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Date : 20050203

Dossier : IMM-3402-03

Référence : 2005 CF 172

ENTRE :

                                              KAILESHAN THANABALASINGHAM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka qui est devenu résident permanent du Canada le 31 août 1992 après avoir obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. Par la présente demande de contrôle judiciaire, il demande l'annulation de la décision datée du 14 mars 2003 par laquelle L. Hill, la représentante du ministre (la décideuse ou la représentante), a conclu qu'il constitue un danger pour le public suivant l'alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Il demande en outre l'annulation de la décision qu'elle a rendue à l'égard du risque auquel il sera exposé s'il retourne au Sri Lanka.


[2]                L'article 115 de la Loi est intitulé « Principe du non-refoulement » et est rédigé comme suit :


Principe

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Protection

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

115(2) Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

115(2) Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

115(3) Renvoi de réfugié

(3) Une personne ne peut, après prononcé d'irrecevabilité au titre de l'alinéa 101(1)e), être renvoyée que vers le pays d'où elle est arrivée au Canada sauf si le pays vers lequel elle sera renvoyée a été désigné au titre du paragraphe 102(1) ou que sa demande d'asile a été rejetée dans le pays d'où elle est arrivée au Canada. [Non souligné dans l'original.]

115(3) Removal of refugee

(3) A person, after a determination under paragraph 101(1)(e) that the person's claim is ineligible, is to be sent to the country from which the person came to Canada, but may be sent to another country if that country is designated under subsection 102(1) or if the country from which the person came to Canada has rejected their claim for refugee protection. [emphasis mine]


[3]                Dans un document daté du 14 mars 2003, intitulé [traduction] « Facteurs relatifs à l'avis du ministre - Alinéa 115(2)a) » , la représentante du ministre expose les motifs pour lesquels elle estime que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[4]                Premièrement, la décideuse a déclaré que le demandeur avait des antécédents de déclarations de culpabilité, la plus récente étant une déclaration de culpabilité pour complot en vue de commettre des voies de fait graves, datant de 1998, pour laquelle il avait été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq mois et vingt-deux jours, qui tenait compte de la période d'un mois et dix jours déjà purgés, et à une probation de dix-huit mois. Il avait été auparavant déclaré coupable en 1995 d'avoir omis de se conformer à son engagement et déclaré coupable d'avoir eu en sa possession à des fins dangereuses une arme (une machette), une déclaration pour laquelle il a été condamné avec sursis en 1996 et pour laquelle on lui a imposé une amende de 500 $ et une interdiction de posséder des armes à feu pendant cinq ans.

[5]                La représentante du ministre a mentionné que le demandeur n'avait pas fait l'objet d'autres accusations depuis 1998, mais elle a ajouté ce qui suit : (dossier du demandeur, à la page 8) [traduction] « Bien que cela soit exact, il y a également la question de la participation de M. Thanabalasingham au Velvetiturai (VVT) » , et elle a mentionné cependant que le demandeur [Traduction] « nie être membre du VVT et nie être un dirigeant de ce gang ou de tout autre gang » .

[6]                La représentante du ministre a déclaré ce qui suit :

[Traduction]


Les faits énoncés dans la Demande d'avis du ministre et dans le Rapport sur l'avis du ministre, de même que toutes les observations incluses dans ces deux documents, diffèrent du récit fait par l'avocate à l'égard de la question de savoir si le client est ou non membre du VVT et constitue ainsi un danger pour le public. Après avoir apprécié les deux récits, j'accorde plus d'importance à ces deux documents. En outre, les éléments de preuve fournis lors des contrôles de la détention et par la police de Toronto sont convaincants relativement au fait que M. Thanabalasingham est membre du VVT. Ils sont en outre dignes de foi quant au fait qu'il joue un rôle central au sein du VVT. Les actions du VVT sont violentes comme l'illustrent les nombreux éléments de preuve documentaire fournis par CIC. Les activités vont de la fraude de cartes de crédit au vol de voitures à l'usage illégal d'armes. L'association de M. Thanabalasingham au VVT amène à penser qu'il participera vraisemblablement à d'autres activités criminelles. Qu'il commette véritablement les infractions ou qu'il les planifie et les organise, le lien existe toujours avec le danger qu'il constitue pour le public au Canada. [Non souligné dans l'original.]

[7]                La représentante du ministre mentionne ensuite la prétention du demandeur selon laquelle il sera détenu et exposé à un risque réel et important de torture étant donné qu'il a quitté le Sri Lanka sans passeport et elle mentionne que l'avocate du demandeur a déclaré que bien que les négociations de paix aient bien progressé, il n'était pas certain ou même probable qu'il y aura une entente définitive. Elle a en outre mentionné que selon l'avocate du demandeur, il y avait encore un risque de torture ou d'autres formes de traitements cruels ou inhumains. La représentante du ministre a conclu ce qui suit :

[traduction]

La Demande d'avis du ministre traite de ces questions. Depuis qu'on a reconnu en 1991 que M. Thanabalasingham était un réfugié au sens de la Convention, les conditions du pays ont considérablement changé. La Demande d'avis du ministre traite des mesures visant les droits de la personne prises par le gouvernement du Sri Lanka. La preuve documentaire exposée dans la Demande d'avis du ministre est contraire à l'opinion qu'a le client à l'égard des conditions actuelles au Sri Lanka. Les documents inclus dans la Demande d'avis du ministre soutenaient l'idée selon laquelle il y avait eu des changements suffisamment importants dans les conditions du pays pour établir qu'il y avait des motifs sérieux de croire que le risque de torture ou de peines ou traitements cruels ou inusités pour M. Thanabalasingham à son retour au pays avait été réduit de façon importante.

La preuve que j'ai appréciée amène à tirer la conclusion que tout risque auquel peut être exposé M. Thanabalasingham est surpassé par le danger pour le public au Canada. [Non souligné dans l'original.]


LES FAITS

[8]                Le 14 février 2002, le demandeur a fait l'objet d'une mesure d'expulsion fondée sur un rapport qui alléguait qu'il devait être renvoyé du Canada en raison de la déclaration de culpabilité pour complot en vue de commettre des voies de fait (la déclaration de culpabilité de 1998).

[9]                Je souligne que le demandeur avait fait l'objet d'un deuxième rapport suivant le paragraphe 27(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration (l'ancienne Loi) qui alléguait qu'il était membre d'un gang, c'est-à-dire une organisation se livrant à des activités criminelles. Le ministre n'a pas pris de mesures quant à cette allégation.

[10]            Le 18 octobre 2001, il a été arrêté à Ottawa. De nombreux individus soi-disant membres de gangs criminels tamouls de la région de Toronto ont de plus été arrêtés en même temps.

[11]            Plusieurs contrôles de la détention ont eu lieu à l'égard de la détention du demandeur. La commissaire Gratton de la Section de l'immigration a initialement ordonné sa détention et, lors du premier contrôle de la détention après une période de 30 jours, elle a ordonné en mars 2002 que la détention soit maintenue parce qu'il constituait un danger pour le public et qu'il risquait de s'enfuir.


[12]            De nombreux autres contrôles de la détention ont donné le même résultat jusqu'aux contrôles de la détention tenus par les commissaires Tumir et Iozzo qui ont, le 5 novembre 2002 et le 18 mars 2003 respectivement, conclu que le demandeur ne constituait pas un danger pour le public parce que les témoignages des policiers étaient fondés [Traduction] « de façon notoire et démontrable sur des sources non fiables reliées à des gangs » et n'étaient par conséquent pas suffisamment dignes de foi (M. Tumir, à la page 22) et que [Traduction] « la preuve présentée afin de montrer que [le demandeur] est le dirigeant du VVT et qu'il participe toujours aux activités du gang, et qu'il a participé à un complot en vue de commettre un meurtre et à des tueries, n'est pas digne de foi » (M. Iozzo, au paragraphe 47 de la décision [2003] I.D.D. no 2).

[13]            Les motifs de ces décisions rendues à l'égard de la détention sont pertinents parce que le libellé de l'article 58 de la nouvelle loi en matière d'immigration incorpore le critère du « danger pour la sécurité publique » dans la décision de savoir si la personne doit être détenue ou non.

[14]            Le ministre a contesté les décisions rendues par M. Tumir et M. Iozzo. Il n'a pas eu gain de cause. Le 21 octobre 2003, dans une décision portant le numéro de référence 2003 CF 1225, Mme la juge Gauthier a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre à l'égard de la décision de M. Iozzo. La décision de la juge Gauthier a été maintenue lors d'un appel devant la Cour d'appel fédérale, dans un arrêt portant le numéro de référence 2004 CAF 4.

[15]            La juge Gauthier a déclaré que c'est le ministre, s'il veut que la détention soit maintenue, qui doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur constitue un danger pour le public. Comme il a été mentionné, la Cour d'appel fédérale était du même avis.

[16]            La juge Gauthier a en outre examiné l'évaluation de la preuve faite par le commissaire Iozzo selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Elle a rejeté la prétention du ministre selon laquelle il était manifestement déraisonnable de rejeter les déclarations de K.G.B. [le surnom donné à ces déclarations se rapporte à l'arrêt de la Cour suprême R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740 (K.G.B.), traitant de la preuve par ouï-dire] et la preuve présentée par les policiers sur le fondement qu'elle n'était pas digne de foi parce que, lors d'audiences antérieures à l'égard de la détention, des commissaires de la Section de l'immigration ont effectivement soutenu que ces déclarations de K.G.B. étaient dignes de foi et parce que Mme Gratton estimait que la preuve du policier Furlong était convaincante.

[17]            La juge Gauthier a déclaré ce qui suit :

¶ 87       La Cour signale tout d'abord qu'en fait, le commissaire Iozzo était confronté à des conclusions contradictoires en ce qui concerne la crédibilité ou la fiabilité des déclarations de K.G.B.

¶ 88     Par ailleurs, il y a lieu de signaler que les trois commissaires qui ont ajouté foi aux déclarations de K.G.B. ont exprimé des réserves au sujet de leur fiabilité et ne les ont considérées dignes de foi qu'en ce qui concerne l'allégation que le défendeur faisait partie du V.V.T. et qu'il en était le chef, parce qu'ils ont accepté la thèse du « fil conducteur » proposée par le demandeur.

¶ 89      De plus, les commissaires qui étaient convaincus que le défendeur était le chef du V.V.T. ou qu'il en faisait à tout le moins partie ont fondé leurs conclusions d'abord et avant tout sur les déclarations de KGB en se servant des dépositions des policiers pour confirmer leur opinion. [Voir la note 2 ci-après.]

[Note 2: Le commissaire Murrant : [traduction] « À quoi s'ajoute le témoignage des policiers [...] » (à la page 160 du dossier).

L'arbitre Gratton : [traduction] « Ces éléments de preuve [les déclarations de KGB], ajoutés àce que j'estime être le témoignage convaincant de l'agent Furlong [...] » (à la page 592 du dossier).


L'arbitre Simmie : [traduction] « Ces éléments d'information [les déclarations de KGB] vont dans le même sens que les renseignements que la police a par ailleurs recueillis et qui ont été attestés par les agents Gadeshan et Furlong » (à la page 1566 du dossier).

¶ 90       En ce qui concerne la qualité de la déposition de l'agent Furlong, voici ce qu'en dit, à la page 592 du dossier, l'arbitre Gratton qui a entendu son témoignage :

                [traduction] Ces éléments de preuve ajoutés à ce que j'estime être le témoignage convaincant de l'agent Furlong qui connaît très bien le milieu des gangs de rue et l'organisation en question m'amènent à conclure qu'il n'est pas déraisonnable de conclure que M. Thanabalasingham est très actif au sein du VVT. [Non souligné dans l'original.]

¶ 91       La conclusion que l'arbitre Gratton a effectivement tirée permet de situer dans son contexte ses observations sur le caractère convaincant de ce témoignage.

¶ 92       Aucun de ces commissaires n'a dit que sa conclusion aurait été la même s'il n'avait pas considéré dignes de foi les déclarations de K.G.B.

¶ 93       L'arbitre Gratton ne disposait pas de tous les éléments de preuve présentés au commissaire Iozzo, car beaucoup de nouveaux éléments ont été soumis lors des contrôles subséquents. L'agent Gadeshan lui a dit que l'enquête de la police était toujours en cours.

¶ 94       En tenant compte de ces éléments, le commissaire Iozzo a examiné tous les éléments de preuve qui lui avaient été soumis en sachant qu'il devait désormais prononcer la mise en liberté de M. Thanabalasingham sauf s'il était convaincu par des éléments de preuve crédibles et dignes de foi qu'il constituait un danger pour le public. À cet égard, il ne s'est pas contenté de se fonder sur les propos formulés par le commissaire Tumir au sujet des déclarations de K.G.B. ou sur le témoignage des policiers : il a procédé à sa propre appréciation de la preuve.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]            L'avocate du demandeur a soulevé les questions de savoir :

(a)        si la représentante a commis une erreur de droit en énonçant des motifs qui n'étaient pas suffisants pour satisfaire à l'exigence à cet égard;

(b)        si la représentante a commis une erreur de droit lorsqu'elle a pris en compte des allégations d'agissements criminels qui n'ont pas entraîné de déclarations de culpabilité ni même d'accusations contre M. Thanabalasingham;


(c)        si la représentante a commis une erreur de droit en accordant plus d'importance à la preuve fournie par ses fonctionnaires qu'aux déclarations assermentées du demandeur, des membres de sa famille et de ses amis;

(d)        si la représentante a commis une erreur de droit du fait d'avoir omis de prendre en compte des éléments de preuve;

(e)        si la représentante a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que le danger que constitue M. Thanabalasingham surpasse tout risque auquel il peut être exposé s'il est renvoyé au Sri Lanka.

UN NOUVEL ÉLÉMENT

[19]            Lors de l'audience devant la Cour, l'avocat du ministre a présenté une demande afin de faire admettre en preuve dans la présente instance le témoignage du demandeur rendu en avril et en mai 2004 devant la Section d'appel de l'immigration (SAI) lors de l'appel de la mesure d'expulsion prise à son endroit en février 2002.

[20]            L'avocat du ministre déclare que le demandeur a reconnu devant la SAI qu'il a menti à la commissaire Gratton lors du contrôle de sa détention. Par conséquent, il déclare que la juge Gauthier et la Cour d'appel fédérale disposaient d'un faux témoignage. La représentante du ministre disposait également de ce faux témoignage lorsqu'elle a rendu sa décision selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et, par conséquent, la Cour dispose de cette preuve dans la présente instance.


[21]            Il prétend que la preuve présentée devant la SAI devrait être admise dans la présente instance et, de plus, que la demande déposée par le demandeur devrait être rejetée sur le seul fondement de son comportement parce que le fait de déposer sa demande de contrôle judiciaire porte atteinte à l'autorité et à l'intégrité de la Cour. Le ministre a prétendu de plus que si la Cour décidait d'entendre la demande déposée par le demandeur, le nouvel élément de preuve devrait être pris en compte pour établir si les prétentions du demandeur sont fondées. Il a prétendu que la Cour ne devrait s'appuyer sur aucune déclaration antérieure faite par le demandeur qu'on sait maintenant fausse et que le nouvel élément de preuve devrait être pris en compte pour établir si du poids devrait être accordé à des faits importants sur lesquels le demandeur s'appuyait.

[22]            L'avocate du demandeur ne contestait pas l'opinion de l'avocat du ministre selon laquelle son client avait menti. Je reproduis l'extrait suivant de son mémoire supplémentaire des faits et du droit déposé le 15 juin 2004 :

[Traduction]

2.             Le ministre veut se fonder sur le témoignage de M. Thanabalasingham rendu lors de son appel devant la Section d'appel de l'immigration dans lequel il a reconnu qu'il n'avait pas été totalement honnête en rendant son témoignage lors du contrôle de sa détention tenu devant l'arbitre de l'immigration, Sylvana Gratton - il avait minimisé les circonstances entourant sa condamnation de 1996 pour possession d'une arme le 7 mai 1995 et sa condamnation de 1998 pour complot en vue de commettre des voies de fait en mai 1997. Dans son témoignage lors de l'appel, il avait été beaucoup plus franc à l'égard des détails de ses liens avec des individus membres du gang VVT et bien qu'il ait maintenu qu'il avait cessé de fréquenter des individus qu'on croyait membres d'un gang, il a reconnu qu'il avait eu certains rapports avec certains de ces individus après sa condamnation de 1998.


CONTEXTE ADDITIONNEL

[23]            Il est utile à la présente étape de résumer les prétentions qui ont entraîné la conclusion de la représentante du ministre selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.

[24]            C'est le 31 octobre 2002 que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada (CIC) a informé le demandeur qu'il possédait des éléments de preuve suggérant qu'il était une personne qui constitue un danger pour le public au Canada et qu'il demanderait à cet égard l'avis du ministre.

[25]            Le demandeur a été informé de ce qui suit (dossier du demandeur, à la page 13) :

[Traduction]

Le ministre examinera la question de savoir si on peut raisonnablement conclure que vous constituez un danger pour le public. Cela exigera une évaluation de la menace que vous constituez pour le public au Canada et du risque auquel vous seriez exposé si vous étiez renvoyé dans le pays que vous avez quitté pour venir au Canada [...].

[26]            La lettre de CIC incluait une liste de documents que CIC fournirait au ministre pour qu'il les examine. Ces documents incluaient ce qui suit :


(1)        Un renvoi à la déclaration de culpabilité de 1996 pour possession d'une arme dangereuse à des fins dangereuses et le plaidoyer de culpabilité du demandeur. CIC était d'avis que la liste à l'égard des déclarations de culpabilité ne révélait pas la [Traduction] « brutalité réelle de l'infraction » . Elle joignait le rapport de police sur l'événement qui démontrait que les policiers étaient conscients de la rivalité entre deux gangs sri-lankais. Selon les policiers, le demandeur a participé le 7 mai 1995 à une agression liée à un gang contre un membre d'un gang rival au cours de laquelle il a utilisé une machette.

(2)        Les documents de CIC mentionnent que la victime de l'agression du 7 mai 1995 a été sauvagement agressée deux jours plus tard. La victime a identifié le demandeur comme son assaillant. Le demandeur a été accusé. La victime a déclaré ensuite qu'elle n'était pas certaine que le demandeur était présent lors de cette agression. Les accusations portées contre le demandeur ont été retirées. La victime a été accusée de méfait public.

(3)        CIC mentionne que, en avril 1997, le demandeur a fait l'objet d'une enquête dans le contexte de l'enquête de police Paper Tiger qui autorisait l'interception des communications. On a entendu le demandeur préparer avec le dirigeant du gang VVT connu à ce moment un complot à l'égard de la fourniture d'une arme à feu de calibre 22 à d'autres membres du gang et planifier une agression. En raison de l'écoute téléphonique, le 9 mai 1997 le demandeur a été accusé, avec le dirigeant du VVT et un autre homme de main du VVT connu, de complot en vue de commettre un acte criminel de voies de fait. Il a été déclaré coupable.


[27]            Le document portant sur l'intention de CIC de demander l'avis du ministre traite ensuite des possibilités de réhabilitation du demandeur. CIC déclare que le demandeur a été identifié par la police de Toronto comme membre d'un gang, comme un fournisseur d'armes et de munitions et comme un dirigeant du VVT, un gang sri-lankais impliqué dans des activités de grande criminalité de même que dans une guerre intestine continue avec un autre gang rival dans la communauté urbaine de Toronto. Les activités du gang allaient du vol de voitures et de la fraude de cartes de crédit et de documents officiels aux agressions armées, à la possession et à l'utilisation d'armes non enregistrées, à la coercition, aux voies de fait graves, aux tentatives de meurtre et aux meurtres.

[28]            Comme preuve, CIC a renvoyé à des déclarations faites par des policiers et à des éléments de preuve présentés par des policiers ainsi qu'à des transcriptions d'entrevues avec des membres d'un autre gang qui ont identifié le demandeur comme membre et dirigeant du VVT. CIC a déclaré que (dossier du demandeur, à la page 19) [Traduction] « la prépondérance de la preuve contre lui était suffisante pour convaincre plusieurs arbitres qui présidaient les contrôles de sa détention que [le demandeur] était et est membre du VVT, était un organisateur d'agressions armées violentes, voire mortelles, et un fournisseur d'armes à feu qui est devenu le dirigeant du VVT après l'arrestation du dirigeant d'alors [Sri Ranjan Rasa] et, par conséquent, qu'il constitue un danger continu pour le public » .


[29]            CIC décrit ensuite une entrevue enregistrée en février 2001 entre les policiers et un membre du gang VVT qui a signalé que le demandeur était en voie d'acheter des armes à feu aux États-Unis. Cet individu a impliqué le demandeur dans de nombreux autres événements criminels allant de la fourniture et de la vente d'armes à feu à la planification d'une agression contre un membre d'un gang rival au moment où il serait libéré du Centre de détention de Mimico. L'agression a eu lieu en mars 2001. Plusieurs coups de feu ont été tirés et la victime a été atteinte à cinq reprises, mais elle a survécu à l'agression.

[30]            Les documents de CIC renvoient en outre au rapport d'enquête sur l'homicide #61/97 et aux entrevues audio et vidéo faites par les policiers à différentes dates, lesquels ont été désignés comme les déclarations de KGB lors de tous les contrôles de la détention.

[31]            En particulier, il y a un renvoi à un incident du 27 décembre 1997 survenu sur l'avenue Finch à Toronto dans un commerce de beignes que fréquentait le gang rival au VVT. Il y a eu une victime. Les déclarations de KGB impliquaient le demandeur en tant que l'organisateur de l'agression et le nouveau dirigeant du VVT.

[32]            Les documents de CIC renvoyaient à des portions de la décision de la commissaire Gratton rendue à l'égard du contrôle de la détention qu'elle a tenu et à sa conclusion selon laquelle malgré les renseignements fournis, les incohérences, les mensonges et les faux-fuyants, elle voyait un fil conducteur en dépit du manque de crédibilité des déclarations de KGB - le fil conducteur commun plaçant clairement le demandeur dans le rôle de dirigeant ou de dirigeant intérimaire du VVT. Selon CIC, la commissaire Gratton estimait que cette preuve et le témoignage convaincant de l'agent Furlong l'amenaient à conclure qu'il n'était pas déraisonnable de considérer que le demandeur était fermement établi dans l'organisation du VVT. En outre, elle estimait que le demandeur n'était pas digne de foi.

[33]            Les documents de CIC renvoyaient en outre à d'autres contrôles de la détention et à des conclusions selon lesquelles malgré qu'il y ait des failles dans les déclarations de KGB, il existait des éléments de preuve importants qui appuyaient la prétention selon laquelle le demandeur était membre du VVT et le dirigeant actuel de ce groupe, notamment la conclusion de l'arbitre Murrant qui croyait qu'il existait des motifs raisonnables lui permettant de tirer la conclusion que le demandeur constituait un danger pour le public.

[34]            L'avocate du demandeur a répondu par une lettre datée du 16 décembre 2002, en présentant de longues observations et en fournissant des documents additionnels, au document traitant de l'intention de CIC de demander au ministre d'émettre un avis selon lequel le demandeur constituait un danger. L'avocate du demandeur avait représenté le demandeur lors de plusieurs contrôles de la détention, lors de son enquête et devant la SAI.

[35]            L'avocate du demandeur a en particulier souligné les points ci-après mentionnés.

[36]            Premièrement, les documents de CIC étaient sélectifs. La décision rendue à l'égard du contrôle de la détention tenu par M. Tumir qui concluait que le demandeur ne constituait pas un danger pour le public n'était pas incluse dans l'information que CIC avait l'intention de fournir au ministre.

[37]            Deuxièmement, plusieurs des déposants des déclarations de KGB ont fait des rétractations à l'égard de leurs déclarations et leurs affidavits ont été écartés.


[38]            Troisièmement, il y avait de nombreux documents qui étaient inadmissibles, non pertinents ou dont le bien-fondé n'avait pas été établi de manière appropriée pour être utilisés comme preuve même dans une instance administrative comme celle en cours. Le premier document mentionné par l'avocate était le rapport d'homicide relatif à un incident au cours duquel une des trois personnes qui avaient reçu des coups de feu était décédée. L'avocate a souligné que le demandeur n'avait pas été accusé d'avoir participé à l'incident et que les policiers ne l'avaient même pas interrogé. Elle a déclaré que le rapport était fondé sur quatre déclarations de KGB qui impliquaient le demandeur dans l'incident. Elle prétend que le rapport est trompeur et amène à tirer des conclusions erronées étant donné que trois de ces personnes ont fait d'autres déclarations, soit officiellement soit officieusement, dans lesquelles leurs récits étaient différents de ceux qui étaient résumés. Elle a souligné que le fait de ne pas porter d'accusations était significatif parce que la preuve à cet égard n'était pas suffisamment digne de foi pour qu'on lui accorde de l'importance dans le contexte d'accusations et qu'elle ne pouvait pas être digne de foi aux fins de la demande de certification d'avis de danger. Elle a ajouté que la preuve qui en soi n'était pas digne de foi n'était pas devenue digne de foi du fait qu'elle était utilisée dans une nouvelle instance. Elle a fait remarquer que le critère permettant de porter des accusations criminelles est l'existence de motifs raisonnables, que le critère à l'égard de la preuve dans la présente instance était la prépondérance des probabilités et que la prépondérance des probabilités est une norme plus élevée que celle des motifs raisonnables.

[39]            Dans ses observations, l'avocate du demandeur :


(1)        a mentionné de nouveau le fait que les rétractations de ceux qui avaient fait des déclarations de KGB avaient été écartées;

(2)        a fourni des commentaires à l'égard de la décision de M. Tumir qui faisait une analyse de la preuve différente de celle faite par les autres arbitres et qui suggérait qu'on ne devrait pas se fier à l'affidavit à l'égard de la demande de surveillance électronique de mars 1997 parce qu'il n'était pas assermenté; il n'y avait aucun élément de preuve démontrant que l'affidavit avait déjà été présenté à une cour de justice ni qu'un juge de la Cour supérieure de justice avait déjà délivré une autorisation d'interception de communications privées.

[40]            L'avocate du demandeur a en outre traité de la question du risque que comportait le retour du demandeur au Sri Lanka.

[41]            Elle a fait des commentaires sur le processus de paix et elle a mentionné qu'il y avait encore des ruptures dans la cessation des hostilités.


[42]            Cependant, elle a ajouté un autre point à l'égard de déclarations publiques faites par la police de Toronto et par des fonctionnaires de l'immigration du Canada selon lesquelles les membres du VVT travaillaient pour les TLET, étaient une façade pour les TLET ou étaient des TLET eux-mêmes, et selon lesquelles le demandeur était membre et le dirigeant du VVT. Elle a affirmé que cela [Traduction] « met clairement sa vie en danger au Sri Lanka non seulement parce que le VVT appuyait soi-disant les TLET, mais parce qu'il commettait activement des crimes pour obtenir de l'argent pour les TLET » .

[43]            Finalement, l'avocate du demandeur, dans sa réponse au document traitant de l'intention de CIC de demander un avis au ministre, a annexé un exemplaire de son mémoire de 33 pages présenté au commissaire Tumir.

[44]            Le 8 janvier 2003, CIC a communiqué au demandeur un exemplaire du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande d'avis du ministre de même que des documents se rapportant au Sri Lanka. On a informé le demandeur qu'il pouvait, avant que les documents soient remis au ministre, présenter des observations et des arguments définitifs ou des éléments de preuve.


[45]            Il n'est pas nécessaire de reprendre intégralement la Demande d'avis du ministre faite par CIC. Bien qu'elle soit présentée d'une manière différente de celle de la précédente communication à l'égard de l'intention de CIC de faire une demande d'avis, la Demande d'avis du ministre énumérait les documents clés suivants : les renseignements de la GRC datés du 8 juin 1998, la déclaration de culpabilité pour complot, le rapport de police à l'égard de la déclaration de culpabilité pour l'agression de 1996 et les caractéristiques reliées au gang, la demande présentée par la police de Toronto en vue d'obtenir une autorisation pour faire de l'écoute électronique et le lien entre le VVT et les TLET, la décision de M. Murrant à l'égard de la détention, le commentaire dans la décision de M. Tumir à l'égard de la crédibilité du demandeur, les extraits des observations de l'avocate du demandeur datées du 16 décembre 2002, y compris celles à l'égard du risque de son retour au Sri Lanka, des renseignements à l'égard du statut d'immigration du demandeur et à l'égard des conditions du pays se rapportant au risque associé à un retour au Sri Lanka.

[46]            Dans la Demande d'avis du ministre, l'agent de révision de cas conclut qu'étant donné qu'il a été établi que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention et compte tenu des changements dans les conditions du pays résultant du cessez-le-feu et du processus de paix qui se produisent actuellement, il n'y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit encore, en tant que jeune Tamoul, exposé à de la persécution. Il y a en outre une autre conclusion selon laquelle il n'existe pas de motifs sérieux de croire qu'il sera exposé à de la torture et il est peu probable qu'il serait exposé à d'autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants s'il était renvoyé au Sri Lanka.

[47]            Les commentaires de l'agent de révision dans la Demande d'avis du ministre énoncent simplement ce qui suit à la page 270 du dossier du demandeur :

[Traduction]

Comme le commissaire R. Murrant de la CISR l'a mentionné dans sa décision rendue lors du contrôle de la détention, [le demandeur] constitue un danger actuel et futur pour le public au Canada. En outre, bien qu'il ait été libéré de sa détention le 5 novembre 2002, il ressort de façon évidente des commentaires du commissaire qu'il existe encore des préoccupations à l'égard de la crédibilité.

[48]            L'agent de révision de cas termine en déclarant qu'il a examiné la lettre d'avis ainsi que toutes les pièces annexées à cette lettre, le Rapport sur l'avis du ministre préparé par CIC de même que les observations transmises par le client ou l'avocate.


[49]            Le Rapport sur l'avis du ministre est daté du 25 novembre 2002. Les déclarations de culpabilité de 1998 et 1996 sont énumérées à la partie B intitulée [Traduction] « Renseignements sur la criminalité et le danger » .

[50]            Quant au raisonnement à l'égard du danger, il est rédigé comme suit :

[Traduction]

M. Thanabalasingham a été identifié au moyen d'écoute électronique, de témoignages et de déclarations d'autres membres de gang en tant que dirigeant du VVT, un gang sri-lankais impliqué dans des activités de grande criminalité de même que dans une guerre intestine continue avec un autre gang rival de la région métropolitaine de Toronto. Les activités de gang vont du vol de voitures et de la fraude de cartes de crédit et de documents officiels aux agressions armées, à la possession d'armes à feu non enregistrées, à la coercition, à des enlèvements, à des voies de fait graves, à des tentatives de meurtre et à des meurtres. M. Thanabalasingham est soi-disant le fournisseur et le vendeur d'armes à feu de même que l'organisateur d'activités criminelles et d'agressions armées qui ont causé la mort d'au moins un tiers innocent de même que des blessures par coups de feu à deux autres individus qui ont survécu. Suffisamment d'éléments de preuve convaincants ont été fournis pour que les commissaires qui présidaient les contrôles de la détention et l'enquête (l'enquête à l'égard de l'admissibilité) de M. Thanabalasingham soient d'avis qu'il était et qu'il est membre et le dirigeant du VVT et qu'il constitue un danger pour le public.

[51]            L'avocate du demandeur a répondu au Rapport sur l'avis du ministre au moyen d'observations écrites datées du 29 janvier 2003 qui établissaient les points ci-après mentionnés.

[52]            Premièrement, à l'égard des déclarations de culpabilité de 1996 et 1998, l'avocate a affirmé que, bien qu'elles soient des déclarations de culpabilité graves, elles remontaient à plusieurs années auparavant et elle a mentionné que le demandeur n'avait pas été détenu par les fonctionnaires de l'immigration avant octobre 2001.


[53]            Deuxièmement, à l'égard des gangs, la Demande d'avis du ministre s'appuie sur une demande présentée par le service de police de la communauté urbaine de Toronto en vue d'obtenir une autorisation d'interception. L'avocate a tenu pour acquis que le présumé affidavit était celui qui n'était pas assermenté, ni daté, et elle a affirmé qu'il ne devrait lui être accordé absolument aucune importance. Elle mentionne que le paragraphe renvoyant au VVT écarte la déclaration selon laquelle M. Rasa est le dirigeant du VVT qui contredit la position adoptée par les fonctionnaires de l'immigration selon laquelle le demandeur est le dirigeant du VVT. La déclaration mentionnait que dans la peine imposée au demandeur pour la condamnation de 1998, la Cour ne le décrivait que comme une personne associée au groupe et non comme un membre. L'avocate souligne que le groupe des TLET n'est pas mentionné en tant qu'une organisation terroriste au Canada.

[54]            Troisièmement, quant au caractère fiable de la conclusion de fait tirée par M. Murrant, les déclarations à cet égard semblent être différentes des documents fournis pour obtenir l'autorisation d'écoute électronique. Le ministre a choisi de ne pas poser d'acte sur le fondement de l'allégation selon laquelle le demandeur était membre d'un gang bien qu'un rapport suivant l'article 27 ait été préparé.


[55]            Quatrièmement, l'avocate a déclaré que ce que CIC affirme avec insistance est faux, à savoir que le demandeur est le dirigeant du VVT et que le VVT est un groupe de terroristes formés par les TLET qui agissent au Canada à titre de TLET en commettant des crimes, et que cette insistance ne fait qu'exposer le demandeur à des risques accrus dans l'éventualité où il est renvoyé du Canada vers Colombo, entre les mains des autorités sri-lankaises.

[56]            Cinquièmement, elle a contesté les changements de circonstances au Sri Lanka au moyen du processus de visa.

[57]            Sixièmement, quant au raisonnement à l'égard du danger, elle a signalé une fois de plus que les déclarations de membres d'un autre gang selon lesquelles le demandeur est le dirigeant du VVT sont contenues dans des déclarations de soi-disant complices et de policiers qui s'appuyaient sur les déclarations des soi-disant complices. Elle a signalé une fois de plus que certains d'entre eux avaient fait des rétractations à l'égard de leurs déclarations et qu'il ressort des déclarations qu'elles avaient été faites à la police par des personnes qui voulaient impliquer le demandeur.

[58]            Finalement, l'avocate a prétendu qu'elle ne savait pas sur quel élément de preuve CIC s'appuyait pour prétendre que le demandeur était le fournisseur et le vendeur d'armes à feu.

ANALYSE

(a)        La norme de contrôle


[59]            L'arrêt de la Cour suprême du Canada Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, est déterminant. Dans cet arrêt, la Cour suprême traitait d'une décision du ministre selon laquelle un réfugié constituait un danger pour la sécurité du Canada. Je ne vois aucune distinction entre la nature de cette sorte de décision et la nature de la décision du ministre en l'espèce qui se rapporte à la question de savoir si un réfugié constitue un danger pour le public au Canada. La réponse de la Cour suprême à cet égard est rédigée comme suit au paragraphe 29 de son arrêt :

¶ 29       La première question consiste à déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision ministérielle portant qu'un réfugié constitue un danger pour la sécurité du Canada. Nous souscrivons à l'opinion du juge Robertson selon laquelle le tribunal de révision doit faire preuve de retenue à cet égard et annuler la décision discrétionnaire seulement si elle est manifestement déraisonnable parce qu'elle aurait été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle n'est pas étayée par la preuve ou que la ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents. Le tribunal de révision ne doit ni soupeser à nouveau les différents facteurs ni intervenir uniquement parce qu'il serait arrivé à une autre conclusion. [Non souligné dans l'original.]


[60]            La Cour suprême a ensuite tranché une deuxième question à l'égard de la norme de contrôle applicable à la décision du ministre quant à savoir si le réfugié était exposé à un risque sérieux de torture en cas d'expulsion. La Cour suprême a statué que la question de savoir s'il existe un risque sérieux de torture pour M. Suresh en cas d'expulsion est une question préliminaire qui dépend en grande partie des faits et qui exige que soient pris en considération les antécédents du pays d'origine en matière des droits de la personne, les risques personnels auxquels le demandeur est exposé, toute assurance que le demandeur ne sera pas torturé et la valeur de telles assurances, et à cet égard la capacité du pays d'origine de contrôler ses propres forces de l'ordre, ainsi que bien d'autres considérations. La Cour suprême a déclaré que le tribunal de révision doit faire preuve de retenue à l'égard de la conclusion concernant la question préliminaire de savoir si M. Suresh est exposé à un risque sérieux de torture en tant qu'aspect de l'opinion formulée à l'égard du danger. Elle était d'avis que le tribunal de révision ne peut soupeser à nouveau les facteurs pris en compte par le ministre, mais qu'il peut intervenir si la décision n'est pas étayée par la preuve ou si elle a été prise en omettant de tenir compte de facteurs pertinents.

(b)         Conclusions

(i)         Analyse du risque

[61]            Dans l'arrêt Suresh, précité, la Cour suprême du Canada devait décider si une expulsion comportant un risque de torture contrevenait à l'article 7 de la Charte et aux principes de droit international.

[62]            La Cour suprême a conclu, au paragraphe 58, que « [l]a jurisprudence canadienne n'indique pas que le Canada ne peut jamais expulser une personne vers un pays où elle risque un traitement qui serait inconstitutionnel s'il était infligé directement par le Canada, en sol canadien. [...] [L]a démarche qu'il convient d'appliquer est essentiellement un processus de pondération » [...], mais « [c]ela dit, la jurisprudence indique que le résultat de cette mise en balance s'opposera généralement à l'expulsion de la personne visée vers un pays où elle risque la torture » .

[63]            La Cour suprême a ensuite examiné ce que le contexte international a enseigné au Canada. Au paragraphe 75, la Cour suprême a conclu que « l'interprétation qui s'impose est que le droit international rejette les expulsions impliquant un risque de torture. Il s'agit de la norme qui nous éclaire le plus sur le contenu des principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte » .


[64]            Aux paragraphes 77 et 78, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'une fois de plus le résultat de la mise en balance des diverses considérations par le ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale et qu'il s'ensuit que dans la mesure où la Loi sur l'immigration « n'écarte pas la possibilité d'expulser une personne vers un pays où elle risque la torture, la ministre doit généralement refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture » .

[65]            Au paragraphe 78, la Cour suprême a déclaré ce qui suit : « Nous n'excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l'art. 7 de la Charte soit au regard de l'article premier de celle-ci » . Il s'agit d'une question qui doit être tranchée dans chaque cas. La Cour suprême a ajouté ce qui suit : « Nous pouvons prédire que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l'expulsion lorsqu'il existe un risque sérieux de torture » .

[66]            Dans le présent contexte, j'ai tiré la conclusion qu'il y a une lacune déterminante dans l'analyse du risque effectuée par la représentante du ministre. La conclusion que j'ai tirée est identique à celle tirée par ma collègue, Mme la juge MacTavish, dans la décision Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 607.

[67]            La lacune dans l'analyse du risque se rapporte au fait que la représentante du ministre n'a pas examiné les circonstances particulières de la situation personnelle du demandeur et au risque particulier résultant du fait qu'il était soi-disant le dirigeant d'un gang tamoul à Toronto. Ce gang aurait fourni du soutien aux TLET et ce renseignement avait été communiqué aux autorités sri-lankaises en raison de la couverture médiatique.

[68]            Cette situation était la situation précise devant laquelle se trouvait la juge MacTavish dans la décision Thuraisingam, précitée. Elle a conclu ce qui suit aux paragraphes 49 et 50 de sa décision :

¶ 49       M. Thuraisingam affirme que les autorités sri-lankaises s'en prendraient spécifiquement à lui à cause de ses prétendues activités de criminalité organisée au Canada. Il a produit des reportages parus dans les médias du Sri Lanka qui l'identifient expressément comme le leader d'un gang VVT. Ces reportages révèlent également que la GRC a établi des liens entre des membres supérieurs du VVT au Canada et les TLET au Sri Lanka. À mon avis, tout cela indique à première vue que M. Thuraisingam court le risque d'être la cible des autorités sri-lankaises.

¶ 50      Pour évaluer le risque que courrait M. Thuraisingam s'il était renvoyé au Sri Lanka, le délégué du ministre a examiné la situation générale des réfugiés tamouls qui retournent dans ce pays. Il a conclu que cette situation s'était grandement améliorée et que des mesures étaient prises afin de faciliter la vie des personnes expulsées qui reviennent au Sri Lanka. Il n'a pas pris en compte la situation particulière de M. Thuraisingam ni le risque précis que celui-ci courait d'être la cible des autorités sri-lankaises.

[69]            L'avocat du ministre a demandé à la Cour de lui permettre de présenter en preuve dans la présente instance les mensonges prononcés par le demandeur devant la SAI à l'égard de ses activités au Canada et, après l'admission de cette preuve, de rejeter en raison du comportement du demandeur la demande de contrôle judiciaire qu'il a présentée.

[70]            Je suis disposé à permettre que soit présenté en preuve un résumé de ce que le demandeur a déclaré devant la SAI. Je joins aux présents motifs, à titre d'Annexe « A » , un résumé des admissions pertinentes faites devant la SAI et des différences avec son témoignage lors du contrôle de la détention. Je permets cela étant donné que l'admission d'une telle preuve est dans l'intérêt de la justice (voir le paragraphe 4 de la décision Humanist Association of Toronto c. Canada, 2002 CAF 322, rendue par Mme la juge Sharlow).

[71]            Cependant, je ne suis pas disposé à rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur simplement parce qu'il a menti. Il peut avoir établi prima facie un risque de torture en raison de la publicité se rapportant à son rôle de dirigeant du VVT à Toronto. En fait, ses admissions peuvent dans une certaine mesure donner du poids à la cause du ministre quant au danger qu'il constitue pour le Canada, mais je ne rends aucune décision sur ce point, l'affaire qui m'est soumise étant de la nature d'un contrôle judiciaire.

[72]            Compte tenu des graves conséquences que pourrait subir le demandeur s'il devait être renvoyé de force au Sri Lanka et compte tenu de l'arrêt de la Cour suprême du Canada établissant que généralement l'expulsion comportant un risque de torture n'est pas conforme au droit canadien, je conclus, en pondérant ces deux facteurs avec le facteur de la récente admission du demandeur, que je ne peux souscrire à la demande du ministre de simplement rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

[73]            Bien qu'il ne soit strictement pas nécessaire de le faire, je vais maintenant expliquer pourquoi j'ai conclu que les motifs de la représentante du ministre étaient inadéquats à l'égard de la conclusion selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.

[74]            La représentante du ministre a tiré du contexte factuel la conclusion cruciale selon laquelle le demandeur est membre du VVT et constitue ainsi un danger pour le public au Canada en déclarant que les faits (sans préciser quels faits) énoncés dans la Demande d'avis du ministre et dans le Rapport sur l'avis du ministre [Traduction] « diffèrent du récit fait par l'avocate à l'égard de la question de savoir si le client est ou non membre du VVT [...] » . Elle énonce ensuite, sans rien dire de plus, la conclusion suivante : [traduction] « [A]près avoir apprécié les deux récits, j'accorde plus d'importance à ces deux documents » . La représentante ne nous dit pas pourquoi ces éléments de preuve sont convaincants.

[75]            Puis, la représentante du ministre ajoute, sans aucune explication, que la preuve fournie lors des contrôles de la détention (sans dire lors desquels) et par la police de Toronto est convaincante quant au fait que le demandeur est membre du VVT. La représentante ne nous dit pas pourquoi cette preuve, contrairement à d'autres éléments de preuve, est convaincante.


[76]            Parmi les documents dont disposait la représentante du ministre se trouve la décision par laquelle M. Tumir a conclu que le demandeur ne constitue pas un danger pour le public étant donné qu'il ne disposait pas d'éléments de preuve dignes de foi à cet égard. La décision de M. Tumir contredit les décisions d'autres arbitres. La représentante du ministre n'analyse pas les failles dans la preuve qui, selon ce que des arbitres de la Section de l'immigration ont reconnu, constituaient des problèmes. La représentante du ministre ne mentionne aucun des points avancés par l'avocate du demandeur.

[77]            À mon avis, les motifs énoncés par la représentante du ministre ne satisfont pas à la norme requise, notamment dans le contexte de la question devant être tranchée par la représentante du ministre et quant aux conséquences d'une telle conclusion. Compte tenu des éléments de preuve contradictoires, la décideuse avait une obligation de faire un tri dans les éléments de preuve au moyen d'une analyse adéquate de façon à ce que le fondement de sa décision puisse être compris. C'est particulièrement ce qui doit être fait parce que la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Il appert que certains arbitres lors d'un contrôle de la détention peuvent avoir appliqué une norme différente et moins élevée quant au « motif de croire » .

[78]            C'est pourquoi la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, précité, a imposé au ministre l'obligation de fournir des motifs écrits à l'égard de ses décisions. La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, au paragraphe 126, dans l'arrêt Suresh, précité :


¶ 126       La ministre doit motiver sa décision par écrit. Ses motifs doivent exposer clairement et étayer rationnellement sa conclusion qu'il n'existe pas de motifs sérieux de croire que la personne visée par l'attestation prévue à l'al. 53(1)b) sera torturée ou exécutée ou subira quelque autre traitement cruel ou inusité, dans la mesure où cette personne a fait valoir qu'elle s'exposait à un tel sort. Sous réserve du caractère privilégié de l'information ou de l'existence d'autres raisons juridiques valables de ne pas divulguer de renseignements détaillés, les motifs doivent également préciser les raisons pour lesquelles la ministre croit que l'intéressé constitue un danger pour la sécurité du Canada, comme l'exige la Loi. De plus, ces motifs doivent émaner de l'auteur de la décision, en l'occurrence la ministre, et ne doivent pas prendre la forme d'une opinion ou d'une recommandation, comme la note de M. Gautier. Le rapport préparé par M. Gautier pour expliquer à la ministre le point de vue de Citoyenneté et Immigration Canada s'apparente davantage à un mémoire de la poursuite qu'à un exposé des motifs produits à l'appui d'une décision.

[79]            Le fait que les motifs sont inadéquats ne signifie pas qu'il n'y avait pas au dossier d'éléments de preuve appuyant la décision définitive de la représentante. Cela signifie qu'il y avait dans la preuve des observations contradictoires, des conclusions contradictoires lors des contrôles de la détention et des lacunes qui nécessitaient une analyse et des explications qui étaient absentes.

[80]            Les circonstances dans lesquelles les cours jugeront que les motifs sont inadéquats sont bien connues et je n'ai qu'à en citer quelques-unes.

[81]            M. le juge Hugessen, alors juge à la Cour d'appel fédérale, s'est exprimé de la façon suivante dans l'arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 :

      Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration, L.R. (1985), ch. I-2 impose à la section du statut l'obligation de « motiver par écrit » toute décision défavorable à l'intéressé. Pour satisfaire à cette obligation il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler.

       Nous sommes tous d'avis que les motifs donnés par la section du statut dans le présent dossier ne répondent pas à ces critères. Déclarer que le « demandeur n'a pas prouvé l'existence de la crainte raisonnable de persécution » , sans dire plus, peut vouloir dire que le tribunal n'a pas cru le demandeur, ou qu'il l'a cru mais que les motifs de la prétendue persécution ne sont pas parmi ceux énumérés dans la Loi, ou encore que la crainte raisonnable qui avait existé dans le passé n'est plus raisonnable en raison de changements de circonstances dans le pays d'origine. Il y a plusieurs autres possibilités, dont notamment une mauvaise interprétation par la section du statut de la Loi elle-même.

[82]            Je cite la décision Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1501, dans laquelle Mme la juge Layden-Stevenson a déclaré ce qui suit au paragraphe 42 :

¶ 42      Il est important de ne pas perdre de vue l'objectif visé par les motifs. Dans la décision Li c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 413 (C.F. 1 re inst.), le juge Teitelbaum, citant la décision Syed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.), a dit :

Les motifs écrits ont pour fonction de faire connaître à ceux que la décision d'un tribunal administratif a défavorisés la raison sous-jacente de cette décision. À cette fin, les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties. [...] La section du statut de réfugié est tenue, pour le moins, de faire des commentaires sur la preuve produite par le requérant à l'audience. Que cette preuve soit admise ou rejetée, le requérant doit en connaître les raisons.

En même temps, il ne faut pas scruter les motifs à la loupe et leur appliquer la norme de la perfection. Il faut les lire dans leur ensemble : Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 120 N.R. 385 (C.A.F.); Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 156 N.R. 221 (C.A.F.).

[83]            J'ajoute à titre de référence additionnelle la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Koriagin, 2003 CF 1210, dans laquelle M. le juge Martineau a déclaré ce qui suit aux paragraphes 5 et 6 :

¶ 5       Pour satisfaire à l'obligation prévue à l'alinéa 69.1(11)b) de la Loi, les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles afin de permettre au Ministre ou à l'intéressé de comprendre les motifs sous-jacents la décision, et le cas échéant, advenant un appel de la décision, afin de permettre à la Cour de s'assurer que la Section du statut de réfugié a exercé sa compétence de façon conforme àla Loi. Voir notamment : Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) (QL); Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration c. Roitman, [2001] A.C.F. no 718 (C.F. 1re inst.) (QL); Zannat c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration(2000), 188 F.T.R. 148; Zoga c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [1999] A.C.F. no 1253 (C.F. 1re inst.) (QL); Khan c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 1187 (C.F. 1re inst.) (QL).


¶ 6       La détermination de l'existence d'une crainte raisonnable de persécution pour l'un des motifs énumérés à la Convention soulève une question mixte de droit et de fait. Dans l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 187 N.R. 321, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'un revendicateur du statut de réfugié a le fardeau de démontrer l'existence d'une crainte fondée de persécution. Sans contredit, cette détermination exige une analyse minutieuse du témoignage du revendicateur et de la preuve documentaire sur les conditions du pays. Lorsque des motifs écrits sont requis, il ne suffit pas d'affirmer que la détermination positive est fondée sur la preuve sans autre précision.

[84]            Je termine en mentionnant l'arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, dans lequel M. le juge Binnie a déclaré ce qui suit au paragraphe 46, et en faisant cela je suis conscient que le contexte en matière criminelle n'est pas le même que le contexte en matière d'immigration mais à mon avis, quant aux principes, le raisonnement qui sous-tend l'exigence de motifs écrits est juste :

¶ 46       J'estime que ces affaires montrent clairement que l'obligation de donner des motifs, lorsqu'elle existe, découle des circonstances d'une affaire donnée. Lorsque la raison pour laquelle un accusé a été déclaré coupable ou acquitté ressort clairement du dossier, et que l'absence de motifs ou leur insuffisance ne constitue pas un obstacle important à l'exercice du droit d'appel, le tribunal d'appel n'interviendra pas. Par contre, lorsque le raisonnement qu'a suivi le juge du procès pour démêler des éléments de preuve embrouillés ou litigieux n'est pas du tout évident ou lorsque des questions de droit épineuses requièrent un examen, mais que le juge du procès les a contournées sans explication, ou encore lorsque (comme en l'espèce) on peut donner de la décision du juge du procès des explications contradictoires dont au moins certaines constitueraient manifestement une erreur en justifiant l'annulation, le tribunal d'appel peut, dans certains cas, s'estimer incapable de donner effet au droit d'appel prévu par la loi. Alors, l'une ou l'autre des parties pourra douter de la justesse du résultat, mais l'absence de motifs ou leur insuffisance l'aura à tort privée de la possibilité d'obtenir un examen convenable en appel du verdict prononcé en première instance. En pareil cas, même si le dossier révèle des éléments de preuve qui, d'une certaine manière, pourraient appuyer un verdict raisonnable, les lacunes des motifs peuvent équivaloir à une erreur de droit et fonder l'intervention d'un tribunal d'appel. Il appartiendra à la cour d'appel de décider si, dans un cas donné, les lacunes des motifs l'empêchent de s'acquitter convenablement de ses fonctions en appel.

[85]            L'avocate du demandeur a soulevé de nombreuses autres questions que, compte tenu de mes conclusions, je n'ai pas à trancher.

[86]            Pour tous les motifs énoncés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue par la représentante du ministre en date du 14 mars 2003 est annulée et l'affaire est renvoyée au ministre afin qu'un autre représentant statue à nouveau sur l'affaire. J'accorde à chaque partie cinq jours ouvrables à compter de la date de la présente ordonnance pour proposer aux fins de la certification une ou plusieurs questions de portée générale. Chaque partie aura un autre délai de cinq jours ouvrables pour faire des commentaires à l'égard de toute question proposée par la partie adverse.

                                                                           _ François Lemieux _                     

                                                                                                     Juge                                 

OTTAWA (ONTARIO)

LE 3 FÉVRIER 2005

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                         ANNEXE « A »

           [Paragraphe 9 du mémoire supplémentaire du défendeur]

[Traduction]

a)              Le demandeur a déclaré qu'il a menti à la commissaire Gratton parce qu'il avait entendu dire qu'elle démontrait de la partialité, parce qu'il voulait minimiser ses liens avec des membres de gang et avec des armes et parce qu'il voulait être libéré. Il a déclaré qu'il savait que ce n'était pas bien de mentir sous serment, qu'il serait maintenant franc et honnête et qu'il dirait simplement ce qui s'est passé. (6 avril, aux pages 31, 35, 36 et 98; 13 avril, aux pages 188 à 192.)

b)              Le demandeur a reconnu qu'il n'avait pas corrigé ses fausses déclarations lors de contrôles de la détention subséquents parce qu'il espérait toujours être libéré de sa détention à la suite d'un faux témoignage. (13 avril, à la page 190.)

c)             Le demandeur a continué à nier qu'il appartenait au VVT et qu'il en était le dirigeant. Il a déclaré qu'il n'était pas membre d'un gang parce que les membres ne lui donnaient pas les renseignements secrets qu'ils partageaient entre eux, comme des questions de criminalité grave. De plus, Rasa et Fabian ne travaillaient jamais et Suresh Kanagalingam (Suresh ou Koli) travaillait rarement. Ils occupaient la majeure partie de leur temps à des activités de gang et ils gagnaient de l'argent grâce à ces activités. Le demandeur a déclaré qu'il s'associait à eux à temps partiel et qu'il aimait les fréquenter. (13 avril, aux pages 144, 147 et 156; 14 avril, aux pages 23 et 24.)

d)              Le demandeur a menti à l'égard de l'agression à la machette contre Sabesan Rajah le 7 mai 1995 et de sa condamnation subséquente. Il a antérieurement témoigné qu'à son arrivée au restaurant pour venir chercher un ami, il a vu une bagarre et il est simplement parti sans descendre de sa voiture. Il avait affirmé que sa condamnation pour possession d'une arme résultait du fait qu'il avait déclaré à des policiers qu'il avait un couteau dans le coffre de sa voiture. (Dossier du tribunal, aux pages 502 à 507 et 555.)

Devant la SAI, il a témoigné qu'il avait acheté une machette un an auparavant dans un marché aux puces. Il l'avait achetée et gardée dans le coffre de sa voiture pour se protéger étant donné que lui et ses amis ont habituellement des problèmes dans des bars (bagarres de bar). Il a déclaré qu'il était disposé à utiliser la machette, mais il ne pouvait pas se rappeler s'il l'avait déjà sortie dans un club, étant donné que cela faisait longtemps.


Le 7 mai 1995, son ami lui a demandé de venir le chercher à un restaurant. Lorsqu'il est arrivé, il y avait une dispute entre le groupe d'amis de son ami et un autre groupe, en tout entre 10 à 15 Tamouls. Il s'est approché de son ami et on lui a dit qu'il y avait des problèmes entre les deux groupes et qu'il y aurait une bagarre. Il a dit à son ami qu'il avait une machette dans sa voiture et on lui a demandé d'aller la chercher. D'autres individus avaient des bâtons de baseball et des bâtons. Il est allé chercher la machette dans sa voiture. Deux individus du groupe adverse se dirigeaient vers son ami et le demandeur a utilisé la machette pour se protéger et pour protéger son ami. Le demandeur a déclaré qu'il avait coupé Sabesan Rajah à la main avec la machette. Les policiers sont arrivés et il a jeté la machette dans un buisson. Deux ou trois jours plus tard, les policiers sont venus chez lui et parce qu'il voulait être franc avec eux il leur a dit qu'il avait une machette. Il a déclaré que la bagarre n'était pas une bagarre de gangs, mais plutôt une simple bagarre entre deux groupes d'individus qui avaient bu. (6 avril, aux pages 22 à 27 et 191; 13 avril, aux pages 74 à 81, 87 à 95 et 99 à 103.)

Il a déclaré qu'il connaissait trois membres de l'autre groupe, qu'il avait frappé l'un d'eux avec sa machette (Sebesan Rajah) et qu'ils étaient devenus par la suite membres du AKK. (6 avril, à la page 49; 13 avril, à la page 93; 14 avril, aux pages 89 à 91.)

e)              Il a menti à l'égard de sa condamnation de 1998 pour complot en vue de commettre des voies de fait. Devant la commissaire Gratton, il a déclaré qu'il avait demandé à Rasa de faire des menaces à son ancien colocataire à Ottawa, qui était à Toronto, et qui répandait des rumeurs à son endroit. (Dossier du tribunal, aux pages 495 à 499.)

Devant la SAI, le demandeur a déclaré que l'incident précédemment mentionné s'était produit, mais qu'il s'était passé d'une autre façon. Il a reconnu que sa condamnation résultait du fait qu'il avait demandé à Rasa la permission de donner une arme à des membres du Guilder Boys qui avaient des problèmes avec des membres du gang AKK.


Il a déclaré qu'il était revenu d'Ottawa où il avait passé des vacances d'été. Des membres du Guilder Boys (y compris Bobby) avaient des problèmes avec des membres du gang AKK et ils savaient qu'il connaissait Rasa, le dirigeant du VVT. Ils lui ont demandé s'il pouvait obtenir une arme pour eux. Par la suite, il a demandé à Rasa la permission de donner une arme de poing de calibre 22 aux Guilder Boys. Il n'a pensé à aucun autre plan d'action étant donné qu'il aurait eu l'air d'avoir peur et il voulait prouver qu'il était influent et important. Il a déclaré qu'il n'aurait pas violé l'ordonnance de probation rendue à son endroit qui l'empêchait de porter des armes à feu parce qu'il n'avait pas l'intention de transporter l'arme lui-même et qu'il l'aurait fait transporter par quelqu'un d'autre. Il a déclaré que, en fin de compte, l'arme n'avait pas été remise aux Guilder Boys. Il a déclaré qu'il ne participait pas à la protection des Guilder Boys et qu'il leur rendait simplement un service. Il a déclaré que, à ce moment, il était disposé à ce que l'individu avec lequel les Guilder Boys étaient en conflit soit gravement blessé ou soit tué. Il a déclaré que Rasa avait le contrôle des armes et qu'il n'était pas disposé à en donner à n'importe qui. (6 avril, aux pages 34 à 37 et 205; 13 avril, aux pages 153 et 154, 166 à 174, 179 à 184 et 217 à 225; 14 avril, aux pages 5 à 7, 47, 113 et 114; 11 mai, aux pages 33 et 34.)

f)              Le demandeur a menti à l'égard de sa connaissance des gangs et de ses liens avec des membres de gangs. Dans son témoignage antérieur, le demandeur a soutenu qu'il avait une connaissance très limitée quant aux gangs et que la grande partie de ce qu'il savait, il l'avait apprise des médias. (Dossier du tribunal, aux pages 488 et 489, 498, 507, 515, 523 et 544.)

Devant la SAI, le demandeur a reconnu qu'il en savait [Traduction] « beaucoup, beaucoup plus à l'égard des gangs et de la structure des gangs » . Il savait personnellement que Rasa, Suresh et Fabian étaient membres d'un gang et des dirigeants du VVT. Les deux premiers étaient ses amis intimes, mais le dernier n'était pas son ami. Il avait commencé à fréquenter Rasa, qui commençait à avoir des problèmes, un peu avant que lui, le demandeur, se rende à Ottawa en septembre 1994. Il voulait s'associer à Rasa parce qu'il pensait d'une façon stupide, qu'il voulait être connu dans la collectivité, qu'il n'écoutait pas les membres de sa famille et qu'il pensait que ce serait génial d'être un dur. Il a déclaré que les gens de la collectivité identifiaient Rasa comme le dirigeant du VVT et qu'ils avaient peur de lui, ce qui était l'une des raisons pour lesquelles il voulait se rapprocher de lui. Le demandeur a témoigné que Rasa avait admis qu'il était le dirigeant du VVT et que Rasa le considérait comme un bon ami. Le demandeur a déclaré qu'avant il pensait que se battre était agréable et, qu'avec le temps, il était lui aussi devenu quelqu'un qu'on craignait dans la collectivité. (6 avril, aux pages 40, 49 et 50, 53, 55, 57 et 58, 60 à 62, 81, 133, 137; 7 avril, à la page 196; 13 avril, aux pages 27 à 32, 175 et 200; 14 avril, aux pages 4 et 5, 8 à 22, 34 à 38, 50 à 54, 57 à 60, 108 et 109, 128, 167 à 170; 11 mai, aux pages 30 à 34 et 93 à 96.)

En réponse à la question de savoir pourquoi il voulait être associé à la violence afin de devenir une personne importante, il a répondu ce qui suit :

[Traduction]

« À ce moment, je pensais que c'était la seule façon de devenir une personne importante dans un court délai et je ne voyais pas que tuer des gens était une mauvaise façon. Mais maintenant je suis conscient, après avoir été déclaré coupable, qu'il y a tellement de nombreuses autres façons de s'élever dans la collectivité, de montrer votre présence et votre travail pour la collectivité dans le (inaudible) » . [sic] (11 mai, à la page 124.)


Il a déclaré que certains membres du VVT participaient à de la fraude, à des vols de voiture, à de la contrefaçon et à la fabrication de faux passeports. Il a en outre déclaré qu'il savait que les gangs participaient à des activités violentes. Il a déclaré qu'il avait entendu parler de tout cela par des membres de gangs, par des potins et par les médias. Il a déclaré que les gangs discutaient d'activités violentes au cours desquelles des gens n'étaient pas tués (par exemple des agressions à coups de couteau et à coups de feu) un peu après que les événements se produisaient, mais qu'ils ne discutaient pas de meurtres parce qu'il y avait des enquêtes policières en cours. (7 avril, aux pages 8 et 9 et 30 à 33; 13 avril, aux pages 34 à 42, 74, 124, 133, 143 et 144, 242 et 243; 14 avril, aux pages 59, 67 à 69.)

Il a déclaré qu'il a pris conscience que sa façon de penser était erronée après avoir été accusé de complot en vue de commettre des voies de fait en 1997. Il a pris conscience qu'il faisait du mal à des gens, directement et indirectement, y compris à sa famille. Il a déclaré que les gangs faisaient en sorte que la collectivité tamoule était mal vue et qu'il voulait devenir un bon citoyen. Il a déclaré qu'il voulait avoir un bon avenir et aller aux États-Unis pour s'y établir. (6 avril, à la page 99; 7 avril, aux pages 213 et 214; 13 avril, à la page 163; 14 avril, à la page 55.)

g)             Le demandeur a menti à l'égard du dernier contact qu'il a eu avec des membres du gang. Il a antérieurement témoigné qu'après l'accusation de complot portée contre lui en 1997, il a cessé de s'associer à des membres du gang et qu'il n'a eu aucun [Traduction] « lien avec qui que ce soit » . (Dossier du tribunal, aux pages 515 et 516.)

Devant la SAI, il a déclaré qu'il avait vu Rasa à 2 ou 3 reprises entre 1999 et 2001. Il a déclaré qu'il a vu Rasa la dernière fois au Centre de détention de Millbrook en août 2001 ou à peu près à ce moment. Il a déclaré que Rasa n'avait pas de famille et qu'il avait entendu dire qu'il avait des problèmes. Il a rendu visite à Rasa au Centre de détention et il lui a donné de l'argent pour ses dépenses personnelles. Il a déclaré qu'il avait donné à Rasa de l'argent pour ses dépenses personnelles à une ou deux reprises. (6 avril, aux pages 108 à 112.)

Il a déclaré qu'il avait également rendu visite en prison à trois autres membres du VVT au cours de la période ayant suivi son accusation pour complot en vue de commettre des voies de fait en 1997. Il a rendu visite à un des membres à deux ou trois reprises à la fin de 2000 ou au début de 2001, alors que le membre était accusé de possession de deux armes. Le demandeur a déclaré, cependant, qu'il n'avait jamais discuté d'armes avec le membre du gang. En 2000, il a rendu visite à Suresh qui était accusé d'une tentative de meurtre pour avoir écrasé avec sa voiture un membre important du AKK. Le 20 mars 2001, le demandeur a assisté à l'une des audiences de Suresh à la cour à l'égard de cette accusation. (6 avril, aux pages 114 à 119; 7 avril, aux pages 102 à 107; 13 avril, aux pages 66 à 68.)

Suresh, qui était un bon ami, a assisté à son mariage culturel en septembre 2001, comme l'ont fait M. Ariyaratam (aussi connu sous le nom de Reuben), M. Thuraisingam (aussi connu sous le nom de Seelapu, dirigeant du gang Seelapu, voir la décision Thuraisingam c. M.C.I., 2004 CF 607), et un autre membre connu du gang. (6 avril, à la page 117; 11 mai, aux pages 18 et 19.)

h)              Devant la commissaire Gratton, le demandeur a déclaré qu'il n'avait jamais vu et qu'il n'avait jamais fréquenté de membres de gang qui portaient des armes. (Dossier du tribunal, aux pages 501 et 502.)


Devant la SAI, le demandeur a reconnu qu'il s'agissait d'un mensonge et qu'à une ou deux reprises il avait été en présence de [Traduction] « soi-disant » membres de gang du VVT qui étaient en possession d'armes. (7 avril, aux pages 36 et 37; 13 avril, à la page 98; 14 avril, à la page 110.)

i)               Le demandeur a en outre témoigné que son épouse, sa soeur et sa mère savaient, avant qu'elles témoignent lors du contrôle de sa détention de 7 jours, qu'il avait eu des liens avec des membres de gang et qu'il avait été déclaré coupable en 1998 d'avoir accepté d'obtenir une arme pour d'autres membres d'un gang. (13 avril, aux pages 164 et 165; 14 avril, aux pages 50 et 53 et 197 à 198; 11 mai, aux pages 9 à 16.) Cela est incompatible avec leurs témoignages de vive voix rendus lors du contrôle de sa détention de 7 jours tenu devant la commissaire Gratton. (Dossier du Tribunal, aux pages 423 à 484.)


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-3402-03

INTITULÉ :                            THANABALASINGHAM

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :    LE MARDI 31 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :           LE 3 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                               POUR LE DEMANDEUR

Greg George                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman

Avocate

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous­-ministre de la Justice et

sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR


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