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Date : 20050927

Dossier : IMM-2177-05

Référence : 2005 CF 1319

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

MANINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite, en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 14 mars 2005, par laquelle elle a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, notions définies dans les articles 96 et 97 de la Loi.

LES FAITS

[2]                Le demandeur, de nationalité indienne, était directeur commercial en Inde dans une société d'équipements électroniques. Son travail l'obligeait à se déplacer souvent et le demandeur affirme que, le 5 mai 2004, au cours de l'un de ses voyages d'affaires, il a fait monter deux hommes qui marchaient sur le bas-côté de la route. Peu avant d'arriver à un point de passage de la frontière, les deux hommes sont subitement sortis du véhicule et se sont réfugiés dans les buissons. Les gardes-frontière, qui avaient vu la scène, ont fait signe au demandeur de stopper son véhicule et ont fouillé celui-ci.

[3]                Ils ont trouvé un sac contenant des armes, qui, selon le demandeur, appartenait aux hommes qui avaient sauté de sa voiture. Ne le croyant pas, les policiers l'ont gardé en détention et l'ont torturé pendant deux jours. Le 8 mai 2004, moyennant une somme d'argent versée par le conseil municipal et par sa famille, le demandeur était libéré à la condition qu'il se présente au poste le 10 juin 2004, muni de renseignements complets sur les deux hommes qui étaient sortis de son véhicule, à défaut de quoi il serait éliminé.

[4]                Après avoir été soigné pour ses blessures, le demandeur a pris la décision de quitter l'Inde. Le 24 juillet 2004, avec l'aide d'un agent et un faux passeport, le demandeur quittait l'Inde et arrivait au Canada le même jour.

La question en litige

[5]                La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a évalué la preuve transmise après l'audience et décidé de manière générale que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Inde?

L'ANALYSE

[6]                Il est clairement établi que, pour les questions de fait, la norme de contrôle applicable à l'évaluation par la Commission de l'existence d'une PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable. (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.); Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 601, [2004] A.C.F. n ° 731; Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741; Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1217)

[7]                Le demandeur affirme, par conséquent, que le silence de la Commission quant à la pièce P-11 rend sa décision manifestement déraisonnable. Cependant, dans l'arrêt Florea c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 598, la Cour d'appel fédérale avait jugé, au paragraphe 1, que la Commission n'était pas tenue de faire état de chacun des éléments de preuve dont elle était saisie :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[8]                Je dois donc me demander si les conclusions de la Commission sont autorisées par la preuve dont elle était saisie, notamment les documents qui lui ont été présentés après l'audience. Le demandeur dit que les nouveaux documents prouvent qu'il risque la persécution quel que soit l'endroit où il déciderait de s'installer en Inde, mais, après lecture du document tout entier, je suis d'avis que de nombreux extraits contredisent son affirmation :

[traduction]

[...] Plusieurs disent cependant que la liste des militants recherchés se limite maintenant à des individus très en vue. [...]

Plusieurs observateurs affirment pourtant que, même si la police du Penjab s'applique peut-être à poursuivre les Sikhs partout en Inde dès lors qu'elle les considère comme des militants réfractaires, en pratique seule une poignée de militants sont susceptibles d'être l'objet de mesures aussi radicales. Tout en soulignant que les Sikhs qui figurent sur les listes de la police en raison de leur rôle passé au sein de groupes armés peuvent être menacés même s'ils ne sont pas présentement actifs, l'avocat indien spécialiste des droits de l'homme disait dans son courrier électronique de mai 2003 adressé au RIC que : « le nombre de personnes qui figurent sur de telles listes est en réalité très petit et je ne crois pas que les organismes policiers et offices de renseignement aient ces dernières années ajouté beaucoup de noms » (avocat indien spécialiste des droits de l'homme, 4 mai 2003).

Un spécialiste de l'Asie du Sud, qui travaille au Bureau du renseignement et de la recherche du Département d'État des États-Unis, a affirmé qu'il est improbable que la police du Penjab poursuive actuellement de nombreux Sikhs pour de supposées activités radicales, étant donné que l'insurrection dans cette région a été écrasée au début des années 1990 (INR. DU DÉPARTEMENT D'ÉTAT DES ÉTATS-UNIS, 25 avril 2003).

Invité à préciser davantage quels Sikhs courent le plus de risque d'être persécutés, plusieurs spécialistes ont donné à entendre que seuls ceux que la police considère comme des militants très en vue courent un risque.

(Voir les pages 20 et suivantes du dossier du demandeur - Rapport des Services de Citoyenneté et d'Immigration des États-Unis sur l'Inde, en date du 16 mai 2003.)

[9]                Je n'ai énuméré que quelques-unes des nombreuses références aux ressortissants indiens qui sont en mesure de se déplacer librement sans crainte d'être persécutés. Par conséquent, bien que le demandeur affirme que le rapport après l'audience contredit le rapport du Royaume-Uni qui était cité par la Commission, il est également tout à fait évident que le document produit confirme lui aussi le document susmentionné.

[10]            Par ailleurs, puisque le demandeur ne fait pas officiellement l'objet de poursuites et puisqu'il a reconnu qu'il n'était pas une personne très en vue, il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de dire que le demandeur disposait d'une PRI en Inde.

[11]            Quant à l'argument du demandeur selon lequel la Commission aurait dû accorder plus de poids au document P-10 (la lettre d'un avocat de l'Inde attestant que le nom du demandeur figurait sur une liste de sympathisants actifs suspects), je ferais remarquer d'abord que seule la Commission est habilitée à décider du poids qui sera accordé à la preuve (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 946 (C.A.F.)) et ensuite que la Commission peut préférer un élément de preuve à un autre dans la mesure où sa décision rend compte de son raisonnement (Dudar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1733, au paragraphe 30). En l'espèce, la Commission s'est exprimée ainsi :

[traduction]

Le tribunal n'accorde aucune valeur probante à la pièce P-10, qu'il estime être une preuve intéressée. À l'inverse, il reconnaît une force probante à une preuve internationale respectée et bien documentée comme le « UK Country Assessment » , qui contredit la pièce P-10.

(Voir la page 3 de la décision de la Commission datée du 14 mars 2005.)

[12]            Pour tous les motifs susmentionnés, je suis d'avis que la Commission a convenablement évalué la preuve dont elle était saisie et qu'elle n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable dans la manière dont elle a évalué cette preuve. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.       Aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2177-05

INTITULÉ :                                        MANINDER SINGH c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 21 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       le 27 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Jeffrey Nadler

POUR LE DEMANDEUR

Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Nadler

4141, rue Sherbrooke ouest, bureau 650

Westmount (Québec) H3Z 1B8

POUR LE DEMANDEUR

Thi My Dung Tran

Ministère de la Justice

Bureau régional de Montréal

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque ouest

Tour est, 9e étage

Montréal (Québec) H2Z 1X4

POUR LE DÉFENDEUR

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