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Date : 20210520


Dossier : T‑2066‑19

Référence : 2021 CF 478

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2021

En présence de Madame la juge Strickland

ENTRE :

VISIONS ELECTRONICS LIMITED PARTNERSHIP

faisant affaire sous le nom VISIONS ELECTRONICS,

agissant par l’entremise de sa commanditée,

1706811 ALBERTA LTD.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle des fonctionnaires d’Environnement et Changement climatique Canada [ECCC ou le Ministère] ont refusé de conclure une entente de financement dans le cadre du Programme de remises écoénergétiques [Programme de remises]. La demande est présentée par Visions Electronics Limited Partnership faisant affaire sous le nom Visions Electronics et agissant par l’entremise de sa commanditée, 1706811 Alberta Limited [Visions ou la demanderesse].

Contexte

[2] En 2018, le gouvernement du Canada a lancé le Programme de remises dans le but de fournir un financement aux détaillants qui vendent des produits écoénergétiques dans la province de l’Ontario. En 2019, ECCC a publié un document intitulé « Le Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone, Programme de remises écoénergétiques, Guide du demandeur, printemps 2019 » [Guide du demandeur].

[3] Le Guide du demandeur a pour but de fournir des directives détaillées sur la façon de remplir et de présenter une demande dans le cadre du Programme de remises. Il présente en outre les aspects clés du programme et énonce les critères d’admissibilité. Le Guide du demandeur indique que les détaillants admissibles doivent conclure une entente de financement avec le gouvernement du Canada pour participer au Programme de remises. Pour être admissibles au financement, les demandeurs doivent démontrer qu’ils satisfont aux trois critères énumérés, dont le suivant : « Votre entité est constituée en société au Canada ». Le Guide du demandeur explique également comment présenter une demande, et indique les dates limites pour la présentation d’une demande ainsi que les trois étapes clés du processus de sélection des demandes aux fins du financement. Il indique en outre qu’un avis d’approbation de principe sera envoyé aux candidats retenus et énonce les étapes suivantes du processus, dont la première consiste à signer une entente de financement.

[4] Le 23 juillet 2019, monsieur Sun Joo Cho, gestionnaire de produits chez Visions Electronics, a présenté une demande au moyen du formulaire de demande officiel du Programme de remises, qui est intitulé « Programme de remises écoénergétiques (PRE) – Formulaire de demande pour l’Ontario ». Dans la demande, M. Cho a indiqué que le nom légal complet du demandeur était « Visions Electronics Limited Partnership » et que son nom commercial était « Visions Electronics » [ensemble, Visions Electronics]. ECCC a accusé réception de la demande par courriel le 24 juillet 2019, mais a indiqué que l’annexe A, c’est‑à‑dire la liste des emplacements en Ontario, était incomplète. Le même jour, M. Cho a révisé la demande et l’a présentée de nouveau.

[5] Le 20 août 2019, la ministre d’ECCC de l’époque, l’honorable Catherine McKenna [le ministre], a signé une note de service préparée par ECCC intitulée [traduction] « Approbation des propositions présentées dans le cadre du Programme de remises écoénergétiques », qui recommandait au ministre d’approuver l’octroi d’un financement aux demandeurs admissibles indiqués, dont faisait partie Visions Electronics. Le même jour, les fonctionnaires d’ECCC ont envoyé un courriel aux candidats retenus pour les informer que l’octroi d’un financement à leur organisation dans le cadre du Programme de remises avait été approuvé. Le courriel informait les demandeurs retenus qu’ils recevraient une lettre d’approbation de principe accompagnée d’un modèle d’entente de financement au plus tard le 22 août 2019.

[6] Dans une lettre datée du 21 août 2019, le directeur général, Direction des programmes, Bureau de mise en œuvre du Cadre pancanadien d’ECCC a informé M. Cho que le financement pour les remises effectuées aux points de vente de Visions Electronics en Ontario dans le cadre du Programme de remises avait été approuvé en principe. La lettre indiquait que la dernière étape du processus fédéral d’approbation des remises aux points de vente consisterait à signer une entente de financement énonçant les conditions selon lesquelles le financement fédéral serait fourni. Elle indiquait en outre que l’entente de financement n’était pas négociable et devait être signée par l’ensemble des parties dans les trente (30) jours ouvrables suivant la réception de l’entente. Cette lettre était jointe à un courriel qui faisait référence à la lettre d’approbation de principe et qui indiquait que la contribution du Canada était subordonnée à la signature de l’entente de financement par les deux parties et que l’entente de financement ne pouvait faire l’objet de négociations. Le courriel était également accompagné d’un modèle d’entente de financement et mentionnait les sections en surbrillance nécessitant l’intervention de Visions Electronics.

[7] Le 10 septembre 2019, M. Cho a commencé à correspondre avec Mme Jessica Pinkham d’ECCC relativement à diverses questions qu’il avait au sujet de l’entente de financement. Le 11 septembre 2019, Mme Pinkham a informé M. Cho qu’il devait préciser, dans l’entente, la loi en vertu de laquelle Visions Electronics avait été constituée en société. Dans un courriel en réponse daté du même jour, M. Cho a indiqué ce qui suit : [traduction] « Visions Electronics est une société en commandite; elle n’est pas constituée en société ». Dans un courriel daté du 12 septembre 2019, Mme Pinkham a accusé réception de la réponse de M. Cho. Elle a indiqué que, puisque l’un des critères d’admissibilité au financement dans le cadre du Programme de remises exigeait que l’entreprise du demandeur soit constituée en société au Canada et que Visions Electronics ne satisfaisait pas à ce critère, ECCC ne pouvait pas poursuivre les démarches relatives à la conclusion d’une entente de financement avec Visions Electronics.

[8] Divers représentants de Visions Electronics ont ensuite communiqué avec Mme Pinkham dans le but de fournir des explications et de rectifier la situation.

[9] Le 13 septembre 2019, M. Elvin Kruger, vice‑président, Finances, a envoyé un courriel à Mme Pinkham dans lequel il expliquait que la commanditée de Visions Electronics était constituée en société et que, lorsque Visions avait été confrontée à des circonstances semblables par le passé, la solution avait consisté à permettre que le contrat soit conclu avec la commanditée de Visions. La commanditée est pleinement autorisée à agir au nom de la société et assume l’entière responsabilité de la société en commandite. À un courriel daté du 19 septembre 2019, M. Kruger a joint ce qu’il a décrit comme une [traduction] « demande remplie au moyen d’une entité constituée en société ». La pièce jointe n’est pas un formulaire de demande, mais le modèle d’entente de financement que M. Kruger a modifié en ajoutant [traduction] « Visions Electronics Limited Partnership agissant par l’entremise de sa commanditée 1706811 Alberta Limited constituée en société sous le régime de la loi de l’Alberta intitulée Business Corporations Act et ayant son siège social au 6009‑1A Street SW, T2H 0G5, dans la province de l’Alberta (“Visions Electronics”) », à titre de partie bénéficiaire. M. Kruger a également apporté des changements connexes aux modalités de l’entente de financement. Dans un courriel en réponse daté du 23 septembre 2019, Mme Pinkham a confirmé la position d’ECCC et a souligné que le Programme de remises avait maintenant atteint sa capacité maximale et que la période d’acceptation des demandes était terminée.

[10] Le 1er octobre 2019, le président de Visions Electronics, M. Maurice Rouleau, a envoyé un courriel à Mme Pinkham dans lequel il faisait référence aux communications antérieures du vice‑président, Finances, et demandait que la décision soit revue. Mme Pinkham a répondu par courriel le 3 octobre 2019 et a indiqué que les critères d’admissibilité au Programme de remises exigeaient que l’entreprise du demandeur soit constituée en société au Canada au moment de la présentation de la demande. Elle a précisé que, ainsi que l’indique le Guide du demandeur, les décisions sont définitives et non susceptibles d’appel.

[11] Le 18 octobre 2019, M. Rouleau a envoyé à Mme Pinkham une lettre de l’avocat‑conseil de Visions Electronics, lettre que M. Rouleau décrit comme clarifiant l’admissibilité de Visions Electronics à titre d’entreprise constituée en société au Canada au moment de la présentation de la demande. La lettre de M. Frank Sur, de Gowlings WLG, indique que 1706811 Alberta Limited, en tant que commanditée de Visions Electronics Limited Partnership, [traduction] « est le véritable demandeur » au titre du Programme de remises. Aux termes de la convention de société en commandite et de la loi intitulée « Partnership Act » (Alberta), 1706811 Alberta Ltd est autorisée à exercer les activités de Visions Electronics Limited Partnership et a le pouvoir de conclure des contrats au nom de cette entité. M. Sur affirmait que les critères d’admissibilité étaient, par conséquent, respectés et demandait que la décision rejetant la demande de Visions Electronics soit réexaminée.

[12] Mme Pinkham a répondu le 22 novembre 2019 et indiqué qu’ECC maintenait sa position. Visions sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.


 

Décision faisant l’objet du contrôle

[13] Dans ses observations écrites, le défendeur a soulevé la question de savoir si le contrôle judiciaire demandé par la demanderesse visait la lettre de Mme Pinkham du 12 septembre 2019 ou la lettre de Mme Pinkham du 22 novembre 2019, mais lorsqu’elle a comparu devant moi, la demanderesse a confirmé que la lettre visée par la présente demande de contrôle judiciaire était celle du 22 novembre 2019.

[14] Voici le texte de la lettre de Mme Pinkham datée du 22 novembre 2019 :

[traduction]
Monsieur Sur,

J’ai bien reçu votre lettre, que M. Maurice Rouleau m’a transmise par courriel le 18 octobre 2019, concernant l’admissibilité de Visions Electronics Limited Partnership dans le cadre du Programme de remises écoénergétiques (PRE).

Le PRE a été mis sur pied dans le but de fournir une aide aux entreprises de vente au détail qui satisfont à chacun des trois critères d’admissibilité énoncés à la section 3.1 du Guide du demandeur relatif au programme. Une copie du Guide du demandeur est jointe à la présente lettre à titre de référence. Le défaut de satisfaire à un ou plusieurs de ces critères rend tout demandeur non admissible au financement octroyé dans le cadre du PRE.

L’un des critères d’admissibilité au financement exige que l’entreprise du demandeur soit constituée en société au Canada à la date de présentation de la demande. Dans le formulaire de demande reçu par Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), la personne‑ressource responsable de la demande de Visions Electronics Limited Partnership, Sung Joo Cho, a coché la case, à la section C de la demande, indiquant que le demandeur était une entreprise de détail constituée en société au Canada. De plus, cette personne a attesté de l’exactitude des renseignements fournis dans la demande. Se fondant sur ces renseignements et accordant le bénéfice du doute au demandeur lors de la phase initiale d’examen, ECCC a approuvé en principe le projet aux fins du financement octroyé dans le cadre du programme. Cette approbation de principe est subordonnée à la conclusion d’une entente de financement conforme aux modalités et conditions du PRE.

Or, les renseignements fournis se sont révélés inexacts, comme l’a confirmé M. Cho le 11 septembre 2019 lors de la préparation de l’entente de financement. En dépit des explications que vous fournissez dans votre lettre du 18 octobre 2019, le fait est que Visions Electronics Limited Partnership était bien le demandeur et qu’elle ne satisfait pas au critère selon lequel elle doit être une entreprise de détail constituée en société au Canada.

En conclusion, ECCC maintient sa décision selon laquelle Visions Electronics Limited Partnership n’était pas une entreprise de détail constituée en société au Canada au moment où la demande a été présentée et que, par conséquent, elle n’est pas admissible au financement octroyé dans le cadre du PRE.

ECCC s’est engagé à assurer un processus d’examen et de mise en œuvre du PRE qui soit à la fois cohérent, transparent et équitable pour l’ensemble des demandeurs.

Nous remercions Visions Electronics Limited Partnership de son intérêt pour le PRE. Nous ajouterons volontiers Visions Electronics Limited Partnership à la liste de nos intervenants si d’autres possibilités de financement se présentent dans le cadre de programmes futurs.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Jessica Pinkham

Programme de remises écoénergétiques, Guide du demandeur, printemps 2019

[15] Étant donné que les parties s’appuient toutes deux sur les modalités du Guide du demandeur, les sections les plus pertinentes de ce guide [dans sa version française] sont reproduites ci‑dessous.


 

1. Objet du présent guide

Le présent guide du demandeur présente des directives détaillées pour remplir et soumettre une demande dans le cadre du Programme de remises écoénergétiques du Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone. Ce guide fournit des précisions importantes sur le programme ainsi que les critères d’admissibilité.

[...]

3. Déterminer votre admissibilité

3.1. Récipiendaires [sic] admissibles

Vous devez démontrer à la section C du Formulaire de demande que vous répondez aux trois critères énoncés ci‑après afin d’être admissible au financement :

1. Votre entité est constituée en société au Canada.

Vous devez fournir votre numéro d’enregistrement pour les entreprises émises [sic] par l’Agence du revenu du Canada. Dans les cas de sociétés affiliées, de succursales et de franchises, Environnement et Changement climatique Canada acceptera une seule demande de la société mère.

2. Votre entreprise est physiquement présente dans au moins une (1) municipalité de l’Ontario.

Aux fins du programme, une municipalité est une municipalité à palier unique ou de palier supérieur, au sens de la Loi de 2001 sur les municipalités de l’Ontario, L.O. 2001, ch. 25, et comme il est indiqué sur le site Web du ministère des Affaires municipales et du Logement de l’Ontario à l’adresse suivante http://www.mah.gov.on.ca/Page1591.aspx. La présence physique (et dans le cas de plusieurs présences physiques) qu’occupe le demandeur, soit dans une municipalité à palier unique ou de palier supérieur en Ontario à la date de la présentation de la proposition sera considérée aux fins de répondre à cette exigence du programme. Si vous votre entreprise a une présence physique, vous pouvez aussi proposer d’offrir des remises pour les ventes de produits en ligne livrés en Ontario. Vous devez inclure dans votre demande des renseignements à propos du plan de remises proposé.

3. Vous offrez à la vente et avez l’intention d’accorder des remises pour au moins quatre (4) des catégories de produits admissibles suivantes :

[…]

4. Processus du programme

4.1. Présentation d’une demande

Vous pouvez présenter une demande en remplissant et soumettant un Formulaire de demande en format PDF au [sic] ECCC entre les dates suivantes :

le 20 juin 2019 et au plus tard le 24 juillet 2019, à 15 h (HE) pour les demandeurs qui ont des emplacements dans cinq (5) municipalités ou plus, et

le 20 juin 2019 et au plus tard le 31 mars 2020, à 15 h (HE) pour les demandeurs qui ont des emplacements dans au moins une (1) municipalité et un maximum de quatre (4) municipalités.

Les demandes doivent comprendre les éléments suivants pour être réputées être complètes :

Section A – Renseignements sur le demandeur;

Section B – Coordonnées de la personne‑ressource principale;

Section C – Admissibilité;

Section D – Description des remises;

Section E – Plan des remises et budget;

Section F – Montant du financement;

Section G – Soumission de la demande; et

Annexe a – Liste des emplacements en Ontario

[…]

4.2 Date limite de présentation des demandes

Vous devez soumettre une demande dûment remplie en format PDF, disponible en ligne à https://www.canada.ca/fr/environnement‑changement‑climatique/services/changements‑climatiques/fonds‑economie‑faibles‑emissions‑carbone/programme‑remises‑ecoenergetiques.html à Environnement et Changement climatique Canada par courriel à l’adresse suivante : ec.esr‑re.ec@canada.ca au plus tard :

le 24 juillet 2019 à 15 h (HE) pour les demandeurs avec des emplacements situés dans cinq (5) municipalités ou plus; et

le 31 mars 2020 à 15 h (HE) pour les demandeurs avec des emplacements dans au moins une (1) municipalité et un maximum de quatre (4) municipalités.

4.3. Sélection des demandes

La sélection des demandes se fait en trois principales étapes.

a) Présélection

Les demandes seront examinées pour confirmer qu’elles sont complètes. À ce stade, tout problème non réglé pourrait entraîner le rejet de la proposition.

b) Évaluation

ECCC évaluera l’admissibilité de chaque demande retenue. ECCC se réserve le droit de décider qui est admissible.

Vous devez fournir des renseignements exhaustifs, clairs et complets lorsque vous présentez une demande. ECCC peut, à sa discrétion, et s’il le juge nécessaire, communiquer avec les demandeurs après la présentation pour clarifier les détails de la demande, ce qui pourrait avoir une incidence sur la sélection.

c) Recommandations et décisions définitives

Après l’évaluation des propositions, des recommandations officielles seront formulées à l’intention de la ministre de l’Environnement et du Changement climatique afin de les faire approuver et de déterminer le financement. Les déterminations faites, par rapport à la sélection des demandes finales [sic], du financement et des approbations relèvent uniquement de la ministre.

4.4. Communication de la décision aux demandeurs

ECCC informera les demandeurs retenus et non retenus des résultats du processus d’évaluation lorsqu’une décision aura été prise. Si le financement d’une demande est approuvé, ECCC émettra un avis d’approbation de principe et indiquera les prochaines étapes. Le financement peut être assujetti à certaines conditions. Les demandeurs dont la demande n’a pas été retenue reçoivent un avis par courriel. Les décisions sont définitives et sans appel, sauf indication contraire du gouvernement du Canada.

4.5. Ententes de financement

La signature d’une entente de financement est la prochaine étape du processus pour les demandeurs retenus. L’entente énoncera les modalités selon lesquelles le gouvernement du Canada financera le projet. Les contributions du gouvernement fédéral sont assujetties à la conclusion, entre le gouvernement du Canada et le demandeur retenu, d’une entente de financement juridiquement contraignante qui devra être signée dans les 30 jours ouvrables suivant la date d’approbation de principe. Faute d’une telle entente, le financement pourra être annulé. La sélection et la notification ne sont pas une garantie de financement fédéral. Les demandeurs assument la responsabilité des coûts engagés avant de conclure une entente de financement officielle avec le gouvernement du Canada.

Comme l’approbation sera fondée sur les détails fournis dans la demande, l’entente de financement sera rédigée en fonction de la portée des travaux précisés dans la demande. Par conséquent, ECCC collaborera avec les demandeurs retenus pour faire en sorte que la demande soit dûment prise en compte dans l’entente de financement. Aussi, l’entente de financement comprendra un protocole de communications qui décrira les renseignements par rapport à l’image de marque et autres éléments en matière de communications.

Questions en litige et norme de contrôle

[16] Je suis d’avis que les questions à trancher dans le cadre de la présente affaire peuvent être ainsi formulées :

  1. ECCC avait‑il le pouvoir de décider de ne pas conclure d’entente de financement?
  2. La décision relative à l’entente de financement était‑elle raisonnable?
  3. La décision relative à l’entente de financement était‑elle équitable sur le plan procédural?
  4. Dans la mesure où la décision relative à l’entente de financement était déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural, quelle serait la réparation appropriée?

[17] Les parties soutiennent, et je suis du même avis qu’elles, que la norme de la décision raisonnable s’applique aux deux premières questions et que la norme de la décision correcte s’applique à la troisième question.

[18] Aux fins de l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15 et 99) [Vavilov]). Lorsqu’une décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, elle est raisonnable et commande la déférence de la part de la cour de révision (Vavilov au para 85).

[19] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, aucune déférence n’est due au décideur, et la cour de révision établit s’il y a eu un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers la partie demanderesse (Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27 au para 31; Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 au para 57).

Question en litige no 1 : ECCC avait‑il le pouvoir de décider de ne pas conclure d’entente de financement?

Position de la demanderesse

[20] La demanderesse soutient que toutes les décisions administratives doivent être prises à l’intérieur des limites établies par la loi (citant Vavilov au para 10). En l’espèce, seul le ministre avait le pouvoir d’approuver ou de ne pas approuver les demandes présentées dans le cadre du Programme de remises. La demanderesse soutient que le Guide du demandeur prévoit trois étapes pour la sélection des demandes présentées dans le cadre du Programme de remises, et que les décisions du ministre relatives à la sélection et au financement sont définitives et non susceptibles d’appel (faisant référence aux sections 4.3 et 4.4 du Guide du demandeur).

[21] Selon la demanderesse, ces dispositions démontrent que [traduction] « l’intention et l’objet manifestes » du Programme de remises sont de confier au seul ministre le soin de décider quelles demandes doivent être retenues et de faire en sorte que ses décisions soient définitives et juridiquement contraignantes. Elle soutient également que ces dispositions démontrent que les fonctionnaires d’ECCC sont tenus de mettre en œuvre la décision d’approbation du ministre en appliquant les étapes postérieures à l’approbation, lesquelles aboutissent à la signature d’une entente de financement. La demanderesse soutient que les fonctionnaires d’ECCC ont agi de façon contraire à la loi en ne mettant pas en œuvre la décision du ministre, l’annulant par le fait même. La demanderesse affirme que dès le moment où le ministre avait pris la décision d’approuver la sélection et le financement, le pouvoir de présélection et d’évaluation dont ECCC était investi avait été exercé : ECCC était dessaisi. Elle ajoute que le seul pouvoir dont disposait encore ECCC après l’approbation de la demande de Visions Electronics était celui de mettre en œuvre la décision relative au financement. En somme, la demanderesse soutient que la décision du 22 novembre 2019 a été prise par des fonctionnaires qui n’étaient pas autorisés à la prendre et qu’elle devrait par conséquent être cassée.

Position du défendeur

[22] Le défendeur soutient que les fonctionnaires d’ECCC avaient le pouvoir de ne pas conclure l’entente de financement lorsqu’ils ont déterminé que Visions Electronics ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité.

[23] Le défendeur souligne en premier lieu que l’approbation du ministre concernant l’octroi d’un financement à Visions Electronics dans le cadre du Programme de remises était une approbation de principe et qu’elle constituait la première étape d’un processus en deux étapes. La deuxième étape aurait été la signature de l’entente de financement. Cette façon de procéder est évidente à la lecture du Guide du demandeur, qui précise expressément que le financement est subordonné à la signature d’une entente de financement juridiquement contraignante, et que la sélection et la notification ne garantissent pas qu’un financement sera accordé par le gouvernement fédéral (Guide du demandeur, section 4.5). À aucun moment du processus le Canada n’a contracté l’obligation légale d’accorder un financement à Visions Electronics. Le défendeur souligne en outre qu’il serait plus juste de qualifier l’entente de financement de contrat. Le Programme de remises n’a pas été créé en vertu d’une loi et le pouvoir exercé par les fonctionnaires d’ECCC – le pouvoir de conclure des contrats – n’est pas un pouvoir conféré par la loi.

[24] Le défendeur soutient que les fonctionnaires d’ECCC avaient l’autorisation expresse du ministre de finaliser les ententes de financement pour le Programme de remises et que, par conséquent, ils avaient également le pouvoir implicite de ne pas conclure d’ententes de financement avec des parties non admissibles. Le défendeur souligne que si les fonctionnaires d’ECCC ne disposaient pas de ce pouvoir implicite, ils se retrouveraient dans des situations où il leur faudrait conclure des contrats illégaux. Il fait en outre valoir que le pouvoir implicite des fonctionnaires d’ECCC de ne pas conclure d’ententes de financement avec des parties non admissibles est attesté par la politique d’ECCC concernant la résiliation des ententes de financement. Cette politique, qui s’intitule [traduction] « Délégation des pouvoirs de dépenser et de signer des documents financiers », porte sur la résiliation des ententes de financement prévoyant l’octroi de subventions et de contributions, et confère aux fonctionnaires d’ECCC le pouvoir de résilier les ententes de financement. Le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse selon lequel les fonctionnaires d’ECCC n’avaient pas le pouvoir de refuser de conclure l’entente de financement est incompatible avec le pouvoir de ces fonctionnaires d’exercer les droits de résiliation contractuelle que leur confère la politique d’ECCC. Le défendeur soutient que les fonctionnaires d’ECCC ne peuvent pas être contraints de conclure une entente de financement sur la base de l’approbation de principe du ministre tout en étant également autorisés à exercer des droits de résiliation immédiatement après la signature de l’entente. L’autorisation accordée par le ministre aux fonctionnaires d’ECCC de finaliser les ententes de financement devait forcément inclure le pouvoir implicite de ne pas conclure une entente de financement lorsque les circonstances le justifiaient.

[25] À titre subsidiaire, le défendeur soutient que tout pouvoir discrétionnaire exercé par les fonctionnaires d’ECCC était justifié à la lumière du principe de Carltona. Ce principe établit que, lorsque l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre, on peut présumer que l’acte sera exécuté par les fonctionnaires responsables travaillant au sein de son ministère. Ce principe repose sur le fait qu’il serait déraisonnable d’attendre d’un ministre qu’il exécute lui‑même toutes les tâches (La Reine c Harrison, [1977] 1 RCS 238 aux para 245 et 246 [Harrison]). Bien que ce principe ait habituellement été appliqué dans le contexte de pouvoirs conférés par la loi, il a également été appliqué à l’exercice par la Couronne du pouvoir de conclure un contrat (La Reine c Transworld Shipping Ltd., [1976] 6 DLR (3d) 304 (CAF) [Transworld Shipping]).

Analyse

[26] La demanderesse remet en question le pouvoir des fonctionnaires d’ECCC de refuser de conclure une entente de financement et, se fondant presque exclusivement sur les modalités du Guide du demandeur, plus particulièrement la section 4.3, elle prétend que les fonctionnaires d’ECCC ont outrepassé leurs pouvoirs. À cet égard, la demanderesse soutient que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé dans le contexte et conformément à l’objet d’un régime législatif, faisant là référence au paragraphe 67 de l’arrêt Baker c Canada, 1999 CSC 699 [Baker].

[27] Cet argument soulève la question de l’origine du pouvoir du ministre et d’ECCC de prendre les mesures qu’ils ont prises, et des limites de ce pouvoir.

[28] Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 67, dans le contexte de son examen du caractère raisonnable : « Afin de décider si la démarche de l’agent d’immigration respectait les limites imposées par le libellé de la loi et les valeurs du droit administratif, une analyse contextuelle est requise comme l’exige en général l’interprétation des lois ».

[29] Dans l’arrêt Baker, la loi autorisait le ministre, par voie de règlement, à dispenser, pour des motifs d’ordre humanitaire, une personne de l’application des exigences réglementaires habituelles relatives à l’admission au Canada. Ces décisions ont été prises par des agents d’immigration qui se sont fondés sur un ensemble de lignes directrices leur indiquant comment exercer le pouvoir discrétionnaire leur ayant été délégué. La Cour suprême a conclu qu’un exercice raisonnable du pouvoir conféré par la loi exigeait qu’une attention particulière soit prêtée aux intérêts des enfants, notamment au regard des objectifs de la Loi, des instruments internationaux et des lignes directrices applicables. Ces dernières ont été d’une grande utilité pour déterminer si les motifs de l’agent d’immigration étaient valables : « Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article […] » (Baker au para 72).

[30] Il n’est pas rare que des décideurs administratifs utilisent des lignes directrices ou des politiques pour guider leurs décisions. À cet égard, une part importante de la jurisprudence porte sur la question de savoir si le décideur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur une politique ou une ligne directrice. Comme l’a indiqué le juge Stratas dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, les décideurs auxquels une loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire ne peuvent en entraver l’exercice en s’appuyant exclusivement sur une politique administrative. Une politique administrative n’est pas une loi. Elle ne peut pas dicter de façon obligatoire comment ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé (Stemijon au para 60; voir également Gordon c Canada (Procureur général), 2016 CF 643 au para 29).

[31] Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, pour être raisonnable, une décision doit être « justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents […]. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués » (Vavilov au para 105). Et, parce que les décideurs administratifs tirent leurs pouvoirs d’une loi, le régime législatif applicable est probablement l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée (au para 108).

[32] En l’espèce, la demanderesse s’appuie sur le Guide du demandeur pour affirmer qu’ECCC n’avait pas le pouvoir de refuser de conclure une entente de financement. Le Guide du demandeur est une source d’information utile à la fois pour les fonctionnaires d’ECCC et pour les demandeurs en ce qu’il fournit des renseignements sur les critères d’admissibilité et sur les processus de présentation d’une demande, d’évaluation des demandes et d’octroi d’un financement dans le cadre du Programme de remises. La demanderesse ne fait toutefois mention d’aucun régime législatif en vertu duquel le Programme de remises aurait été établi ou au regard duquel il devrait être évalué. La demanderesse soutient que le Programme de remises a pour objet de promouvoir une politique fédérale visant à encourager l’efficacité énergétique en Ontario et invoque à l’appui la section 2.2 du Guide du demandeur. Or, la section 2.2 ne fait aucunement mention d’un règlement ou d’une loi sous‑jacente. Comme je l’ai mentionné précédemment, les lignes directrices ne sont pas des lois et n’imposent pas en elles‑mêmes d’obligations légales aux décideurs administratifs. La demanderesse n’indique pas d’où le ministre et les fonctionnaires d’ECCC tenaient leur pouvoir sous‑jacent et ne mentionne aucun régime législatif qui fournirait un contexte à l’exercice de leur pouvoir.

[33] Le défendeur, en revanche, soutient que le pouvoir qui a été exercé par les fonctionnaires d’ECCC une fois la décision d’approbation de principe prise était le pouvoir de conclure un contrat, et non un pouvoir conféré par la loi. Le défendeur soutient que le Programme de remises n’a pas été créé en vertu d’une loi, que la loi ne conférait pas au ministre le pouvoir exprès d’effectuer des paiements en lien avec le Programme de remises et que la façon dont les paiements devaient être effectués n’était régie par aucun paramètre législatif. Il s’agissait plutôt d’un programme de paiements de transfert d’ECCC qui fournissait un financement sous forme de contribution dans le cadre de la Politique sur les paiements de transfert du Conseil du Trésor du Canada. Le Programme de remises a été financé en vertu de lois de crédits annuelles approuvées par le Parlement, qui sont communément appelées « projets de loi de crédits » ou « projets de loi de finances ».

[34] Le Défendeur soutient que le ministre était autorisé à conclure des contrats, y compris des ententes de contribution, dans les limites du mandat qui lui est conféré par la Loi sur le ministère de l’Environnement, LRC (1985), c E‑10 et, plus précisément, les alinéas 4(1)a) et f). De plus, le ministre avait également le pouvoir de déléguer son pouvoir de passation de contrats à des fonctionnaires d’ECCC, comme cela a été fait en l’espèce au moyen de la note de service du 20 août 2019 signé par le ministre, et conformément au principe de Carltona. Ainsi, les fonctionnaires d’ECCC avaient le pouvoir d’exercer le vaste pouvoir discrétionnaire de conclure ou non des ententes de financement, car celui‑ci leur avait été délégué.

[35] À mon avis, le fait qu’aucun régime législatif ne soit à l’origine de la création du Programme de remises et de l’octroi ou de la détermination du pouvoir du ministre ou du pouvoir délégué d’ECCC ne signifie pas que le Guide du demandeur est à l’origine du pouvoir conféré au ministre ou qu’il lie le ministre ou entrave son pouvoir discrétionnaire. Le Guide du demandeur, que la demanderesse invoque à l’appui de sa prétention portant que seul le ministre avait le pouvoir d’approuver les demandes et qu’une fois le financement approuvé, les fonctionnaires d’ECCC n’avaient pas le pouvoir de refuser de conclure l’entente de financement, n’est justement rien de plus qu’un guide.

[36] En l’espèce, comme l’a indiqué le défendeur, l’étendue du pouvoir du ministre de conclure un marché coïncide plutôt avec le mandat ministériel que la loi confère au ministre. La « Couronne c’est également le Monarque, une personne physique qui, en plus de la prérogative, jouit d’une capacité générale de contracter selon les règles du droit commun » (Procureur Général du Québec c Labrecque et autres [1980] 2 RCS 1057 à la p. 1082). Et, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Transworld Shipping, la loi confère à chaque ministre le pouvoir de gérer son ministère et [traduction] « […] sous réserve des restrictions que la loi peut autrement imposer, ce pouvoir permet au ministre de conclure des contrats de nature courante relativement aux activités du gouvernement fédéral dont la responsabilité est confiée à son ministère » (p. 307).

[37] En l’espèce, le pouvoir du ministre de conclure des contrats, y compris des ententes de financement, est fondé sur la common law, qui établit que la Couronne a la capacité générale de conclure des contrats. L’étendue de ce pouvoir est limitée uniquement par le mandat que la loi confère au ministre. Ainsi, le ministre disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire, qui lui permettait de décider de conclure ou non une entente de financement.

[38] En ce qui concerne ses délégués, le ministre a accepté, en signant la note de service du 13 août 2019, la recommandation d’ECCC d’approuver le financement [traduction] « pour les propositions de projet admissibles recommandées ». Quant aux [traduction] « prochaines étapes », il a également accepté la proposition d’ECCC qui était ainsi formulée :

[traduction]
‑ Avec votre accord, le Ministère avisera les demandeurs retenus et entreprendra de finaliser les ententes de financement. Conformément aux modalités de la délégation de pouvoirs actuelle, ces ententes seront signées par un fonctionnaire délégué du Ministère.

[39] Ainsi, le ministre a expressément délégué son pouvoir de passation de contrat à ECCC relativement aux ententes de financement.

[40] On pourrait arriver à la même conclusion en ce qui concerne la délégation de pouvoirs en appliquant le principe de Carltona (Harrison; Carltona Ltd. c Commissioners of Works [1943] 2 All E.R. 560 à la p. 563). Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Transworld Shipping à la page 308 :

[traduction]
Dès lors qu’il apparaît à première vue que la loi confère au ministre le pouvoir de conclure des contrats dans le secteur d’activité de son ministère, je suis d’avis qu’il s’ensuit, sous réserve de toute disposition législative inconciliable, que son pouvoir peut et devra, dans le cours normal des événements, être exercé par les fonctionnaires de ce ministère […]

[41] Par conséquent, j’estime que la question véritable est de savoir si l’approbation du financement par le ministre exigeait que les fonctionnaires d’ECCC concluent une entente de financement avec Visions Electronics et (ou) la demanderesse, ou si les fonctionnaires d’ECCC avaient le pouvoir discrétionnaire de ne pas conclure l’entente de financement.

[42] Le Guide du demandeur décrit le processus du programme. Les demandes présentées dans les délais prescrits font l’objet d’une présélection, effectuée par ECCC, qui vise à déterminer si elles sont complètes et satisfont aux critères d’admissibilité. ECCC présente ensuite une recommandation au ministre « afin de les faire approuver et de déterminer le financement. Les déterminations faites, par rapport à la sélection des demandes finales [sic], du financement et des approbations relèvent uniquement de la ministre ». C’est sur cette disposition de la section 4.3 du Guide du demandeur que la demanderesse fonde en grande partie son argument voulant que, dès le moment où le ministre avait approuvé le financement en faveur de Visions Electronics, ECCC ne disposait d’aucun autre pouvoir en dehors de la possible sélection des modalités et conditions de l’entente de financement, et était dans l’obligation de conclure une telle entente.

[43] Or, la participation d’ECCC n’a pas pris fin à cette étape du processus. Selon la section 4.4, dans la mesure où le financement d’une demande était approuvé, ECCC devait alors transmettre un « un avis d’approbation de principe et [indiquer] les prochaines étapes » (section 4.4). La section 4.4 indique en outre que les décisions sont définitives et sans appel, sauf indication contraire du gouvernement du Canada.

[44] À la section 4.5, le Guide du demandeur précise quelles sont les étapes suivantes du processus :

4.5. Ententes de financement

La signature d’une entente de financement est la prochaine étape du processus pour les demandeurs retenus. L’entente énoncera les modalités selon lesquelles le gouvernement du Canada financera le projet. Les contributions du gouvernement fédéral sont assujetties à la conclusion, entre le gouvernement du Canada et le demandeur retenu, d’une entente de financement juridiquement contraignante qui devra être signée dans les 30 jours ouvrables suivant la date d’approbation de principe. Faute d’une telle entente, le financement pourra être annulé. La sélection et la notification ne sont pas une garantie de financement fédéral. Les demandeurs assument la responsabilité des coûts engagés avant de conclure une entente de financement officielle avec le gouvernement du Canada.

Comme l’approbation sera fondée sur les détails fournis dans la demande, l’entente de financement sera rédigée en fonction de la portée des travaux précisés [sic] dans la demande. Par conséquent, ECCC collaborera avec les demandeurs retenus pour faire en sorte que la demande soit dûment prise en compte dans l’entente de financement. Aussi, l’entente de financement comprendra un protocole de communications qui décrira les renseignements par rapport à l’image de marque et autres éléments en matière de communications.

[Italique ajouté]

[45] Le fait que l’approbation du financement octroyé dans le cadre du Programme de remises était une approbation de principe a également été mentionné dans le courriel d’ECCC du 20 août 2019 destiné à informer les organisations dont le financement avait été approuvé qu’elles recevraient une lettre d’approbation de principe au plus tard le 22 août 2019. Le courriel qu’ECCC a envoyé à M. Cho le 21 août 2019 était accompagné de [traduction] « la lettre d’approbation de principe du gouvernement fédéral » et indiquait ce qui suit :

[traduction]
La contribution du Canada est subordonnée à la signature de l’entente de financement par les deux parties. Vous trouverez ci‑joint une copie dans laquelle les sections pertinentes (c.‑à‑d. les sections nécessitant votre intervention) sont surlignées en jaune. Nous vous demandons également de confirmer les renseignements indiqués à l’annexe B. Au besoin, Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) fera un suivi relativement aux exigences non satisfaites. Une fois ces démarches terminées, ECCC examinera le tout et préparera une copie définitive pour signature. Veuillez noter que l’entente n’est pas négociable et doit être signée par l’ensemble des parties dans les trente (30) jours ouvrables suivant la date de réception de l’entente […]

[46] La lettre d’avis officielle qu’ECCC a envoyée à M. Cho le 21 août 2019 fait également mention de l’approbation de principe :

[traduction]
Nous sommes heureux de vous informer que le gouvernement fédéral a donné son approbation de principe relativement au financement des remises effectuées aux points de vente de Visions Electronics en Ontario, dans le cadre du Programme de remises écoénergétiques du Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone. Cette approbation est accordée à la suite d’un examen concluant de votre proposition [...]

La dernière étape du processus fédéral d’approbation des remises aux points de vente consistera à signer une entente de financement énonçant les conditions selon lesquelles le financement fédéral sera fourni [...] L’entente n’est pas négociable et doit être signée par l’ensemble des parties dans les trente (30) jours ouvrables suivant la date de réception de l’entente […]

[47] Je conviens avec le défendeur que la décision du ministre d’approuver le financement constituait effectivement la première étape d’un processus en deux étapes. La première étape était l’approbation de principe, qui comprenait la sélection, l’évaluation et la présentation d’une recommandation par ECCC, ainsi que l’acceptation ou le rejet par le ministre de la recommandation d’approuver le financement. La deuxième étape consistait à conclure l’entente de financement, ce qui revenait, en substance, à conclure un contrat privé ou commercial.

[48] Il importe de souligner également que l’approbation du financement est qualifiée d’approbation de principe dans les sections du Guide du demandeur qui portent sur les étapes postérieures à l’acceptation par le ministre de la recommandation d’ECCC d’approuver le financement (sections 4.4 et 4.5). Autrement dit, le Guide du demandeur ne reflète pas le point de vue de la demanderesse selon lequel, dès le moment où le ministre avait accepté la recommandation d’ECCC d’approuver le financement, cette approbation était définitive et le financement devait être fourni. Selon le Guide du demandeur, l’étape suivante du processus consiste plutôt à passer de l’approbation de principe à la signature d’une entente de financement.

[49] Et, bien que le Guide du demandeur n’ait pas force exécutoire, la section 4.5 comporte une mise en garde à l’intention des parties quant au processus de financement du Programme de remises. La section 4.5 mentionne explicitement que l’obtention du financement est subordonnée à la signature de l’entente de financement, et que la sélection et la notification ne garantissent pas qu’un financement sera accordé par le gouvernement fédéral.

[50] Je ne souscris pas à l’observation de la demanderesse voulant que, dès le moment où ils avaient exercé leurs fonctions de présélection et d’évaluation, les fonctionnaires d’ECCC étaient dessaisis. La demanderesse soutient qu’à partir du moment où le ministre avait accepté la recommandation et approuvé le financement, le rôle d’ECCC se limitait à insérer les modalités et conditions appropriées dans l’entente de financement, puis à signer cette dernière. Or, l’approbation du financement par le ministre n’éliminait pas les exigences relatives à l’entente de financement ou le pouvoir de conclure une telle entente. De façon similaire, même si la décision de ne pas conclure l’entente de financement a pu avoir le même effet, ECCC n’a pas [traduction] « annuler » la décision du ministre sans autorisation, comme le soutient la demanderesse. ECCC a plutôt décidé de ne pas passer à l’étape suivante du processus consistant à conclure l’entente de financement.

[51] En somme, les sections 4.4 et 4.5 informaient la demanderesse que l’approbation du financement était une approbation de principe, que l’obtention du financement était subordonnée à la signature d’une entente de financement et que la sélection et la notification n’offraient pas de garantie de financement. ECCC avait également informé la demanderesse, dans sa correspondance avec elle, que le financement était approuvé en principe seulement. Ni la section 4.3 ni l’approbation de principe du financement n’entraînaient l’obligation légale pour le ministre ou ECCC de fournir un financement. Les sections 4.4 et 4.5 ne portaient pas non plus atteinte au vaste pouvoir discrétionnaire du ministre et de ses délégués de conclure des contrats, comme je l’ai mentionné précédemment. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire d’ECCC de conclure ou non l’entente de financement n’était limité par aucune loi, aucun guide et aucune communication avec Visions Electronics. Je suis d’avis qu’ECCC avait le pouvoir de ne pas conclure l’entente de financement.

Question en litige no 2 : La décision relative à l’entente de financement était‑elle raisonnable?

Position de la demanderesse

[52] La demanderesse soutient qu’ECCC était lié par le cadre juridique et factuel du Programme de remises, qui exigeait qu’ECCC évalue les demandeurs en fonction de critères définis et qu’il respecte les décisions définitives du ministre. Elle affirme que Visions Electronics satisfaisait aux critères d’admissibilité comme l’a déterminé ECCC lors de la présélection et que sa proposition avait été approuvée par le ministre dans une décision définitive et non susceptible d’appel. Elle soutient qu’en [traduction] « annulant » la décision du ministre, ECCC a commis une erreur de droit. La demanderesse fait valoir que le Programme de remises n’empêche pas les sociétés en commandite agissant par l’entremise de leur commandité de présenter une demande de financement, et que la décision d’ECCC est fondée sur l’hypothèse selon laquelle Visions Electronics n’était pas constituée en société au Canada à la date de présentation de la demande. La demanderesse soutient que rien n’indique qu’ECCC a tenu compte du fait que Visions Electronics exerçait ses activités par l’entremise de sa commanditée.

[53] La demanderesse soutient en outre que, en l’espèce, la Cour ne peut pas véritablement exercer sa fonction de contrôle judiciaire, car ECCC n’a fourni à la demanderesse aucun motif à l’appui de sa décision. La demanderesse fait valoir qu’ECCC n’a fourni aucun motif pour expliquer l’interprétation qu’elle a donnée au critère de la constitution en société ou expliquer en quoi ECCC avait le pouvoir d’annuler la décision du ministre. Elle soutient, par conséquent, que la Cour devrait conclure qu’ECCC a pris sa décision sans tenir compte d’un fait pertinent et nécessaire.

[54] Enfin, la demanderesse soutient que le défaut de tenir compte d’un facteur pertinent constitue une erreur au même titre que la prise en considération d’un facteur non pertinent (citant l’arrêt SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2009 CSC 29 au para 172). La demanderesse soutient qu’ECCC n’a pas tenu compte du fait pertinent que la commanditée de Visions Electronics est constituée en société. La demanderesse fait valoir que le Programme de remises ne comporte aucune restriction, explicite ou implicite, selon laquelle le financement ne serait pas offert aux sociétés en commandite agissant à titre de détaillant par l’entremise de leur commandité.

[55] La demanderesse soutient que la décision n’est pas intelligible, transparente ou justifiée et qu’elle est, de ce fait, déraisonnable. Elle prétend en outre qu’il n’existe qu’un seul résultat raisonnable et que, par conséquent, l’affaire ne devrait pas être renvoyée à ECCC pour révision. La décision devrait plutôt être cassée et l’approbation du financement par le ministre devrait être déclarée exécutoire.

Position du défendeur

[56] Le défendeur soutient que la décision relative au financement est raisonnable.

[57] Selon le défendeur, il aurait été illégal pour ECCC de conclure l’entente de financement après avoir déterminé que Visions Electronics n’était pas admissible. L’éventail des résultats possibles était limité par les contraintes législatives et politiques. Le Programme de remises est un programme de paiement de transfert fédéral régi par l’alinéa 34(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), c F‑11 [Loi sur la gestion des finances publiques], et par la Politique sur les paiements de transfert et la Directive sur les paiements de transfert du Conseil du Trésor. L’alinéa 34(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques exige qu’un fonctionnaire atteste que le bénéficiaire est admissible au paiement. En outre, les modalités de transfert des paiements doivent être conformes aux politiques du Conseil du Trésor. Le défendeur soutient que les modalités et conditions du Programme de remises exigeaient que les bénéficiaires soient constitués en société au Canada. ECCC n’était donc pas autorisé à conclure une entente de financement avec des entités non constituées en société. La seule décision légitime que pouvait prendre ECCC était de ne pas conclure l’entente de financement.

[58] Le défendeur soutient en outre que l’interprétation qu’ECCC a faite des critères d’admissibilité est raisonnable et mérite déférence. Le défendeur souligne que l’interprétation qu’un décideur fait de ses propres politiques et procédures commande un degré de déférence important (citant Douglas c Canada (Procureur général), 2014 CF 299 au para 70). En l’espèce, le Guide du demandeur indique que le demandeur doit être constitué en société au Canada, et M. Cho a reconnu que Visions Electronics ne l’était pas. Le défendeur souligne que la détermination d’ECCC selon laquelle Visions Electronics ne satisfaisait pas au critère de la constitution en société concorde avec le refus d’ECCC d’accorder un financement aux autres demandeurs qui n’étaient pas constitués en société.

[59] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour ECCC de ne pas conclure l’entente de financement avec la commanditée de Visions. Le défendeur souligne que les motifs ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection, et que le dossier et le contexte général peuvent également expliquer le fondement de la décision. Le défendeur soutient qu’ECCC a tenu compte de la demande de Visions qui souhaitait que sa commanditée soit constituée partie à l’entente de financement. À titre d’exemple, après avoir reçu la version révisée de l’entente de financement proposée par la demanderesse, laquelle avait été modifiée de façon à inclure la commanditée de Visions à titre de partie contractante, dans son courriel du 23 septembre 2019 à M. Kruger, Mme Pinkham a indiqué qu’ECCC n’entendait pas conclure d’entente de financement ni examiner la proposition de la demanderesse concernant sa commanditée. Le défendeur affirme que Mme Pinkham a exposé à la demanderesse le raisonnement sur lequel ECCC fondait cette décision – à l’expiration du délai imparti pour présenter une demande dans le cadre du Programme de remises, c’est‑à‑dire le 24 juillet 2019, la commanditée de Visions n’avait pas présenté de demande et ECCC n’entendait pas modifier les paramètres du programme. Le défendeur souligne que la décision d’ECCC était également conforme aux communications d’ECCC avec Visions Electronics après l’approbation de principe. Visions Electronics a été informée que l’entente de financement n’était pas négociable, mais la demanderesse a néanmoins modifié l’entente afin de nommer sa commanditée à titre de partie contractante. Le demandeur retenu par ECCC était Visions Electronics et la décision d’ECCC de ne pas conclure de contrat avec une entité juridique différente après l’expiration du délai imparti pour présenter une demande était raisonnable.

[60] Enfin, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour ECCC de ne pas conclure l’entente de financement sachant que l’approbation du financement était fondée sur des renseignements inexacts fournis par Visions Electronics.

[61] Le défendeur soutient qu’ECCC a agi conformément à l’obligation que lui impose la loi de ne pas conclure d’entente de financement avec une partie qui ne satisfait pas aux critères d’admissibilité. Le pouvoir conféré par la loi dont disposait ECCC était lié à la mise en œuvre des modalités et conditions du Programme de remises et à son obligation de les respecter.

Analyse

[62] Le défendeur concède que la décision relative au financement est justiciable même si elle concerne la conclusion d’un contrat commercial par des fonctionnaires. Il fait toutefois observer, et je souscris à son observation, qu’il convient de faire preuve de déférence lors du contrôle de décisions du gouvernement concernant la conclusion de contrats commerciaux, dont font partie les ententes de financement.

[63] À cet égard, le défendeur invoque l’arrêt Irving Shipbuilding Inc. c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116 [Irving Shipbuilding]. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a fait observer que « [l]es marchés publics se situent à la frontière entre le droit public et le droit privé » (au para 1). Dans cette affaire, les parties et la Cour ont convenu que l’attribution d’un contrat de soutien en service de sous‑marins pouvait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. La Cour a conclu que l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et les vastes responsabilités du ministre relativement à l’acquisition de biens et de services pour le gouvernement du Canada prévues par la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, LC 1996, c 16, établissaient la compétence, et que les dispositions de cette dernière comprenaient le pouvoir de conclure des contrats de maintenance et d’entretien courant de sous‑marins pour le compte du ministère. La Cour d’appel fédéral s’est ensuite exprimée ainsi :

[21] Le fait que le pouvoir du ministre, un fonctionnaire, d’attribuer le contrat est prévu par la loi et que cet important contrat d’entretien et de réparation de sous‑marins de la Marine canadienne constitue une question d’intérêt public, démontre que l’attribution du contrat peut être susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27], une procédure de droit public visant à contester l’exercice d’un pouvoir public. Toutefois, le fait que le vaste pouvoir du ministre conféré par la loi est une délégation de la capacité contractuelle de la Couronne, en sa qualité de personne morale individuelle, et que son exercice par le ministre représente un pouvoir discrétionnaire considérable et est régi essentiellement par le droit privé en matière de contrats, pourrait limiter les circonstances dans lesquelles la Cour ferait droit à une demande de contrôle judiciaire portant sur la légalité de l’attribution d’un contrat.

[22] La Cour a tiré une conclusion semblable dans la décision Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), 1995 CanLII 3600 (CAF), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.) (Gestion Complexe), aux paragraphes 7 à 17. La Cour a conclu que l’exercice par un ministre du pouvoir conféré par la loi de lancer un appel d’offres et de conclure des contrats pour la location de locaux par la Couronne pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’ancien paragraphe 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale puisqu’il s’agit d’une décision d’un « office fédéral ».

Le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour, n’a pas traité précisément de la question en litige en l’espèce, mais il a également mis l’accent sur les difficultés qu’un demandeur devrait surmonter pour établir un motif de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour dans le processus d’acquisition par l’entremise de sa compétence en matière de contrôle judiciaire. Ainsi, il a déclaré ce qui suit au paragraphe 20 :

Le contrôle judiciaire visant par définition la légalité des actes de l’Administration fédérale, et le processus de demande de soumissions n’étant assujetti à aucune exigence de forme ou de fond législative ou réglementaire, il ne sera pas facile, là où les documents de soumission n’imposent pas de restrictions sévères à l’exercice par le ministre de sa liberté de choix, de démontrer à quelle illégalité s’adonne le ministre lorsque, dans le cours normal des choses, il compare les offres reçues, détermine si une soumission est conforme ou non aux documents ou retient une soumission plutôt qu’une autre.

[Caractère gras ajouté]

[64] En l’espèce, la demanderesse ne situe pas sa contestation dans le contexte contractuel, pas plus qu’elle ne conteste la compétence de notre Cour sur ce fondement. Et, bien que les affaires Irving Shipbuilding et Gestion Complexe portent sur des contrats d’acquisition, le principe selon lequel les contrats conclus par le gouvernement fédéral peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire et qu’il convient de faire preuve de déférence lorsque la loi confère un pouvoir étendu permettant de conclure des contrats, demeure le même. Dans la présente affaire, compte tenu de la nature hautement discrétionnaire des décisions relatives à la conclusion d’ententes de financement, je suis d’avis qu’il convient de faire preuve de déférence à l’égard des décisions des fonctionnaires d’ECCC de ne pas conclure d’ententes de financement.

[65] En ce qui concerne le contexte juridique, les contraintes législatives liées à la prise de cette décision étaient minimes. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’existe pas de loi particulière en vertu de laquelle le Programme de remises a été créé ou est régi et en fonction de laquelle le caractère raisonnable de la décision d’ECCC pourrait être évalué.

[66] Selon les observations du défendeur, il semble que la contrainte législative pertinente soit l’alinéa 34(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui exige que les ministères attestent qu’un bénéficiaire est admissible au financement qui lui est accordé. Le défendeur affirme que les modalités et conditions des paiements de transfert fédéraux sont autorisées par le Cabinet et approuvées par le Conseil du Trésor conformément à la Politique sur les paiements de transfert et à la Directive sur les paiements de transfert. Il ajoute que, conformément aux modalités et conditions du Programme de remises, les bénéficiaires d’un financement doivent être constitués en société au Canada. Il s’ensuivrait que les fonctionnaires d’ECCC n’étaient pas autorisés à conclure des ententes de financement avec des entités non constituées en société et ne pouvaient légalement et raisonnablement conclure de telles ententes compte tenu des modalités et conditions du Programme de remises.

[67] Il se peut qu’il en ait été ainsi. Toutefois, le dossier dont je dispose ne contient aucun document qui a pour titre « Programme de remises » ou qui présente le Programme de remises. Par conséquent, il m’est impossible de confirmer que les critères d’admissibilité énoncés dans le Guide du demandeur constituent les modalités et conditions du Programme de remises. De plus, bien que des copies de la Politique sur les paiements de transfert et de la Directive sur les paiements de transfert figurent au dossier, le défendeur n’a produit aucun affidavit pour expliquer en quoi ces documents sont liés au processus décisionnel appliqué dans le cadre du Programme de remises.

[68] Bien qu’une décision déraisonnable soit par définition contraire à la loi, en l’espèce, le dossier établit que la décision d’ECCC de rejeter la demande de Visions Electronics était fondée sur le fait que cette dernière ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité; il n’établit pas qu’ECCC a également rejeté la demande au motif qu’il aurait été illégal pour ECCC de conclure l’entente de financement.

[69] En ce qui concerne le contexte factuel, je souligne qu’à la section A – Renseignements sur le demandeur, « Nom légal complet du demandeur (p. ex. Nom de la société, marque de commerce [sic]) » du formulaire de demande qu’il a présenté, M. Cho a inscrit « Visions Electronics Limited Partnership ». À la section C – Admissibilité, le formulaire de demande contient la consigne suivante : « Veuillez vous reporter aux critères d’admissibilité énoncés dans le Guide du demandeur ». Cette consigne est suivie d’une case accompagnée de l’énoncé « Cochez si le demandeur est une entreprise de détail constituée [sic] au Canada ». M. Cho a coché cette case. À la section G – Présentation de la demande, il a coché la case correspondant à la déclaration suivante : « Par la présente, je déclare que les renseignements contenus aux présentes sont véridiques, exacts et complets à tous les égards et qu’ils ne contiennent aucune fausse déclaration, falsification, omissions ou dissimulations de faits importants ». Ainsi, le nom inscrit dans le formulaire indiquait à sa face même que le demandeur était une société en commandite et non une entreprise constituée en société, contrairement à ce qu’exigeaient les critères d’admissibilité.

[70] Il est vrai que rien dans le dossier n’indique qu’ECCC a signalé que le statut de société en commandite de Visions Electronics posait problème. Autrement dit, il semble que Visions Electronics ait réussi à franchir les étapes de la présélection et de l’évaluation sans que quiconque à ECCC ne remarque qu’il pourrait y avoir un problème d’admissibilité. Cela donne à penser qu’une erreur involontaire de la part d’ECCC est survenue, d’autant plus que le dossier indique que deux autres demandeurs ont été jugés non admissibles pour la raison suivante : [traduction] « le demandeur n’est pas constitué en société au Canada ».

[71] Néanmoins, et contrairement à ce qu’a fait valoir la demanderesse lorsqu’elle a comparu devant moi, je ne puis conclure que cette erreur involontaire de la part d’ECCC a entraîné pour ECCC l’obligation légale de conclure l’entente de financement. Le Guide du demandeur exigeait que les demandeurs démontrent qu’ils satisfaisaient à tous les critères d’admissibilité (section 3.1). Il indiquait également que l’approbation du financement serait fondée sur les renseignements fournis dans la demande (section 4.5). Je ne suis pas d’accord pour dire que la demanderesse s’était acquittée de cette responsabilité ou avait satisfaisait à cette exigence du simple fait que le financement avait été approuvé en principe – sachant que cette approbation de principe a été accordée sur la base des renseignements inexacts que Visions Electronics a fournis dans sa demande – et qu’ECCC était par conséquent légalement tenu de conclure une entente de financement.

[72] À cet égard, je souligne que la lettre de décision de novembre indiquait que les critères d’admissibilité étaient énoncés dans le Guide du demandeur, que Visions Electronics avait indiqué dans sa demande qu’elle était une entreprise de détail constituée en société au Canada et qu’ECCC s’était fondé sur cette indication pour accorder une approbation de principe à l’égard du financement. La lettre de décision indiquait que, puisque les renseignements étaient inexacts et malgré les explications subséquentes fournies dans la lettre de M. Sur du 18 octobre 2019, le fait demeurait que Visions Electronics Limited Partnership était le demandeur et qu’elle ne satisfait pas au critère selon lequel elle devait être une entreprise de détail constituée en société au Canada. Ainsi, ECCC a maintenu sa décision selon laquelle Visions Electronics n’était pas une entreprise de détail constituée en société au Canada au moment où la demande a été présentée et qu’elle n’était pas, de ce fait, admissible à un financement dans le cadre du Programme de remises.

[73] En outre, Visions Electronics avait été informée que l’entente de financement ne pouvait pas faire l’objet de négociations. Lorsqu’ECCC a fourni le modèle d’entente de financement à Visions Electronics, le Ministère il lui a demandé de vérifier les renseignements mis en surbrillance. L’énumération des parties à l’entente indique ce qui suit : [traduction] « VISIONS ELECTRONICS LIMITED PARTNERSHIP, constituée en société sous le régime de la [LOI], ayant son siège social au [ADRESSE] dans la province de l’Ontario ». La loi constitutive et l’emplacement du siège social étaient en surbrillance. L’alinéa 5a) de l’article 5 – Déclarations et garanties du bénéficiaire, qui est reproduit ci‑dessous, était également en surbrillance :

[traduction]
Le Bénéficiaire déclare et garantit ce qui suit au Canada :

a) le Bénéficiaire a la capacité et le pouvoir de signer la présente Entente [INSÉRER SOIT « aux termes de [MENTION DU RÈGLEMENT ADMINISTRATIF OU DE LA RÉSOLUTION], daté(e) du [DATE] » OU « en vertu d’une résolution de son conseil d’administration du [DATE] »];

b) le Bénéficiaire a la capacité et le pouvoir de mener à bien le Projet;

c) la présente Entente constitue une obligation légale liant le Bénéficiaire et lui est opposable conformément à ses modalités et conditions;

d) tous les renseignements fournis au Canada dans le cadre de la présente Entente sont véridiques et exacts, et ont été préparés de bonne foi et au mieux des capacités, des compétences et du jugement du Bénéficiaire;

[74] Même si l’entente de financement n’était pas négociable, M. Kruger a joint à son courriel du 19 septembre 2019 à Mme Pinkham une entente de financement qu’il avait révisée. Dans le document révisé, il a identifié le bénéficiaire comme étant [traduction] « VISIONS ELECTRONICS LIMITED PARTNERSHIP, enregistrée dans la province de l’Alberta et ayant son siège social au 6009 – 1 A Street SW, Calgary, dans la province de l’Alberta ».

[75] Il a révisé l’alinéa 5a) de façon à ce qu’il soit ainsi formulé :

[traduction]

a) le Bénéficiaire a la capacité et le pouvoir de signer la présente Entente étant dûment autorisé en sa qualité de président de Visions Electronics Limited Partnership [INSÉRER SOIT « aux termes de [MENTION DU RÈGLEMENT ADMINISTRATIF OU DE LA RÉSOLUTION], daté(e) du [DATE] » OU « en vertu d’une résolution de son conseil d’administration du [DATE] »];

[76] L’entente de financement révisée indiquait toujours que le demandeur était une société en commandite.

[77] Je ne souscris pas non plus à l’observation de la demanderesse portant que, puisque le Guide du demandeur n’interdit pas explicitement aux sociétés en commandite agissant par l’entremise d’un commandité constitué en société de présenter une demande, il s’ensuit qu’ECCC n’a pas dûment tenu compte de la portée du critère de la constitution en société. Le Guide du demandeur et le formulaire de demande étaient clairs. Le Guide indique que, pour être admissible, l’entité qui présente la demande – qu’ECCC pouvait raisonnablement supposer être le demandeur désigné dans la demande de financement – doit être « constituée en société au Canada ». Si Visions Electronics, à titre de société en commandite non constituée en société, avait quelque doute que ce soit quant à ce que ce critère signifiait pour elle, il était de sa responsabilité de soulever la question auprès d’ECCC avant la date limite de présentation des demandes.

[78] En somme, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour ECCC de décider de ne pas conclure d’entente de financement avec Visions Electronics compte tenu des facteurs pertinents, soit le fait que le Guide du demandeur exigeait que les demandeurs soient constitués en société au Canada, que d’autres demandeurs avaient été écartés parce qu’ils n’étaient pas constitués en société au Canada et que Visions Electronics s’était présentée comme étant constituée en société au Canada alors que ce n’était pas le cas.

[79] Toutefois, l’essentiel de l’argument de la demanderesse tient à ce qu’ECCC n’aurait pas dûment tenu compte du fait que la commanditée de Visions était constituée en société au Canada et qu’elle pouvait légalement agir pour le compte de Visions Electronics. La demanderesse a formulé cet argument de diverses façons – en soutenant qu’ECCC n’avait pas expliqué la façon dont elle interprétait le critère de la constitution en société ou qu’ECCC n’avait pas tenu compte d’un facteur pertinent, soit le fait que la commanditée de Visions Electronics était constituée en société au Canada. En substance, la demanderesse soutient que, dans sa forme actuelle, Visions Electronics est une société en commandite, mais qu’au fond, parce qu’elle exerce ses activités par l’entremise de sa commanditée, elle est constituée en société au Canada.

[80] Je suis d’avis qu’ECCC a tenu compte de ce facteur et qu’il était raisonnable pour ECCC de ne pas conclure d’entente de financement avec la commanditée de Visions Electronics. Le Guide du demandeur et la lettre d’approbation de principe indiquent que l’entente de financement ne peut pas faire l’objet de négociations. À mon avis, cela englobait les négociations visant à établir qui était l’entité bénéficiaire. Dans son courriel du 23 septembre 2019, Mme Pinkham a de nouveau indiqué que, puisque Visions Electronics avait informé ECCC qu’elle n’était pas constituée en société au Canada, elle n’était, par conséquent, pas admissible au Programme de remises. ECCC n’était donc pas en position d’examiner la proposition concernant les remises au point de vente, de conclure une entente de financement [traduction] « ou de tenir compte de la proposition ci‑dessous (avec un commandité) de Visions Electronics », c’est‑à‑dire que la proposition demandant de conclure l’entente de financement avec la commanditée de Visions Electronics. Elle a également mentionné que le programme avait atteint sa capacité maximale et que la période d’acceptation des demandes était terminée, et a précisé qu’ECCC n’entendait pas, à ce moment‑là, apporter de modifications aux paramètres du programme.

[81] La lettre de décision du 22 novembre 2019 avait été rédigée en réponse à la lettre de M. Sur du 18 octobre 2019, dans laquelle ce dernier indiquait que 1706811 Alberta Ltd, à titre de commanditée de Visions Electronics Limited Partnership, était [traduction] « le véritable demandeur » au titre du Programme de remises. M. Sur y exposait également son point de vue voulant que, puisque la commanditée était autorisée aux termes de la convention de société en commandite et de la loi de l’Alberta intitulée Partnership Act à exercer les activités de Visions Electronics, et qu’elle avait le [traduction] « pouvoir de conclure des contrats et de détenir des biens de Visions [Electronics] en fiducie pour le compte de Visions [Electronics] », Visions Electronics satisfaisait aux critères applicables aux demandeurs dans le cadre du Programme de remises.

[82] M. Sur a également indiqué que tous les contrats de Visions Electronics [traduction] « doivent être conclus par 1706811 Alberta Ltd à titre de commanditée de Visions ». Or, la commanditée n’était pas mentionnée dans la demande initiale, même si le Guide du demandeur précisait qu’une entente de financement – c’est‑à‑dire un contrat – devait être signée dans le cadre du processus de financement.

[83] De même, dans son courriel du 13 septembre 2019, M. Kruger a indiqué comprendre, d’après ce que lui avait dit M. Cho, que le fait de traiter avec une société en commandite posait problème et a ajouté ce qui suit : [traduction] « Nous avons été confrontés à ce genre de situation dans le passé et avons toujours pu régler le problème en permettant que le contrat soit conclu par [la] commanditée [de Visions Electronics], qui est une entité constituée en société et est entièrement habilitée à agir au nom de l’entreprise […] ».

[84] Dans l’affidavit qu’il a souscrit le 21 février 2020, M. Cho affirme qu’il n’était pas amené, dans le cadre de son travail quotidien, à composer avec les renseignements exigés à la section A de la demande et qu’il s’est fié à la connaissance que M. Kruger avait de Visions Electronics au moment de remplir cette section. Il affirme en outre que, lorsque Mme Pinkham lui a demandé d’indiquer la loi en vertu de laquelle Visions Electronics était constituée en société et de fournir les renseignements exigés à l’alinéa 5a), sa réponse selon laquelle Visions Electronics est une société en commandite et n’est pas constituée en société provenait également de M. Kruger. Or, dans ses réponses écrites aux questions concernant son affidavit, à la question de savoir s’il était d’accord pour dire que les renseignements fournis dans la demande étaient faux, inexacts et incomplets, sachant que Visions Electronics Limited Partnership n’était pas une société de détail constituée en société au Canada, M. Cho a répondu ce qui suit : [traduction] « Non, je ne suis pas d’accord, je rejette l’hypothèse contenue dans cette question selon laquelle Visions Electronics n’est pas constituée en société au Canada. Selon ma compréhension, la commanditée de Visions Electronics Limited Partnership est 1706811 Alberta Ltd., une entité constituée en société en Alberta, au Canada. » Si c’est là la compréhension des choses qu’avait M. Cho au moment où il a présenté la demande, cela signifie, compte tenu du fait qu’il n’a pas mentionné la relation avec la commanditée dans la demande, que la demande qu’il a présentée était inexacte et incomplète et qu’il y aurait donc contradiction entre les renseignements contenus dans la demande et l’attestation de M. Cho selon laquelle Visions Electronics est une entreprise de détail constituée en société au Canada. Par ailleurs, lorsqu’on la considère dans son ensemble, la preuve démontre que M. Cho ne comprenait tout simplement pas que le demandeur, Visions Electronics, à titre de société en commandite, n’était pas une entité constituée en société. Pour cette raison, la demande, telle qu’elle a été présentée, ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité.

[85] Comme je l’ai souligné précédemment, l’entente de financement révisée par M. Kruger ne mentionnait pas non plus la commanditée dans la description de la partie bénéficiaire. En ce qui concerne la modification que M. Kruger a apportée à l’alinéa 5a) de l’entente de financement, lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat de la demanderesse a reconnu que la modification de l’alinéa 5a) par M. Kruger aurait été suffisante pour justifier qu’ECCC refuse de conclure l’entente de financement. Toutefois, l’avocat a soutenu qu’ECCC n’avait pas indiqué que cette modification était la raison à l’origine de son refus. Quoi qu’il en soit, je vois mal comment le « bénéficiaire » – c’est‑à‑dire la société en commandite – pouvait avoir la capacité et le pouvoir de signer l’entente de financement [traduction] « étant dûment autorisé en sa qualité de président de Visions Electronics Limited Partnership » sachant que la lettre de M. Sur indique que tous les contrats doivent être conclus par la commanditée et que c’est aussi l’approche qui a été proposée par M. Kruger.

[86] Même si ECCC avait accepté l’affirmation de la demanderesse voulant que la commanditée de Visions Electronics était constituée en société au Canada et qu’elle pouvait agir au nom de Visions Electronics, cela aurait tout de même impliqué de fournir un financement à une entité autre que celle qui avait présenté la demande, et ce, alors que le délai imparti pour présenter une demande était expiré. Cela aurait également supposé de permettre à la commanditée de conclure l’entente de financement non négociable qui avait été approuvée en principe pour Visions Electronics sur la base de sa déclaration portant qu’elle était une entité constituée en société.

[87] La question dont je suis saisie est de savoir si la décision était justifiée au regard des faits et du droit. Vu les contraintes juridiques limitées qui s’appliquaient, que j’ai mentionnées précédemment, et compte tenu du dossier dont je dispose, j’estime que la décision était raisonnable. ECCC a expliqué que, comme il est apparu après l’approbation de principe relative au financement du demandeur, Visions Electronics n’était pas constituée en société contrairement à ce qui était indiqué dans la demande et, par conséquent, elle ne satisfait pas aux critères d’admissibilité du programme. En outre, ECCC n’était pas disposé à envisager de permettre à la commanditée de conclure une entente de financement, car celle‑ci n’était pas désignée dans la demande comme étant le demandeur, et le délai imparti pour présenter une demande était expiré.

Question en litige no 3 : La décision relative à l’entente de financement était‑elle équitable sur le plan procédural?

Position de la demanderesse

[88] La demanderesse soutient que la norme de contrôle est celle de la décision correcte et invoque les facteurs de l’arrêt Baker utilisés pour déterminer le degré et le contenu de l’obligation d’équité procédurale en l’espèce. La demanderesse soutient que ni l’approbation du financement par le ministre ni la décision d’ECCC du 22 novembre 2019 n’étaient susceptibles d’appel. Elle précise que la décision a eu des répercussions négatives importantes pour Visions sur le plan financier et en ce qui concerne sa compétitivité. Ainsi, elle soutient que, conformément aux principes de l’équité procédurale, Visions Electronics aurait dû être avisée de la preuve qu’elle devait faire et avoir la possibilité d’être véritablement entendue avant qu’ECCC ne prenne sa décision.

[89] S’agissant de l’avis, la demanderesse souligne qu’il s’agit d’un aspect fondamental de l’obligation d’équité. La demanderesse fait valoir que l’avis doit permettre à la partie concernée de savoir quelles conséquences la décision aura pour elle, et que le fait de ne pas donner d’avis constitue une pratique inadéquate (Sitler c Alberta, 2003 ABQB 277 aux para 3 et 5). La demanderesse soutient que Visions Electronics n’a pas été avisée de ce dont elle devait faire la preuve ou du fait qu’ECCC envisageait d’annuler l’approbation du financement par le ministre. La demanderesse soutient que le but de l’étape de la présélection et de l’évaluation du processus de demande est de s’assurer que les demandes sont complètes, et que le Programme de remises [traduction] « obligeait » ECCC à appliquer ces étapes initiales, préalablement à l’approbation du financement, pour s’assurer que les demandes étaient complètes et à clarifier toute question relative à l’admissibilité en communiquant avec les demandeurs. En dépit de cette [traduction] « structure obligatoire », ECCC n’a pas soulevé la question de la personnalité juridique de Visions Electronics et dans son courriel du 12 septembre 2019 a révoqué l’approbation du financement sans donner d’avis.

[90] La demanderesse soutient en outre s’être vu refuser la possibilité de présenter des observations. La demanderesse souligne qu’il est essentiel que les observations soient prises en considération par le décideur, peu importe la forme qu’elles prennent, car autrement le décideur pourrait ne pas saisir pleinement les aspects clés qui interviennent dans la décision. La demanderesse soutient qu’ECCC n’a pas pu tenir compte de ses observations, car la décision a été prise à l’insu de Visions Electronics et sans qu’elle en soit avisée. La demanderesse fait valoir que l’obligation de recevoir des observations était élevée en l’espèce, car la décision était définitive. La demanderesse affirme que la décision est [traduction] « obligatoirement illégale » parce que Visions Electronics n’a su quelle preuve elle devait faire qu’une fois la décision prise.

Position du défendeur

[91] Le défendeur soutient que, dans un contexte où il s’agit pour le gouvernement de décider s’il souhaite ou non conclure un contrat, l’obligation d’équité peut découler d’un contrat, d’une loi ou de la common law. En l’espèce, Visions Electronics ne pouvait se réclamer d’aucun droit à l’équité procédurale conféré par la loi ou découlant d’un contrat. Et, bien que la common law accorde un droit général à l’équité procédurale, ce droit, qui relève du droit public, ne trouve guère d’application dans le contexte d’une relation essentiellement commerciale relevant en grande partie du droit des contrats (citant Irving Shipbuilding au para 6). En l’espèce, l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse était faible et a été respectée. ECCC a informé Visions Electronics de sa position quant à l’admissibilité en septembre, soit deux mois avant la décision du 22 novembre 2019. De plus, c’est le Guide du demandeur qui tenait lieu d’avis en l’espèce. Il précisait que l’entité devait être constituée en société. Par conséquent, Visions aurait dû avoir connaissance du critère de la constitution en société au moment où elle a présenté sa demande. En outre, avant de prendre sa décision définitive en novembre, ECCC a examiné plusieurs observations reçues de Visions Electronics. Cette dernière a donc eu la possibilité de présenter des observations et n’a pas été privée de son droit à l’équité procédurale à cet égard.

Analyse

[92] Je suis d’avis que l’argument de la demanderesse selon lequel ECCC avait l’obligation d’informer Visions Electronics des préoccupations que le ministère pouvait avoir à l’égard de la demande présentée par Visions est dénué de fondement. Comme je l’ai mentionné précédemment, le Guide du demandeur indique qu’il incombe aux demandeurs de démontrer qu’ils satisfont aux critères d’admissibilité et de présenter une demande complète et exacte. Rien dans le Guide du demandeur n’indique qu’ECCC à l’obligation, dans le cadre du processus de présélection et d’évaluation, de s’assurer que les demandes reçues sont complètes et de clarifier toute question relative à l’admissibilité. Le fait que Visions Electronics n’ait pas abordé le fait qu’elle présentait sa demande à titre de société en commandite (et non à titre d’entité constituée en société en elle‑même ou par l’entremise d’un commandité ou autrement) ne peut pas être assimilé à un manque d’équité procédurale de la part d’ECCC.

[93] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Irving Shipyard « [l]es marchés publics se situent à la frontière entre le droit public et le droit privé » (au para 2). Dans cette affaire, la Cour a statué que, puisque le dossier dont elle était saisie impliquait l’attribution d’un contrat, il s’agissait là du contexte dans lequel elle devait déterminer s’il existait une obligation d’équité envers les appelantes. Elle a estimé, d’après les faits de l’espèce, que l’obligation d’équité pouvait découler d’un contrat, de la loi et de la common law. Ayant conclu que ni le contrat ni la loi ne donnaient lieu à une obligation d’équité en l’espèce, la Cour a alors examiné la common law :

[45] L’obligation d’équité en common law n’est pas autonome, mais elle est imposée selon la situation particulière dans laquelle la décision administrative contestée a été prise. À mon avis, on ne peut supposer que l’exécution d’une mesure administrative prise dans le cadre d’une fonction gouvernementale prévue par la loi entraîne une obligation s’appliquant à une décision visant à acquérir des biens et services lorsque les relations juridiques des parties sont en grande partie régies par le droit des contrats.

[46] Le contexte du présent litige est essentiellement de nature commerciale, même si le gouvernement est l’acheteur. TPSGC a établi un contrat conformément à un pouvoir conféré par la loi et les biens et services acquis sont liés à la défense nationale. Selon moi, il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat.

[94] L’obligation d’équité dans le contexte d’une décision administrative et d’un contrat public a été examinée dans l’arrêt Fédération canado‑arabe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1283 [CAF]. Dans cet arrêt, la Cour a examiné l’obligation d’équité procédurale dans le contexte de la décision d’un ministre de ne pas renouveler une entente de financement avec la Fédération canado‑arabe (CAF). Dans l’affaire CAF, les fonctionnaires du Ministère avaient recommandé de conclure une entente de financement avec la CAF dans le cadre du programme Cours de langue pour les immigrants au Canada (CLIC), mais le ministre a décidé de ne pas approuver la version définitive de l’entente de financement. Il s’agissait de déterminer si cette décision était raisonnable et équitable sur le plan procédural. Lorsqu’il a examiné la question de l’équité procédurale, le juge Zinn a d’abord entrepris de déterminer si l’obligation d’équité procédurale s’appliquait dans le contexte d’une relation qu’il estimait être de nature essentiellement commerciale ou contractuelle :

[46] En l’espèce, au moment où le ministre a rendu sa décision, la relation des parties était purement contractuelle. La CAF était partie à un contrat de financement relatif au CLIC avec CIC, contrat se terminant le 31 mars 2009. Aucune stipulation dans ce contrat ne prévoyait le renouvellement automatique ou le prolongation de la durée. Cependant, en raison de cette relation contractuelle, on a invité la CAF à présenter une proposition de modification du contrat afin d’en prolonger la durée d’une année. On a informé la CAF que son contrat avec CIC serait prolongé jusqu’au 31 mars 2010, sous réserve qu’une demande soit déposée et [Traduction] « approuvée ». Malgré le fait que les négociations pour 2009‑2010 avaient été menées à terme, il demeure qu’aucun contrat de financement pour 2009‑2010 n’avait été approuvé ou signé, et on avait clairement fait savoir à la CAF, tant dans les Guidelines for Amendments: Language Instruction for Immigrants to Canada (LINC) 2009‑2010 (les Lignes directrices pour les modifications : Cours de langues pour les immigrants au Canada (CLIC) 2009‑2010) que dans les paragraphes 4.6 et 12.5 de l’entente de contribution 2007‑2009, qu’elle ne devrait pas s’attendre à recevoir quelque financement additionnel que ce soit après le 31 mars 2009, jusqu’à ce qu’elle ait été avisée par écrit que la demande de modification pour prolonger la durée du contrat existant avait été approuvée.

[47] Dans les documents envoyés à la CAF, CIC ne s’engageait aucunement à modifier le contrat existant. La lettre de CIC mentionnant que la durée de l’entente de contribution existant de la CAF pouvait être prolongée ressemble à une demande de présentation d’une proposition, et, comme il a été décidé dans l’arrêt Irving Shipbuilding, on peut prétendre qu’elle crée un contrat lorsque le destinataire répond. En l’espèce, le contrat ne contient aucune promesse expresse que les parties qui répondent seront traitées de manière équitable sur le plan procédural.

[…]

[49] Par conséquent, dans la mesure où la relation des parties était de nature commerciale et contractuelle, rien dans le dossier ne donne à penser que le ministre avait quelque obligation que ce soit de s’engager auprès de la CAF au sujet de ses préoccupations avant de rendre sa décision de ne pas prolonger la durée du contrat existant. Il n’y a aucun fondement, ni légal ni contractuel, permettant à la Cour d’imposer au ministre une obligation d’équité procédurale.

[95] Le juge Zinn a également indiqué que, s’il avait conclu que la demanderesse avait droit à l’équité procédurale, il aurait également conclu, compte tenu des facteurs de l’arrêt Baker, que l’affaire dont il était saisi ne commandait rien de plus que les protections procédurales minimales et que ces exigences étaient remplies (para 61 à 64).

[96] De façon similaire, en l’espèce, une fois l’approbation de principe accordée, il ne restait qu’à signer un contrat, c’est‑à‑dire l’entente de financement. Rien dans le dossier dont je dispose n’appuie la conclusion qu’ECCC avait envers Visions Electronics une obligation d’équité de nature législative ou contractuelle qui exigeait qu’elle consulte Visions Electronics avant de prendre sa décision.

[97] De plus, il faut garder à l’esprit que le contenu de toute obligation d’équité est déterminé par le contexte (Baker au para 21) et qu’on ne peut dissocier le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été prise (Vavilo au para 91). En l’espèce, tout comme dans l’affaire CAF, même si ECCC avait une obligation d’équité en common law, cette obligation était minime et elle a été respectée, car Visions Electronics a été avisée de la décision et a eu la possibilité de répondre. Comme je l’ai mentionné précédemment, Visions Electronics avait été avisée du critère de la constitution en société. À l’instar du Guide du demandeur, les communications entre ECCC et M. Cho indiquaient que les demandeurs devaient être constitués en société au Canada pour être admissibles au financement. Visions Electronics avait également été avisée que l’approbation de principe ne garantissait pas l’obtention d’un financement et que le financement était subordonné à la signature de l’entente de financement. De même, le courriel du 23 septembre 2019 de Mme Pinkham et toutes les communications qui ont précédé la décision du 22 novembre 2019 constituaient autant d’avis à Visions Electronics qu’ECCC n’entendait pas conclure l’entente de financement.

[98] Visions Electronics a également eu la possibilité de présenter des observations relativement à la position d’ECCC sur l’admissibilité de Visions Electronics, et c’est ce qu’elle a fait. ECCC a avisé Visions Electronics qu’elle n’était pas admissible au Programme de remises pour la première fois le 12 septembre 2019. Entre le 12 septembre 2019 et le 22 novembre 2019, divers représentants de Visions Electronics, ainsi que son avocat, ont présenté des observations à ECCC sur la question de la personnalité juridique de Visions Electronics et de son admissibilité. Et, comme je l’ai mentionné précédemment, ECCC a tenu compte de ces observations. Le fait d’avoir la possibilité de présenter des observations ne signifie pas obligatoirement que les observations présentées détermineront ou modifieront le résultat. L’équité procédurale ne garantit pas un résultat particulier. Bien que la position d’ECCC n’ait pas changé entre septembre et novembre, Visions Electronics a été informée de la position d’ECCC et a eu la possibilité de présenter des observations en réponse. De plus, ECCC a fourni à Visions Electronics les raisons pour lesquelles elle avait adopté cette position et n’entendait pas modifier l’entité désignée comme bénéficiaire dans l’entente de financement.

[99] La demanderesse savait quelle preuve elle devait faire et a eu la possibilité de présenter des observations en réponse. L’obligation d’équité procédurale qui s’appliquait a donc été respectée.

Conclusion

[100] Pour les motifs que j’ai exposés, je suis convaincue que, dans ces circonstances, ECCC avait le pouvoir de ne pas conclure d’entente de financement avec Visions Electronics, ou la demanderesse. Je suis également convaincue que la décision d’ECCC était raisonnable et équitable sur le plan procédural.


JUGEMENT dans le dossier T‑2066‑19

LA COUR STATUE QUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Les dépens sont adjugés au défendeur.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑2066‑19

 

INTITULÉ :

VISIONS ELECTRONICS LIMITED PARTNERSHIP faisant affaire sous le nom VISIONS ELECTRONICS, agissant par l’entremise de sa commanditée, 1706811 ALBERTA LTD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Joshua A. Jantzi

Mark Youden

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Carmen G. Regher

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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