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Date : 20210527


Dossier : IMM‑1449‑20

Référence : 2021 CF 500

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2021

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

RACHEL JOHNSON EIJE

LAWRENCE JOHNSON EIJE

DIVINE UKANA EIJE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse principale, Rachel Johnson Eije, son époux, Lawrence Johnson Eije [le codemandeur], et sa fille, Divine Ukana Eije [la demanderesse mineure], sont citoyens du Nigéria. La demanderesse principale et le codemandeur ont également un fils, qui est citoyen du Nigéria et des États‑Unis et qui n’est pas partie à la présente demande de contrôle judiciaire.

[2] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 5 février 2020 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

[3] Les demandeurs prétendent qu’ils ont raison de craindre d’être persécutés par l’ancien époux violent de la demanderesse principale, qui est le père biologique de la demanderesse mineure.

[4] Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], la demanderesse principale affirme que, lorsqu’elle avait huit (8) ans, après le décès de sa mère, elle a été envoyée chez son oncle pour y vivre. Cet oncle avait lui‑même des enfants et a décidé de l’envoyer vivre chez un ami, qui avait déjà deux (2) épouses et des enfants. L’ami de son oncle l’a agressée jusqu’à ce qu’elle soit forcée de l’épouser en 2004. La violence s’est poursuivie tout au long du mariage. Il est devenu plus violent envers la demanderesse principale après la naissance de la demanderesse mineure. La demanderesse principale a quitté son ancien époux et s’est enfuie avec sa fille le 31 décembre 2014. Lors de sa fuite, elle a rencontré un [traduction] « bon samaritain », soit le codemandeur, qui l’a aidée et qu’elle a épousé le 10 novembre 2015. Lorsque son ancien époux a appris que la demanderesse principale s’était remariée, il a commencé à la menacer, ainsi que sa famille. En août 2017, l’ancien époux a mis le feu à la maison des demandeurs et enlevé la demanderesse mineure.

[5] Le 20 octobre 2017, la demanderesse principale et son fils sont entrés au Canada en provenance des États‑Unis et ont demandé l’asile. Le codemandeur et la demanderesse mineure sont venus les rejoindre le 12 janvier 2018. Ils ont également demandé l’asile.

[6] Le 8 août 2019, la SPR a rejeté leur demande d’asile pour des motifs de crédibilité. Bien que, dans les exposés circonstanciés de leurs formulaires FDA, les demandeurs aient affirmé qu’ils s’étaient rencontrés le 31 décembre 2014, les éléments de preuve présentés par le défendeur ont démontré qu’ils avaient présenté une demande de visa de visiteur américain ensemble en tant que couple le 18 avril 2012. La SPR a conclu qu’ils n’étaient pas crédibles en ce qui concerne le moment de la persécution invoquée et, plus particulièrement, les circonstances dans lesquelles ils se sont rencontrés. La SPR ne croyait pas que la persécution soulevée s’était produite. Elle croyait plutôt que les demandeurs avaient inventé une histoire pour appuyer leurs demandes d’asile.

[7] Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision. Ils ont affirmé que, même s’ils avaient menti au sujet des circonstances de leur première rencontre, cela ne signifiait pas que le reste de leur demande d’asile était faux. Ils ont aussi fait valoir que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve corroborants qu’ils ont présentés. Ils ont cherché à présenter des éléments de preuve supplémentaires devant la SAR.

[8] Le 5 février 2020, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé les conclusions de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. Après avoir procédé à son propre examen et sa propre évaluation de la preuve, la SAR a conclu que les demandeurs s’étaient mariés dès avril 2012, soit le moment où ils ont demandé un visa américain en tant que couple marié, ce qui a miné la crédibilité de leurs affirmations concernant l’ancien époux de la demanderesse principale. Bien que la SAR ait convenu que la SPR avait commis une erreur en n’évaluant pas les éléments de preuve à l’appui au dossier, elle a finalement conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir les allégations des demandeurs.

[9] Bien que ces questions soient formulées différemment par les demandeurs, la présente demande de contrôle judiciaire soulève quatre (4) questions : (1) la question de savoir si de nouveaux éléments de preuve devraient être acceptés devant la Cour; (2) la question de savoir si le refus de la SAR d’admettre les nouveaux éléments de preuve des demandeurs était déraisonnable; (3) la question de savoir si l’évaluation de la preuve documentaire faite par la SAR était raisonnable; (4) la question de savoir si la SAR a accordé suffisamment de poids aux Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe].

II. Analyse

A. Norme de contrôle

[10] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 10, 16 et 17 [Vavilov]). Aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Vavilov ne s’applique ici.

[11] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

B. Nouveaux éléments de preuve présentés à la Cour

[12] Les demandeurs font valoir que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour devrait admettre leurs nouveaux éléments de preuve aux fins d’examen. Ils croient que les nouveaux éléments de preuve pourraient aider la Cour à mieux comprendre leur situation générale et que ces éléments de preuve sont extrêmement pertinents pour leurs allégations de persécution. Les nouveaux éléments de preuve montrent qu’ils ont informé la SPR de leur intention de déposer de nouveaux éléments de preuve devant la SAR et qu’ils attendaient la liste des éléments de preuve de la SPR avant de le faire. Les nouveaux éléments de preuve montrent également qu’ils ont d’abord demandé la liste des éléments de preuve le 13 novembre 2019 et qu’ils ont fait un suivi sans succès jusqu’à ce qu’ils reçoivent finalement la liste le 6 février 2020, soit un jour après la décision de la SAR.

[13] Il est bien établi qu’une demande de contrôle judiciaire doit être tranchée en fonction du dossier dont disposait le décideur, sauf en cas d’exceptions bien définies (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au para 19 [Access Copyright]). Il existe trois (3) exceptions reconnues à cette règle d’application générale : 1) les affidavits qui contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; 2) les affidavits qui portent à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif; 3) les affidavits qui font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Access Copyright, au para 20).

[14] Les demandeurs n’ont pas clairement indiqué sur quelle exception ils se fondent. Même si l’on acceptait que cela relève de l’exception pour vice de procédure, l’argument des demandeurs doit être rejeté. À l’appui de leur appel, les demandeurs ont présenté de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » et ont informé la SAR que certains de ces éléments de preuve pouvaient avoir été présentés à la SPR et examinés par cette dernière. La SAR a examiné et déterminé l’admissibilité de tous les nouveaux documents que les demandeurs ont produits devant elle, peu importe qu’ils aient été présentés à titre de nouveaux éléments de preuve ou qu’il s’agisse des documents que les demandeurs croyaient faire partie du dossier de la SPR. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve selon lesquels les demandeurs se sont limités dans la présentation de leur preuve, qu’ils ont été empêchés de présenter leur preuve ou que la SAR ne s’est pas adaptée à leur situation.

C. L’appréciation que la SAR a faite des nouveaux éléments de preuve était raisonnable

[15] Les demandeurs ont tenté de présenter les nouveaux éléments de preuve suivants à la SAR : (1) un bail pour le domicile des demandeurs; (2) un rapport de police daté du 26 octobre 2017; (3) le certificat de naissance de la demanderesse mineure; (4) une lettre de l’église des demandeurs au Canada; (5) treize (13) documents relatifs à la formation et à l’emploi du codemandeur au Nigéria; (6) deux (2) articles sur la violence fondée sur le sexe au Nigéria datés du 29 juin 2014 et du 24 juillet 2019.

[16] La SAR a conclu que tous les éléments de preuve, sauf la lettre de l’église, étaient antérieurs à la décision de la SPR et qu’ils étaient normalement accessibles aux demandeurs avant que la SPR ne rende sa décision. La SAR a rejeté les observations des demandeurs selon lesquelles leur ancien conseil leur avait recommandé de ne pas inclure ces documents, car ils n’avaient pas déposé de plainte contre leur ancien conseil et n’avaient pas invoqué l’incompétence de leur conseil. En ce qui concerne la lettre de l’église, la SAR a conclu que son contenu n’était ni nouveau ni pertinent par rapport à la demande d’asile des demandeurs. Puisque la SAR n’avait pas admis de nouveaux éléments de preuve, elle a rejeté la demande d’audience des demandeurs.

[17] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter ces nouveaux éléments de preuve au motif que les demandeurs n’avaient pas déposé de plainte contre leur ancien conseil. Bien qu’ils admettent qu’une partie des nouveaux documents ne traitait pas des questions fondamentales, les demandeurs font valoir que les éléments de preuve mettaient en contexte la situation des demandeurs et qu’ils appuyaient la crédibilité des demandeurs. Ils font valoir en outre que ces nouveaux éléments de preuve soulevaient de graves questions en matière de crédibilité et qu’une nouvelle audience était donc nécessaire.

[18] L’argument des demandeurs doit être rejeté.

[19] Le paragraphe 110(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit que la SAR doit procéder sans tenir d’audience, en se fondant sur le dossier dont disposait la SPR. Le paragraphe 110(4) crée une exception à cette règle générale. La personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. Si les nouveaux éléments de preuve satisfont à cette exigence, la SAR doit alors en évaluer la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel afin de déterminer s’ils sont admissibles (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, aux para 38‑49 [Singh]; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux para 13‑15). Le paragraphe 110(6) permet à la SAR de tenir une audience si elle admet de nouveaux éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur d’asile, qui sont essentiels à la demande d’asile et qui, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, au para 43; Singh, aux para 48, 51, et 71).

[20] La SAR a évalué et rejeté les nouveaux éléments de preuve en fonction de ces critères. Elle n’exigeait pas que les demandeurs déposent une plainte contre leur ancien conseil. Les demandeurs ont attribué le retard dans le dépôt de la preuve à leur ancien conseil. La SAR répondait simplement à l’explication des demandeurs, qui était, selon elle, non convaincante.

[21] Comme la SAR n’a pas admis de nouveaux éléments de preuve, il était donc raisonnable de sa part de refuser la demande d’audience des demandeurs.

D. L’appréciation que la SAR a faite de la preuve documentaire était raisonnable

[22] Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en évaluant la preuve en fonction de ce qu’elle ne contenait pas plutôt que de ce qu’elle contenait. Ils contestent l’évaluation faite par la SAR des documents suivants : (1) l’affidavit du codemandeur, signé le 14 novembre 2019, expliquant les raisons de la présentation erronée de leur relation; (2) l’ordonnance de garde et le certificat de changement de nom, qui appuient l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle elle a subi un traitement inhumain aux mains de son ancien époux; (3) les documents relatifs à l’incendie au domicile des demandeurs corroborant leur allégation de persécution. Les demandeurs contestent également la déclaration de la SAR selon laquelle [traduction] « aucune documentation relativement au moment où [la demanderesse principale] s’est séparée de son premier époux et a épousé [le codemandeur] n’a été présentée; il n’y a pas de certificat de mariage ni d’ordonnance de divorce au dossier ». Ils affirment que, puisque le premier mariage de la demanderesse principale était un mariage traditionnel, un tel certificat de mariage ou de divorce n’existe pas. Ils prétendent également qu’elle avait 13 ans à l’époque, de sorte qu’il n’y aurait pas de certificat de mariage valide.

[23] Deuxièmement, les demandeurs prétendent que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’affidavit du codemandeur, signé le 14 novembre 2019, qui expliquait les fausses déclarations concernant la première rencontre des demandeurs et leur demande de visa des États‑Unis ensemble en 2012. Selon les demandeurs, la décision rendue dans l’affaire Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 [Oranye] repose sur le principe selon lequel la SAR, lorsqu’elle évalue des questions de crédibilité, doit tenir compte des affidavits qui fournissent des explications (Oranye, au para 27). Comme la SAR n’a pas tenu compte de l’affidavit, elle n’a pas non plus tenu compte de l’explication qu’il contenait pour la fausse déclaration.

[24] Troisièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en discréditant les affidavits des membres de la famille et les rapports de police ou en leur accordant peu de poids parce qu’ils contenaient des éléments de preuve intéressés.

[25] Enfin, les demandeurs soutiennent que la conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant la chronologie de leur relation ne suffisait pas pour rejeter leur demande d’asile, car le moment du début de la relation n’était pas une question fondamentale.

[26] Les arguments des demandeurs ne me convainquent pas.

[27] La principale préoccupation de la SAR était la crédibilité des demandeurs à l’égard de la chronologie de leur relation. Étant donné que la demanderesse principale utilisait le nom de famille du codemandeur dans la demande de visa américain en 2012, et dans le passeport qu’elle a présenté avec la demande, il était loisible à la SAR de conclure que les demandeurs étaient effectivement mariés en 2012. Cela minait complètement leurs allégations selon lesquelles ils étaient encore persécutés par l’ancien époux de la demanderesse principale parce qu’elle l’avait quitté en 2014 et avait épousé un autre homme en 2015.

[28] La SAR a conclu que les éléments de preuve présentés par les demandeurs ne suffisaient pas pour confirmer leur version des événements concernant leur première rencontre et leur demande de visa américain en avril 2012. Le fait que la SAR a souligné ce que ces documents ne contenaient pas ne signifie pas qu’elle n’a pas tenu compte du contenu réel des documents. Une simple lecture de la décision montre que la SAR a effectivement tenu compte de tous les éléments de preuve documentaire admissibles présentés par les demandeurs. Elle a fourni des motifs clairs et exhaustifs pour ses conclusions concernant la valeur probante des éléments de preuve après avoir évalué les explications présentées par les demandeurs pour les fausses déclarations au sujet de leur relation.

[29] Quant à l’argument des demandeurs selon lequel la SAR n’a pas tenu compte de l’affidavit du codemandeur, il ne tient pas la route. Un décideur n’a pas à mentionner chaque document; au contraire, il existe une présomption selon laquelle il a tenu compte de l’ensemble de la preuve présentée (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 598 (CAF) (QL), au para 1). Bien que la SAR n’ait pas mentionné l’affidavit, elle a examiné en profondeur dans sa décision l’explication qu’il présente.

[30] En ce qui concerne l’évaluation par la SAR des affidavits des membres de la famille, la SAR explique que les affidavits ont peu de valeur probante pour établir les risques continus à l’égard des demandeurs. La SAR conclut que, bien que ces affidavits corroborent dans une certaine mesure le fait que la demanderesse principale était dans une relation violente et que son ancien époux l’avait menacée, ainsi que sa famille, ils ne donnaient pas de détails sur la chronologie de la relation de la demanderesse principale ni sur les menaces subies. Ils n’étaient pas non plus suffisants pour dissiper les préoccupations quant à la crédibilité. La décision ne mentionne pas que les affidavits étaient intéressés. En ce qui concerne les rapports de police, la SAR conclut qu’ils ne sont pas suffisants pour corroborer l’allégation des demandeurs parce qu’ils sont entièrement fondés sur des renseignements autodéclarés. La raison pour laquelle l’un des rapports a été délivré huit (8) mois après les événements signalés n’est pas claire non plus.

[31] La chronologie de la relation violente de la demanderesse principale était cruciale pour l’évaluation du risque prospectif allégué de persécution ou de préjudice des demandeurs. Les incohérences relevées par la SAR étaient au cœur de la demande d’asile parce qu’elles remettaient en question la version des événements présentée par les demandeurs et qui sous‑tendait leur allégation de crainte de persécution. La preuve corroborante des demandeurs ne remédiait pas aux problèmes relevés par la SAR. De plus, ayant conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, la SAR n’était pas tenue d’accepter la preuve documentaire visant à appuyer les faits jugés non crédibles (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 207, au para 30; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 610, au para 13; Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, au para 26).

E. La SAR a accordé suffisamment de poids aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[32] Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas accordé suffisamment de poids aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Ils soutiennent que la SAR aurait dû reconnaître que le mariage forcé, la violence conjugale et d’éventuels meurtres d’honneur sont des motifs valables pour reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugié.

[33] Cet argument doit également être rejeté.

[34] Il faut tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans le contexte d’une demande d’asile fondée sur le sexe. Bien que ces directives n’aient pas de caractère contraignant, les commissaires sont censés se conformer à ces directives à moins que des raisons impérieuses ou exceptionnelles justifient une analyse différente (Higbogun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 445, au para 60 [Higbogun]).

[35] Dans ses motifs, la SAR affirme explicitement qu’en examinant les explications des demandeurs, elle a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, qui expliquent que les normes et les pressions culturelles peuvent empêcher les femmes de parler de certains événements, comme une agression sexuelle. Bien qu’elle ait reconnu ce contexte, la SAR a conclu qu’il ne s’appliquait pas en l’espèce parce que la demanderesse principale avait été en mesure d’aborder ses allégations de violence fondée sur le sexe contre son ancien époux dans son formulaire FDA. Par conséquent, ce contexte ne pouvait pas justifier l’importante fausse déclaration concernant la chronologie de sa relation avec le codemandeur.

[36] Je suis convaincue que la SAR a non seulement tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et leur a accordé le poids qui leur était dû, mais que sa conclusion est raisonnable dans les circonstances de la présente affaire. Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne peuvent être traitées comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe (Higbogun, au para 50; Mendoza Cornejo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 261, au para 27). Elles ne sont pas non plus conçues pour corriger les lacunes que comportent la demande ou la preuve d’un demandeur d’asile (Yared Belay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1387, au para 51).

III. Conclusion

[37] En conclusion, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR contenait une erreur susceptible de contrôle. Les conclusions quant à la crédibilité et l’évaluation de la preuve sont au cœur de l’expertise de la SAR et de la SPR. La Cour doit faire preuve d’un degré de déférence élevé à leur égard (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 787, au para 16; Tosha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1741, au para 21). Bien que les demandeurs puissent ne pas souscrire aux conclusions de la SAR et à son évaluation de la preuve, il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve pour parvenir à une conclusion favorable aux demandeurs (Vavilov, au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 59).

[38] Je suis convaincue que, lorsqu’elle est lue de façon globale et contextuelle, la décision de la SAR répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, et est justifiée compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. En outre, les motifs sont transparents et intelligibles.

[39] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1449‑20

LA COUR statue que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1449‑20

INTITULÉ :

RACHEL JOHNSON EIJE ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Miguel Mendez

POUR LA DEMANDERESSE

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal, Québec

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

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