

[17] La décision de la SAR sur le fond concernant l’existence d’une PRI et son appréciation des nouveaux éléments de preuve commande l’application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 30 au para 32). Aucune des exceptions permettant de s’écarter de la présomption, relevées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, ne s’applique en l’espèce. Le refus de la SAR d’admettre l’affidavit de Mme Williams à titre de nouvel élément de preuve est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 aux para 27‑28).

[18] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a établi des lignes directrices pour aider les cours de révision à appliquer la norme de la décision raisonnable et a souligné l’importance du raisonnement suivi par le décideur et le résultat pour la personne touchée par la décision (Vavilov, au para 83). Pour être considérée comme raisonnable, la décision doit comporter une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85, 99; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 au para 31). La cour de révision doit faire preuve de déférence envers cette décision.

IV. Analyse

Admissibilité de l’affidavit du 8 février 2019 de Mme Williams

[19] Pour commencer, il est important de garder à l’esprit que l’analyse de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR part du principe que l’appel d’une décision de la SPR est essentiellement « sur dossier » (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 au para 59). L’appel interjeté devant la SAR n’offre pas une deuxième chance de présenter des éléments de preuve pour corriger les faiblesses relevées par la SPR (Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 15) :

[15] En d’autres termes, la réponse à une lacune relevée par la SPR, dans le cas d’une partie, ne peut pas être un fondement légitime pour que cette partie prétende que si elle avait été au courant de la lacune, elle aurait pu présenter une meilleure preuve qui existait toujours et qui provenait de personnes qui auraient pu être appelées, à savoir, dans ce cas, son cousin. Cela ferait du processus de la SPR un gaspillage de temps monumental, ce qui n’est certainement pas dans l’intention du législateur en accordant des droits d’appel.

[20] L’affidavit de Mme Williams porte sur deux questions de fait : (1) Mme Williams affirme qu’elle connaît son ex‑petit ami depuis plus de deux ans et que, bien qu’elle ne connaisse pas l’identité des membres de sa famille à qui il aurait parlé d’elle, elle est certaine que la famille sait qui elle est. Elle souligne que le couple avait fait les manchettes aux Bahamas lorsqu’il a été arrêté; et (2) Mme Williams réitère le témoignage qu’elle a présenté à la SPR selon lequel les Bahamas sont un petit pays et que tout le monde se connaît. Elle fait également état de son expérience dans d’autres îles des Bahamas.

[21] Mme Williams soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de refuser d’admettre son affidavit de 2019 en application du paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle soutient que l’affidavit contient des renseignements qu’elle n’aurait pas pu normalement présenter à la SPR avant de recevoir la décision de cette dernière. Mme Williams affirme que l’affidavit visait à répondre à des conclusions précises et imprévues de la SPR.

[22] Les observations de Mme Williams ne me convainquent pas, et je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en refusant d’admettre son affidavit comme nouvel élément de preuve.

[23] Il incombait à Mme Williams de présenter ses meilleurs arguments à la SPR. Comme je l’ai déjà mentionné, l’appel interjeté devant la SAR n’offre pas une deuxième chance de présenter des éléments de preuve pour corriger les faiblesses relevées par la SPR (Eshetie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1036 au para 33).

[24] L’affidavit présente deux aspects problématiques. Premièrement, il reprend des éléments du témoignage de Mme Williams devant la SPR. En effet, l’affidavit contient des phrases qui renvoient directement à son témoignage, comme [TRADUCTION] « à l’audience, j’ai déclaré que les Bahamas sont un petit pays », ou encore qui font référence à son expérience de vie au pays, comme [traduction] « ce que j’ai expliqué dans mon témoignage, j’ai l’impression d’avoir bien expliqué pourquoi je ne peux déménager dans une autre île et être ainsi en sécurité ».

[25] Deuxièmement, tous les nouveaux renseignements dans l’affidavit portent sur des questions dont la SPR était directement saisie dans le cadre de son analyse de la PRI. À mon sens, l’observation de Mme Williams selon laquelle elle n’aurait pas pu prévoir certains éléments précis de la décision définitive de la SPR n’est pas suffisante pour justifier l’admission de son témoignage.

[26] Le profil de la famille de l’ex‑petit ami et sa capacité de trouver Mme Williams dans la ville proposée comme PRI étaient au cœur des questions de la SPR à l’audience. Dans sa décision, la SPR a fait référence à la question qu’elle avait posée à Mme Williams, à savoir comment la famille saurait qu’elle se trouverait à Freeport, une ville située dans une autre île, ainsi qu’à sa réponse selon laquelle tout le monde se connaît et que son ex‑petit ami avait de la famille partout aux Bahamas. La SPR a conclu que Mme Williams n’avait pas déclaré avoir rencontré des membres de la famille de son ex‑petit ami dans d’autres îles ou que son ex‑petit ami avait mentionné son nom à ses parents. Dans son nouvel affidavit, Mme Williams cherche à répondre à cette conclusion en déclarant qu’elle est certaine qu’ils connaissent son identité compte tenu de la durée de leur relation.

[27] La conclusion de la SPR selon laquelle aucun élément de preuve ne permettait d’établir comment les membres de la famille de l’ex‑petit ami de Mme Williams pouvaient l’associer à lui découlait directement des lacunes dans son témoignage à l’audience. Elle ne peut contester cette conclusion défavorable en présentant à la SAR un nouvel élément de preuve.

[28] Les renseignements figurant dans l’affidavit de Mme Williams selon lesquels les Bahamas sont un petit pays et que tout le monde se connaît sont essentiellement les mêmes que ceux qu’elle avait présentés dans son témoignage devant la SPR. Les renseignements plus détaillés dans l’affidavit concernant ses voyages dans différentes îles des Bahamas et son opinion selon laquelle elle avait adéquatement expliqué pourquoi elle ne pouvait pas déménager en toute sécurité dans une autre île ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve visés par le paragraphe 110(4) de la LIPR.

Appréciation par la SAR du risque de persécution de Mme Williams à Freeport

[29] Mme Williams soutient que la SAR n’a pas raisonnablement examiné la question de la violence et des menaces qu’elle a subies aux mains de la famille de son ex‑petit ami, ainsi que la capacité des membres de la famille de la retrouver dans la ville proposée comme PRI, au vu de la preuve dont disposait la SPR et du rapport de 2018. Elle soutient que la SAR a eu tort de focaliser son analyse uniquement sur la taille du pays et qu’elle n’a pas tenu compte du fait que tout le monde se connaît. Selon Mme Williams, le fait que l’information circule inévitablement parmi la population s’avère essentiel à sa thèse selon laquelle ses agents de persécution seront en mesure de la retrouver à Freeport.

[30] Le défendeur soutient que dans ses observations, Mme Williams demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve dont disposait la SAR. Il soutient que Mme Williams n’a fait que des déclarations générales au sujet de la famille de son ex‑petit ami, lesquelles ne suffisaient pas à établir que la famille avait la possibilité et la volonté de la retrouver. Les conclusions de la SAR concernant le profil, la capacité et la motivation des présumés agents de persécution de Mme Williams étaient complètes et raisonnables.

[31] Certains aspects de l’analyse de la SAR au sujet de la PRI proposée sont conformes à la preuve et justifient les conclusions précises énoncées dans sa décision. Plus particulièrement, Mme Williams soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter son témoignage concernant les liens criminels de son ex‑petit ami, mais je ne suis pas d’accord. Premièrement, Mme Williams n’a pas soulevé cette question dans ses observations déposées en appel devant la SAR (Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 aux para 21, 32). Deuxièmement, il ne fait aucun doute que l’ex‑petit ami a des antécédents criminels. Toutefois, le témoignage de Mme Williams concernant le meurtre de deux personnes avec qui son ex‑petit ami a été associé ne lui est d’aucune aide. Comme l’a fait observer la SAR, elle n’a fourni aucune preuve de l’identité des meurtriers, et rien ne permet de savoir si les meurtres étaient liés d’une quelconque façon aux activités de son ex‑petit ami. De plus, sa déclaration générale selon laquelle l’association de son ex‑petit ami avec des criminels a renforcé sa crainte de persécution n’est pas convaincante.

[32] Mme Williams remet également en question l’évaluation de la SAR au sujet de la motivation de son ex‑petit ami et de sa famille à continuer de la rechercher. Elle affirme que, vu les menaces antérieures, le fait qu’elle n’a pas fait l’objet de menaces ou de harcèlement depuis son arrivée au Canada ne signifie pas que ses agents de persécution manquent de motivation. Je ne modifierais pas la décision pour ce motif. Il était loisible à la SAR de tenir compte de l’absence de menaces récentes lorsqu’elle a évalué la possibilité que Mme Williams soit à nouveau persécutée et le risque qu’elle subirait à son retour aux Bahamas.

[33] En revanche, les déclarations de la SAR mettant en doute l’identité des agents de persécution et leur capacité à trouver Mme Williams à Freeport ne sont ni intelligibles ni compatibles avec la preuve. La SAR affirme que Mme Williams « n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qui sont les présumés agents de persécution ». La SAR revient sur cette préoccupation à plusieurs reprises dans sa décision.

[34] Le témoignage de Mme Williams selon lequel son ex‑petit ami et sa famille, dont sa mère et son frère, étaient responsables de l’intrusion dans son appartement, du vol de ses effets personnels et des menaces et du harcèlement constants était sans équivoque. À mon sens, son témoignage était suffisant pour établir l’identité des personnes responsables des incidents survenus aux Bahamas.

[35] Je conclus que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en insistant sur le fait que l’identité des présumés agents de persécution de Mme Williams n’avait pas été établie. Cette conclusion n’est pas justifiée au regard de la preuve et a miné l’analyse du profil et de la capacité de ces agents qui s’en est suivie. La SAR n’explique pas ses déclarations selon lesquelles Mme Williams n’a pas démontré l’identité de ses agents de persécution. Si la SAR était préoccupée par le fait que Mme Williams n’avait pas nommé de membres de la famille élargie se trouvant sur d’autres îles qui pourraient s’en prendre à elle, elle devait l’exprimer et expliquer pourquoi Mme Williams devait fournir ces renseignements.

[36] J’estime également que la conclusion de la SAR selon laquelle Mme Williams n’a pas établi le profil et la capacité de la famille de son ex‑petit ami de la poursuivre jusqu’à Freeport est entachée de deux erreurs importantes et connexes.

[37] Premièrement, la SAR n’a pas examiné l’objet et le contenu du témoignage de Mme Williams selon lequel les Bahamas sont un petit pays ayant une faible population et où tout le monde se connaît. Mme Williams n’a pas présenté ce témoignage pour démontrer que la taille des Bahamas est un facteur déterminant en ce qui concerne l’existence d’une PRI. Son témoignage visait plutôt à démontrer que le profil et la capacité d’un agent de persécution à trouver quelqu’un dans un pays comme les Bahamas ne sont pas nécessairement importants.

[38] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAR n’a pas affirmé à tort que la taille d’un pays n’est pas un facteur déterminant pour conclure à l’existence d’une PRI ou que Mme Williams avait fourni peu de détails sur les membres de la famille de son ex‑petit ami. Or, la SAR n’a pas expliqué pourquoi un profil en particulier était nécessaire aux Bahamas pour retrouver Mme Williams à Freeport à la lumière de son témoignage. Cette dernière a expliqué à la SPR pourquoi la taille du pays était importante en l’espèce, mais ni la SPR ni la SAR n’ont tenu compte de cette preuve, affirmant simplement que la petite taille et la faible population ne sont pas des facteurs déterminants.

[39] Deuxièmement, dans le cadre de son analyse de la pertinence de la taille des Bahamas, la SAR s’est appuyée sur le rapport de 2014, qu’elle avait jugé inadmissible, et sur une déclaration dans ce rapport indiquant que le pays peine à préserver la sécurité et la confidentialité des victimes secourues de la traite de personnes. La SAR n’a pas tenu compte du rapport de 2018 présenté en preuve qui fournissait des renseignements sur les victimes de violence familiale. Le défendeur reconnaît l’erreur, mais soutient qu’elle n’est pas importante, car le rapport de 2014 contenait essentiellement les mêmes renseignements que ceux figurant dans le rapport de 2018.

[40] Je ne puis souscrire à l’argument du défendeur. Les similitudes dans la formulation utilisée dans les deux rapports ne sont pas suffisantes pour expliquer l’erreur de la SAR. Ces similitudes ne permettent pas à la Cour de conclure que le défaut de la SAR d’examiner le rapport de 2018 n’a eu aucun effet sur sa conclusion finale.

[41] Le rapport de 2018 met l’accent sur les femmes victimes de violence familiale. Le rapport de 2014 fournit des renseignements sur les survivants de la traite de personnes et porte sur des questions de sécurité et de confidentialité de l’information dans un contexte faisant intervenir différents agents de préjudice. Selon le rapport de 2018, puisque la collectivité des Bahamas est petite et se connaît bien, les victimes de violence familiale doivent avoir accès à des lieux de refuge sûrs et confidentiels. Le rapport de 2014 ne tient pas compte du fait que l’information circule parmi la population des Bahamas en général. Cette facilité d’accès à l’information par les gens ordinaires est ce qui préoccupe Mme Williams.

[42] Le rapport de 2018 était important en ce qui a trait aux observations présentées en appel par Mme Williams. J’estime que la SAR, après avoir admis le rapport, devait examiner les renseignements qui y figuraient concernant la nature de la collectivité des Bahamas et son incidence sur la viabilité de Freeport à titre de PRI. La SAR a limité son analyse des observations de Mme Williams à un énoncé selon lequel [traduction] « la taille de la population de la ville proposée comme PRI n’est pas déterminante en soi ». Mme Williams ne conteste pas cette affirmation, mais son argument est plus nuancé. Je suis d’accord avec elle pour dire que la preuve exigeait que la SAR tienne compte non seulement de la taille de la population du lieu proposé comme PRI, mais aussi de sa composition, de ses communications et de ses liens avec la population élargie du pays.

[43] En résumé, je conclus que la décision de la SAR dans son ensemble ne satisfait pas aux caractéristiques d’une décision raisonnable. Lorsqu’elles sont évaluées au regard de la preuve et des observations de Mme Williams, les erreurs de la SAR donnent lieu à une analyse dénuée de cohérence et de justification. Par conséquent, la demande de Mme Williams est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

[44] Aucune question à certifier n’a été proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3933‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3933‑20

 

INTITULÉ :

SHEQUELLA WILLIAMS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Esther Lexchin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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