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Date : 20210525


Dossier : IMM‑6108‑19

Référence : 2021 CF 483

[traduction française]

Toronto (Ontario), le 25 mai 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

BINDUL DEVENDRABHAI PATEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent des visas en poste au Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi, en Inde. L’agent a rejeté la demande de visa de travail temporaire du demandeur parce que les éléments de preuve ne montraient pas que celui‑ci était capable d’exercer convenablement l’emploi qu’il avait l’intention d’occuper au Canada.

[2] Le demandeur prétend que la décision de l’agent était déraisonnable, et que l’équité procédurale commandait que l’agent l’informe des lacunes relevées dans sa demande de sorte qu’il puisse y remédier avant que l’agent ne rende sa décision.

[3] J’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et qu’il a respecté le droit à l’équité procédurale du demandeur. Par conséquent, la demande est rejetée.

I. Faits et événements à l’origine de la présente demande

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il est propriétaire et assure la gestion d’une entreprise, qui porte le nom de Charotar Cement Works, à Anand, en Inde, depuis 2010.

[5] Le demandeur a reçu en février 2019 une offre d’emploi d’une entreprise de nettoyage de Winnipeg, au Manitoba, à titre de surveillant des services de nettoyage pour une période de deux ans. Il a accepté l’offre le 25 février 2019. L’employeur a demandé et obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] favorable pour le poste.

[6] Le demandeur a présenté, le 19 juin 2019, à New Delhi une demande de permis de travail au Canada à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada en vertu du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Une lettre de présentation d’une entreprise de consultants en immigration mentionnait notamment que le demandeur avait été propriétaire et gérant de sa propre entreprise pendant plusieurs années et qu’il avait assuré la gestion de son entreprise, en supervisant plus de dix employés et parties externes, comme des fournisseurs. La lettre précisait que le demandeur était des plus qualifiés pour exercer les fonctions de l’emploi au Canada.

[7] Un agent des visas a conclu que la demande ne répondait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR)) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR) dans une décision en date du 2 octobre 2019 parce que le demandeur n’avait pas pu [traduction] « démontrer qu’il serait en mesure d’effectuer convenablement le travail ».

[8] Le dossier dont disposait l’agent renfermait des états financiers se rapportant à l’entreprise du demandeur : un formulaire indien de vérification de la déclaration de revenus de l’entreprise du demandeur; un état des profits et pertes; un bilan et un état de compte bancaire. La demande comportait aussi la lettre d’offre d’emploi de l’employeur en date du 20 février 2019 et l’EIMT favorable en date du 3 juin 2019.

[9] Les notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) renvoyaient à la fiche 6315 de la Classification nationale des professions (la CNP) (surveillants/surveillantes des services de nettoyage) et à la lettre d’emploi de l’employeur en date du 20 février 2019. Au sujet de l’EIMT, l’agent a inscrit dans ses notes les exigences du poste, notamment « de l’expérience dans un domaine particulier des travaux de nettoyage est habituellement exigée » et « de l’expérience en supervision peut être exigée ». Les notes versées dans le SMGC soulignaient que le demandeur avait fait savoir qu’il était gérant/propriétaire de son entreprise depuis 2010.

[10] Il était ensuite précisé dans les notes du SMGC que le demandeur avait démontré qu’il possédait de l’expérience dans les domaines qui suivent :

  • superviser et coordonner le travail des nettoyeurs ou des concierges des services de nettoyage léger, industriel ou spécialisés;

  • inspecter les lieux ou les installations pour assurer le respect des normes de propreté et de sécurité en vigueur;

  • recruter et former le personnel de nettoyage;

  • recommander ou prendre les dispositions afin d’obtenir les services additionnels qui s’imposent tels que les travaux de réparation;

  • établir les horaires de travail et coordonner les activités avec celles des autres services;

  • préparer le budget, évaluer les coûts et tenir les registres financiers.

[11] L’agent a refusé le permis de travail, en renvoyant expressément à l’alinéa 200(3)a) du RIPR. Selon cette disposition, un agent ne délivrera pas de permis de travail à un étranger s’il a « des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ».

[12] Le demandeur a soutenu devant la Cour que l’agent des visas n’avait pas respecté le principe de l’équité procédurale en omettant de lui faire savoir qu’il craignait qu’il ne fût pas qualifié pour occuper l’emploi au Canada. Il a prétendu que l’agent était déraisonnablement allé plus loin que les exigences relatives à l’employabilité énoncées dans l’EIMT et qu’il avait fondé sa décision sur les exigences de la fiche 6315 de la CNP. Cette précision est importante parce que, contrairement à la fiche 6315 de la CNP, l’EIMT n’exige aucune expérience de travail pertinente. Selon l’EIMT, l’expérience de travail pertinente est « habituellement », mais pas toujours exigée.

[13] De plus, le demandeur a soutenu que la décision de l’agent était foncièrement déraisonnable parce qu’elle omettait de conclure qu’il avait l’expérience de travail voulue pour s’acquitter des fonctions de l’emploi proposé. Il a fait valoir qu’il gérait sa propre entreprise prospère en Inde depuis 2010 et qu’il possédait les compétences nécessaires en gestion, en supervision et autres pour effectuer le travail. Il a affirmé que les aspects du poste liés à la gestion étaient essentiels et que ceux se rapportant au nettoyage pouvaient être acquis. Il a fait remarquer que l’employeur avait jugé que ses compétences étaient satisfaisantes. L’EIMT ne prévoyait aucune exigence quant à l’expérience du nettoyage et contenait expressément le nom du demandeur. Ce dernier a souligné que la fiche 6315 de la CNP employait une formulation facultative, et non pas obligatoire, en ce qui concerne l’expérience en supervision.

[14] Le défendeur a soutenu que l’agent était tenu, suivant l’alinéa 200(3)a) du RIPR, de s’assurer que le demandeur était en mesure d’exercer l’emploi qu’il proposait d’occuper au Canada. Il estimait, essentiellement, que les éléments de preuve dont disposait l’agent étaient insuffisants pour démontrer que le demandeur était capable d’effectuer le travail parce qu’ils ne contenaient que des documents financiers se rapportant à l’entreprise du demandeur. Il a fait valoir qu’il incombait au demandeur de présenter sa meilleure preuve dans la demande. Il a aussi souligné que la lettre d’offre d’emploi de l’employeur reprenait les exigences de la fiche 6315 de la CNP, et pas uniquement l’EIMT.

[15] Le défendeur a soutenu que l’obligation d’équité procédurale à l’égard d’un demandeur de permis de travail temporaire se situait à l’extrémité inférieure de l’échelle. Il a estimé que l’élément clé, lorsque l’agent avait appliqué l’alinéa 200(3)a), était le caractère insuffisant du dossier, qui ne renfermait que les états financiers de l’entreprise du demandeur en Inde. Le demandeur n’avait pas le droit d’être informé des préoccupations de l’agent ou le droit à une autre possibilité de formuler des observations ou de produire des éléments de preuve supplémentaires.

[16] De plus, le défendeur a fait remarquer qu’il était loisible au demandeur de présenter une nouvelle demande de permis de travail temporaire, avec un dossier plus étoffé.

II. Admissibilité des nouveaux éléments de preuve dans le cadre de la présente demande

[17] Une question préliminaire doit être tranchée. Le demandeur a présenté à la Cour de nouveaux éléments de preuve dans un affidavit souscrit par Gurpal Singh, le 6 décembre 2019. M. Singh est propriétaire et président de l’entreprise de nettoyage de Winnipeg qui devait embaucher le demandeur. L’affidavit de M. Singh était accompagné d’une [traduction] « offre d’emploi pour un superviseur des services de nettoyage » qui annonçait le poste. Le document décrivait aussi les fonctions que devait exécuter le titulaire, les modalités de l’EIMT et le processus dans le cadre duquel le demandeur avait été choisi pour le poste. M. Singh a déclaré que les compétences en supervision que le demandeur avait acquises en dirigeant son entreprise étaient [traduction] « extrêmement compatibles avec ce nouveau poste au Canada », que l’employeur embauchait des superviseurs ayant ce profil depuis plusieurs années et que [traduction] « l’expérience du nettoyage n’[était] pas un critère et, par conséquent, n’avait pas été incluse dans l’annonce » (c.‑à‑d. l’offre d’emploi jointe à l’affidavit). M. Singh a conclu ses affirmations en disant estimer que le demandeur était [traduction] « un candidat qualifié pour exercer les fonctions de supervision ».

[18] Le défendeur s’est opposé à l’admission de ces éléments de preuve en renvoyant à l’arrêt Perez c Hull, 2019 CAF 238, de la Cour d’appel fédérale. Il a prétendu que, en règle générale, les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles en contrôle judiciaire, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce. Il estime que les éléments de preuve de M. Singh se rapportent directement au fond de la décision de l’agent et auraient pu être produits avec la demande de permis de travail.

[19] Je conviens avec le défendeur que, en règle générale, le dossier de preuve qui est soumis à une cour de révision se limite à celui qui a été soumis au décideur. De nouveaux éléments de preuve sur le fond de la décision contestée ne peuvent pas être produits pour la première fois devant une cour de révision : Perez, au para 16, citant l’arrêt Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, au para 8; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au para 19.

[20] La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Perez et dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada a décrit trois exceptions à la règle générale : i) un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; ii) un affidavit qui est nécessaire pour porter à l’attention de la juridiction de révision les vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; iii) un affidavit qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée. Il peut y avoir d’autres exceptions, car la liste n’est pas exhaustive. Voir les analyses dans l’arrêt Perez, au para 16, et dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada, au para 20.

[21] Est‑ce que l’une de ces exceptions s’applique? Pas en l’espèce. Comme les nouveaux éléments de preuve proposés portant sur le fond de la décision dans l’arrêt Perez (au para 17), l’affidavit de M. Singh concerne le fond des arguments avancés par le demandeur dans la présente demande, expressément la question de savoir si le demandeur remplissait les critères relatifs au poste et si l’expérience était une condition essentielle.

[22] Par conséquent, l’affidavit de M. Singh n’est pas admissible dans la présente demande.

III. Norme de contrôle

[23] La norme de contrôle qui s’applique à la décision de fond de l’agent est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

[24] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi (c.‑à‑d. la justification de la décision) et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision est raisonnable lorsqu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85).

[25] S’agissant des contraintes factuelles, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Vavilov que, à moins de « circonstances exceptionnelles », la cour de révision ne modifie pas les conclusions de fait du décideur et s’abstient d’apprécier à nouveau la preuve examinée par celui‑ci (au para 125). La cour de révision ne peut intervenir que si elle perd confiance dans la décision parce que celle‑ci est « indéfendable compte tenu des contraintes factuelles […] pertinentes » ou si le décideur s’est « fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » [non souligné dans l’original]; Vavilov, aux para 101, 126 et 194. Voir aussi l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 (le juge Rowe), au para 61; Canada (Procureur général) c Honey Fashions Ltd., 2020 CAF 64 (le juge de Montigny), au para 30.

[26] La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est essentiellement celle de la décision correcte : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 [Canadien Pacifique], en particulier aux para 49 et 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35. L’examen par la Cour ne suppose aucune marge d’appréciation ni déférence. Il s’agit de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la ou les personnes : Canadien Pacifique, au para 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

IV. Analyse

[27] J’en arrive maintenant aux deux questions de fond soulevées par le demandeur.

A. La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

[28] J’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle suivant la description qu’en a donnée la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov. La décision de l’agent était raisonnable selon cette norme.

[29] La décision de l’agent doit être prise en compte avec les motifs de l’agent, lesquels sont énoncés dans les notes consignées dans le SMGC. La décision et les motifs peuvent être examinés à la lumière du dossier dont disposait l’agent : Vavilov, aux para 91 à 95.

[30] Il incombait au demandeur de produire tous les documents d’appui pertinents pour obtenir un permis de travail temporaire. Il devait présenter la meilleure preuve possible : Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 (le juge Russell), aux paras 42 et 47; Chamma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 29 (le juge Shore), au para 35; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 (le juge LeBlanc), aux para 10 et 14.

[31] L’agent des visas était tenu de procéder à une appréciation indépendante pour établir si la demande de permis de travail temporaire remplissait les conditions énoncées dans la LIPR et le RIPR et, plus particulièrement, s’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était incapable d’exercer l’emploi. La juge Snider a énoncé l’exigence dans l’extrait qui suit de la décision Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1378, soit :

[12] Dans toutes les demandes dont il est saisi, l’agent des visas est tenu d’examiner l’ensemble des éléments de preuve pertinents qui sont portés à sa connaissance afin de décider lui‑même s’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est incapable d’exercer l’emploi (alinéa 200(3)a) du Règlement). L’agent ne peut être lié par une déclaration de DRHC selon laquelle la connaissance de l’anglais est exigée ou ne l’est pas; il ne peut déléguer sa fonction décisionnelle à une tierce partie comme DRHC. À l’inverse, la déclaration d’un demandeur ou d’un employeur selon laquelle la connaissance de l’anglais n’est pas obligatoire ne lie pas l’agent des visas, qui doit faire sa propre évaluation en soupesant l’ensemble des éléments de preuve dont il est saisi.

Voir aussi la décision Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 935 (la juge Pallotta), au para 27; la décision Sulce, aux para 9, 28 et 29.

[32] L’EIMT n’est pas déterminante quant à une demande de visa de travail temporaire, et l’agent n’est pas lié par son contenu : Ul Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 268 (le juge Pamel), au para 37; Sulce, au para 29; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 (le juge Diner), au para 20.

[33] Je conviens avec le défendeur que les documents qui ont été produits à l’appui du permis de travail du demandeur étaient fragmentaires. Les documents consistaient essentiellement en une lettre de présentation et des états financiers relatifs à la cimenterie du demandeur, comme il a déjà été décrit.

[34] Le demandeur soutient essentiellement que l’employeur lui a offert un poste de supervision ou de gestion pour lequel il était qualifié, puisqu’il a dirigé sa propre entreprise pendant un certain nombre d’années. Plus précisément, il possédait une vaste expérience de la supervision acquise pendant les années qu’il a passées à superviser les employés de son entreprise. Même si l’expérience du nettoyage est habituellement exigée, l’employeur était satisfait des qualités du demandeur et l’EIMT était favorable, donc, l’agent aurait dû être satisfait aussi.

[35] À l’audience, le demandeur a fait remarquer que l’EIMT le nommait expressément pour le poste qui lui a été offert. Toutefois, cet élément n’oblige pas l’agent à accepter que le demandeur est qualifié pour exercer l’emploi. Comme l’a fait remarquer le juge Diner dans la décision Singh, au paragraphe 20, « [a]près tout, l’[EIMT] est l’élément du processus servant à cerner les besoins du marché du travail, et ce n’est pas l’[EIMT], mais plutôt la demande de visa qui sert à évaluer les caractéristiques propres au demandeur ».

[36] De plus, le demandeur a déploré que l’agent se fût servi des exigences de la fiche 6315 de la CNP pour apprécier ses aptitudes à exécuter le travail, au lieu de se fonder sur l’EIMT. Le défendeur a souligné que la lettre d’offre d’emploi présentée par l’employeur prospectif utilisait la liste des fonctions figurant dans la fiche 6315 de la CNP. Toutefois, aucune des parties n’a vraiment invoqué la fiche 6315 de la CNP devant la Cour et cet élément ne faisait pas partie du dossier certifié du tribunal.

[37] Comme l’a statué la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, le rôle de la Cour en contrôle judiciaire n’est pas de soupeser ou d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait l’agent. En l’espèce, c’est ce que le demandeur demande à la Cour de faire. Malheureusement, que la Cour souscrive ou non à la décision quant au fond n’est pas la question à trancher en contrôle judiciaire : Sangha, au para 48. La cour de révision ne peut qu’établir la légalité de la décision et si celle‑ci a été rendue conformément aux principes d’équité procédurale.

[38] En ce qui concerne le fardeau incombant au demandeur et le dossier dont disposait l’agent, je ne peux pas conclure que l’agent s’est fondamentalement mépris sur la preuve figurant dans la demande de permis de travail ou que sa conclusion était indéfendable à la lumière de la preuve : Vavilov, aux para 101, 125 et 126. L’agent avait le droit et se devait de se faire sa propre opinion quant à la question de savoir si la demande répondait aux exigences de la LIPR et du RIPR, y compris celle de savoir si les éléments de preuve au dossier renfermaient des motifs raisonnables de croire que le demandeur était capable d’exercer les fonctions de l’emploi – ou en était incapable – aux termes de l’alinéa 200(3)a) du RIPR. L’agent a conclu que les éléments de preuve n’en renfermaient pas. La Cour n’est pas autorisée à apprécier à nouveau les éléments de preuve quant au fond pour intervenir dans la décision de l’agent.

B. Le demandeur a‑t‑il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[39] Le demandeur soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale parce que l’agent ne lui a pas fait part de ses préoccupations quant au fait que les éléments de preuve ne démontraient pas qu’il était capable d’exercer l’emploi. Je ne peux pas souscrire à cet argument.

[40] Les obligations relatives à l’équité procédurale à l’égard d’une demande de permis de travail temporaire se situent à l’extrémité inférieure de l’échelle, à plus forte raison lorsque (comme c’est le cas ici) le demandeur peut présenter une nouvelle demande : Kumar, au para 19 (et les décisions qui y sont citées) : Sulce, au para 10. L’équité procédurale n’exige généralement pas que l’on accorde aux personnes qui demandent un permis de travail temporaire la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas voulant que le demandeur ne satisfasse peut‑être pas aux exigences de la LIPR ou du RIPR : Sulce, aux para 10 (et dans les décisions qui y sont citées) et 18.

[41] Il y a des exceptions. Ce peut être, par exemple, lorsque l’agent a des préoccupations quant à la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis dans la demande : Sulce, aux para 11 et 18. Dans ces cas, l’agent peut être tenu de faire connaître ses préoccupations au demandeur et de donner à celui‑ci la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires.

[42] Toutefois, lorsque la décision de l’agent des visas est fondée sur le caractère suffisant des éléments de preuve présentés par le demandeur, ou sur les exigences du RIPR et du régime législatif en général, notamment aux termes de l’alinéa 200(3)a) du RIPR, il n’y a généralement aucune obligation d’en informer le demandeur : Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1548 (le juge Ahmed), aux para 23. 24 et 27; Kumar, au para 19; Anenih c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 718 (le juge Diner) au para 16.

[43] En l’espèce, le demandeur n’a pas prétendu que l’une de ces exceptions à la règle générale s’appliquait. Il a soutenu que l’agent avait omis de lui faire savoir que, selon les éléments de preuve fournis dans sa demande, il n’était pas qualifié pour occuper l’emploi au Canada, et que cette omission contrevenait à son droit à l’équité procédurale.

[44] La preuve que le demandeur est capable d’exercer l’emploi qu’il veut occuper au Canada est une exigence énoncée à l’alinéa 200(3)a) du RIPR. Je souligne que l’alinéa 200(3)a) est obligatoire – le permis de travail « ne peut être délivré » si l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé [non souligné dans l’original].

[45] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait l’expérience de travail dans plusieurs des domaines énumérés associés à la supervision de services de nettoyage. Je conviens avec le défendeur que, vu le contenu du mince dossier dont disposait l’agent, les éléments de preuve étaient insuffisants pour convaincre l’agent à l’égard d’un élément figurant dans le RIPR. Dans les circonstances, l’agent n’était pas tenu de faire connaître au demandeur ses préoccupations quant à l’insuffisance ou au caractère inadéquat des renseignements et de lui demander d’étoffer sa demande.

[46] Par conséquent, je conclus que l’agent a respecté les principes d’équité procédurale envers le demandeur dans la décision relative à sa demande de permis de travail temporaire.

V. Conclusion

[47] La demande est par conséquent rejetée. Aucune des parties n’a soulevé de question de portée générale en vue de la certification et je conclus qu’il n’y en a aucune. Il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6108‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOssier :

IMM‑6108‑19

 

INTITULÉ :

BINDUL DEVENDRABHAI PATEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 27 AvRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

le 25 Mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Vivek Rattan

pour lE demandeUR

 

Nick Continelli

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vivek Rattan

Rattan Law Professional Corporation

Brampton (Ontario)

 

pour lE demandeUR

 

Nick Continelli

Procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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