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Date : 20210513

Dossier : IMM‑4079‑20

Référence : 2021 CF 441

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2021

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ISMAEL ESTRADA GALLARDO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET

L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente demande est introduite par Ismael Estrada Gallardo, qui conteste une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La demande d’asile de M. Gallardo a été rejetée par la SPR parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable dans la ville de Mexico.

[2] L’appel de M. Gallardo auprès de la SAR contestait seulement la justesse de la décision de la SPR de rejeter sa demande d’ajournement de l’audience pour accommoder un conflit d’horaire de son conseil juridique. La SAR a confirmé cette décision ainsi que le fait que la conclusion de la SPR relative à une PRI était correcte. La présente demande concerne seulement la décision de la SAR confirmant celle de la SPR relative à l’ajournement. Cette décision, selon M. Gallardo, était erronée, et elle brime son droit à une audience équitable.

[3] La décision de la SPR de rejeter la demande d’ajournement de M. Gallardo a été rendue par son commissaire coordonnateur. Selon la transcription de cette partie de l’audience, la décision est justifiée ainsi :

[traduction]

MADAME LA COMMISSAIRE AZMUDEH : Donc, monsieur, votre conseil maintient que vous avez le droit d’être représenté, ce qui est partiellement vrai. Partiellement, car vous avez droit à une occasion raisonnable d’obtenir les services d’un conseil si vous le souhaitez.

En l’espèce, cette question a été vraiment portée à notre attention le 14 août 2018, il y a plusieurs mois, avec un avis de comparution où figurait la date d’aujourd’hui. Donc, je comprends que vous avez eu de la difficulté à comprendre la procédure d’aide juridique, mais vous avez eu amplement l’occasion de dissiper toute confusion ou de faire appel à vos amis avant il y a quelques jours ou quelques semaines, soit lorsque vous avez appris la date de comparution, à savoir dès le départ.

Donc, le droit à un conseil n’est pas absolu, et si vous aviez agi plus rapidement, vous auriez pu vous prévaloir de ce droit si vous l’aviez voulu. Et si je replace le tout dans le contexte de nos règles et de notre mandat de procéder efficacement et justement : d’abord, nos lois nous auraient enjoint d’assigner une salle d’audience – une date d’audience dans les 30 jours, car vous êtes du Mexique, et la seule raison pour laquelle nous n’avons pas pu respecter le mandat législatif était parce que la Commission était débordée. Donc, tout devait se passer plus rapidement si le demandeur d’asile veut s’assurer de faire preuve de diligence, car techniquement nos lois permettent même de fixer une date d’audience beaucoup plus rapidement et de donner un préavis plus court au demandeur d’asile.

Vous avez eu plusieurs mois pour vous préparer. Notre loi exige seulement que la date d’audience soit fixée un mois après le renvoi de l’affaire.

INTERPRÈTE : D’accord, je suis désolé, pouvez‑vous –

MADAME LA COMMISSAIRE AZMUDEH : Durant cette période, vous deviez retenir les services d’un conseil et prendre toutes ces mesures. Vous disposiez de nombreux mois supplémentaires, et nos règles de justice naturelle permettent aussi des procédures beaucoup plus rapides, car, selon le paragraphe 54(5) des règles applicables, vous avez seulement cinq jours pour soumettre une demande afin d’obtenir une autre date une fois que la date a été fixée sans que l’agenda d’un avocat soit consulté. Vous n’avez pas agi dans les cinq jours. Vous n’avez même pas agi dans les cinq mois, et les règles sont assez strictes. La date sera seulement modifiée si une urgence qui échappe au contrôle de la partie survient et si cette dernière avait fait preuve de diligence ou qu’une vulnérabilité avait été cernée. Cette situation ne s’applique pas en l’espèce.

Donc, dans les circonstances, vous n’avez pas respecté les exigences établies à l’article 54. Je n’autorise pas la demande de changement de date. Je remarque aussi que, sauf la trousse initiale de documents d’immigration et le formulaire Fondement de la demande d’asile, vous n’avez pas non plus rempli d’autres documents par vous‑même dans les 10 jours précédant l’audience.

[4] La SAR a tenu compte des motifs mentionnés ci‑haut, et elle a conclu qu’ils ne contenaient [traduction] « aucune erreur ». Après avoir examiné l’historique du dossier, la SAR a donné l’explication suivante quant à la raison pour laquelle le refus d’ajournement de la SPR était correct :

[traduction]

[18] Le droit à un conseil n’est pas un droit absolu dans le contexte d’une procédure administrative comme celle d’une audience relative à une demande d’asile devant la CISR. La loi accorde aux réfugiés le droit d’être représenté, mais elle ne prévoit pas que chaque demandeur d’asile doive être représenté. En outre, la CISR ne joue aucun rôle quant à qui est représenté ou comment le représentant est choisi. Le droit à une audience équitable est par contre absolu.

[19] À l’audience relative à la demande de changement de la date ou de l’heure, le conseil a constaté que la demande d’asile avait été écrite à la main par l’appelant lui‑même, et qu’elle « ne sembl[ait] pas aborder toutes les questions qui d[evaient] l’être ». Qu’il bénéficie de l’aide d’un conseil ou non, il est de la responsabilité du demandeur d’asile de se préparer un minimum avant l’audience de la SPR. La CISR publie des documents détaillés sur son site Web afin d’aider les demandeurs d’asile à préparer leur dossier. Le fait que l’appelant n’avait pas fait les préparations élémentaires dans le cadre de son affaire avant l’audience constitue non pas une erreur de la SPR sujette à révision, mais une négligence de [la] part [de l’appelant].

[20] Le conseil a fourni, dans le dossier d’appel, certains précédents concernant la remise des audiences et l’obtention des services d’un conseil. J’ai examiné les décisions, et je ne suis pas d’avis qu’elles illustrent des situations factuelles analogues à la présente affaire. Par exemple, dans l’affaire Calles, le demandeur avait fait tout ce qu’il pouvait afin d’être représenté par un conseil juridique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans Ramadani, en l’absence d’une explication acceptable concernant le fait de ne pas avoir soumis les formulaires de renseignements personnels (FRP) à temps, la SPR a déclaré que les demandes d’asile des demandeurs avaient été abandonnées. Dans Bryndza, au moment où les FRP ont été remplis, les demandeurs étaient représentés par un conseil qu’ils avaient obtenu grâce à l’aide juridique. Dans Singh, l’affaire traitait du retrait tardif du conseil.

[21] Le conseil a aussi renvoyé à l’affaire Siloch, où la Cour d’appel fédérale, en 1993, a énoncé un certain nombre de facteurs dont les tribunaux administratifs devraient tenir compte au moment de rendre une décision au sujet de la remise des audiences, notamment :

a) la question de savoir si le requérant a fait son possible pour être représenté par un avocat;

b) le nombre d’ajournements déjà accordés;

c) le délai pour lequel l’ajournement est demandé;

d) l’effet de l’ajournement sur le système d’immigration;

e) la question de savoir si l’ajournement retarde, empêche ou paralyse indûment la conduite de l’enquête;

f) la faute ou le blâme à imputer au requérant du fait qu’il n’est pas prêt;

g) la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement;

h) tout autre facteur pertinent.

[22] Cependant, les facteurs énumérés ci‑haut ne sont pas les seuls dont il faut tenir compte. Les Directives du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada fournissent des conseils à ce sujet, et les Règles de la Section de la protection des réfugiés concernant un changement de date ou d’heure de la procédure doivent être respectées.

[23] Les Directives no 6 du président : Mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure fournissent aussi des conseils généraux à ce sujet. La portion des Directives no 6 destinée précisément à la SPR précise que :

La SPR s’attend à ce que les parties et leurs conseils soient prêts à présenter leur cas à la date et à l’heure prévues pour l’audience. Les demandes de changement de la date ou de l’heure de l’audience ne seront accueillies que dans des circonstances exceptionnelles [souligné par la SAR] et, dans les cas où la demande aurait pour effet d’empêcher le respect des délais réglementaires relatif à la tenue des audiences, seulement si la preuve indique que cette mesure est nécessaire pour se conformer aux principes de justice naturelle.

[24] Le commissaire habituel de la SPR ayant instruit la demande d’asile de l’appelant a confirmé que celui‑ci était prêt à poursuivre la procédure, que sa documentation était en règle, et que, puisque le demandeur d’asile et l’interprète étaient présents, la SPR procéderait directement à l’instruction de la demande d’asile. Je suis d’avis que cette approche était bonne.

[25] Au moment d’examiner la transcription de l’audience de la SPR, je remarque que l’appelant a fourni des réponses claires et lucides aux questions du commissaire de la SPR. Le commissaire de la SPR a expliqué en détail à l’appelant ce qui allait se produire, et la procédure de l’audience. Le commissaire de la SPR s’est assuré d’expliquer tout terme technique associé à une demande d’asile, comme « possibilité de refuge intérieur ». Pendant l’audience, le commissaire de la SPR s’est assuré que l’appelant était en mesure de comprendre l’interprète et ses questions. Il était évident que l’appelant comprenait la nature de la procédure.

[26] Même si l’appelant a déclaré, à l’audience, qu’il aurait souhaité être représenté par un avocat, il n’a pas mentionné qu’une quelconque de ses réponses aux questions de la SPR était erronée ou que ses réponses avaient été mal interprétées par le commissaire de la SPR. Par conséquent, je suis d’avis que le fait que la CISR ait continué la procédure en l’absence d’un conseil était correct, et qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

I. Norme de contrôle

[5] Le ministre soutient que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable. M. Gallardo affirme que, comme la question devant la Cour concerne l’équité procédurale, la norme de la décision correcte s’applique. Je n’ai pas à tirer de conclusion concernant cette question, parce que même si la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, la décision ne peut pas être maintenue.

II. Analyse

[6] Les règles de la SPR relatives à l’ajournement sont en quelque sorte un étrange mélange. D’une part, le paragraphe 54(5) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, prévoit un droit apparent présumé à un ajournement si la demande a été soumise au plus tard cinq (5) jours ouvrables suivant la journée où la date de l’audience a été fixée, et seulement lorsque le conseil n’est pas disponible à la date initiale. La limite de temps a sans doute été imposée en raison de l’échéancier obligatoire strict des audiences – qui doivent se tenir dans les 30, les 45 ou les 60 jours – établi à l’article 159.9 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] (voir l’article 7.1 des Directives no 6 du président : mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure).

[7] D’autre part, contrairement au paragraphe 54(5), le paragraphe 54(4) des règles applicables est libellé ainsi :

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la Section ne peut accueillir la demande, sauf en cas des circonstances exceptionnelles, notamment :

(4) Subject to subrule (5), the Division must not allow the application unless there are exceptional circumstances, such as

a) le changement est nécessaire pour accommoder une personne vulnérable;

(a) the change is required to accommodate a vulnerable person; or

b) dans le cas d’une urgence ou d’un autre développement hors du contrôle de la partie, lorsque celle‑ci s’est conduite avec diligence.

(b) an emergency or other development outside the party’s control and the party has acted diligently.

[8] J’accepte l’observation du ministre selon laquelle les modifications de 2012 qui ont introduit le paragraphe 54(4) visaient à faire en sorte qu’il soit plus difficile d’obtenir un ajournement d’une audience prévue de la SPR. La règle qui s’appliquait précédemment faisait état d’une liste non exhaustive de 11 facteurs dont la SPR devait tenir compte avant d’accepter ou de refuser un ajournement. Les facteurs énoncés étaient similaires à ceux cernés dans Siloch c Canada (MEI), [1993] ACF no 10 (CAF), 10 Admin. L.R. (2e) 285. Dans le cadre des modifications de 2012, tous les facteurs énumérés ont été retirés pour être remplacés par le terme plus restrictif « circonstances exceptionnelles ».

[9] C’est en fonction de l’historique de cette règle que le caractère raisonnable de la décision de la SAR doit être évalué.

[10] Selon moi, la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de toutes les circonstances pertinentes afin de décider si des « circonstances exceptionnelles » étaient survenues. Même si un seul facteur n’aurait pas fait pencher la balance, plusieurs facteurs pris ensemble auraient très bien pu le faire. C’est ce qu’a déclaré mon collègue le juge James O’Reilly dans l’affaire Tung c Canada (MCI), 2015 CF 1296 aux para 7‑10, [2015] ACF No 1353 :

[7] À mon avis, la Commission a omis de prendre en compte les facteurs pertinents susmentionnés et a par conséquent déraisonnablement refusé un ajournement à Mme Tung. La Commission a justifié sa décision par le défaut de Mme Tung de démontrer qu’il existait des circonstances exceptionnelles, comme la vulnérabilité ou une urgence hors de son contrôle. Or, ce ne sont que des exemples de circonstances exceptionnelles. La Commission ne semble pas avoir cherché à savoir si la situation personnelle de Mme Tung pouvait être assimilable à des circonstances exceptionnelles au sens large.

[8] La Commission n’a pas non plus cherché à savoir si le paragraphe 54(5) des Règles était applicable. Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission peut dans certaines circonstances être tenue d’accorder un ajournement en vertu de cette disposition. En l’absence de telles circonstances, la Commission a néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un ajournement lorsque la situation personnelle du demandeur le justifie.

[9] Si la Commission avait tenu compte de la situation personnelle de Mme Tung, elle aurait constaté que :

Mme Tung n’avait encore jamais fait de demande d’ajournement;

le délai demandé était court;

rien ne donnait à penser qu’un préjudice serait cause;

ni Mme Tung ni son conseil n’étaient préparés pour l’audience.

[10] Dans ces circonstances, je conclus qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de rejeter la demande de Mme Tung étant donné qu’elle n’avait pas examiné la situation personnelle de cette dernière.

[11] Les Directives no 6 du président relatives à la mise au rôle et aux changements de la date ou de l’heure d’une procédure traitent explicitement de la question de l’indisponibilité du conseil. Selon l’article 3.6 :

3.6.1 La CISR reconnaît que les parties ont le droit de se faire représenter par un conseil, mais ce droit n’est pas absolu. La possibilité de recourir aux services d’un conseil n’est pas illimitée. Les parties et tout conseil dont les services sont retenus doivent être prêts à comparaître et à poursuivre la procédure et en mesure de le faire conformément aux exigences de mise au rôle de la section et aux exigences de la loi.

3.6.1 The IRB recognizes that parties have the right to be represented by counsel, but this right is not absolute. The opportunity to retain counsel is not unlimited. The parties and any counsel they choose to retain must be ready and able to appear and proceed according to the scheduling requirements of the division and the requirements of the legislation.

3.6.2 Si le conseil est choisi après qu’une date a déjà été fixée pour une procédure, il incombe à la partie de veiller à ce que le conseil soit disponible et prêt à poursuivre la procédure à la date fixée. En règle générale, la CISR n’accueille pas les demandes de changement de la date ou de l’heure d’une procédure si la partie retient les services d’un conseil qui n’est pas disponible à la date qui a déjà été fixée.

3.6.2 If counsel is retained after a date has already been set for a proceeding, the party is responsible for making sure that counsel is available and ready to proceed on the scheduled date. The IRB does not generally allow applications to change the date or time of a proceeding if a party chooses to retain counsel who is not available on a date that has already been fixed.

3.6.3 La CISR donne toujours aux parties un avis raisonnable de la date et de l’heure de la procédure, qui varie en fonction des circonstances et du type de procédure. La CISR s’attend donc à ce que les conseils soient disponibles et préparés à présenter le cas de la partie. Si, pour une raison quelconque, le conseil ne peut se présenter à l’audience prévue, il doit prendre les mesures nécessaires pour se faire remplacer par un autre conseil qui est prêt à poursuivre l’affaire à la date et à l’heure prévues. Si le conseil ne se présente pas, la CISR peut décider de poursuivre l’affaire en l’absence du conseil ou, s’il y a lieu, d’entamer la procédure de désistement ou de prononcer le désistement de l’affaire.

3.6.3 The IRB provides the parties with reasonable notice of the date and time of a proceeding in every case, which will vary according to the circumstances and the type of proceeding. The IRB therefore expects that counsel will be available and prepared to present the party’s case on the date and time set by the IRB. Where, for any reason, counsel is unable to appear at a proceeding, counsel is expected to make the necessary arrangements to be replaced by another counsel who is prepared to proceed with the case on the scheduled date and time. If counsel does not appear, the IRB may decide to proceed without counsel or, if applicable, to start abandonment proceedings or to conclude that a case has been abandoned.

3.6.4 Ni le désir du conseil de prendre congé, ni son obligation de s’acquitter d’autres responsabilités professionnelles, ni sa volonté de s’occuper d’affaires personnelles qui ne sont ni urgentes ni imprévues ne constituent des raisons valables de faire droit à une demande de changement de la date ou de l’heure de la procédure.

3.6.4 The fact that counsel wants to take time off, fulfil other professional duties or attend to personal matters that are neither urgent nor unforeseen are not sufficient reasons to allow an application to change the date or time of a proceeding.

[12] Même si cette directive joue généralement en défaveur des ajournements en raison de l’indisponibilité du conseil, elle n’écarte pas la possibilité. Selon l’article 3.6.4, des conflits personnels ou professionnels non urgents sont aussi insuffisants pour justifier un ajournement; ce qui laisse entendre qu’il faut tenir compte des conflits professionnels plus urgents, et qu’ils peuvent justifier un ajournement.

[13] Lorsque la règle 54 est lue de pair avec les Directives no 6 du président, il est clair que des « circonstances exceptionnelles » ne se limitent pas à des situations où il est question d’une personne vulnérable ou d’urgences imprévues. Il faut tenir compte de tous les facteurs, et les évaluer par rapport au besoin relatif à l’efficacité administrative.

[14] Au moment de refuser la demande d’ajournement de M. Gallardo, la SPR s’appuyait sur le paragraphe 54(4) des règles applicables. Les seuls facteurs dont la SPR a semblé tenir compte étaient le manque de rigueur de M. Gallardo qui n’a pas retenu les services d’un conseil plus tôt, et le besoin relatif à l’efficacité administrative. Selon moi, la raison pour laquelle la SPR a exprimé une préoccupation concernant la nécessité de tenir une audience dans les 30 jours conformément au paragraphe 159.9(1) du Règlement, alors qu’elle exerçait ses activités bien à l’extérieur de ces paramètres conformément aux exceptions énoncées au paragraphe 159.9(3), n’est pas claire. En effet, l’audience de M. Gallardo était initialement prévue plus de huit (8) mois après que la demande a été soumise à la SPR. Cet historique diverge de la justification relative à une adhérence stricte visant à accélérer la mise au rôle, et fait en sorte que l’analyse de la SPR à cet égard n’est pas pertinente.

[15] La décision de la SPR comporte des lacunes, car elle ne tient pas compte de plusieurs facteurs qui militaient en faveur de l’ajournement, y compris ceux qui suivent :

a) La demande d’ajournement a été faite par écrit deux jours avant la date fixée de l’audience

b) Le conseil a comparu, et il a expliqué qu’il avait un conflit d’horaire qui ne pouvait pas être évité

c) Le conseil a fourni plusieurs dates rapprochées auxquelles il pourrait être disponible

d) Il s’agissait de la première, et de la seule, demande d’ajournement

e) M. Gallardo a eu de la difficulté à obtenir de l’aide financière afin de retenir les services d’un conseil

f) M. Gallardo n’a aucunement été questionné au sujet de sa capacité de se représenter lui‑même, malgré le fait que le conseil ait mentionné que M. Gallardo n’avait pas été préparé convenablement, et qu’en l’absence d’un conseil, la demande d’asile n’avait pas été préparée correctement.

[16] Même si le paragraphe 54(4) des règles applicables établit un seuil élevé pour l’obtention d’un ajournement, il n’élimine pas l’obligation de tenir compte des facteurs pertinents en faveur de la prise de mesures spéciales, y compris ceux énoncés plus haut. En limitant le critère établi au paragraphe 54(4) à deux exemples, il est évident que la SPR a commis une erreur et a privé M. Gallardo de l’occasion d’être représenté par un conseil.

[17] À son tour, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a jugé de façon déraisonnable que la décision de la SPR était exempte d’erreur. Même si la SAR a souscrit au fait qu’il fallait tenir compte des facteurs mentionnés plus haut dans l’affaire Siloch, elle n’a visiblement pas tenté de le faire.

[18] Un tribunal d’appel ne peut pas corriger un manquement à l’équité procédurale en déclarant à tort que la procédure était équitable ni que, si la bonne décision avait été rendue, il était inévitable qu’un ajournement soit refusé. La présomption doit toujours être telle que si le processus avait été appliqué en bonne et due forme, le résultat aurait pu être différent; particulièrement dans le cadre de la présente affaire, où un vice procédural a entraîné le refus d’une représentation juridique à un demandeur d’asile mal préparé et peu expérimenté, et où plusieurs autres facteurs étaient favorables à la prise de mesures spéciales. Pris ensemble, ces facteurs auraient très bien pu l’emporter sur les considérations relatives au manque de rigueur et au besoin d’efficacité. Il est aussi impossible de dire si la demande d’asile aurait été refusée parce qu’elle n’était pas fondée, si un conseil avait été présent.

[19] Rien ne permet présentement à la SAR de régler ce problème après coup, et il ne sert à rien de lui renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réévaluée. Par conséquent, j’annule cette décision de la SAR, et je renvoie l’affaire afin qu’elle soit entendue de nouveau par un tribunal nouvellement constitué de la SPR dans le cadre d’une audience sur le fond. Lorsqu’une nouvelle date sera fixée à cet égard, M. Gallardo comparaîtra sans doute avec un conseil prêt à le représenter.

[20] M. Gallardo a proposé une question à certifier à laquelle le ministre s’est opposé. Vu la décision rendue en l’espèce, aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4079‑20

LA COUR CONCLUT que la demande est accueillie, et la décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée. La Section d’appel des réfugiés doit renvoyer l’affaire à la Section de la protection des réfugiés afin qu’une nouvelle décision soit rendue sur le fond par un décideur différent.

« R. L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4079‑20

INTITULÉ :

ISMAEL ESTRADA GALLARDO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) (la cour) et VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) (les parties)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 29 AVRIL 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE barnes

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 13 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Ali Yusuf

POUR LE DEMANDEUR

Brett J. Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ali Yusuf

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour leS défendeurS

 

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