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Date : 20210601


Dossier : T‑1906‑19

Référence : 2021 CF 518

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS

demanderesse

et

SPECTRUM BRANDS, INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] L’opposante qui est partie à une instance d’opposition à une marque de commerce et dont la demande de marque de commerce donne lieu à un enregistrement après le dépôt de la déclaration d’opposition doit modifier sa déclaration si elle souhaite invoquer le nouvel enregistrement à titre de motif d’opposition. La principale question soulevée par le présent appel interjeté à l’encontre d’une décision du registraire des marques de commerce (2019 COMC 94) est de savoir si cette règle s’applique également aux demandes d’étendre l’état déclaratif des produits ou services associés à une marque déposée. Je conclus que ce n’est pas le cas.

[2] La règle a deux raisons d’être connexes : la nécessité d’une description suffisamment détaillée des motifs d’opposition dans la déclaration d’opposition et l’équité envers la partie demanderesse. En ce qui concerne le premier motif, contrairement au cas d’une nouvelle demande, la modification d’un enregistrement invoqué ne soulève pas de nouveau motif d’opposition. Si le motif prévu par la loi et l’enregistrement pertinent sont adéquatement invoqués, l’extension de l’enregistrement ne nécessite pas une modification de la déclaration d’opposition. Pour ce qui est du second motif, lorsqu’aucune question ne se pose en matière d’avis raisonnable, comme en l’espèce, le registraire peut exercer son pouvoir discrétionnaire de confirmer l’état de l’enregistrement en date de la décision. Le registraire n’a donc pas eu tort de statuer sur le caractère enregistrable de la marque de commerce WISER de Schneider Electric Industries SAS en évaluant si elle créait de la confusion avec l’enregistrement de la marque WEISER par Spectrum Brands, Inc. en date de la décision. Je confirme la décision par laquelle le registraire a accueilli en partie l’opposition de Spectrum et a refusé la demande de Schneider à l’égard de certains produits.

[3] Schneider conteste également la conclusion du registraire portant que Spectrum s’est acquittée de son fardeau de prouver que la marque de commerce WISER de Schneider n’était pas distinctive. Schneider ne m’a pas convaincu que le registraire avait commis une erreur manifeste et dominante sur cette question. Le registraire, suivant son examen de la preuve des ventes de Spectrum, a conclu cette preuve établissait que la marque WEISER était devenue connue au Canada en liaison avec des « serrures intelligentes » avant la date de la déclaration d’opposition. Au vu du dossier, il était loisible au registraire de tirer cette inférence factuelle qui ne renferme aucune erreur justifiant d’infirmer la décision.

[4] L’appel est donc rejeté avec dépens, lesquels, selon les parties, devraient être fixés à 2 500 $.

II. L’opposition et la décision du registraire

A. La demande de Schneider concernant la marque WISER et les marques de commerce WEISER de Spectrum

[5] Le 14 décembre 2011, Schneider a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce WISER en vue de son utilisation en liaison avec une variété de produits, y compris divers appareils et instruments électriques, et divers services généralement liés aux installations électriques, à la gestion de l’énergie électrique et à la gestion du bâtiment. La liste complète des produits et services, telle qu’elle a été modifiée par Schneider, est reproduite en annexe A de la décision du registraire, Spectrum Brands, Inc. c Schneider Electric Industries SAS, 2019 COMC 94. Le présent appel se limite aux produits suivants, que je désignerai par souci de commodité comme les « contrôleurs domestiques » :

contrôleurs de température; appareils et installations électriques de commande, de télécommande, de radiocommande et de gestion pour les appareils et installations électriques domestiques; écrans et interfaces de commande pour les appareils et installations électriques domestiques

[6] Spectrum, qui s’est opposée à la demande de Schneider, est la propriétaire inscrite d’un certain nombre de marques de commerces nominales et figuratives incorporant le nom WEISER. Il est pertinent de relever, aux fins du présent appel, qu’elle est notamment propriétaire de l’enregistrement no LMC129,747 pour la marque WEISER utilisée en liaison avec une variété de serrures et de quincaillerie pour portes [l’enregistrement 747].

[7] Au moment de l’opposition de Spectrum, l’enregistrement 747 énumérait les produits en deux catégories, de la façon suivante :

(1) Loqueteaux et verrous d’intérieur, ensembles de serrures d’intérieur, ensembles de serrures d’urgence de salles de bain, ensembles de serrures de placards, ensembles de serrures à bouton, ensembles de serrures à poignée cylindrique, ensemble de serrures à bouton cylindrique, loquets à ressort cylindrique, serrures à pêne dormant à cylindre, serrures à pêne dormant, ensembles de clenches et de serrures à pêne dormant d’entrée, ensembles de clenches et de loquets à ressort cylindrique d’entrée et clés brutes.

(2) Articles de quincaillerie pour armoire, ferme‑portes, charnières, garniture de porte et garniture décorative

Les produits de la catégorie (1) ont été inscrits en 1963 sur la base de leur emploi au Canada depuis 1938, tandis que ceux de la catégorie (2) ont été enregistrés en 1977 à la suite d’une modification déposée en 1975.

[8] Le 29 mai 2013, Spectrum a déposé une demande de modification additionnelle de l’enregistrement 747 en vue d’y ajouter une série de nouveaux produits. Parmi ces produits, on retrouvait notamment des produits électroniques comme des serrures de porte électroniques, des claviers, des serrures de porte électroniques activées à distance par télécommande, des systèmes de serrures domotiques et écrans tactiles, nommément, des contrôles optiques électroniques pour emploi en liaison avec des serrures électroniques. Les nouveaux produits ont été répartis en huit groupes. Parmi ces groupes, six revendiquaient des dates différentes de premier emploi, tandis que les deux autres ont été déposés sur la base de leur emploi projeté. Cette demande d’étendre l’état déclaratif des produits a reçu le numéro 263,593(01) [la demande 593]. Je fais remarquer, par souci d’exactitude, que la demande d’étendre l’enregistrement 747 et la déclaration d’opposition ont été déposées au nom de Kwikset Corporation, une société qui a ensuite fusionné avec Spectrum.

B. La preuve et la déclaration d’opposition de Spectrum

[9] Le paragraphe 38(2) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 énonce sept motifs sur lesquels une déclaration d’opposition à une demande de marque de commerce peut être fondée, à savoir notamment que la marque n’est pas enregistrable [alinéa 38(2)b)], que le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement [alinéa 38(2)c)] et que la marque de commerce n’est pas distinctive [alinéa 38(2)d)]. Les termes soulignés font intervenir d’autres dispositions de la Loi sur les marques de commerce : le caractère enregistrable est abordé à l’article 12; le droit à l’enregistrement à l’article 16; et le caractère distinctif dans la définition du terme « distinctive » énoncée à l’article 2.

[10] Il est possible qu’une marque ne soit pas enregistrable aux termes de l’article 12 pour un certain nombre de raisons, notamment parce qu’elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse [alinéa 12(1)b)]; qu’elle est constituée du nom, dans une langue, des produits ou des services [alinéa 12(1)c)]; ou qu’elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée [alinéa 12(1)d)]. De même, il est possible qu’un requérant ne soit pas la personne ayant droit à l’enregistrement aux termes de l’article 16 pour un certain nombre de raisons, y compris parce que la marque visée par la demande — à la date de son adoption ou à la date de production de la demande, la première éventualité étant à retenir — créait de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée par une autre personne [alinéa 16(1)a)]; ou qu’elle créait de la confusion avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement a été antérieurement produite [alinéa 16(1)b)]. Une marque de commerce ne sera pas distinctive si elle ne distingue pas véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire et ceux d’autres personnes, ou n’est pas adaptée à les distinguer ainsi [article 2 (« distinctive »)].

[11] Le 11 avril 2014, Spectrum s’est opposée à la demande de marque de commerce de Schneider. Dans sa déclaration d’opposition, elle s’identifie comme la propriétaire des [traduction] « marques de commerce WEISER », qu’elle définit comme comprenant l’enregistrement 747, la demande 593 et d’autres enregistrements de marques de commerce constitués du nom WEISER. La déclaration d’opposition comportait un tableau présentant chacune des « marques de commerce WEISER » avec leur numéro de demande ou d’enregistrement, ainsi que les produits et services inscrits correspondants.

[12] Dans la déclaration d’opposition, Spectrum soulevait quatre motifs d’opposition dont les deux suivants sont pertinents dans le cadre du présent appel :

[traduction]

Alinéas 38(2)b) et 12(1)d)

d) La marque de commerce visée par la demande n’est pas enregistrable, car elle crée de la confusion avec les marques de commerce WEISER de l’opposante décrites au paragraphe 4 ci‑dessus.

[…]

Alinéa 38(2)d) et article 2

f) La marque de commerce visée par la demande n’est pas distinctive des marques de la requérante compte tenu de l’article 2 de la Loi. En particulier, la marque de commerce WISER visée par la demande n’est pas distinctive des marques de la requérante au sens de l’article 2 de la Loi, en ce sens qu’à toutes les dates pertinentes, WISER créait de la confusion avec les marques de commerce WEISER. À ce titre, la marque visée par la demande ne distingue ni n’est adaptée à distinguer les marchandises de la requérante de celles de l’opposante citées à l’annexe A.

[13] À l’appui de son opposition, Spectrum a déposé l’affidavit de Sydney Pell, directeur du marketing, Serrures chez Spectrum. Lorsque l’affidavit a été établi sous serment en décembre 2015, la demande de Spectrum visant à étendre l’état déclaratif des produits dans l’enregistrement 747 était en traitement. M. Pell a témoigné au sujet des produits vendus en liaison avec les marques de commerce WEISER (un terme qu’il a défini plus largement que dans la déclaration d’opposition, se référant à trois marques de commerce qui ne comportent pas le nom WEISER).

[14] M. Pell a mentionné en particulier durant sa déposition les « serrures intelligentes » (des serrures qui interagissent avec des appareils sans fil comme des téléphones intelligents, des tablettes ou des télécommandes porte‑clés) vendues sous la marque de commerce WEISER KEVO. M. Pell a décrit les prix et l’attention médiatique reçus par les serrures de porte WEISER KEVO et fourni aussi les chiffres annuels de vente au Canada de 2010 à 2015 des produits WEISER, ainsi que ceux des serrures intelligentes WEISER KEVO pour 2014 et 2015.

[15] Le 7 juin 2016, la demande 593 a donné lieu à un enregistrement, si bien que l’enregistrement 747 comprenait les produits supplémentaires mentionnés dans la demande 593.

[16] Les parties ont déposé leurs arguments écrits dans l’instance d’opposition une année plus tard, en mai et juin 2017. L’opposition a été instruite le 19 février 2019.

C. La décision du registraire

[17] La Commission des oppositions des marques de commerce a rendu sa décision, au nom du Registraire, le 11 septembre 2019. Le registraire a correctement relevé la version applicable des dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce (des modifications importantes ayant été introduites entre la date de l’annonce de l’opposition et la date de la décision) et ajouté à juste titre qu’il incombait à Schneider d’établir que sa demande était conforme à la Loi sur les marques de commerce, mais que Spectrum devait se décharger du fardeau initial de « présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition » : décision du registraire au para 11; John Labatt Ltd c Les Compagnies Molson Limitée, 1990 CanLII 11059, 30 CPR(3d) 293 (CF 1re inst) aux pages 298–300; The Clorox Company of Canada, Ltd. c Chloretec S.E.C., 2020 CAF 76 au para 37.

[18] Avant de se lancer dans l’analyse de la confusion entre la marque WISER visée par la demande et les marques WEISER de Spectrum, le registraire a mentionné son pouvoir discrétionnaire de confirmer que les enregistrements invoqués étaient en règle en date de la décision, qui est la date pertinente pour l’examen du motif du caractère enregistrable au titre de l’alinéa 12(1)d) : Park Avenue Furniture Corp. c Wickes/Simmons Bedding Ltd., [1991] ACF no 546, 37 CPR (3d) 413 (CAF), à la page 424. Le registraire a noté les modifications apportées à l’enregistrement 747 aux paragraphes suivants :

[16] Je souligne également que l’enregistrement no LMC129,747 relatif à la marque de commerce WEISER a été modifié par le registraire le 7 juin 2016. Plus précisément, les produits (3) à (10) énumérés à l’annexe B de ma décision ont été ajoutés à l’enregistrement lorsque la demande no 263,593(1), produite le 29 mai 2013 pour étendre l’état déclaratif des produits visés par l’enregistrement existant no LMC129,747, a donné lieu à l’enregistrement le 7 juin 2016. À l’audience, la Requérante a soutenu que je devrais tenir compte de l’état déclaratif des produits tel qu’il était libellé au moment de la production de la déclaration d’opposition. La Requérante adopte la position selon laquelle l’Opposante aurait dû demander la permission de modifier sa déclaration d’opposition afin de tenir compte du fait que la demande no 263,593(1) a donné lieu à l’enregistrement. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[17] Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, je dois m’assurer que chacun des enregistrements invoqués par l’Opposante à l’appui du présent motif d’opposition existe à la date de ma décision. En l’espèce, l’Opposante a invoqué la demande no 263,593(1) pour étendre l’état déclaratif des produits visés par l’enregistrement no LMC129,747 à l’appui de son motif d’opposition fondé sur larticle 12(1)d), ainsi que les enregistrements existants de l’Opposante énumérés à l’annexe B. La Requérante n’est pas prise par surprise, et cela ne donne pas non plus lieu à un nouveau motif d’opposition en soi, puisque l’Opposante a invoqué l’enregistrement no LMC129,747, pour lequel la demande no 263,593(1) a donné lieu à l’enregistrement. Je suis d’avis que la présente espèce se distingue de la situation dans laquelle un opposant, s’appuyant sur une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement a été antérieurement produite, cherche à s’appuyer sur l’enregistrement découlant de cette même demande, sans avoir correctement invoqué l’existence de cet enregistrement dans sa déclaration d’opposition, de sorte qu’un tout nouveau motif d’opposition est ajouté. Je tiendrai donc compte de l’enregistrement no LMC129,747 dans sa version modifiée. Je tiens à ajouter que si j’ai tort de le faire, cela ne change en rien le résultat final de la présente opposition, surtout en ce qui concerne ma conclusion relative au motif d’opposition fondé sur l’article 2 (absence de caractère distinctif), examiné plus loin.

[Non souligné dans l’original.]

[19] Ayant conclu qu’il devait considérer que l’enregistrement 747 avait été modifié, le registraire a examiné les éléments du critère de la confusion énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce. Il a conclu que la marque de commerce WISER de Schneider créait de la confusion avec la marque de commerce WEISER dans l’enregistrement 747 à l’égard des contrôleurs domestiques mentionnés au paragraphe [5] ci‑dessus. Les modifications apportées à l’enregistrement 747 étaient d’une importance particulière dans cette conclusion, le registraire s’étant appuyé sur l’inclusion des serrures électroniques et sans clé, qui ne figurent que dans les modifications, pour conclure à un recoupement indirect avec les contrôleurs domestiques. Cela l’a amené à accueillir l’opposition et à refuser la demande à l’égard des contrôleurs en question sur la base du motif d’opposition du caractère enregistrable [alinéas 38(2)b) et 12(1)d)].

[20] Le registraire est parvenu à la même conclusion à l’égard du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif [alinéa 38(2)d) et article 2], en se basant non pas sur l’état de l’enregistrement, mais sur la preuve de Spectrum établissant que la marque de commerce WEISER était devenue connue en liaison avec des serrures intelligentes au Canada.

III. Les questions en litige et les normes de contrôle

[21] Schneider soulève les deux questions de fond suivantes :

  1. Le registraire a‑t‑il eu tort de fonder sa conclusion portant que la marque de commerce de Schneider n’était pas enregistrable sur l’enregistrement étendu de la marque de commerce de Spectrum, même si cette dernière n’avait pas modifié sa déclaration d’opposition après que la demande d’extension de la marque de commerce eut donné lieu à un enregistrement?

  2. Le registraire a‑t‑il eu tort de conclure que Spectrum s’était acquittée de son fardeau de preuve en liaison avec les « serrures intelligentes »?

[22] Étant donné que la Cour a été saisie de la présente affaire par voie un d’appel au titre de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, les parties conviennent que les normes de contrôle d’appel sont applicables : Clorox aux para 22–23; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 17, 36‑37. Suivant ces normes, les questions de droit pur sont assujetties à la norme de la décision correcte, tandis que les conclusions et les inférences de fait sont assujetties à celle de « l’erreur manifeste et dominante » : Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10, 19, 25. Les questions de fait et de droit qui ne font pas intervenir de question isolable de droit pur sont également soumises à la même norme : Housen aux para 26‑37.

[23] Les parties ont initialement présenté la première des questions en litige énoncées comme une question de droit appelant la norme de la décision correcte, bien que des observations présentées à l’audience aient également fait valoir que la décision du registraire engageait l’application du principe juridique aux faits de l’espèce. À mon avis, la première question revêt deux aspects. La question de savoir si une déclaration d’opposition doit être modifiée lorsqu’un enregistrement cité est étendu avant l’audition de l’opposition est une question juridique isolable qui appelle l’application de la norme de la décision correcte. Cependant, l’exercice par le registraire de son pouvoir discrétionnaire de confirmer l’état de l’enregistrement 747, et ses conclusions factuelles quant à l’équité de cette démarche, soulèvent des questions de fait et de droit qui appellent l’application de la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[24] Je conviens avec les parties que la seconde question soulève une question de fait et une question mixte de fait et de droit qui ne peut être infirmée que si le registraire a commis une erreur manifeste et dominante.

[25] Comme le registraire a partiellement refusé la demande d’enregistrement de Schneider à la fois au titre du motif d’opposition du caractère enregistrable et de celui du caractère distinctif, Schneider reconnaît qu’elle doit avoir gain de cause à l’égard des deux questions soulevées pour remporter le présent appel.

IV. Analyse

A. Le registraire n’a pas eu tort de considérer que l’enregistrement 747 avait été modifié.

(1) Les principes établis en matière d’opposition à des marques de commerce

[26] Plusieurs principes pertinents concernant les instances d’opposition aux marques de commerce sont bien établis et ne sont pas contestés dans le présent appel. Premièrement, aux termes de l’alinéa 38(3)a) de la Loi sur les marques de commerce, la déclaration d’opposition doit indiquer « les motifs d’opposition, avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre ». Cela permet à l’opposante de connaître les arguments qu’elle doit réfuter, ce que « l’équité exige avant tout » : AstraZeneca AB c Novopharm Ltd, 2001 CAF 296 au para 35, citant Carling Breweries Ltd v Molson Companies Ltd, [1984] 2 CF 920, conf. par [1988] ACF no 10, 19 CPR (3d) 129. La définition des motifs d’opposition au moyen de la déclaration d’opposition établit entre autres choses les dates pertinentes aux fins de l’analyse sur la confusion et a ainsi une incidence sur le fardeau de preuve de l’opposante : Autopark Superstore Inc. c Chery Automobile Co., Ltd., 2018 COMC 29 au para 8.

[27] Deuxièmement, le registraire saisi d’une opposition doit se cantonner aux motifs soulevés dans la déclaration d’opposition : Pernod Ricard, SA c Molson Breweries, [1995] ACF no 1577, 64 CPR (3d) 356 (CA) au para 2; McDonald’s Corp v Coffee Hut Stores Ltd, [1994] ACF no 638, 55 CPR (3d) 463 (1re inst.) aux para 16‑17, conf. par 1996 CanLII 3963 (CAF). Le défaut de soulever ou d’invoquer adéquatement un motif d’opposition dans la déclaration d’opposition, ou de modifier la déclaration pour y inclure le motif en question signifie, fera en sorte qu’il ne sera pas considéré comme un fondement à l’appui du refus de la demande de marque de commerce : Pernod Ricard au para 2; Autopark aux para 10–13.

[28] Troisièmement, un motif d’opposition fondé sur une demande antérieure se distingue du motif d’opposition fondé sur l’enregistrement d’une marque de commerce. Une demande antérieure peut étayer un motif d’opposition lié au droit à l’enregistrement au titre des alinéas 38(2)c) et 16(1)b), attendu que le requérant n’est pas celui qui a le droit d’enregistrer la marque de commerce si celle‑ci créait de la confusion avec une marque déposée antérieurement suivant le premier en date du jour de l’adoption ou du jour de la production de la demande de la marque de commerce suscitant une opposition. Cependant, l’opposition fondée sur le caractère enregistrable au titre des alinéas 38(2)b) et 12(1)d) ne peut que reposer sur l’enregistrement d’une marque de commerce.

[29] Quatrièmement, comme la date de la décision est celle qui est pertinente pour déterminer le caractère enregistrable au titre des alinéas 38(2)b) et 12(1)d), le registraire a le pouvoir discrétionnaire d’examiner le registre à cette date pour confirmer l’existence et l’état des enregistrements cités par l’opposante : Quaker Oats of Canada Ltd/La Compagnie Quaker Oats Du Canada Ltée c Menu Foods Ltd, [1986] COMC no 254, 11 CPR (3d) 410 au para 3; Home Hardware Stores Limited c Ames True Temper Properties, Inc., 2010 COMC 213 au para 12.

[30] Le cinquième principe, le plus directement pertinent au regard de la présente instance, concerne le cas dans lequel la demande de marque de commerce d’une opposante donne lieu à un enregistrement après le dépôt de la déclaration d’opposition. Dans ce cas, la Commission des oppositions des marques de commerce a jugé dans un certain nombre de décisions que l’opposante ne peut s’appuyer sur un tel enregistrement pour invoquer le motif du caractère enregistrable au titre des alinéas 38(2)b) et 12(1)d), à moins que la déclaration d’opposition ne soit modifiée pour en faire mention, et ce, même si la demande était citée dans la déclaration d’opposition : Ferrero SpA c Cantarella Bros Pty Limited, 2012 COMC 45 aux para 11‑14; Nautica Apparel, Inc c Tekna BVBA, 2012 COMC 93 au para 47; 1772887 Ontario Limited c GeoAdvice Engineering Inc, 2011 COMC 63 au para 12; Everything for a Dollar Store (Canada) Inc v Dollar Plus Bargain Centre Ltd, 1998 CanLII 18549 (CA COMC).

[31] La Commission des oppositions des marques de commerce a expliqué les raisons de cette approche dans la décision Ferrero. Dans cette affaire, Ferrero s’opposait à la demande de marque de commerce NUTINO en raison d’une confusion avec ses marques de commerce NUTELLA. La déclaration d’opposition de Ferrero mentionnait le caractère enregistrable au titre des alinéas 38(2)b) et 12(1)d) comme motif d’opposition, et mentionnait deux marques NUTELLA déposées ainsi qu’une demande en instance pour la marque de commerce NUTELLA & GO. Cette demande a donné lieu à un enregistrement avant l’audition de l’opposition. La Commission des oppositions des marques de commerce a conclu que Ferrero ne pouvait invoquer cet enregistrement aux fins du motif du caractère enregistrable au titre de l’alinéa 12(1)d), même si elle s’y était référée dans sa déclaration d’opposition :

On peut soutenir que la demande n1324421 de l’Opposante a été invoquée dans le cadre du motif fondé sur l’alinéa 12(1)d) parce qu’elle a été mentionnée dans la déclaration d’opposition à l’égard de ce motif. J’estime toutefois que je ne peux en tenir compte dans l’examen de ce motif parce que seules les marques déposées peuvent être invoquées au soutien d’une allégation selon laquelle la Marque n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d). Étant donné que cette demande ne saurait fonder l’allégation selon laquelle la marque de commerce de la Requérante n’était pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) au moment de la production de la déclaration d’opposition, elle n’a donc pas été correctement invoquée. Si l’Opposante voulait que cet enregistrement soit examiné dans le cadre du motif fondé sur l’alinéa 12(1)d), elle aurait dû demander l’autorisation de produire une déclaration d’opposition modifiée. Je ne tiendrai donc pas compte de la marque NUTELLA & GO de l’Opposante dans l’examen du motif fondé sur l’alinéa 12(1)d). J’aimerais ajouter que, même si je pouvais en tenir compte, j’estime que le pouvoir discrétionnaire du registraire ne lui permet pas, dans l’examen d’un motif fondé sur l’alinéa 12(1)d), de tenir compte d’enregistrements qui sont en instance à la date de production de l’opposition et qui sont par la suite accordés parce qu’il serait selon moi inéquitable pour la Requérante de le faire.

[Non souligné dans l’original; Ferrero au para 14.]

[32] La Commission des oppositions des marques de commerce a ainsi fourni deux raisons principales pour lesquelles Ferrero ne pouvait invoquer le nouvel enregistrement : (1) il n’avait pas été correctement invoqué au moment de la déclaration d’opposition, attendu que l’enregistrement de la marque de commerce n’avait pas été mentionné et qu’il ne pouvait fonder alors le motif du caractère enregistrable au titre de l’alinéa 12(1)d), et (2) il aurait été injuste envers la requérante de considérer le nouvel enregistrement qui n’était pas mentionné dans la déclaration d’opposition. Ferrero devait donc demander l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition si elle souhaitait invoquer le nouvel enregistrement aux fins du motif du caractère enregistrable au titre des alinéas 38(2)b) et 12(1)d).

[33] Schneider soutient que cette règle, que je désignerai comme la « règle Ferrero » par souci de commodité, a pour effet d’empêcher Spectrum d’invoquer la modification de son enregistrement 747 ayant donné lieu à un enregistrement après le dépôt de sa déclaration d’opposition. Spectrum ne conteste pas la règle Ferrero en soi, mais soutient que le registraire a eu raison de conclure qu’elle était inapplicable dans la présente affaire où la demande ayant donné lieu à un enregistrement visait à modifier un enregistrement existant. Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec Spectrum et le registraire.

(2) La règle Ferrero est inapplicable.

[34] Comme nous l’avons déjà indiqué, la déclaration d’opposition de Spectrum faisait valoir que la marque de commerce de Schneider n’était [traduction] « pas enregistrable attendu qu’elle crée de la confusion avec les marques de commerce WEISER de l’opposante […] » Les « marques de commerce WEISER » ont été définies comme englobant certains enregistrements, notamment l’enregistrement 747, ainsi que la demande 593.

[35] À mon avis, cela signifie que la première préoccupation cernée dans Ferrero ne se pose pas en l’espèce. Au moment de la déclaration d’opposition, l’enregistrement 747 a) était une marque de commerce déposée; b) était mentionné comme une marque de commerce déposée sur laquelle Spectrum s’appuyait pour faire valoir le motif lié au caractère enregistrable, et c) pouvait fonder une allégation d’absence de caractère enregistrable de la marque de commerce de Schneider au titre de l’alinéa 12(1)d). Comme l’a conclu à juste titre le registraire, la modification de l’enregistrement 747 ne donne pas lieu à un nouveau motif d’opposition, le motif prévu par la loi et la marque de commerce en question étant mentionnés dans la déclaration d’opposition. Le registraire pouvait donc aborder le motif lorsqu’il a statué sur l’opposition : Pernod Ricard au para 2. Le registraire a eu raison d’établir une distinction entre la présente situation et celle dans laquelle une opposante tente d’invoquer un nouvel enregistrement sans l’avoir correctement invoqué dans la déclaration d’opposition, « de sorte qu’un tout nouveau motif d’opposition est ajouté » : décision du registraire au para 17.

[36] Schneider soutient que, comme dans l’affaire Ferrero, les produits inscrits dans la demande de modification ne faisaient pas partie de l’enregistrement 747 au moment de la déclaration d’opposition. Cependant, il existe une différence entre les motifs d’opposition qui étaient en cause dans Ferrero et les facteurs pertinents aux fins de l’analyse sur la confusion qui comprennent notamment la nature des produits et des services : art 6(5)c) de la Loi sur les marques de commerce. L’extension de l’enregistrement 747 n’a pas donné lieu à un nouveau motif d’opposition, quoiqu’elle ait modifié les facteurs de l’analyse sur la confusion. Les arguments ayant trait à ces facteurs peuvent être affectés par le passage du temps et la preuve des parties sans que la déclaration d’opposition doive être modifiée.

[37] Il est important de mentionner que la règle Ferrero n’empêche pas d’invoquer une marque de commerce nouvellement enregistrée. Elle exige simplement qu’une déclaration d’opposition soit d’abord modifiée pour que le motif lié au caractère enregistrable et que l’enregistrement puissent être invoqués. Mais quelle modification doit être apportée à la déclaration d’opposition lorsqu’un enregistrement antérieurement invoqué est étendu? Schneider reconnaît que la déclaration d’opposition de Spectrum aurait été adéquate aux fins de l’alinéa 38(3)a) de la Loi sur les marques de commerce si elle s’était contentée de donner le numéro de l’enregistrement 747 au lieu d’inscrire aussi les produits visés par cet enregistrement. Dans un tel cas, il est difficile de voir quelle « modification » serait requise ou pourrait même être apportée à la déclaration d’opposition après que la demande 593 eut donné lieu à un enregistrement de manière à étendre l’enregistrement 747. Le motif d’opposition — portant que la marque de commerce visée par la demande n’est pas enregistrable au titre des alinéas 38(2)b) et 12(1)d) parce qu’il crée de la confusion avec l’enregistrement 747 — serait identique avant et après l’extension de l’enregistrement. Une modification ne peut être requise lorsqu’elle n’aurait pas pour effet de changer le document.

[38] À mon avis, la situation ne change pas, car la déclaration d’opposition de Spectrum fournissait des détails supplémentaires en incluant dans son tableau une colonne énumérant les produits et les services correspondant aux enregistrements mentionnés. Même si cela signifiait que les produits originaux de l’enregistrement 747 figuraient à côté du numéro d’enregistrement tandis que les produits modifiés figuraient à côté du numéro de la demande 593, cela n’affecte en rien le motif d’opposition suivant lequel la marque de commerce visée par la demande créait de la confusion avec l’enregistrement 747. Aucune modification de la déclaration d’opposition n’était requise pour que le motif d’opposition soit considéré, ou pour que la version de l’enregistrement 747 en date de la décision soit examinée.

[39] Schneider reconnaît qu’il était loisible au registraire de vérifier l’état de l’enregistrement 747 en date de l’audience : Quaker Oats au para 3. Elle soutient que si cet enregistrement avait cessé d’exister, ou que l’état déclaratif des produits avait été restreint, le registraire aurait pu et aurait dû en tenir compte pour évaluer le motif lié au caractère enregistrable. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait à l’égard des deux autres marques de commerce incluses dans la définition des « marques de commerce WEISER » de la déclaration d’opposition, lesquelles ont toutefois été radiées avant l’audience. Cependant, Schneider fait valoir que le registraire ne pouvait, compte tenu de la règle Ferrero, conclure au moyen de cette vérification que l’état déclaratif des produits dans l’enregistrement 747 avait été étendu par modification.

[40] Je ne peux souscrire à cette prétention. La date pertinente aux fins du motif d’opposition lié au caractère enregistrable était celle de la décision. Comme l’a conclu à juste tire le registraire, la question à trancher était de savoir si la marque de commerce WISER de Schneider créait à cette date une confusion avec l’enregistrement 747 : art 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce; Park Avenue, à la page 424. À mon avis, le pouvoir discrétionnaire du registraire de contrôler l’état d’un enregistrement ne se limite pas à une vérification en « sens unique » suivant laquelle l’enregistrement ne peut être de portée plus large qu’il ne l’était au moment de la déclaration d’opposition.

[41] À l’audition du présent appel, Schneider a invoqué un autre argument à l’égard duquel elle a cité le paragraphe 41(2) de la Loi sur les marques de commerce, lequel est libellé ainsi :

41 (2) Une demande d’étendre l’état déclaratif des produits ou services à l’égard desquels une marque de commerce est déposée a l’effet d’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard des produits ou services spécifiés dans la requête de modification.

41 (2) An application to extend the statement of goods or services in respect of which a trademark is registered has the effect of an application for registration of the trademark in respect of the goods or services specified in the application for amendment.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[42] Schneider prétend que, comme la demande d’étendre l’état déclaratif des produits « a l’effet » d’une nouvelle demande, les mêmes règles devraient s’appliquer à la première qu’à la seconde, y compris la règle Ferrero. Bien que cet argument soit à certains égards attrayant, il doit selon moi échouer, parce qu’il fait abstraction de la raison même de l’existence de la règle Ferrero. Celle‑ci n’a pour objet de créer des obstacles ou d’exiger des modifications inutiles dans les instances d’opposition. Elle vise à reconnaître qu’une déclaration d’opposition doit énoncer les motifs d’opposition avec suffisamment de détails pour que le requérant puisse y répondre, et qu’une opposition se limite aux motifs énoncés dans la déclaration d’opposition : art 38(3)a) de la Loi sur les marques de commerce; Pernod Ricard au para 2. Nonobstant le paragraphe 41(2), l’enregistrement d’une marque de commerce modifié par une demande visant à étendre l’état déclaratif des produits demeure le même. La déclaration d’opposition qui invoque la confusion avec cet enregistrement de marque de commerce fait encore valoir les mêmes motifs d’opposition, même après que l’enregistrement de la marque de commerce eut été étendu.

[43] Cela m’amène au second motif de la règle Ferrero, celui de l’équité. Le requérant d’une marque de commerce qui fait face à une opposition a le droit de connaître les arguments qu’il doit réfuter, un principe qui sous‑tend les exigences énoncées à l’alinéa 38(3)a) : AstraZeneca au para 35. Suivant la préoccupation raisonnable exprimée dans Ferrero, il serait injuste que le requérant doive faire face à des arguments concernant le caractère enregistrable fondés sur le nouvel enregistrement sans avoir eu la possibilité d’examiner ces arguments au moyen de la preuve et (ou) d’observations. La préoccupation en est essentiellement une d’avis raisonnable fourni au requérant.

[44] En l’espèce, le registraire a estimé qu’il n’y avait pas de préoccupation en matière d’équité, Schneider n’ayant pas été « prise par surprise ». Cette conclusion était pertinente au regard de l’exercice par le registraire de son pouvoir discrétionnaire. La conclusion comme l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire appellent une certaine retenue et ne devraient pas être infirmés en l’absence d’une erreur manifeste et dominante.

[45] À mon avis, aucune erreur de la sorte n’a été commise. Schneider a été adéquatement et raisonnablement avertie que Spectrum faisait notamment valoir, au titre des motifs liés au caractère enregistrable, des arguments fondés sur la version modifiée de l’enregistrement 747. La demande 593 était mentionnée dans la déclaration d’opposition. L’affidavit de M. Pell témoignait de l’emploi des produits dans la demande, en particulier des serrures électroniques, même si cet affidavit a été établi sous serment avant que l’enregistrement 747 ait été modifié par la demande 593. Il est important de noter que, dans ses arguments écrits déposés un an après que l’enregistrement eut été étendu et 20 mois avant l’audience, Spectrum définit l’enregistrement 747 comme incluant les nouveaux produits. Cette dernière a avancé des arguments concernant le caractère enregistrable en s’appuyant sur un recoupement entre les produits mentionnés dans la demande de Schneider et les « serrures électroniques et claviers » dans l’enregistrement 747, produits qui ne figurent que dans la version modifiée de l’enregistrement.

[46] Schneider avait la possibilité de répondre et c’est ce qu’elle a fait. Ses arguments comprenaient notamment des observations reconnaissant que la marque de commerce WEISER de Spectrum était [traduction] « utilisée et enregistrée au Canada en liaison avec […] des serrures électroniques et des serrures et systèmes de serrures sans clé » [non souligné dans l’original]. Elle savait clairement que l’enregistrement invoqué comprenait les produits modifiés. D’ailleurs, comme l’a fait remarquer le registraire, ce n’est qu’à l’audience qu’elle a fait valoir que seule la version de l’enregistrement 747 en date de la déclaration d’opposition devait être considérée. Il n’y a aucune raison de revenir sur la conclusion du registraire selon laquelle Schneider n’a pas été prise par surprise.

[47] L’on peut aisément imaginer que la conclusion sur ce dernier point aurait pu être différente par exemple si la modification avait donné lieu à un enregistrement le jour avant l’audition de l’opposition. À cet égard, je ne veux pas que l’on interprète mes mots comme excluant la possibilité que le registraire puisse, au moment de décider s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire, considérer toutes les circonstances pertinentes, y compris les questions de date, d’équité et de préjudice. Ces questions ne se posent pas en l’espèce et sont appelées à être tranchées une autre fois.

[48] Je souscris donc à la conclusion du registraire selon laquelle la règle Ferrero est inapplicable, parce qu’aucun nouveau motif d’opposition n’a été soulevé et que l’équité envers Schneider ne suscite aucune inquiétude. Le registraire pouvait considérer la question de la confusion en s’appuyant sur la version de l’enregistrement 747 en date de la décision compte tenu de la déclaration d’opposition ayant été déposée, et elle pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de confirmer l’état de l’enregistrement 747 à cette date.

[49] Schneider ne conteste pas les autres aspects de l’évaluation par le registraire du motif d’opposition lié au caractère enregistrable, en particulier son analyse de la confusion. Par conséquent, je confirme la décision du registraire pour ce qui est du motif lié au caractère enregistrable ainsi que sa décision d’accueillir en partie l’opposition et de refuser la demande d’enregistrement de Schneider de la marque de commerce WISER à l’égard des contrôleurs domestiques mentionnés.

B. Le registraire n’a pas eu tort de conclure que Spectrum s’était acquittée de son fardeau de preuve.

[50] Bien que ma conclusion relative au motif du caractère enregistrable suffise pour trancher l’appel, j’aborderai tout de même le second argument de Schneider, qui porte sur le motif d’opposition du caractère distinctif de Spectrum.

[51] Les parties conviennent que le requérant d’une marque de commerce est tenu d’établir, compte tenu de la preuve, que sa demande est conforme à la Loi sur les marques de commerce et qu’elle devrait donner lieu à un enregistrement. Cependant, il incombe initialement à l’opposante de prouver les faits sur lesquels ses allégations reposent. Si « les éléments de preuve sont insuffisants pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués pour appuyer le motif d’opposition », celui‑ci doit être rejeté : Clorox au para 37.

[52] La date pertinente aux fins de l’allégation de Spectrum d’absence de caractère distinctif au titre de l’alinéa 38(2)d) et de l’article 2 était le 11 avril 2014, soit la date à laquelle elle a déposé sa déclaration d’opposition : Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657 au para 21. Le registraire a jugé que Spectrum s’était acquittée de son fardeau de preuve à l’égard du motif lié au caractère distinctif, l’affidavit de M. Pell établissant de manière suffisante que la marque de commerce WEISER était devenue connue au Canada à la date pertinente.

[53] Dans son affidavit, M. Pell a déclaré que les serrures intelligentes WEISER® KEVO® étaient offertes au Canada depuis 2013, et il a précisé que les ventes annuelles de ces serrures s’élevaient à 3 millions de dollars en 2014 et à 1,8 million de dollars en 2015. M. Pell n’a pas fourni de ventilation mensuelle de ces ventes, mais le registraire a conclu ce qui suit :

Bien qu’aucune répartition par mois ne soit fournie, selon une interprétation raisonnable de l’affidavit de M. Pell dans son ensemble, je suis disposée à inférer qu’une partie de ces impressionnantes ventes a eu lieu avant le 30 avril 2014, surtout compte tenu des déclarations de M. Pell formulées aux paragraphes 22 et 23 de son affidavit, qui sont reproduits ci‑dessous […]

[Non souligné dans l’original; décision du registraire, au paragraphe 77.]

[54] Le registraire a ensuite reproduit deux paragraphes de la preuve de M. Pell mentionnant que les serrures WEISER KEVO avaient acquis une reconnaissance dans l’industrie, recevant notamment des prix de l’industrie en 2013 et en 2014.

[55] Schneider affirme que le registraire a commis une erreur manifeste et dominante dans son évaluation de la preuve de M. Pell. Elle soutient qu’aucun élément n’attestait l’existence ou l’étendue des ventes des produits WEISER KEVO avant la date pertinente du 11 avril 2014, et ajoute que le dossier ne permettait pas au registraire de parvenir à la conclusion qu’il a tirée. Toujours selon elle, même si le registraire a mentionné les déclarations de M. Pell concernant la reconnaissance par l’industrie des produits WEISER KEVO, les déclarations en question n’expliquaient pas ce lien. Schneider soutient en outre que la mention erronée par le registraire du 30 avril 2014 (date à laquelle la déclaration d’opposition a été transmise à Schneider) plutôt que celle du 11 avril 2014, qui est la bonne date pertinente (celle du dépôt de la déclaration d’opposition) a aggravé cette erreur.

[56] Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans la décision du registraire. Spectrum a produit des éléments de preuve établissant que ses serrures intelligentes avaient été introduites au Canada en 2013, qu’elles étaient suffisamment reconnues pour recevoir des prix cette année‑là et l’année suivante, et qu’elles avaient généré 3 millions de dollars de ventes en 2014. Compte tenu de la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des conclusions de fait, y compris aux inférences factuelles, il était loisible au registraire de conclure que cela suffisait à établir l’existence de ventes au premier trimestre de 2014, et à prouver que la marque de commerce WEISER était devenue connue en liaison avec les serrures intelligentes à la date pertinente. Bien que le registraire ait clairement commis une erreur en mentionnant le 30 avril au lieu du 11 avril 2014 à titre de date pertinente, je ne peux conclure qu’il s’agissait d’une erreur manifeste et dominante qui « touche directement à l’issue de l’affaire » : Clorox au para 38. Dans son raisonnement, le registraire mettait manifestement sur l’étendue des ventes pour toute l’année 2014 et au début des ventes en 2013, plutôt que sur une approche pointue qui rendrait pertinents les 19 jours en question du mois d’avril.

[57] Schneider cite la décision rendue par la juge Simpson dans MGM c Stargate comme exemple des difficultés qu’il y a à tenter d’extrapoler les renseignements de vente postérieurs à la date pertinente pour établir le caractère distinctif à cette date : Metro Goldwyn Mayer Inc. c Stargate Connections Inc., 2004 CF 1185 aux para 27‑28. Dans cette affaire, le registraire avait conclu que la preuve des ventes totales réalisées dans la période d’une année ayant débuté un mois avant la date pertinente n’établissait pas l’étendue des ventes à cette date. La situation était différente à l’égard de la preuve et de toute façon, MGM c Stargate ne peut dicter l’issue en l’espèce. Même si un autre décideur aurait pu conclure qu’il n’avait pas été satisfait au fardeau compte tenu de la preuve dont il était saisi, cela ne limite pas les inférences que le registraire était en droit de tirer en s’appuyant sur la preuve produite par Spectrum.

V. Conclusion

[58] Je conclus que le registraire n’a pas commis une erreur dans son analyse relative à la confusion aux fins de l’évaluation du motif d’opposition de Spectrum lié au caractère enregistrable en se basant sur les produits inscrits sur la version de l’enregistrement 747 en vigueur en date de la décision. Il n’a pas eu tort non plus de conclure que Spectrum s’était acquitté de son fardeau de preuve à l’égard du motif d’opposition lié au caractère distinctif. Comme le reconnaît Schneider, l’une ou l’autre de ces conclusions suffit à entraîner le rejet du présent appel.

[59] Par conséquent, l’appel est rejeté, les parties ont convenu que celle qui aurait gain de cause se verrait adjuger les dépens sous forme d’une somme globale de 2 500 $ et c’est ce que j’ordonne.


JUGEMENT dans le dossier T‑1906‑19

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est rejeté.

  2. La demanderesse versera à la défenderesse les dépens sous forme d’une somme globale de 2 500 $.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1906‑19

 

INTITULÉ :

SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS c SPECTRUM BRANDS, INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er février 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Barry Gamache

 

pour la demanderesse

 

Monique Couture

 

pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robic, s.r.l.

Montréal (Québec)

 

pour la demanderesse

 

Gowling WLG (Canada), s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

pour la défenderesse

 

 

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