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Date : 20051021

Dossier : T-950-05

Référence : 2005 CF 1431

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                             RICHARD COLLINS

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                            L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                        défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de Richard Collins (le demandeur), qui se représente lui-même, en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) de saisir son fonds de pension en guise de recouvrement de ses dettes fiscales. Le demandeur, un ancien résidant de la Nouvelle-Écosse, demande à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à l'ADRC de cesser la perception de ses dettes fiscales et de lui restituer les sommes déjà saisies. Le demandeur, qui réside maintenant aux États-Unis, a demandé, en application de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, que la présente requête soit réglée uniquement sur la base des prétentions écrites. La défenderesse ne s'est pas opposée à cette demande.

LES FAITS

[2]                Le dossier de contribuable du demandeur auprès de l'ADRC est résumé dans l'affidavit de Lucie Allaire en date du 30 septembre 2005. Selon cet affidavit, la saisie du fonds de pension du demandeur vise les années d'imposition 1986, 1988 et 1994.

1.         Les années d'imposition 1986 et 1988


[3]                Comme l'indique l'affidavit de Mme Allaire, le ministre du Revenu national (le ministre) a donné des avis de cotisation pour les années d'imposition 1986 et 1988 le 14 octobre 1987 et le 8 août 1989 respectivement. Le ministre a établi, par des avis de nouvelle cotisation datés du 16 octobre 1989 qui ont été confirmés vers le 1er août 1990, une nouvelle cotisation à l'égard de l'impôt dû par le demandeur pour les années d'imposition 1986 and 1988. Le 27 octobre 1989, le demandeur a déposé des avis d'opposition concernant ces années d'imposition. Plus tard, le 13 décembre 1990, il a déposé un avis d'appel concernant l'année d'imposition 1986 à la Cour canadienne de l'impôt. L'appel en question a été rejeté le 29 septembre 1992. L'opposition visant l'année d'imposition 1988 a été accueillie en partie. À la suite de cette décision, la dette fiscale du demandeur pour l'année d'imposition 1988 a fait l'objet d'une nouvelle cotisation le 25 septembre 1990. En outre, le demandeur a présenté le 10 novembre 2004 une demande de prorogation du délai d'appel à la Cour canadienne de l'impôt relativement aux années d'imposition 1986 et 1988. Cette demande a été rejetée le 23 mars 2005.

[4]                Selon l'affidavit de Mme Allaire, les impôts fédéral et provincial en souffrance du demandeur pour les années d'imposition 1986 et 1988 s'élevaient respectivement à 42 025,82 $ et à 13 408,25 $ en date du 28 septembre 2005.

2.         L'année d'imposition 1994

[5]                Le demandeur a fait l'objet d'une cotisation le 15 juin 1995 pour l'année d'imposition 1994.

[6]                Au 28 septembre 2005, les impôts fédéral et provincial en souffrance du demandeur pour l'année d'imposition 1994 s'établissaient à 799,11 $.

3.         Les lettres du défendeur et la saisie


[7]                D'après l'affidavit de Mme Allaire, la défenderesse a décidé de percevoir les arriérés sur le produit de la pension du demandeur d'avril 2004 à avril 2005. Un montant total de 1 724,43 $ a été saisi jusqu'à présent. De mai à septembre 1995, on a envoyé au demandeur des lettres lui demandant de payer les arriérés.

LES QUESTIONS EN LITIGE

-           La loi autorisait-elle la défenderesse à percevoir les dettes fiscales du demandeur pour les années d'imposition 1986, 1988 et 1994?

-           Les dettes fiscales du demandeur sont-elles prescrites par application de l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, 2003 CSC 9?

ANALYSE


[8]                Dans l'arrêt Markevich c. Canada, précité, la Cour suprême du Canada a statué qu'en vertu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. 50, le délai de prescription applicable à la perception d'une créance fiscale fédérale est de six ans. Pour ce qui est de la perception d'une créance fiscale provinciale, la Cour suprême a conclu que le « pouvoir du gouvernement fédéral de recouvrer les impôts provinciaux [...] est circonscrit par le pouvoir que lui a délégué la province » . Le délai de prescription prévu par la loi provinciale s'applique donc à l'ADRC. La thèse du demandeur repose principalement sur cette décision de la Cour suprême du Canada. À son avis, l'ADRC aurait dû faire preuve d'une diligence accrue et, en conséquence, la perception des arriérés en question est prescrite.

[9]                À la suite de cette décision, le Parlement a modifié l'article 222 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.) (la loi fédérale), par l'adoption du projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 23 mai 2004, 37e lég., 3e sess., 2004 (reçu la sanction royale le 14 mai 2004) (le projet de loi C-30). Le paragraphe 222(4) de la loi fédérale se lit comme suit :


(4) Le délai de prescription pour le recouvrement d'une dette fiscale d'un contribuable :

(4) The limitation period for the collection of a tax debt of a taxpayer

a) commence à courir :

(a) begins

(i) si un avis de cotisation, ou un avis visé au paragraphe 226(1), concernant la dette est posté ou signifié au contribuable après le 3 mars 2004, le quatre-vingt-dixième jour suivant le jour où le dernier de ces avis est posté ou signifié,

(i) if a notice of assessment, or a notice referred to in subsection 226(1), in respect of the tax debt is mailed to or served on the taxpayer, after March 3, 2004, on the day that is 90 days after the day on which the last one of those notices is mailed or served, and

(ii) si le sous-alinéa (i) ne s'applique pas et que la dette était exigible le 4 mars 2004, ou l'aurait été en l'absence de tout délai de prescription qui s'est appliqué par ailleurs au recouvrement de la dette, le 4 mars 2004

(ii) if subparagraph (i) does not apply and the tax debt was payable on March 4, 2004, or would have been payable on that date but for a limitation period that otherwise applied to the collection of the tax debt, on March 4, 2004; and

(b) prend fin, sous réserve du paragraphe (8), dix ans après le jour de son début. [Non souligné dans l'original]

(b) ends, subject to subsection (8), on the day that is 10 years after the day on which it begins. (my emphasis)



[10]            Le libellé du sous-alinéa 222(4)a)(ii) est clair. Le mot « tout » qui figure dans la version française n'est pas matière à interprétation (l'expresssion générale « a limitation » est employée dans la version anglaise). Le sous-alinéa 222(4)a)(ii) se substitue à tout délai de prescription antérieur à l'adoption du projet de loi C-30. La jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale sur ce point est sans équivoque (Voir Fonds mutuels C.I. c. Canada, [1999] A.C.F. no 199, [1999] 2 C.F. 613; Gibson c. Canada, [2005] A.C.F. no 817, 2005 CAF 180). La loi fédérale autorise l'ADRC à recouvrer une dette prescrite avant l'adoption du projet de loi C-30.

[11]            En ce qui concerne l'assujettissement à l'impôt provincial, le demandeur résidait dans la province de la Nouvelle-Écosse en 1986, en 1988 et en 1994. Un accord de perception fiscale intervenu entre cette province et le gouvernement fédéral attribue à ce dernier la responsabilité de percevoir l'impôt pour le compte de la Nouvelle-Écosse. L'article 81 de la Income Tax Act, R.S.N.S. 1989, ch. 217, de la Nouvelle-Écosse (la loi néo-écossaise) dispose que l'article 222 de la loi fédérale s'applique à la perception des créances fiscales provinciales. En fait, la plupart des dispositions de la loi néo-écossaise en matière d' « exécution » renvoient à différentes dispositions de la loi fédérale et en prévoient l'application aux créances fiscales de la Nouvelle-Écosse. Le paragraphe 2(10) prévoit également :

[traduction]

Lorsqu'une disposition de la loi fédérale ou des règlements fédéraux rendue applicable pour les fins de la présente loi est modifiée, cette disposition et ses modifications successives s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstances pour les fins de la présente loi, comme si elle avait été édictée à titre de disposition de celle-ci; pour l'application de cette disposition pour les fins de la présente loi, en plus des modifications nécessaires, les ajustements suivants sont faits [...]


Par conséquent, le sous-alinéa 222(4)a)(ii) vise l'assujettissement à l'impôt provincial, et confère à l'ADRC le pouvoir de percevoir les dettes fiscales du demandeur envers la province de la Nouvelle-Écosse jusqu'au 4 mars 2014.

[12]            Pour ces motifs, la défenderesse pouvait percevoir les dettes fiscales du demandeur pour les années d'imposition 1986, 1988 et 1994.

[13]            Le demandeur est d'avis que [traduction] « la nouvelle loi ne peut d'aucune manière rétablir une dette fiscale alléguée qui était déjà prescrite depuis un an par application de l'arrêt précité de la Cour suprême du Canada [Markevich c. Canada, précité], parce que si c'était le cas, la nouvelle loi aurait pour effet d'annuler rétroactivement la décision de la Cour suprême du Canada, ce qui serait tout à fait dénué de sens » . Avec tout le respect que je dois au demandeur, je lui rappelle que le Parlement a le pouvoir discrétionnaire d'annuler l'application des arrêts de la Cour suprême. Le principe de la souveraineté du Parlement est une assise du droit constitutionnel canadien : les tribunaux doivent se conformer aux lois adoptées par le Parlement.

LES DÉPENS

[14]            La défenderesse a demandé que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, aucun dépens ne seront accordés.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

-           La demande soit rejetée sans dépens.

                                                                                     « Simon Noël »                          

                                                                                                     Juge                                  


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-950-05

INTITULÉ :                                                                RICHARD COLLINS

c.

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                               LE 21 OCTOBRE 2005

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Richard Collins                                                              DEMANDEUR

Ifeanyi Nwachukwu                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Marie-Ève Aubry

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Collins                                                              DEMANDEUR

Scarborough (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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