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Date : 20210520


Dossier : IMM-6014-19

Référence : 2021 CF 474

[traduction française]

 

Toronto (Ontario), le 20 mai 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

SALONI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse est une citoyenne de l’Inde qui est entrée au Canada grâce à un permis d’études. Son permis a expiré peu après qu’elle eut terminé ses études. Elle a demandé un permis de travail postdiplôme (PTPD) pour acquérir de l’expérience sur le marché du travail canadien, mais sa demande a été refusée.

[2] La demanderesse a présenté une seconde demande peu après, cette fois pour le rétablissement de son permis d’études et pour un PTPD. Un agent de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté sa demande dans une décision en date du 4 juin 2019.

[3] La demanderesse demande à la Cour d’annuler cette décision. Elle soutient que le jour où elle a présenté la seconde demande (le 14 février 2019), de nouvelles instructions sur l’exécution des programmes sont entrées en vigueur pour la délivrance des PTPD à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), qui administre le Programme du permis de travail postdiplôme (le PPTPD). Elle a prétendu que l’agent avait appliqué les anciennes instructions à sa demande au lieu des nouvelles instructions. De plus, elle a soutenu que l’agent aurait dû lui offrir une possibilité de présenter des observations ou des éléments de preuve supplémentaires.

[4] Pour les motifs qui sont énoncés ci‑après, je conclus que l’agent n’a pas appliqué les nouvelles instructions de façon déraisonnable et qu’il n’était pas tenu d’offrir à la demanderesse une autre possibilité de produire des éléments de preuve supplémentaires ou de formuler de nouvelles observations. La demande est par conséquent rejetée.

I. Événements à l’origine de la présente demande

[5] Des éléments supplémentaires sont nécessaires pour comprendre la présente demande.

[6] La demanderesse est arrivée au Canada le 17 mai 2017. Elle détenait un permis d’études, qui était valide jusqu’au 30 septembre 2018. Elle a étudié au Collège Canadore, en Ontario, qui est un établissement d’enseignement désigné au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elle a terminé avec succès deux programmes d’études différents en gestion des affaires et en services financiers. Elle a mené à bien son premier programme en décembre 2017 et le second, en août 2018, avant l’expiration de son permis d’études.

[7] La demanderesse a reçu ses relevés de notes du Collège Canadore à la fin d’octobre 2018. Elle a présenté une demande de PTPD le 2 novembre 2018, accompagnée de ses relevés de notes pour prouver qu’elle avait obtenu son diplôme de l’établissement d’enseignement désigné. La demande a été rejetée dans une lettre datée du 21 janvier 2019 parce que le permis d’études de la demanderesse avait déjà expiré. Selon les anciennes instructions appliquées par IRCC, qui étaient alors en vigueur, le demandeur devait présenter sa demande de permis de travail postdiplôme avant l’expiration de son permis d’études.

[8] Je ferai observer au passage qu’à l’audience, une question factuelle a été soulevée quant à savoir si la demande présentée par la demanderesse le 2 novembre 2019 comportait à la fois une demande de PTPD et une demande de rétablissement ou de prolongation de son permis d’études qui avait expiré le 30 septembre 2019. Cependant, il n’y avait pas de demande de rétablissement ou de prolongation du permis d’études expiré dans le dossier certifié du tribunal. La lettre de réponse d’IRCC en date du 21 janvier 2019 ne mentionnait qu’une [traduction] « demande de permis de travail ». L’affidavit que la demanderesse a produit à l’appui de sa demande d’autorisation au titre de l’article 72 de la LIPR ne renvoyait qu’à une demande de permis de travail présentée le 2 novembre 2019, tout comme les observations écrites que la demanderesse a présentées à la Cour. Par conséquent, selon les éléments de preuve dont disposait la Cour, la demande présentée le 2 novembre 2019 concernait un PTPD et ne comportait pas une demande de rétablissement du permis de travail.

[9] Pour en revenir à la chronologie des événements, après que la demanderesse a reçu la lettre en date du 21 janvier 2019 rejetant sa demande de PTPD, elle a présenté une seconde demande. La seconde demande comportait une demande de rétablissement de son permis d’études et une demande de PTPD. Elle a été présentée le 14 février 2019.

[10] Ces demandes ont aussi été rejetées, dans une lettre datée du 4 juin 2019. La lettre était ainsi libellée :

[traduction]

[X] Les dispositions législatives sur l’immigration exigent que les ressortissants étrangers qui désirent rester plus longtemps au Canada présentent une demande de prolongation de leur statut de résident temporaire au plus tard à la date d’expiration de la période autorisée. Votre statut de résident temporaire au Canada a expiré le 30 septembre 2018, et votre demande a été reçue le 14 février 2019.

[X] Les étudiants étrangers au Canada sont admissibles à recevoir un permis de travail après l’obtention d’un diplôme s’ils présentent une demande lorsqu’ils sont encore titulaires d’un permis d’études valide. Étant donné que votre permis d’études a expiré le 30 septembre 2018, il a été établi que vous n’êtes pas admissible à un permis de travail dans cette catégorie.

[X] Vous êtes au Canada sans le statut de résident temporaire et vous n’êtes pas admissible au rétablissement de ce statut aux termes de l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002‑227 (le RIPR)].

[11] L’agent a conclu la lettre en affirmant que la demanderesse se trouvait au Canada sans statut juridique et qu’elle devait quitter le pays immédiatement.

[12] Les notes de l’agent consignées dans le SMGC étaient ainsi libellées :

[traduction]

DEMANDE REJETÉE – La cliente était en situation régulière avec un permis de travail jusqu’au 30 septembre 2018. Elle avait 90 jours pour demander le rétablissement de son statut, soit jusqu’au 29 décembre 2018. Elle a demandé une prolongation du permis d’études le 2 novembre 2018, demande qui a été reçue après l’expiration de son statut initial. La cliente a demandé ce permis d’études [c.‑à‑d. la seconde demande postdiplôme] après le délai de 90 jours et n’est plus admissible au rétablissement de son permis. Étant donné que sa demande de rétablissement est rejetée, sa demande de permis d’études l’est également. La cliente est au Canada sans statut juridique. Il lui a été recommandé de quitter le Canada.

[13] Comme il a été souligné, la demanderesse a présenté sa seconde demande le 14 février 2019. Ce jour‑là, de nouvelles instructions sur l’exécution des programmes (les instructions) sont entrées en vigueur pour le PPTPD. La demanderesse a soutenu que les nouvelles instructions éliminaient l’obligation pour les demandeurs d’être titulaires d’un permis d’études valide au moment de présenter leur demande de PTPD et faisaient passer de 90 à 180 jours (6 mois) le délai pour la présentation d’une demande de sorte que « [l]es étudiants disposent ainsi de plus de temps pour présenter leur demande de PTPD après avoir reçu de leur établissement leur confirmation d’obtention du diplôme ».

[14] La demanderesse a soutenu que, dans les 180 jours de la date à laquelle elle avait demandé un PTPD, elle devait soit [traduction] « être titulaire d’un permis d’études valide », soit [traduction] « avoir été titulaire d’un permis d’études » ou être autorisée à étudier au Canada sans être obligée d’obtenir un permis d’études au titre des alinéas 188(1)a) et b) du RIPR. Étant donné qu’elle était « titulaire d’un permis d’études » qui avait expiré le 30 septembre 2018 et qu’elle avait présenté sa demande dans les 180 jours de cette date, sa seconde demande de PTPD aurait dû être acceptée suivant les nouvelles instructions.

[15] Le défendeur n’est pas de cet avis. Il a soutenu que la demanderesse aurait pu obtenir la prolongation de son permis d’études si elle en avait fait la demande avant le 30 septembre 2018 au titre du paragraphe 183(5) du RIPR – mais elle ne l’a pas fait. De plus, la demanderesse aurait pu demander le rétablissement de son permis d’études dans les 90 jours de l’expiration de celui‑ci au titre de l’article 182 du RIPR – mais elle ne l’a pas fait. Le défendeur n’a pas contesté le fait que la demanderesse avait présenté sa demande de PTPD dans les délais selon les nouvelles instructions, mais a soutenu qu’elle n’était pas admissible au PTPD en vertu de ces nouvelles instructions parce qu’elle avait présenté sa demande du Canada sans avoir de statut juridique.


 

II. Principes juridiques

A. Norme de contrôle

[16] Les parties ont toutes les deux soutenu que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique aux questions de fond soulevées par la demanderesse. Je suis de cet avis. La norme de la décision raisonnable est décrite dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Il incombe à la demanderesse de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

[17] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse à la décision effectivement rendue par le décideur, y compris le processus décisionnel (c.‑à‑d. la justification de la décision) qui a mené à la décision et le résultat : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision est raisonnable lorsqu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[18] Pour les questions d’équité procédurale, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 [Canadien Pacifique], notamment aux para 49 et 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35. La Cour se demande si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : Canadien Pacifique, au para 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

B. Cadre juridique : les PTPD

[19] Le PPTPD est un mécanisme adopté par le ministre au titre de l’article 205 du RIPR. Cette disposition « confère au ministre le pouvoir d’accorder aux étrangers un accès limité au marché du travail au Canada pour des raisons d’intérêt public se rapportant à la compétitivité de l’économie et des établissements universitaires du Canada » : Osahor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666 (le juge Gleeson), au para 14; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 513 (le juge McHaffie), au para 8.

[20] Pour les demandeurs, le PPTPD « permet aux étudiants étrangers ayant obtenu un diplôme dans un établissement postsecondaire canadien participant d’acquérir une expérience de travail au Canada. L’expérience de travail qualifié au Canada acquise dans le cadre du programme aide ensuite les diplômés à obtenir la résidence permanente au Canada » : Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019 (la juge Mactavish), au para 1.

[21] Le RIPR ne prévoit pas de critères quant à la façon dont le PPTPD doit être administré. Il autorise plutôt le ministre à désigner le travail qui doit être effectué et à définir comment, ou selon quel fondement, l’accès limité au marché du travail canadien doit être fourni : Osahor, au para 14. Les critères pour la délivrance d’un PTPD sont énoncés dans les instructions sur l’exécution des programmes (les IEP‑PTPD), document interne d’IRCC qui est aussi accessible au public en ligne : Nookala, au para 12; Osahor, aux para 14 et 15; Kaur, au para 9.

[22] La Cour a statué qu’IRCC doit appliquer strictement les critères énoncés dans les IEP‑PTPD et que le ministère n’a pas le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour ne pas respecter ses conditions parce qu’elles définissent des critères obligatoires pour la délivrance d’un PTPD : voir la décision Kaur, au para 9 et les affaires qui y sont citées. Je relève que cela ne constitue pas une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire. Comme l’a souligné la juge Mactavish, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans la décision Nookala :

[11] Il y a entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsque le décideur traite des directives comme des dispositions impératives : voir, par exemple, Canadian Reformed Church of Cloverdale B.C. c. Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 1075, 2015 A.C.F. no 1089. Toutefois, la partie clé du document qui établit le permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme n’est pas une « directive », au sens donné à ce terme dans la jurisprudence […].

[12] Le document relatif au programme en cause en l’espèce établit les critères qu’un candidat doit satisfaire pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme. Même si ce document contient également de l’information et des directives sur la manière d’administrer le programme, rien dans ce document ne confère aux agents de l’immigration le pouvoir de modifier les critères d’admissibilité du programme. En conséquence, l’agent de l’immigration n’a nullement entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a déterminé que M. Nookala devait détenir un permis d’études valide pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme.

III. Analyse

[23] La demanderesse a soulevé plusieurs questions à examiner, que j’ai regroupées et que j’analyserai à tour de rôle.

A. L’agent a‑t‑il appliqué de façon déraisonnable les instructions sur le PTPD?

[24] La demanderesse a soulevé une série de questions quant à savoir si l’agent avait appliqué les mauvaises instructions, s’il avait mal interprété les instructions, ou s’il les avait mal appliquées eu égard aux faits. De plus, la demanderesse a soutenu qu’elle avait une attente légitime que les nouvelles instructions, qui ont été rendues publiques le 14 février 2019, seraient appliquées, attente que l’agent a frustrée en appliquant les anciennes instructions.

[25] J’estime que le régime législatif prévu par la LIPR et le RIPR et les nouvelles instructions constituaient des contraintes juridiques auxquelles l’agent était assujetti. La décision de l’agent doit donc être justifiée eu égard à ces contraintes : Vavilov, aux para 85, 90, 105, 106 et 111 à 114.

[26] Au sujet des contraintes factuelles, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a statué qu’une cour de révision peut intervenir seulement si elle a perdu confiance dans le caractère raisonnable de la décision parce que celle‑ci est « indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes […] factuelles » ou si le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » [non souligné dans l’original] »; Vavilov, aux para 101, 126 et 194.

[27] Je ne puis pas conclure que l’agent a mal compris ou a mal appliqué les nouvelles instructions ou qu’il s’est fondamentalement mépris sur la preuve. J’estime que l’agent a raisonnablement conclu que le permis d’études de la demanderesse était expiré et qu’il n’avait pas été prolongé ou rétabli. Je conviens avec les deux parties que la demanderesse a demandé un PTPD au titre des nouvelles instructions dans les délais. Toutefois, l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que la demanderesse n’était pas admissible à un PTPD au titre des nouvelles instructions parce qu’elle n’était pas titulaire d’un permis d’études valide le 14 février 2019. Je m’explique.

[28] Le permis d’études de la demanderesse a expiré le 30 septembre 2018. La demanderesse n’était pas autorisée à rester au Canada après cette date. Elle aurait pu demander la prolongation de son permis aux termes du paragraphe 181(1) du RIPR avant qu’il n’expire. Si elle l’avait demandé, la durée de son séjour autorisé au Canada aurait été prolongée jusqu’au moment de la décision (en cas de refus) ou jusqu’à l’expiration de la période de prolongation accordée : alinéas 183(5)a) et b) du RIPR. Toutefois, la demanderesse n’a jamais demandé de prolongation.

[29] À l’audience, la demanderesse a soutenu qu’elle avait cru comprendre qu’elle disposait de 90 jours pour demander une prolongation au titre du paragraphe 183(5) du RIPR après avoir reçu la lettre d’IRCC datée du 21 janvier 2019. Cet argument est sans fondement. Le paragraphe 183(5) ne s’applique que : « si le résident temporaire demande la prolongation de sa période de séjour et qu’il n’est pas statué sur la demande avant l’expiration de la période […] ». La demanderesse n’a pas demandé de prolongation ni présenté une quelconque demande avant le 30 septembre 2018.

[30] La demanderesse aurait pu demander le rétablissement de son statut d’étudiant au titre de l’article 182 du RIPR après le 30 septembre 2018. Le passage de la disposition qui s’applique prévoit que l’agent rétablit le statut de résident temporaire, sous réserve de certaines conditions, si l’étudiant en fait la demande dans les 90 jours suivant la perte de son statut de résident temporaire au titre des dispositions du RIPR qui s’appliquent. En l’espèce, la demanderesse a demandé le rétablissement de son statut, mais pas dans les 90 jours prévus. Elle a fait sa demande le 14 février 2019, soit plus de 90 jours après le 30 septembre 2018.

[31] Quel effet l’absence de permis d’études valide de la demanderesse a‑t‑elle eu sur sa demande de PTPD?

[32] Le défendeur a affirmé que la partie portant sur l’admissibilité dans les nouvelles instructions prévoyait que le demandeur devait être ou avoir été titulaire d’un permis d’études valide dans les 180 jours de la présentation de la demande. Il ne s’agit toutefois que de l’un des critères. Les nouvelles instructions prévoient aussi que, pour obtenir un PTPD, le demandeur doit avoir eu un statut de résident temporaire valide ou avoir quitté le Canada lorsqu’il a présenté sa demande. La demanderesse n’était pas admissible à un PTPD parce qu’elle ne remplissait aucune de ces conditions.

[33] Je suis de cet avis. Il est vrai que les nouvelles instructions autorisaient les étudiants à qui un permis de travail avait été refusé au titre des anciennes instructions à présenter une nouvelle demande au titre des nouvelles instructions, (c.‑à‑d. suivant le délai allongé de 180 jours), mais seulement s’ils « remplissent les critères de recevabilité ». À cet égard, les nouvelles instructions prévoyaient ce qui suit :

les demandeurs peuvent présenter une demande de PTPD à partir du Canada si leur permis d’études est encore valide » ou s’« ils ont un statut implicite, ce qui signifie qu’ils ont soumis une demande visant à prolonger ou à modifier leur statut à celui de visiteur ou d’étudiant avant la date d’expiration de leur permis d’études et qu’aucune décision n’a été prise »;

les demandeurs dont le permis d’études devient invalide ou arrive à expiration doivent prendre l’une des mesures suivantes :

quitter le Canada et présenter une demande de PTPD de l’étranger;

présenter une demande visant à rétablir leur statut en tant qu’étudiant en présentant une demande de PTPD qui comprend le montant exact des frais […] et en payant les frais visant à rétablir leur statut d’étudiant […].

sous la rubrique « Critères d’admissibilité au permis de travail postdiplôme » : « Pour obtenir un permis de travail postdiplôme, le demandeur doit détenir actuellement un statut temporaire valide ou avoir quitté le Canada .

[34] La demanderesse ne remplissait aucune de ces conditions. Son permis d’études était expiré. Elle n’avait pas présenté de demande visant à le prolonger ou à le rétablir dans les 90 jours de sa date d’expiration. Par conséquent, lorsqu’elle a demandé un PTPD, elle n’avait pas de statut temporaire valide au Canada et elle n’avait pas quitté le Canada.

[35] Je reconnais qu’un passage des nouvelles instructions mentionnait que, dans les 180 jours suivant la présentation d’une demande de PTPD, « le demandeur doit également satisfaire à un des critères ci‑dessous : être titulaire d’un permis d’études valide [ou] avoir été titulaire d’un permis d’études valide ». La demanderesse a « été titulaire d’un permis d’études » moins de 180 jours avant de présenter sa demande, le 14 février 2019. Prise isolément, cette phrase peut avoir été la source d’une certaine confusion chez la demanderesse. Toutefois, cette apparente ambiguïté n’annule pas ou ne modifie pas le passage déjà mentionné qui figure dans le haut de la même page Web et à plusieurs autres endroits dans les nouvelles instructions : « Pour obtenir un permis de travail postdiplôme, le demandeur doit détenir actuellement un statut temporaire valide ou avoir quitté le Canada ».

[36] La théorie des attentes légitimes ne favorise pas la demanderesse en l’espèce. En droit, une attente légitime doit reposer sur des affirmations claires, nettes et explicites concernant le processus administratif (c.‑à‑d. les procédures) que le décideur suivrait : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504 (le juge Binnie), au para 68; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559 (le juge LeBel), au para 95. Des attentes légitimes peuvent aussi naître d’affirmations tout aussi claires, nettes et explicites quant à un résultat donné, auquel cas il importe de suivre des procédures plus strictes avant de revenir sur des promesses matérielles ou d’en arriver à un résultat différent : Baker, au para 26; Agraira, au para 94. Toutefois, la théorie des attentes légitimes ne crée pas de droits substantiels : Agraira, au para 97.

[37] En l’espèce, une attente raisonnable que les nouvelles instructions seraient appliquées n’entraîne pas un résultat favorable pour la demanderesse. Même selon les nouvelles instructions, la demanderesse n’était pas admissible à un PTPD parce que son statut d’étudiant était expiré au moment où elle a présenté sa seconde demande, et elle n’était plus admissible au rétablissement de son statut : Ntamag c Canada, 2020 CF 40 (la juge en chef Gagné), au para 21. Par conséquent, la demanderesse était sans statut au Canada lorsqu’elle a demandé un second PTPD. Les nouvelles instructions disent clairement que les demandeurs qui sont dans cette situation doivent présenter une demande visant à rétablir leur statut (option dont la demanderesse ne pouvait pas se prévaloir puisque le délai prévu était dépassé) ou présenter une demande de PTPD de l’étranger (ce qu’elle n’a pas fait). De plus, les instructions ne promettent pas de résultat particulier et ne peuvent manifestement pas garantir (et ne garantissent pas) le résultat concret que la demanderesse se verra délivrer un PTPD.

[38] Par conséquent, je n’admets pas les observations formulées par la demanderesse selon lesquelles l’agent a commis une erreur en appliquant les nouvelles instructions ou selon lesquelles l’agent a mal compris les éléments de preuve. L’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle selon les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov.

B. La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

[39] La demanderesse formule deux arguments concernant l’équité procédurale. En premier lieu, elle soutient qu’elle aurait dû avoir la possibilité de fournir une explication ou d’autres éléments de preuve à l’agent avant que celui‑ci ne prenne la décision de rejeter sa seconde demande de PTPD. En second lieu, elle prétend que la lettre de décision de l’agent ne contenait pas [traduction] « des motifs complets et détaillés ».

[40] J’estime que la demanderesse n’était pas en droit de se voir offrir une possibilité de formuler des observations ou de produire des éléments de preuve supplémentaires. La juge Walker a judicieusement résumé les principes juridiques qui s’appliquent dans la décision Masam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 751, au para 11, en ces termes :

Bien qu’une obligation d’équité existe à l’égard des demandeurs dans les affaires associées aux permis de travail postdiplôme, l’obligation n’oblige pas un agent à aviser un demandeur d’une préoccupation soulevée directement par les exigences de la législation ou autres lois connexes ni de fournir au demandeur l’occasion de faire des observations concernant la préoccupation (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283; Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au paragraphe 37). Dans chaque affaire, il appartient au demandeur de soumettre à l’agent tous les renseignements en lien avec l’admissibilité de sa demande initiale. C’est dans les affaires où un agent considère des questions ou des faits étrangers aux exigences de la demande qu’un agent a l’obligation d’aviser le demandeur de l’enjeu ou de la préoccupation. Dans ces affaires, le demandeur n’aurait pas su que la question ou préoccupation particulière était applicable à sa demande et, en équité, aurait dû avoir l’occasion de soumettre des observations.

Voir aussi la décision Marsh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 408 (le juge Russell), aux paras 33 à 35; et Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 526 (le juge Norris), au para 9.

[41] En l’espèce, la demanderesse devait convaincre l’agent qu’elle remplissait les critères pour l’obtention d’un PTPD. Elle ne l’a pas fait. L’agent n’était pas tenu de l’aviser de toute préoccupation quant au fait que la demande ne remplissait pas les critères énoncés dans les nouvelles instructions. La demanderesse n’a pas affirmé que l’agent avait fait mention de préoccupations ou de documents extrinsèques quand il a rendu la décision.

[42] De plus, je ne retiendrai pas l’argument selon lequel les motifs de l’agent n’étaient pas suffisants. Même en reconnaissant la culture de justification envisagée par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, à la lumière de la nature des demandes, le contenu de la lettre en date du 4 juin 2019, complété par les notes versées par l’agent dans le SMGC, justifiait de manière satisfaisante la décision de l’agent : Vavilov, aux para 86, 94 et 99 à 101.

IV. Conclusion

[43] En conséquence, la présente demande sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Rien ne justifie que des dépens soient accordés. .


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6014‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée

Line Niquet, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑6014‑19

 

INTITULÉ :

SALONI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 28 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

le 20 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Napinderpal Singh Masaun

pour la demanderesse

 

Rachel Hepburn Craig

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Napinderpal Singh Masaun

Xcent Lawyers LLP

Brampton (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

Rachel Hepburn Craig

Procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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