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Date : 20210525


Dossier : IMM‑7836‑19

Référence : 2021 CF 476

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2021

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

SHIVA SINAEI

PEYMAN MOHAMMADNIA

PARIYA MOHAMMADNIA

PARHAM MOHAMMADNIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(prononcés oralement à l’audience tenue par téléconférence

à Ottawa (Ontario), le 7 mai 2021)

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 27 novembre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], a débouté les demandeurs de leur appel formé contre la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la même Commission, qui avait rejeté leur demande d’asile.

[2] Les demandeurs, un homme, son épouse [la demanderesse principale] et leurs deux enfants, sont tous citoyens de l’Iran. Ils craignent d’y être persécutés parce qu’ils se sont convertis au christianisme dans ce pays. La SAR a rejeté leur appel pour des motifs de crédibilité, jugeant que la preuve n’était pas suffisante pour conclure que la demanderesse principale s’était véritablement convertie au christianisme.

[3] Dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de demande d’asile [l’exposé circonstancié], la demanderesse principale prétend qu’elle s’est convertie au christianisme à la fin de 2015 avec l’aide de deux amies [les amies]. Celles‑ci l’auraient incitée à participer avec elles à des réunions clandestines organisées une ou deux fois par mois dans des maisons‑églises. La demanderesse principale a finalement révélé cette participation à son mari qui a accepté de fréquenter l’église avec elle. Les demandeurs ont décidé de fuir l’Iran après que les autorités se soient mises à débusquer les fidèles des maisons‑églises. Ils sont arrivés au Canada le 16 octobre 2018 et ont présenté leur demande d’asile en janvier 2019.

I. La décision de la SAR

[4] Les demandeurs ont présenté comme nouvelle preuve une lettre de leur pasteur et des photographies qui les représentent dans leur église. La SAR a accepté en preuve les photographies, mais a rejeté la lettre du pasteur, parce qu’elle ne traitait pas d’événements postérieurs à la décision de la SPR et parce que son contenu était identique à celui d’une version précédente à laquelle on avait uniquement substitué la date.

[5] La commissaire de la SAR a confirmé la conclusion défavorable sur la crédibilité faite par la SPR et issue du vide explicatif présent dans l’exposé circonstancié de la demanderesse principale concernant sa conversion religieuse. Celle‑ci a écrit dans son exposé qu’elle [traduction] « ét[ait] attirée par le christianisme » et qu’elle n’avait jamais cru en l’islam ou dans la manière dont le régime iranien l’appliquait. Pourtant, elle a témoigné devant la SPR qu’elle s’était convertie parce qu’elle était stressée et déprimée au sujet du traitement réservé aux femmes dans son pays. Elle réprouvait plus particulièrement l’obligation du port du hijab et l’interdiction de mettre du vernis à ongles.

[6] La commissaire de la SAR a considéré que l’omission de la demanderesse principale de mentionner dans son exposé son stress et sa dépression liés aux questions de genre constituait une lacune grave qui n’avait pas été bien expliquée. Interrogée à cet égard lors de l’audience, la demanderesse principale a fait valoir qu’elle avait oublié de l’indiquer et que son exposé circonstancié n’était qu’un résumé.

[7] La commissaire de la SAR a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse principale ne s’était pas convertie au christianisme en Iran. Cette conclusion découlait en grande partie de son incapacité à détailler les mesures de sécurité présentes dans la maison‑église. Interrogée sur ce qu’elle aurait fait si elle avait été surprise par les autorités, la demanderesse principale a affirmé qu’elle « s’en remettait simplement à Dieu ».

[8] La commissaire de la SAR a jugé que cette explication n’était pas crédible étant donné le consensus clair dans la preuve documentaire sur l’existence de mesures de sécurité strictes dans les maisons‑églises et vu que la demanderesse principale avait fréquenté une telle institution pendant trois ans.

[9] La commissaire de la SAR a relevé que la facilité avec laquelle la demanderesse principale, puis son mari, se sont joints à l’église ne correspondait pas à la preuve relative aux conditions dans le pays. La commissaire a aussi noté qu’il n’existait pas de preuve corroborante de la part des amies, qui aurait pu jeter de la lumière sur des questions importantes, comme la manière de se joindre à l’église, les mesures de sécurité de celle‑ci et les raisons qui ont poussé la demanderesse principale à se convertir.

[10] Non seulement la commissaire de la SAR a considéré que la lettre du pasteur d’une église canadienne avait une faible valeur probante, mais encore elle a estimé que les demandeurs n’avaient participé aux activités de cette église que pour favoriser leur demande d’asile.

[11] La commissaire de la SAR a reconnu que les demandeurs s’étaient joints à une église au Canada et que leurs familles et amis avaient connaissance de leur baptême. Or, selon la commissaire, rien ne démontrait que l’un de leurs amis ou de leurs proches irait rapporter leurs activités aux autorités iraniennes. En outre, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve qui démontre que les autorités iraniennes connaissaient ou seraient à même de connaître leur conversion en Iran. À la lumière de ce qui précède, la demande d’asile sur place a été rejetée.

II. Les questions en litige

[12] Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions, mais je vais me pencher uniquement sur celles qui sont déterminantes en l’espèce.

[13] La première question porte sur la nature du témoignage de la demanderesse principale devant la SPR sur les motifs de son changement de religion. Il s’agit de savoir si son témoignage constitue une nouvelle preuve qui était absente de son exposé circonstancié ou s’il correspond plutôt à des précisions au sujet de l’information qui se trouve déjà dans l’exposé.

[14] La preuve tirée de son exposé et de son témoignage est décrite plus haut au paragraphe 5. À mon avis, le témoignage formait une nouvelle preuve puisque l’exposé ne faisait pas état du stress qu’éprouvait la demanderesse principale et qu’il n’était pas axé sur les problèmes propres aux femmes iraniennes vivant sous le régime islamique. Étant donné l’absence de cette information dans l’exposé circonstancié, il était loisible à la commissaire de la SAR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[15] La deuxième question consiste à savoir s’il était raisonnable pour la commissaire de la SAR de conclure que la demanderesse principale ne s’était pas convertie au christianisme en Iran parce qu’après avoir fréquenté la congrégation pendant trois ans, elle n’était pas en mesure de décrire les règles de sécurité de son église et a témoigné succinctement qu’en cas de descente des autorités, elle s’en « remettait […] à Dieu ». De plus, questionnée sur le risque que les autorités découvrent la présence des bibles, elle a affirmé qu’elle transportait des ouvrages de poésie, mais n’a offert aucune preuve de la manière dont ils seraient utilisés en cas de descente. Selon moi, la commissaire de la SAR a raisonnablement déterminé que la conversion en Iran n’avait pas eu lieu puisque la demanderesse principale n’était pas en mesure de décrire les règles établies pour protéger l’église et sa congrégation.

[16] La troisième question est celle de savoir s’il était raisonnable pour la SAR de décider que les demandeurs ne s’étaient pas convertis au christianisme parce qu’ils n’avaient pas réussi à fournir une preuve provenant des amies de la demanderesse principale. La preuve présentée à la SPR démontrait que la demanderesse principale était toujours en contact avec ses amies. Interrogée sur cette absence de preuve, celle‑ci a déclaré que[traduction] : « [les demandeurs] n’ét[aient] pas tenus [d’en produire une] ». Son mari a ajouté qu’étant donné que les amies n’étaient pas des dirigeantes ecclésiastiques, elles n’étaient pas en mesure de fournir de certificat.

[17] À mon avis, la preuve que les amies auraient pu fournir était capitale parce qu’elle aurait permis de jeter de la lumière sur plusieurs questions fondamentales. Ainsi, il aurait été possible de prouver la conversion des demandeurs ainsi que de déterminer les motifs qui ont poussé la demanderesse principale à quitter l’islam. On aurait pu également savoir si les demandeurs devaient faire l’objet d’une vérification avant d’être admis au sein de la congrégation et s’il y avait des mesures de sécurité lors des offices.

[18] Les demandeurs sont des personnes averties qui ont retenu les services d’un avocat. Ainsi, il était raisonnable pour la commissaire de la SAR de décider, en l’absence de preuve fournie par les amies, que les demandeurs ne s’étaient pas convertis au christianisme en Iran.

[19] À mon avis, l’incapacité de la demanderesse principale d’indiquer dans son exposé les motifs de sa conversion, sa connaissance lacunaire des mesures de sécurité présentes dans la maison‑église et l’absence de preuve corroborante fournie par les amies suffisaient en soi pour appuyer la conclusion de la SAR voulant que ni la demanderesse principale ni son mari ne se soient convertis en Iran.

[20] La dernière question porte sur la demande d’asile sur place. Étant donné que les demandeurs n’étaient pas des personnes qui s’étaient converties au christianisme, il a été conclu, à juste titre, que leur fréquentation de l’église canadienne constituait une tentative de favoriser leur demande. Puisqu’ils n’étaient pas des chrétiens, ils ne se joindraient pas à une église advenant un retour en Iran et ne couraient donc pas le risque d’y être persécutés. En outre, il n’y avait pas de preuve que les autorités iraniennes considéraient les demandeurs comme des chrétiens. Ils n’étaient pas poursuivis lors de leur départ d’Iran et leur maison‑église demeurait clandestine.

[21] Enfin, il n’y a aucune raison de croire que la fréquentation de l’église par les demandeurs et leur baptême au Canada pourraient être portés à la connaissance des autorités iraniennes.

[22] Pour tous ces motifs, j’ai décidé que le rejet de la demande sur place était raisonnable.

III. Question à certifier

[23] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7836‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7836‑19

 

INTITULÉ :

SHIVA SINAEI et al. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE au moyen de ZOOM LE 6 MAI 2021 ET PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 7 MAI 2021

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 6 ET 7 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan

POUR LES DEMANDEURS

 

Lucan Gregory

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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