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Date : 20050715

Dossier : IMM-78-05

Référence : 2005 CF 992

ENTRE :

                                                     CLEOTILDE DELA FUENTE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Si seulement Cleotilde dela Fuente avait attendu deux semaines de plus avant de se marier. Elle, son mari Errick et leur fils Clloyd vivraient heureux ensemble à Winnipeg. En fait, Cleotilde et Clloyd sont à Winnipeg alors qu'Errick se trouve à l'autre bout du monde, à Manille. La demande que Cleotilde a présentée en vue de parrainer Errick à titre de conjoint a été rejetée parce que, lorsqu'elle a obtenu le droit d'établissement au Canada en 1992 en tant que résidente permanente, elle n'a pas divulgué le fait qu'elle s'était mariée onze jours plus tôt. En conséquence, son mari n'a pas fait l'objet d'un contrôle. La décision de l'agent des visas a été confirmée par la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

LES FAITS

[2]         Cleotilde et sa mère, Emeteria Perez, ont demandé le statut de résidentes permanentes au Canada depuis les Philippines. Mme Perez a été en mesure de parrainer sa fille, Cleotilde, parce qu'elle était célibataire. Des visas valides jusqu'au 18 décembre 1992 leur ont été délivrés le 26 août 1992. Le visa de Cleotilde n'était valide que si elle accompagnait le chef de la famille, en l'occurrence sa mère, ou si elle rejoignait cette dernière au Canada.


[3]                Cleotilde et Errick se sont épousés à Manille le 12 octobre 1992. Cleotilde explique que, comme elle était munie d'un visa, elle croyait qu'elle pouvait se marier sans problème. Elle est arrivée à Vancouver en compagnie de sa mère le 23 octobre 1992. Cleotilde a probablement été étonnée d'avoir à remplir une fiche d'établissement. Le formulaire comprenait une série de cases numérotées. La case 13 est intitulée « Membres de la famille qui vous accompagnent » . Elle a correctement inscrit le nom de sa mère. Sous cette case, on trouve la sous-question suivante : « Outre celles qui sont mentionnées ci-dessus, avez-vous d'autres personnes à votre charge? » Elle a répondu _ No _ « Non » . Cette question est un peu confuse. Au sens de la loi en vigueur à ce moment-là, il était possible de parrainer une personne à sa charge en tant que membre de la famille. Par personne à charge, on n'entendait pas une personne dépendant de soi pour sa subsistance.

[4]                Quoi qu'il en soit, elle a paniqué lorsqu'elle a rempli la case 9, intitulée « état matrimonial » . Elle a déclaré qu'elle était célibataire et elle a certifié que cette déclaration était exacte et véridique. Elle était effectivement célibataire le jour où elle avait obtenu son visa, mais elle ne l'était plus le jour où elle a signé la fiche d'établissement.

[5]                Elle s'est informée autour d'elle au sujet de son statut. On lui a répondu que son statut personnel était en danger, ce qui était exact. Elle risquait d'être renvoyée du Canada. Elle a donc gardé le silence.

[6]                Tout en entretenant une relation à distance, Errick et elle ont réussi à se retrouver à l'occasion. Elle a donné naissance à Clloyd en 1994.

[7]                Le 27 janvier 2002, n'en pouvant plus, elle a décidé de jouer cartes sur table et elle a présenté une demande en vue de parrainer Errick à titre de parent. Dans sa documentation interne, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a considéré que la date déterminante de la demande était le 30 janvier 2002.

[8]                CIC n'a pas tardé à cerner le problème. Aux termes de l'article 27 de l'ancienne Loi sur l'immigration, l'agent d'immigration devait soumettre au sous-ministre un rapport indiquant qu'une personne à qui le droit d'établissement avait été accordé avait sciemment contrevenu aux conditions dont était assorti son droit d'établissement. Or, Cleotilde avait obtenu le droit d'établissement à titre de fille célibataire de sa mère. Elle savait, au moment où le droit d'établissement lui a été accordé, que ces faits étaient inexacts.

[9]                Cleotilde a été convoquée à une entrevue. Elle a raconté sa triste histoire. Le sous-ministre a décidé de ne pas prendre de mesures en vue de son renvoi du Canada. On lui a pardonné ! Elle a été déclarée admissible à parrainer son mari, Errick. Dans une lettre datée du 17 avril 2002, Citoyenneté et Immigration Canada a confirmé qu'elle satisfaisait aux conditions d'admissibilité à titre de répondante. Au cours des deux semaines qui ont suivi, elle était censée recevoir une trousse de demande qu'elle devait ensuite envoyer à Errick aux Philippines. Errick devait remplir les formulaires et les transmettre au bureau des visas. La lettre portait également ce qui suit : [TRADUCTION] « [V]os parents ont deux ans à compter de la date de la présente lettre pour transmettre leur demande dûment remplie au bureau des visas » .


[10]            La lettre du 17 avril 2002 de CIC n'était empreinte d'aucun sentiment d'urgence. Si la demande avait été traitée avant le 28 juin 2002, Errick se trouverait au Canada aujourd'hui, en supposant qu'il remplisse les autres conditions et notamment celles relatives à son état de santé. Mais le 28 juin 2002, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) qui avait reçu la sanction royale en novembre 2001, est entrée en vigueur, en même temps que son nouveau règlement d'application. À l'instar de l'ancien, le nouveau règlement reconnaissait aux citoyens canadiens et aux résidents permanents la faculté de parrainer des membres de leur famille, y compris leur conjoint. L'alinéa 117(9)d) était cependant tout à fait nouveau. Il excluait certains membres de la famille. En voici le texte :

117.(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[...]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier et n'a pas fait l'objet d'un contrôle.

117.(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

...

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[11]            Le 29 janvier 2003, le premier secrétaire à l'Immigration de l'ambassade du Canada à Manille a écrit à Cleotilde et Errick. La lettre adressée à Errick portait ce qui suit :

[TRADUCTION] Vous avez épousé votre répondante Cleotilde dela Fuente le 12 octobre 1992. Elle a obtenu le droit d'établissement au Canada le 23 octobre 1992. Il n'y a rien dans sa fiche d'établissement qui indique qu'elle avait informé l'agent de son changement d'état matrimonial. Vous n'avez pas fait l'objet d'un contrôle par notre bureau en même temps que la demande présentée par votre répondante en vue d'obtenir un visa de résident permanent. Aux termes de l'alinéa 117(9)d) du Règlement, vous n'êtes pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial relativement à votre répondante. J'en conclus donc que vous n'appartenez pas à la catégorie du regroupement familial.


[12]            Cleotilde a interjeté appel devant la Section d'appel de l'immigration, laquelle a confirmé le refus de la demande parrainée. Le tribunal a admis l'argument de Cleotilde suivant lequel la date déterminante de sa demande était le 30 janvier 2002, avant l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi et du nouveau Règlement. Après avoir signalé que le changement de situation de famille de Cleotilde entre le moment où le visa avait été délivré et la date à laquelle elle avait obtenu le droit d'établissement « aurait bien pu influer sur sa propre admissibilité dans la catégorie privilégiée du regroupement familial, puisqu'elle a présenté sa demande en qualité de personne à charge accompagnant sa mère » , la non-divulgation de ces faits avait empêché les autorités de se demander si elles devaient ou non faire subir un contrôle à Errick. L'attribution administrative d'une « date déterminante » était sans effet parce que l'article 190 de la Loi dispose :

La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

[13]            Le tribunal s'est également fondé sur la décision alors récente rendue par le juge Kelen dans la décision De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), maintenant publiée à [2005] 2 R.C.F. 162.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]       Les faits soulèvent deux questions fondamentales.

1.         La demande de parrainage aurait-elle dû être traitée sous le régime de l'ancienne Loi et de l'ancien Règlement?

2.         Dans la négative, Errick dela Fuente est-il exclu du parrainage aux termes de l'alinéa 117(9)d) du Règlement?


ANALYSE

[15]       J'en suis arrivé à la conclusion, non sans quelque hésitation, que la demande aurait dû être traitée sous le régime de l'ancienne Loi et de l'ancien Règlement. J'estime par ailleurs que l'alinéa 117(9)d) n'exclut pas la relation des conjoints parce qu'à l'époque où la demande de résidence permanente de Cleotilde a été faite, Errick n'était pas un membre de la famille. Il n'était que son fiancé. La raison pour laquelle j'ai hésité à tirer cette conclusion tient au fait qu'elle ne va pas dans le sens de certaines décisions d'autres juges de la Cour sur l'applicabilité de la nouvelle Loi et du nouveau Règlement et sur le sens de l'alinéa 117(9)d) du Règlement.

[16]            Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer pourquoi l'ancienne Loi et l'ancien Règlement devraient s'appliquer. Ainsi, on a formulé des observations au sujet des droits acquis et de l'effet rétroactif de la loi. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que je tire une conclusion définitive sur la question, n'eut-été les résultats de l'entrevue que Mme dela Fuente a eue avec CIC et la lettre du 17 avril 2002 du CIC, j'aurais conclu que la nouvelle Loi et le Règlement s'appliquaient parce que le 28 juin 2002, date d'entrée en vigueur de la nouvelle Loi, sa demande de parrainage avait déjà été présentée ou était instruite.


[17]            Normalement, le seul droit qu'aurait Mme dela Fuente serait celui de faire examiner sa demande de parrainage selon les règles en vigueur au moment de l'examen de sa demande (McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 177 (QL) (le juge MacKay), et Griffiths c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 971 (le juge Noël)).

[18]            Je donne gain de cause à Mme dela Fuente sur le moyen plus étroit des attentes légitimes, lesquelles constituent un aspect de l'équité procédurale. Bien qu'on ne puisse reprocher de délai excessif au ministre, comme c'était le cas dans la décision Alvero-Rautert c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 3 C.F. 163; (1988), 18 F.T.R. 50, j'estime que, comme d'une part, on lui a dit, en avril 2002, que son mari avait deux ans pour remplir les formules et que, d'autre part, on ne lui a pas précisé pas que celui-ci risquait de tomber dans une catégorie de personnes exclues dans deux mois et demi, Mme dela Fuente pouvait légitimement supposer que l'ancienne Loi et l'ancien Règlement s'appliqueraient. Sinon, on aurait pu faire et on aurait effectivement fait l'impossible pour remplir toutes les formalités avant l'expiration de ce délai de deux mois et demi.

[19]            Le principe des attentes légitimes fait partie de l'équité procédurale. Ainsi que le juge Binnie l'explique dans l'arrêt Centre hospitalier Mont Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, au paragraphe 35 :


En confirmant que la théorie de l'expectative légitime est restreinte à la réparation procédurale, il faut reconnaître qu'il est parfois difficile de différencier ce qui est de nature procédurale et ce qui est de nature substantielle. Par exemple, dans Bendahmane c. Canada, précité, les juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale ont considéré comme étant de nature procédurale la demande présentée par le requérant en vue de bénéficier d'un programme de réduction de l'arriéré des revendications du statut de réfugié (p. 33), alors que le juge dissident estimait que la réparation demandée était de nature substantielle (p. 25). Une décision tout aussi serrée a été rendue dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang au Canada), [1996] 3 C.F. 259 (1re inst.). L'insistance trop grande sur une qualification et une catégorisation formelles des pouvoirs aux dépens d'une application souple des principes généraux peut être nuisible en l'espèce. Il vaut mieux poser la question sous l'angle du principe sous-jacent mentionné précédemment, à savoir que l'établissement des politiques générales d'intérêt public relève d'abord et avant tout du ministre et non pas des tribunaux.

[20]            Dans l'arrêt Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 16, cité dans l'arrêt Mont Sinaï, le juge Hugessen évoque l'arrêt Attorney General of Hong Kong c. Ng Yuen Shiu, [1983] 2 A.C. 629, du Conseil privé, dans lequel lord Fraser of Tullybelton dit à la page 638 :

[TRADUCTION] [...] lorsqu'une autorité publique a promis de suivre une certaine procédure, l'intérêt d'une bonne administration exige qu'elle agisse équitablement et accomplisse sa promesse, pourvu que cet accomplissement n'empêche pas l'exercice de ses fonctions prévues par la loi. [...]

[21]            À mon avis, l'article 190 de la LIPR, qui est un article transitoire, ne s'applique pas, parce que la demande ne devait être présentée ou instruite immédiatement avant l'entrée en vigueur de la Loi. Elle aurait dû avoir déjà été traitée à ce moment-là.

[22]            L'équité exige l'uniformité. Dans l'arrêt Congrégation des témoins de Jéhovah de Saint-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, la juge en chef McLachlin dit, au paragraphe 10 :


10. Le quatrième facteur - les attentes légitimes de la Congrégation - milite aussi en faveur de protections procédurales accrues. Lorsqu'une conduite antérieure crée chez le demandeur une attente légitime selon laquelle une certaine procédure sera automatiquement suivie, l'équité peut exiger que l'on s'y conforme : Baker [c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par.26; voir aussi Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.); Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1615 (QL) (1re inst.); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 98 F.T.R. 36. [...]

LA NATURE DE LA DEMANDE

[23]       Il ne faut pas perdre de vue que, lorsque Mme dela Fuente a soumis sa demande de résidence permanente, elle était célibataire. Lorsqu'elle a reçu son visa, elle était encore célibataire. Si elle avait obtenu le droit d'établissement au Canada entre la date à laquelle son visa a été délivré (le 26 août 1992) et le 11 octobre 1992, elle aurait été célibataire. Toutefois, le 23 octobre 1992, le jour où elle a effectivement obtenu le droit d'établissement, elle était mariée.

[24]            Il faut examiner attentivement le libellé exact de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. Mme dela Fuente a « fait une demande » (en anglais, « made an application » ). Que faut-il entendre par là? Suivant le Canadian Oxford Dictionary, le verbe anglais « to apply » signifie : [TRADUCTION] « demander officiellement quelque chose, par exemple postuler un emploi » .

[25]            En donnant aux mots leur sens courant, j'aurais cru que Mme dela Fuente avait fait sa demande lorsqu'elle l'a envoyée à l'ambassade du Canada. J'aurais pensé, à tout le moins, que le processus de traitement de sa demande était terminé lorsque son visa lui a été délivré. Par conséquent, « à l'époque où cette demande a été faite » , Errick n'était pas un membre de la famille de la répondante n'accompagnant pas cette dernière. Il n'était pas un membre de la famille purement et simplement. En conséquence, l'alinéa 117(9)d) ne l'exclut pas.

[26]            Le ministre m'exhorte toutefois à adopter une interprétation différente. Il soutient en fait que le processus de traitement de la demande ne s'est terminé que lorsque Mme dela Fuente a obtenu le droit d'établissement. À l'époque, l'existence d'Errick n'avait pas encore été déclarée. Il était un membre de la famille de la répondante n'accompagnant pas cette dernière et il était donc exclu, par application du Règlement.

[27]            Il y a lieu d'établir une distinction entre la présente espèce et la décision De Guzman, précitée. Mme De Guzman avait présenté une demande de résidence permanente en tant que fille célibataire de sa mère, qui était sa répondante. En réalité, au moment de sa demande, elle était mariée et elle avait des enfants. Les enfants en question étaient clairement exclus par application de l'alinéa 117(9)d). L'arrêt Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 678; [2005] A.C.S. no 852 (QL), et la décision Florez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 854; [2005] A.C.F. no 1073 (QL), vont dans le même sens.

[28]            Je passe maintenant à la décision Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 510; [2005] A.C.F. no 686 (QL). M. Dave s'était marié entre le moment où il avait présenté sa demande de résidence permanente et celui où son visa lui avait été délivré. Il est par la suite devenu un résident permanent et a tenté de parrainer sa femme. L'agent des visas et la Section d'appel de l'immigration ont jugé que l'alinéa 117(9)d) le rendait irrecevable à parrainer sa femme. La juge Layden-Stevenson a déclaré :


[TRADUCTION] 12. [...] L' « époque où cette demande a été faite » englobe la période qui commence par la présentation de la demande et se poursuit jusqu'au moment où la résidence permanente est accordée. S'il en était autrement, tout demandeur pourrait aisément contourner les dispositions de la loi en remplissant et en déposant sa demande avant de se marier.

[29]            Bien que l'on estime habituellement que le principe du stare decisis oblige le juge de première instance à se conformer aux décisions de la Cour d'appel et de la Cour suprême, comme la raison d'être de la publicité des décisions est d'assurer la certitude et la prévisibilité du droit, il est préférable que le juge se range à ce qu'un autre juge de la même juridiction a déjà décidé. Néanmoins, aucun juge n'est tenu de suivre une décision dont le raisonnement n'emporte pas son adhésion. Malgré le fait que le principe du stare decisis était probablement plus ancré en 1947 qu'il ne l'est aujourd'hui, je trouve particulièrement éclairants les propos suivants qu'a tenus le juge en chef, lord Goddard, dans l'arrêt Police Authority for Huddersfield c. Watson, [1947] 1 K.B. 842, à la page 847 :

[TRADUCTION] Je pense que selon la pratique contemporaine et la conception contemporaine de la question, c'est par déférence confraternelle qu'un juge de première instance se conforme toujours à la décision d'un autre juge de première instance, à moins qu'il ne soit convaincu que cette décision est erronée. Il n'est certainement pas tenu de se conformer à la décision d'un juge de même rang. Il n'est tenu de suivre que les décisions qui ont force jurisprudentielle à son égard, c'est-à-dire, s'il est juge de première instance, celles qui émanent de la Cour d'appel, de la Chambre des lords et de la Cour divisionnaire.


[30]            Je ne suis pas d'accord pour dire que, si on donne leur sens courant aux mots « époque de la demande » , tout demandeur pourrait contourner le Règlement en se mariant après avant soumis sa demande. La réponse réside dans la fiche d'établissement. Mme dela Fuente aurait pu être renvoyée du Canada en vertu de l'ancienne Loi pour fausses déclarations. Dans le même ordre d'idées, l'article 40 de la LIPR interdit de territoire pour fausses déclarations le résident permanent ou l'étranger qui a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent ou qui a été parrainé par un répondant dont il a été statué qu'il était interdit de territoire pour fausses déclarations. Le « préjudice » aurait pu être évité en ne pardonnant pas à Mme dela Fuente. Elle aurait pu être renvoyée, tout comme son mari en tant que personne parrainée par une répondante dont il a été statué qu'elle était interdite de territoire.

[31]            On devrait par ailleurs concilier, dans la mesure du possible, les versions anglaises et française du Règlement. Le texte français dit bien qu'il vise le cas _ où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet [...] » . La demande visant à devenir un résident permanent et le statut de celui qui a obtenu la résidence permanente lors de son établissement sont des questions bien distinctes.

[32]            Pour ces motifs, la demande sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

LA QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[33]       Compte tenu de mon interprétation de l'alinéa 117(9)d), il n'est ni nécessaire ni approprié que je propose mon avis sur la constitutionnalité de cette disposition ou, plus particulièrement, sur la question de savoir si elle viole la Charte. Il vaut toutefois la peine de signaler que, dans la décision De Guzman, précitée, le juge Kelen a certifié la question suivante :


L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés est-il invalide ou inopérant du fait qu'il est inconstitutionnel étant donné qu'il prive la demanderesse de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne d'une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l'article 7 de la Charte?

La Cour d'appel fédérale est présentement saisie de cette affaire.

[34]            Le ministre a jusqu'au 8 août 2005 pour proposer des questions à certifier dans la présente affaire et Mme dela Fuente a jusqu'au 17 août 2005 pour répondre. La Cour rendra une ordonnance par la suite.

                                                                              _ Sean Harrington _              

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 15 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   IMM-78-05

INTITULÉ :                                  CLEOTILDE DELA FUENTE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :            WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 5 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                 LE 15 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

David Matas                                    POUR LA DEMANDERESSE

Aliyah Rahaman                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                    POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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