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Date : 20040422

Dossier : IMM-2236-03

Référence : 2004 CF 598

Toronto (Ontario), le 22 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                               JAIME FERNANDO EGAS FUENTES

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                M. Fuentes est un citoyen de l'Équateur âgé de 37 ans. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté sa demande d'asile. Il sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.


[2]                Le père de M. Fuentes, un officier de carrière connu, voulait que son fils suive ses traces et il faisait des efforts constants en vue d'éveiller l'intérêt du demandeur à l'égard d'une carrière militaire. M. Fuentes a été élevé d'une manière stricte, il a dû participer à des camps militaires, fréquenter le collège des cadets et une école de formation militaire. Lorsqu'il est devenu évident que M. Fuentes préférait une carrière civile (il est professeur de tennis), son père était très contrarié et il a conclu que son fils était homosexuel. Cette croyance du père du demandeur a été renforcée par le fait que M. Fuentes ne s'intéressait ni aux filles ni au mariage arrangé.

[3]                M. Fuentes soutient que la SPR a mal interprété le fondement de sa demande. Il affirme que sa demande était fondée sur son appartenance à un groupe social particulier, celui des personnes perçues comme étant des homosexuels. La Commission a omis d'analyser sa demande, et, comme le démontre la preuve documentaire, l'Équateur est un pays dans lequel les homosexuels sont victimes de torture et de mauvais traitements et font l'objet de menaces de mort et de détention arbitraire.

[4]                En dépit de l'éloquence des arguments présentés par l'avocat, je ne suis pas convaincue que la SPR [traduction] _ s'est trompée _.


[5]                Ayant examiné le dossier, je conclus que la demande présentée par le demandeur était clairement fondée sur sa crainte de son père, qui croyait qu'il était homosexuel. La partie du Formulaire de renseignements personnels (FRP) consacrée à l'exposé circonstancié renferme 21 paragraphes qui constituent un récit touchant la crainte que le demandeur éprouve pour son père. L'unique mention du fait que le demandeur était [traduction] _ perçu comme un homosexuel _, qu'on trouve au 21e paragraphe, s'inscrit dans le contexte des 20 paragraphes précédents, c'est-à-dire celui de la perception de son père.

[6]                Pendant l'audience, la Commission a expressément demandé à l'avocat d'insister sur certains points. Son président a dit ce qui suit :

[traduction]

PRÉSIDENT : Je voudrais savoir qui est l'agent de persécution. Quels - quels sont ses raisons. Et ce qui va se passer. Pourquoi le demandeur a-t-il peur de retourner en Équateur? Est-ce que sa vie sera en danger s'il retourne en Équateur?

[7]                M. Fuentes a répondu de la façon suivante aux questions de son avocat :

[traduction]

AVOCAT :              [...] Vous êtes retourné en Équateur en novembre 1999, n'est-ce pas?

DEMANDEUR :    Oui.

AVOCAT :              Et vous avez témoigné que vous l'avez fait parce que votre père avait laissé entendre qu'il avait changé d'attitude, n'est-ce pas?

DEMANDEUR :    Oui.

AVOCAT :              Vous avez maintenant témoigné que lorsque vous êtes retourné en Équateur, vous vous êtes caché. Est-ce que c'est exact?

DEMANDEUR :    Oui.

AVOCAT :              Pourquoi vous cachiez-vous si votre père a dit que la situation allait s'améliorer?

DEMANDEUR :    Je ne lui faisais pas confiance. Je devais continuer à me cacher, et il voulait toujours que je devienne un militaire.

AVOCAT :              D'accord. Mais comment savez-vous que votre père voulait toujours que vous deveniez un militaire?

DEMANDEUR :    Indirectement, je l'ai appris de ma mère.

AVOCAT :              D'accord. Vous êtes retourné en Équateur en novembre 94. Combien de temps ça vous a pris pour vous rendre compte que l'attitude de votre père n'avait pas changé?

DEMANDEUR :    Des années.

APR :                      Je vous demande pardon?

DEMANDEUR :    Des années.

AVOCAT :             Et vous vous êtes caché pendant tout ce temps?

DEMANDEUR :    Oui.

AVOCAT :              Pourquoi vous êtes-vous caché pendant tout ce temps si vous ne - si vous ne croyiez pas que l'attitude de votre père n'avait pas changé?

DEMANDEUR :    J'avais peur de son caractère et de ses décisions.

AVOCAT :             D'accord. Passons à autre chose [...]

L'échange suivant a eu lieu par la suite :

[traduction]

AVOCAT :              D'accord. Je vous demanderai de répondre à certaines questions que l'on a considéré comme particulièrement importantes pour les besoins de la présente demande. Qui, selon vous, vous ferait du mal si vous reveniez en Équateur maintenant?

DEMANDEUR :    Mon père.


[8]                L'avocat a terminé l'interrogatoire de M. Fuentes, et la possibilité que celui-ci soit perçu comme un homosexuel par quiconque à part son père n'a jamais été mentionnée. Vers la fin de l'interrogatoire mené par l'agent de protection des réfugiés (l'APR), M. Fuentes a dit, pour le première fois, qu'il pouvait y avoir de la [traduction] _ discrimination _ en raison de [traduction] _ l'homosexualité _. Lorsque l'APR lui a demandé d'être plus précis, il a mentionné des problèmes qu'il a eus avec ses oncles (les frères de son père). Lorsqu'on a insisté davantage, il a élargi ce groupe pour y ajouter les amis et les voisins, et il a dit [traduction] _ la discrimination est très forte _. En répondant à des questions sur ce que ces personnes avaient fait, il a affirmé : [traduction] _ Pas de préjudice physique. Ils se comportaient comme si je n'étais pas là. Ils m'ignoraient. _ Enfin, lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait quitté l'Équateur, il a répondu :

[traduction] Pour deux raisons. La première, c'est qu'il a essayé de me tuer et il était possible que je doive me cacher toute ma vie. La deuxième, c'est la discrimination, parce qu'ils me traitaient comme si j'étais homosexuel. C'est tout.

[9]                Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait pas mentionné ces renseignements dans son FRP, il a répondu : [traduction] _ Parce que je ne suis pas gai. _


[10]            Les nombreuses réserves quant à la crédibilité ont été l'unique raison du rejet de la demande. Le demandeur affirme qu'une partie des conclusions de la Commission selon lesquelles il y avait des divergences entre son FRP et sa déposition orale n'est pas pertinente. En toute déférence, lorsqu'on tient compte du FRP et du fondement de la plainte qui y est énoncé, on ne peut conclure que les divergences touchant le nombre de fois que le père du demandeur a menacé celui-ci avec un pistolet et les raisons pour lesquelles le demandeur est revenu du Pérou ne sont pas pertinentes. Il était loisible à la Commission de ne pas croire M. Fuentes lorsqu'il a dit qu'il n'aurait pas pu se faire naturaliser au Pérou à cause de l'influence de son père.

[11]            M. Fuentes a quitté l'Équateur et y est revenu à plusieurs reprises. Il a vécu en Colombie chez son oncle maternel entre août 1989 et août 1991; au Pérou entre janvier 1994 et novembre 1994; il a séjourné aux Étas-Unis entre janvier 1998 et février 1998, et au Canada entre octobre 1998 et février 1999.

[12]            Je conviens que la SPR a le devoir de prendre en considération tous les motifs avancés à l'appui d'une demande, même ceux qui ne sont pas expressément mentionnés dans le FRP. Toutefois, en l'espèce, la Commission pouvait raisonnablement rejeter la demande du fait qu'elle croyait que l'omission de renseignements pertinents dans le FRP n'était pas accidentelle. Plusieurs divergences entre le FRP et la déposition orale n'ont pas été expliquées de façon adéquate. M. Fuentes a prétendu avoir vécu en cachette pendant quatre ans en Équateur, mais il voyageait dans le pays pour donner des leçons de tennis. Il a omis de mentionner dans son FRP un rapport sur son père qu'il a présenté à un juge ainsi que le fait que son père n'était pas le seul à le croire homosexuel.


[13]            Les problèmes ayant trait à la question de la vie en cachette et aux renseignements que le demandeur a omis de mentionner dans son FRP et qui auraient pu l'aider à prouver l'existence d'une crainte subjective (la plainte écrite et la crainte de discrimination de la part des autres personnes) se trouvaient au coeur de l'analyse de la crainte subjective. Ayant examiné le dossier, je ne peux pas reprocher à la Commission d'avoir rejeté la demande en se fondant uniquement sur des considérations subjectives. Comme la SPR n'a pas ajouté foi au fondement de la crainte subjective, il n'était pas nécessaire de mener une analyse de la crainte objective. Les conclusions touchant la crédibilité sont, à mon avis, justes. Il n'y a pas lieu d'intervenir.

[14]            Les avocats n'ont proposé aucune question aux fins de certification. La présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                             _ Carolyn Layden-Stevenson _          

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2236-03

INTITULÉ :                                                    JAIME FERNANDO EGAS FUENTES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 20 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson                                               POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040422

                    Dossier : IMM-2236-03

ENTRE :

JAIME FERNANDO EGAS FUENTES

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

             ET ORDONNANCE

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