Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210422


Dossier : T-2095-18

Référence : 2021 CF 356

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

demanderesse

et

TALSMA FARMS LTD.,

CLAIRE JOHN TALSMA

et CHERYL BENITA TALSMA

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une requête visant à obtenir une décision préliminaire sur deux points de droit, au titre de l’article 220 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Les points de droit en cause découlent d’un recours par subrogation visant à obtenir un jugement contre Claire John Talsma et Cheryl Benita Talsma [les personnes physiques défenderesses] relativement à une dette afférente à des paiements effectués par la Manitoba Pork Credit Corporation [la MPCC] à Talsma Farms [la personne morale défenderesse], au titre de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LC 1997, c 20 [la LPCA].

II. Le contexte

[2] Le 2 mai 2008, les défenderesses ont soumis à la MPCC une demande écrite, conformément à une demande et accord de remboursement [l’accord de remboursement], en vue d’obtenir un paiement anticipé au titre de la LPCA pour la campagne agricole 2008-2009. Chacune des défenderesses s’est présentée comme étant une productrice au sens de la LPCA.

[3] La MPCC verse des paiements anticipés aux producteurs agricoles admissibles dans le but de réaliser l’objet de la LPCA, à savoir favoriser la commercialisation des produits agricoles. Les producteurs agricoles qui reçoivent un paiement anticipé sont tenus de le rembourser, plus les intérêts, aux agents d’exécution du programme. L’article 3 de la LPCA prévoit que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada [le ministre] garantit le paiement anticipé en cas de défaut de remboursement du producteur. Un accord tripartite conclu entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre, la MPCC, et le prêteur — à l’origine la Steinbach Credit Union, puis la Banque Royale du Canada — précise par ailleurs les modalités de la garantie du ministre.

[4] Le ou vers le 8 mai 2008, les défenderesses ont reçu un paiement anticipé de 100 000 $ sous forme de chèque libellé au nom de la personne morale défenderesse. Les défenderesses n’ont pas remboursé ce montant en dépit des nombreuses prorogations de délai qui leur ont été consenties pour le rembourser. Les défenderesses étaient en défaut à compter du 1er avril 2013. L’article 22 de la LPCA précise les obligations du producteur défaillant envers l’agent d’exécution :

Obligations du producteur défaillant envers l’agent d’exécution

Liability of defaulting producer to administrator

22 Le producteur défaillant relativement à l’accord de remboursement est redevable à l’agent d’exécution de ce qui suit :

22 A producer who is in default under a repayment agreement is liable to the administrator for

a) le montant non remboursé de l’avance garantie;

(a) the outstanding amount of the guaranteed advance;

b) les intérêts sur le montant non remboursé de l’avance garantie calculés au taux prévu dans l’accord de remboursement, courus à partir de la date du versement de l’avance;

(b) the interest at the rate specified in the repayment agreement on the outstanding amount of the advance, calculated from the date of the advance;

c) les frais qui sont engagés par celui-ci pour recouvrer les sommes non remboursées et les intérêts et qui sont approuvés par le ministre, y compris les frais juridiques, mais à l’exclusion des frais qui ont été recouvrés à titre de droits auprès du producteur en vertu du paragraphe 5(4);

(c) the costs, including legal costs, incurred by the administrator to recover the outstanding amounts and interest, if those costs are approved by the Minister, other than the costs that the administrator has recovered by means of a fee charged to the producer under subsection 5(4); and

d) toute autre somme non remboursée en vertu de l’accord de remboursement.

d) any other outstanding amounts under the repayment agreement.

[5] Le 22 août 2013, la MPCC a, au titre de la garantie du ministre, présenté à ce dernier une demande de paiement et a reçu la somme de 103 503,62 $. Par application du paragraphe 23(2) de la LPCA, le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur défaillant à concurrence du paiement qu’il a fait et il peut prendre action, au nom de l’agent d’exécution ou au nom de la Couronne, contre ce producteur. Le producteur défaillant aux termes d’un accord de remboursement est redevable au ministre des intérêts sur le montant subrogé ainsi que des frais engagés pour recouvrer cette somme, y compris les frais juridiques (LPCA, par. 23(3)). La demanderesse a, au nom du ministre, exercé un recours par subrogation contre les défenderesses pour se faire payer la dette en souffrance. Les défenderesses contestent que la MPCC soit une agente d’exécution sous le régime de la LPCA et contestent l’affirmation suivant laquelle les personnes physiques défenderesses se sont solidairement engagées pour les sommes dues, compte tenu des exigences de la loi albertaine intitulée Guarantees Acknowledgement Act (Loi sur la reconnaissance des garanties), RSA 2000, c G-11 [la GAA].

III. Les questions en litige

[6] Le 28 février 2020, la protonotaire Tabib, qui était saisie d’une requête présentée par la demanderesse, a ordonné, conformément au paragraphe 220(1) des Règles, qu’une décision préliminaire soit rendue sur les points de droit suivants :

  • a) La Manitoba Pork Credit Corporation était-elle une agent d’exécution au sens de l’alinéa 2(1)s) de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LC 1997, c 20, lorsqu’elle a versé le paiement anticipé aux défenderesses, ainsi que dans ses rapports subséquents avec le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada?

  • b) Les défenderesses Claire John Talsma et Cheryl Benita Talsma ont-elles, en l’absence d’un certificat délivré au titre de l’article 4 de la loi albertaine intitulée Guarantees Acknowledgement Act, RSA 2000, c G-11, engagé leur responsabilité personnelle en signant les documents pertinents?

[7] L’ordonnance du 28 février 2020 précisait que la preuve documentaire utilisée pour statuer sur les points de droit serait constituée de la déclaration, de la défense ainsi que des faits et documents énoncés dans la demande de reconnaître des faits ou des documents.

IV. Les observations des parties

A. La position de la demanderesse

[8] La demanderesse soutient que la MPCC était une agent d’exécution lorsqu’elle a versé le paiement anticipé aux défenderesses, de même que dans ses rapports subséquents avec les défenderesses et à l’époque de ses rapports avec le ministre.

[9] La demanderesse affirme qu’en sa qualité de personne morale que lui reconnaît la loi manitobaine, la MPCC a la capacité d’ester en justice, et qu’elle a conservé cette capacité, malgré le fait qu’elle ne s’est pas enregistrée en Alberta, à titre de société extraprovinciale, conformément au paragraphe 295(1) de la loi albertaine intitulée Business Corporations Act (Loi sur les sociétés par actions), RSA 2000, c B-9 [la BCA]. La MPCC répond donc à la définition d’agent d’exécution au sens de la LPCA.

[10] De plus, la demanderesse soutient que l’accord de remboursement ne répond pas à la définition de « guarantee » (« garantie ») au sens de la GAA et qu’il constitue de toute évidence une indemnité, ce qui rend les deux personnes physiques défenderesses responsables en leur qualité personnelle. Elle attire l’attention sur le libellé des engagements à l’appui de sa position.

B. La position des défenderesses

[11] Les défenderesses soutiennent que la MPCC ne pouvait être une agent d’exécution au sens de la LPCA, parce qu’elle n’avait pas, et n’a toujours pas, la capacité d’ester en justice en Alberta. Comme la MPCC a versé les paiements anticipés en Alberta et que les défenderesses ont reçu la confirmation de l’acceptation de leur demande en Alberta, la MPCC doit avoir la capacité d’ester en justice en Alberta pour pouvoir être considérée comme une agent d’exécution, ce qui n’est pas le cas. Les défenderesses s’appuient sur les exigences en matière d’enregistrement extraprovincial contenues dans la BCA de l’Alberta.

[12] Comme la MPCC n’est pas une agente d’exécution, la demanderesse n’était pas en mesure de conclure l’accord de remboursement avec la MPCC et elle a outrepassé ses pouvoirs en signant l’accord de remboursement avec la MPCC.

[13] Les personnes physiques défenderesses affirment qu’elles ne sont pas personnellement responsables, étant donné qu’elles ont signé une garantie, et non une indemnité, et que ce document est invalide, parce qu’aucun certificat n’a été délivré au titre de l’article 4 de la GAA de l’Alberta.

V. Analyse

[14] Les parties ont formulé diverses autres observations qui ne s’appliquaient pas directement à la décision à rendre sur les points dont je suis saisi. Je m’en suis donc tenu aux deux points.

A. Le premier point

[15] Après avoir examiné les arguments des parties, j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de s’attarder aux exigences relatives à l’enregistrement extraprovincial énoncées dans la BCA de l’Alberta pour répondre au premier point. Au contraire, une simple lecture de la loi applicable, la LPCA, permet de statuer sur ce point.

[16] Le terme « agent d’exécution » est défini au paragraphe 2(1) de la LPCA :

agent d’exécutionS’ils ont la capacité d’ester en justice :

administrator means one of the following organizations, if it has the power to sue and be sued in its own name:

a) toute association de producteurs qui participe à la commercialisation d’un produit agricole assujetti à la partie I;

(a) an organization of producers that is involved in marketing an agricultural product to which Part I applies;

b) tout organisme, autre qu’un prêteur, dont le ministre conclut, compte tenu de tout critère réglementaire, qu’il représente, dans une région, des producteurs y produisant une proportion importante d’un produit agricole assujetti à la partie I;

(b) an organization, other than a lender, that the Minister, taking into account any criteria prescribed by regulation, determines to be an organization that represents producers who produce, in an area, a significant portion of an agricultural product to which Part I applies; or

c) tout organisme — notamment un prêteur — que le ministre désigne à ce titre et dont celui-ci conclut qu’il pourrait accroître l’accès des producteurs à des avances. (administrator)

(c) an organization, including a lender, that the Minister determines to be an organization that would be able to make advances more accessible to producers and that the Minister designates as an administrator. (agent d’exécution)

[Emphasis added.]

[Je souligne.]

[17] La Cour suprême du Canada a déclaré que la méthode moderne d’interprétation des lois exigeait de [traduction] « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd, Re, [1998] 1 RCS 27 au para 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd 1983) à la p 87).

[18] La LPCA autorise les agents d’exécution à verser de l’argent aux producteurs agricoles admissibles dans le but de favoriser la commercialisation des produits agricoles. La seule mention que l’on trouve dans la LPCA au sujet de la personnalité juridique des agents d’exécution est le passage souligné précité, où il est précisé que les agents d’exécution doit avoir la « capacité d’ester en justice ». Les agents d’exécution ne sont assujettis à aucune exigence en matière d’enregistrement extraprovincial ni à quelque autre condition supplémentaire.

[19] Par conséquent, je conclus qu’étant donné que la MPCC est constituée sous le régime de la Loi sur les corporations du Manitoba, CPLM, c C225, elle est une personne morale qui a la capacité d’ester en justice en son propre nom, aux termes du paragraphe 15(1) de cette loi. Appliquant les principes d’interprétation des lois, je conclus qu’en tant que personne morale, la MPCC répond à la définition d’agent d’exécution pour l’application de la LPCA et pour les besoins des paiements anticipés. En ce qui concerne les défenderesses, les arguments relatifs à l’enregistrement extraprovincial ne sont pas pertinents à l’égard de ce point précis.

B. Le deuxième point

[20] La demande de reconnaître des faits ou des documents énumère les divers documents contractuels sur lesquels la demanderesse se fonde. Parmi ces documents, il y a lieu de mentionner l’accord de remboursement qui, selon les défenderesses, aurait dû être conforme à la GAA de l’Alberta. L’accord de remboursement comportait deux parties, reproduites ci-après, que les personnes physiques défenderesses ont signées, à savoir :

[traduction]

1.5 Déclaration de garantie

Garantie personnelle (dans le cas d’une personne morale à actionnaire unique)

Par les présentes, j’accepte — en tant qu’actionnaire unique de la personne morale mentionnée à la section 1.2 du présent formulaire de demande d’avance, en contrepartie d’une avance qui est consentie à la personne morale par l’agent d’exécution pour la campagne agricole 2008-2009 du PPA, dont le montant est inscrit à la partie 2 du présent formulaire de demande d’avance et dont le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada garantit le remboursement ainsi que les intérêts afférents — d’être personnellement responsable envers l’agent d’exécution et le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada de tout montant dû par la personne morale aux termes du PPA.

En signant ce document, je comprends et j’accepte qu’une action puisse être intentée contre moi personnellement afin de m’obliger à rembourser, conformément à l’article 5.0 des modalités de l’accord de remboursement, la totalité du montant de toute avance en souffrance.

Garantie solidaire (dans le cas d’une personne morale comptant plusieurs actionnaires/coopérative/société de personnes)

Par les présentes, nous acceptons — en tant qu’actionnaires, membres ou associés, selon le cas, de la personne morale, de la coopérative ou de la société de personnes mentionnée à la section 1.2 du présent formulaire de demande d’avance, en contrepartie d’une avance consentie à la personne morale, à la coopérative ou à la société de personnes, selon le cas, par l’agent d’exécution pour la campagne agricole 2008-2009 du PPA, dont le montant est inscrit à la section 2 du présent formulaire de demande d’avance et dont le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada garantit le remboursement ainsi que les intérêts afférents — d’être responsables solidairement envers l’agent d’exécution et le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada de tout montant dû par la personne morale, la coopérative ou la société de personnes, selon le cas, aux termes du PPA.

En signant le présent document, nous comprenons et acceptons qu’une action puisse être intentée contre nous personnellement afin de nous obliger à rembourser, conformément à l’article 5.0 des modalités de l’accord de remboursement, la totalité du montant de toute avance en souffrance.

[21] La demanderesse soutient que, malgré l’utilisation du mot [traduction] « garantie » dans les stipulations précitées de l’accord de remboursement, il s’agit d’une indemnité, et non d’une garantie. La GAA ne s’applique donc pas, et les personnes physiques défenderesses sont assujetties à une obligation directe qui n’est pas subordonnée à un défaut de paiement de la personne morale défenderesse.

[22] Les personnes physiques défenderesses ne sont pas de cet avis et affirment que, puisque l’on trouve le mot [traduction] « garantie » dans l’intitulé, il s’agit bel et bien d’une garantie. Par conséquent, les dispositions de la GAA s’appliquent. Elles affirment que, comme l’article 4 de la GAA exigeait qu’elles se présentent au cabinet d’un avocat pour y obtenir un certificat, ce qu’elles n’ont pas fait, l’accord de remboursement n’est pas conforme et est vicié, de sorte qu’il n’y a aucun recours en responsabilité personnelle contre elles.

[23] De plus, les personnes physiques défenderesses affirment qu’on trouve dans l’accord de remboursement des indices à la fois d’une indemnité et d’une garantie. Elles soutiennent que, puisque l’accord de remboursement renferme le libellé [traduction] « le signataire comprend qu’une poursuite puisse être intentée contre lui personnellement afin de l’obliger à rembourser, conformément aux accords, la totalité du montant de toute avance en souffrance », il n’y a pas de responsabilité principale, mais seulement une responsabilité éventuelle qui n’entre en jeu qu’en cas de défaut de la personne morale défenderesse.

[24] La demanderesse affirme que, lorsqu’on l’examine dans son ensemble, l’accord de remboursement ne laisse aucun doute quant à sa nature. En outre, au moment où les personnes physiques défenderesses ont signé l’accord, la LPCA ne prévoyait l’admissibilité des personnes morales productrices à une avance garantie que si tous les actionnaires s’engageaient solidairement par écrit (art 10(1)d)(ii) de la LPCA).

[25] La demanderesse cite la décision Dryco Building Supplies Inc v Wasylishyn, 2002 ABQB 676 aux paras 37, 39 [Dryco], où la Cour du banc de la Reine déclare ce qui suit :

[traduction]

[37] Une garantie au sens de la loi intitulée Guarantees Acknowledgement Act ou de celle intitulée Statute of Frauds est un accord conditionnel, en ce sens qu’elle exige l’acte, le défaut ou l’omission d’une autre personne pour donner lieu à l’obligation du garant.

[…]

[39] L’indemnité se distingue de la garantie, en ce sens qu’il s’agit d’une obligation principale et directe entre les parties, qui n’est pas conditionnelle au défaut d’une autre partie. Les indemnités ne sont pas assujetties à la loi intitulée Guarantees Acknowledgement Act.

[26] Dans l’arrêt Royal Bank of Canada v Swartout, 2011 ABCA 362 au para 38 [Swartout] la Cour d’appel énonce un principe semblable :

[traduction]

[38] Selon la jurisprudence, si le libellé de l’accord ne rend pas l’obligation conditionnelle au défaut d’une autre personne, il s’agit d’une obligation directe, et non d’une garantie : 32262 BC Ltd v Pataki Enterprises, 1998 ABCA 90, 216 AR 78 au para 11. De même, lorsque des personnes physiques sont solidairement responsables avec une personne morale, les obligations ne sont pas non plus conditionnelles. Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Standard Trust v Steel, (1991), 1991 ABCA 211 (CanLII), 117 AR 241, 83 DLR (4th) 130 à la p 142, notre Cour déclare :

[TRADUCTION]

L’appelant a promis de s’exécuter. Il n’a pas promis de s’exécuter qu’en cas de défaut de la personne morale. Comme le juge de première instance l’a déclaré, l’appelant ne peut donc invoquer les dispositions techniques de la loi intitulée Guarantees Acknowledgement Act pour se dégager de son obligation de payer la dette.

[27] Lorsqu’un contrat emploie des termes non ambigus tels que « responsabilité solidaire », « personnellement responsable » ou « lié au premier chef », la GAA ne s’applique pas (Knafelc v Fountain Tire Ltd, 2009 ABQB 201 [Knafelc] au para 42). La Cour du banc de la Reine a également déclaré que, même sans ces expressions, il est nécessaire pour que la GAA s’applique que le contrat renferme des termes précis indiquant que la responsabilité du garant n’est engagée que lorsque le débiteur principal fait défaut (Knafelc, au para 43). En outre, les termes « garantie » ou « garant » que l’on retrouve dans un document ne sont pas déterminants quant aux obligations des parties, étant donné que c’est la nature de l’obligation, et non l’étiquette qu’on lui accole, qui permet de savoir s’il s’agit d’une garantie (Swartout, au para 45).

[28] L’historique législatif du paragraphe 10(1) de la LPCA qu’a rappelé la demanderesse s’est également avéré utile. En résumé, le concept de « garant » était absent du sous-alinéa 10(1)d)(ii) lorsque les personnes physiques défenderesses ont signé l’accord de remboursement en 2008. Le sous-alinéa 10(1)d)(ii), dans sa rédaction en vigueur en 2008, disposait :

10(1) Le producteur est admissible à l’octroi d’une avance garantie au cours d’une année de programme donnée si les conditions ci-après sont réunies : […

]

d) s’agissant d’une personne morale à plusieurs actionnaires, d’une société de personnes, d’une coopérative ou de toute autre association de personnes, il est satisfait aux exigences suivantes : […]

(ii) soit tous les actionnaires, associés ou membres, selon le cas, s’engagent solidairement par écrit envers l’agent d’exécution pour les sommes visées à l’article 22 et donnent en garantie du remboursement de l’avance les sûretés que peut exiger l’agent d’exécution; […]

[29] Le sous-alinéa 10(1)d)(ii) a été modifié et, en date du 27 février 2015, son libellé était essentiellement le même, à cette différence près que le concept de « garant » avait été ajouté au sous-alinéa (ii) et qu’il renvoyait par ailleurs au règlement qui précise qui peut être garant. Le règlement crée deux catégories de garants, et il convient de signaler que ces catégories de garants sont distinctes du concept d’actionnaire.

[30] Je conviens que les étiquettes et les qualificatifs ne sont pas déterminants pour l’interprétation d’un document. Les précédents cités par la demanderesse sont pertinents et convaincants. Je suis également d’accord pour dire que la section 1.5 de l’accord de remboursement attirait l’attention des personnes physiques défenderesses sur la gravité de ce qu’elles signaient. Interprétant comme un tout l’accord de remboursement et les engagements en question, plutôt que de s’en tenir exclusivement au terme « garantie » qu’on y trouve, je conclus que l’accord renferme des indices permettant de conclure qu’il s’agit d’une indemnité, et non d’une garantie. Une garantie subordonnerait clairement la responsabilité du signataire à un recours contre le débiteur principal. Dans le cas qui nous occupe, les trois parties ont signé l’accord de remboursement en leur capacité respective d’actionnaires, de directrices et de personnes physiques, et elles ont toutes accepté d’être solidairement responsables des sommes avancées.

[31] Le contexte législatif du sous-alinéa 10(1)d)(ii) de la LPCA aide également la Cour à tirer cette conclusion.

[32] Ainsi, je conclus que l’accord de remboursement n’est pas une garantie et qu’il n’était pas nécessaire qu’il soit conforme à la GAA.

VI. Conclusion

[33] La Cour statue sur les deux points énoncés par la protonotaire Tabib dans son ordonnance, en répondant par l’affirmative.


ORDONNANCE et MOTIFS dans le dossier T-2095-18

LA COUR STATUE QUE :

  1. Aux deux points sur lesquels on demandait à la Cour de statuer en vertu de l’alinéa 220(1)c) des Règles, la Cour répond par l’affirmative de la manière suivante :

    • a) La Manitoba Pork Credit Corporation était une agent d’exécution au sens de l’alinéa 2(1)a) de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LC 1997, c 20, lorsqu’elle a versé le paiement anticipé aux défenderesses, ainsi que dans ses rapports subséquents avec le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada.

    • b) Les défenderesses Claire John Talsma et Cheryl Benita Talsma ont, en l’absence d’un certificat délivré au titre de l’article 4 de la loi albertaine intitulée Guarantees Acknowledgement Act, RSA 2000, c G-11, engagé leur responsabilité personnelle en signant les documents pertinents.

  2. Conformément au paragraphe 6 de l’ordonnance du 28 février 2020 de la protonotaire Tabib, les parties devront, dans les 30 jours suivant la décision sur les points, et après s’être consultées, déposer des observations au sujet des mesures suivantes à prendre dans le cadre de la présente action.

  3. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

dossier :

T-2095-18

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c TALSMA FARMS LTD., CLAIRE JOHN TALSMA et CHERYL BENITA TALSMA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence entre Ottawa (Ontario), Saskatoon (SASKATCHEWAN) et Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2020

Ordonnance et motifs :

Le juge FAVEL

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

Le 22 avril 2021

COMPARUTIONS :

Stephen McLachlin

Pour la demanderesse

 

Shauna Finlay

Pour les défenderesses

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Pour la demanderesse

 

Reynolds Mirth Richards & Farmer LLP

Pour les défenderesses

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.