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Date : 20210601


Dossier : IMM-4717-20

Référence : 2021 CF 517

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

ALI, KHALID DIB

MAHAMAT, KHALID DIB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Ali Khalid Dib, et son frère, Mahamat Khalid Dib, sont mineurs et citoyens du Tchad. Accompagnés de leur mère, ils viennent au Canada en 2017 et présentent des demandes d’asile fondées notamment sur celle de leur mère.

[2] Dans sa demande d’asile, la mère allègue la crainte d’être arrêtée, torturée et même tuée advenant un retour au Tchad. Elle déclare que son époux, le père des demandeurs, est entrepreneur en construction. Malgré plusieurs demandes, un client de son époux refuse de payer sa dette pour la construction d’une villa et complote avec le directeur général de la police afin de faire arrêter son époux. Celui-ci est arrêté et emprisonné en juillet 2017. Elle est menacée d’arrestation lorsqu’elle prend la défense de son époux et en raison de son appartenance à l’ethnie gorane.

[3] Le 9 décembre 2019, la Section de la protection des réfugiés [SPR] conclut que la mère des demandeurs est crédible et accueille sa demande d’asile. Elle rejette toutefois les demandes d’asile des demandeurs. Elle souligne notamment que les demandeurs n’ont jamais été menacés par les agents persécuteurs de leur mère, soit avant ou après l’arrestation de leur père. Elle conclut que les demandeurs n’ont pas démontré qu’advenant leur retour au Tchad, il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés en raison d’un des motifs de la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, ils y seraient exposés à un risque de torture, une menace à leurs vies ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[4] Le 3 septembre 2020, la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejette l’appel des demandeurs et confirme la décision de la SPR. La SAR souligne d’abord que le rôle de la SPR, comme le sien en appel, n’est pas de rendre des décisions sur des motifs d’ordre humanitaire ou de déterminer l’intérêt supérieur des enfants de rester au Canada. Il consiste plutôt à déterminer s’il existe pour le demandeur d’asile une possibilité sérieuse de persécution ou si, selon la prépondérance des probabilités, il serait exposé à des traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture dans l’éventualité d’un retour dans son pays d’origine. De plus, elle souligne que la définition de réfugié au sens de la Convention ne comprend pas la notion d’unité familiale. Bien que la famille constitue un groupe social, il doit exister un lien entre la persécution dont est victime l’un des membres de la famille et celle dont les autres membres de la même famille font l’objet. Elle ajoute que le principe de l’unité familiale ne peut à lui seul justifier la reconnaissance du statut de réfugié. Un demandeur d’asile doit démontrer qu’il existe pour lui une possibilité raisonnable de persécution due à son appartenance au groupe dont il se réclame ou pour tout autre motif de la Convention. Enfin, elle estime que l’appel déposé devant elle n’est pas le bon forum pour trancher la situation des demandeurs puisque la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit d’autres avenues pour régulariser la situation des demandeurs.

[5] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

[6] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 83 [Vavilov]). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

[7] Les demandeurs soulèvent plusieurs arguments dans leur mémoire, mais un seul suffit pour disposer de la demande de contrôle judiciaire.

[8] Il est reconnu que le fait qu’un membre de la famille ait été persécuté ne donne pas à tous les autres membres de la famille la qualité de réfugié. Toutefois, la Cour estime que la décision de la SAR est déraisonnable, parce qu’elle fait abstraction de la preuve documentaire objective déposée par les demandeurs concernant le risque soulevé par ces derniers dans leur demande d’asile qui n’était pas lié à la demande de leur mère. Dans leur demande d’asile, les demandeurs ont allégué qu’ils craignaient d’être la cible pour les trafiquants d’enfants qui œuvrent au Tchad. Ils le répètent à quelques occasions. La mère des demandeurs a également mentionné qu’elle avait peur pour les demandeurs s’ils retournaient au Tchad en raison du vol des enfants. Elle a aussi témoigné que les demandeurs n’avaient qu’elle au Tchad.

[9] La SAR ne semble pas avoir considéré ce risque ou la preuve documentaire objective présentée à cet égard puisque ses motifs n’en font pas mention. Il n’était pas suffisant pour la SAR de s’appuyer sur le fait que les demandeurs pourraient régulariser leur situation, en présentant une demande basée sur des considérations humanitaires ou en étant inclus dans la demande de résidence permanente de leur mère comme enfants à charge.

[10] Bien qu’un décideur ne soit pas tenu de faire référence à tous les arguments ou éléments de preuve présentés par une partie (Vavilov au para 128; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16) et que la déférence est de mise à l’égard des décisions de la SAR, la Cour estime que l’omission d’examiner ce risque de manière adéquate fait en sorte que la décision n’est pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes, comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[11] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SAR pour un nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

[12] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-4717-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés du 3 septembre 2020 est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée devant la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen par un tribunal constitué différemment; et

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4717-20

INTITULÉ :

KHALID DIB ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 1er juin 2021

COMPARUTIONS :

Walid Ayadi

Pour leS demandeurS

Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Walid Ayadi

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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