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Date : 20210510


Dossier : IMM‑2013‑20

Référence : 2021 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MAHYAR QAHRAMANLOEI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur est un citoyen de l’Iran. Il déclare qu’il craint la persécution en Iran, parce qu’il fait partie d’un petit groupe pacifique qui souhaite la fin du régime iranien et une plus grande liberté politique dans ce pays.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant qu’il n’avait pas pu démontrer de façon crédible qu’il faisait face à de la persécution en raison de ses activités politiques. Il a interjeté appel de la décision défavorable de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Celle‑ci a rejeté son appel le 24 février 2020, jugeant que la crédibilité et la suffisance des éléments de preuve à l’appui des aspects essentiels de l’exposé circonstancié du demandeur étaient déterminantes.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il soutient que les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité relatives à sa crainte de persécution étaient déraisonnables et que la SAR n’a pas analysé les éléments de preuve objectifs concernant son risque de persécution s’il était renvoyé en Iran.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II. Contexte

[5] Le demandeur affirme qu’après avoir pris sa retraite de l’armée en 2012, il avait commencé à se réunir avec un ami, Mohammad, et trois autres personnes. Ce groupe avait distribué des brochures sur la situation politique qui existait en Iran. Il déclare qu’en 2016, le corps des Gardiens de la révolution islamique [Sepah] a effectué une descente à son domicile. Sa mère était à la maison à ce moment‑là, mais le demandeur n’y était pas. Le Sepah a saisi son ordinateur portable et des copies des brochures qu’il avait contribué à distribuer. Le Sepah a informé sa mère qu’il connaissait les activités et le groupe politique du demandeur, puisqu’il avait arrêté Mohammad et obtenu un aveu de sa part.

[6] Le demandeur a fui l’Iran en novembre 2016 avec l’aide d’un passeur de clandestins, qui lui avait fourni un faux passeport, et il a présenté une demande d’asile au Canada en janvier 2017.

[7] Lorsqu’elle a jugé que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible son exposé circonstancié, la SPR a mentionné de nombreuses préoccupations et incohérences à partir desquelles elle avait tiré des inférences défavorables. Entre autres, la SPR a relevé les préoccupations suivantes concernant la preuve du demandeur : (1) la question de savoir s’il avait voyagé à la fois avec son passeport iranien authentique et un faux passeport; (2) sa présence en Iran jusqu’à la fin de 2016; (3) le moment de son départ d’Iran; (4) une non‑divulgation initiale de la présence de son père au Canada; (5) une incohérence dans la date de traduction de son certificat de naissance; (6) son défaut d’expliquer raisonnablement les contradictions et les omissions initiales de son exposé circonstancié concernant ses activités politiques en Iran et la descente du Sepah; (7) son omission de fournir des éléments de preuve corroborant le fait que le Sepah le rechercherait.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Lorsqu’elle a rejeté l’appel du demandeur, la SAR a infirmé bon nombre des conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité. Néanmoins, la SAR a conclu que l’exposé circonstancié du demandeur concernant le fait qu’il aurait participé à des activités politiques en Iran et l’intérêt du Sepah à son égard n’étaient pas crédibles.

[9] La SAR a jugé que les éléments de preuve liés au fait qu’il aurait participé aux activités du petit groupe politique étaient incohérents, notant que le demandeur avait déclaré y avoir participé dans son exposé circonstancié, mais qu’il avait témoigné être un fondateur du groupe devant la SPR. La SAR a approuvé d’autres inférences défavorables quant à la crédibilité qui découlaient d’éléments de preuve incohérents concernant le contenu des brochures politiques qui auraient été distribuées et le fait que le demandeur n’avait pas déclaré que sa mère l’avait informé de l’aveu de Mohammad avant qu’il soit invité à le faire. La SAR a aussi abordé la conclusion non contestée de la SPR selon laquelle il était peu plausible que le demandeur ne connaisse pas les noms des autres membres du groupe, à l’exception de Mohammad. La SAR a souligné la petite taille du groupe, la durée de l’exercice de ses activités et ses fréquentes réunions, et a jugé que la conclusion d’invraisemblance de la SPR était importante, parce qu’elle minait la crédibilité de l’affirmation du demandeur quant à sa participation au groupe et à la durée de ses activités politiques.

[10] Enfin, la SAR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que le demandeur n’avait pas obtenu d’affidavit corroborant de sa mère concernant la descente et son affirmation selon laquelle le Sepah le recherchait. La SAR a noté qu’au moment de l’audience, la mère du demandeur se trouvait au Canada et était un témoin facilement disponible.

[11] Ces inférences défavorables quant à la crédibilité ont amené la SAR à juger que le demandeur n’avait pas participé aux activités d’un groupe qui discutait de politique et préconisait un changement de régime, et que le Sepah n’avait jamais fait de descente chez lui. De ce fait, la SAR a conclu que le demandeur ne faisait pas face à une possibilité sérieuse d’être persécuté en raison de ses opinions politiques s’il était renvoyé en Iran.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[12] La demande soulève deux questions :

A. Les inférences défavorables de la SAR quant à la crédibilité sont‑elles raisonnables?

B. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en n’analysant pas le risque de persécution du demandeur s’il était renvoyé en Iran?

[13] Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Keqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 563 aux para 13‑15, Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 9). De même, l’appréciation par la SAR du risque de persécution d’un demandeur d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 aux para 31‑32; Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 8 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6).

[14] La décision de la SAR sera raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]).

V. Analyse

A. Les inférences défavorables de la SAR quant à la crédibilité sont pour la plupart raisonnables

[15] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et que sa conclusion sur la vraisemblance ainsi que les inférences défavorables quant à la crédibilité qui en découlaient étaient déraisonnables. Plus précisément, le demandeur conteste trois des conclusions de la SAR.

[16] Premièrement, la SAR a déraisonnablement mis en doute sa crédibilité quant à son statut de cofondateur de son groupe politique en faisant valoir que, dans son témoignage, il n’avait pas déclaré qu’il avait été cofondateur de son groupe, mais plutôt qu’il avait commencé des activités politiques avec d’autres personnes.

[17] Deuxièmement, la SAR a, de façon déraisonnable, contesté sa crédibilité en raison de contradictions dans la description du contenu des brochures.

[18] Troisièmement, l’inférence défavorable de la SAR quant à la crédibilité qui découlait de son témoignage concernant la descente du Sepah était déraisonnable. Le fait qu’il n’a pas déclaré initialement que sa mère lui avait dit que le Sepah était à sa recherche s’explique raisonnablement dans son témoignage – il répondait à des questions générales et était prêt à fournir ce détail lorsque l’interrogatoire devenait plus précis. Il n’était donc pas déraisonnable qu’il se soit concentré uniquement sur des détails généraux. En tirant cette inférence boiteuse quant à la crédibilité, la SAR a ensuite commis une erreur par sa conclusion selon laquelle la présomption de véracité avait été réfutée et a exigé de façon déraisonnable une preuve corroborante de la part de la mère du demandeur.

[19] En invoquant ces arguments, le demandeur s’appuie sur les principes qui sous‑tendent les appréciations de la crédibilité dans le contexte de la LIPR. Il existe une présomption de véracité en l’absence d’une raison valable de ne pas croire un demandeur (Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CAF); Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783). La SAR n’est pas tenue d’examiner la preuve à la loupe pour repérer des incohérences, afin de justifier des inférences défavorables quant à la crédibilité (Warnakulasuriya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 885 au para 7). Le demandeur fait également valoir que les conclusions sur la vraisemblance devraient seulement être tirées dans les cas particulièrement clairs et que les explications plausibles quant aux incohérences doivent être prises en compte (Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653).

[20] En appliquant les principes de crédibilité à la présente affaire, je souscris à l’observation du demandeur voulant que la SAR ait déraisonnablement tiré une inférence défavorable en raison d’éléments de preuve incohérents quant à la question de savoir s’il était membre ou un fondateur du groupe politique. Ce faisant, la SAR s’est livrée à une analyse à la loupe. Comme l’a fait remarquer la SAR, il peut y avoir une distinction importante entre l’adhésion à un groupe existant et la fondation conjointe d’un groupe. Cependant, l’importance de cette distinction sur les faits en l’espèce n’est pas évidente. En outre, après un examen de la transcription, y compris l’explication du demandeur, je suis d’avis que les éléments de preuve concernant ce point sont équivoques et pas nécessairement incohérents. Enfin, et surtout, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, il n’est pas évident que la question de l’adhésion ou de la fondation conjointe soit importante pour la demande sous‑jacente du demandeur.

[21] Bien que je trouve que l’inférence défavorable relative à la nature de l’adhésion qu’aurait le demandeur au groupe était une analyse à la loupe et déraisonnable, je suis convaincu que les inférences défavorables de la SAR découlant des éléments de preuve incohérents liés au contenu des brochures que le demandeur aurait distribuées ainsi que ses conclusions concernant l’omission d’informations concernant la descente du Sepah étaient raisonnables.

[22] Je suis également convaincu que la SAR n’a pas commis d’erreur en jugeant que la conclusion non contestée de la SPR – à savoir qu’il n’était pas plausible que le demandeur ignore les noms des membres de son petit groupe politique, compte tenu de leurs nombreuses années d’activité – minait considérablement l’allégation du demandeur selon laquelle il appartenait à un petit groupe politique ou en était un cofondateur.

[23] La SAR a exposé en détail son raisonnement pour chacune de ces conclusions, et ces motifs sont justifiés et transparents.

[24] En ce qui concerne les détails relatifs à la descente au domicile du demandeur, je suis persuadé que le traitement de la preuve par la SAR et les conclusions qu’elle en a tirées étaient raisonnables. La SPR avait d’abord posé au demandeur une question ouverte sur ce qui s’était passé concernant la descente. Lorsqu’il avait répondu à cette question, le demandeur n’avait fait aucune référence au fait que le Sepah avait informé sa mère que Mohammad avait été arrêté, un fait qui est inclus dans son exposé circonstancié. La SPR avait demandé plus de détails – [traduction] « ont‑ils dit autre chose? » – et la réponse du demandeur avait encore une fois omis toute référence à l’arrestation de Mohammad. Cela avait amené la SPR à poser une autre question – [traduction] « ont‑ils dit autre chose à votre mère? » Le demandeur avait répondu : [traduction] « Non. » Ce n’est que lorsque la SPR avait expressément posé une question sur la déclaration dans l’exposé circonstancié concernant l’arrestation de Mohammad que le demandeur avait reconnu que sa mère avait été informée par le Sepah de l’arrestation et de l’aveu. Compte tenu de cette séquence, il était loisible à la SAR de tirer une inférence défavorable comme elle l’a fait. Ce faisant, la SAR a clairement exposé en détail son raisonnement.

[25] Ayant conclu que le demandeur n’était pas crédible sur cet aspect important de l’exposé circonstancié, il était également raisonnable pour la SAR de tirer une inférence défavorable en l’absence d’une preuve corroborante de la part de la mère du demandeur. La SAR a noté que la mère du demandeur était présente au Canada au moment de l’audience devant la SPR et que le fait de lui demander de fournir une preuve corroborante ne l’aurait exposée à aucun risque.

[26] Je suis convaincu que la SAR pouvait raisonnablement tirer ses autres inférences et conclusions défavorables et que celles‑ci sont suffisantes pour appuyer la conclusion ultime de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à établir son implication dans un groupe politique ou le fait qu’il était recherché par le Sepah.

B. La SAR n’a pas commis d’erreur en n’analysant pas le risque de persécution du demandeur s’il était renvoyé en Iran

[27] La SAR, ayant conclu que le demandeur n’était pas impliqué politiquement en Iran et n’était pas recherché par le Sepah, ne s’est pas livrée à un examen de la preuve objective. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une erreur.

[28] Lorsqu’elle a rejeté l’exposé circonstancié du demandeur, la SAR a jugé que celui‑ci n’avait pas réussi à établir son implication dans un groupe politique ou le fait qu’il était recherché par le Sepah. Ce sont les faits mêmes sur lesquels le demandeur s’est appuyé pour fonder sa crainte qu’il soit persécuté. Ces faits essentiels n’ayant pas été établis, la SAR n’était pas tenue de se livrer à une analyse du risque auquel le demandeur était exposé (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 77 aux para 28‑29; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 au para 3; Ikeme c Canada (Immigration, Refugiés et Citoyenneté), 2018 CF 21 aux para 41‑42; Odetoyinbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 501 aux para 5‑8).

[29] Le demandeur fait valoir que la SAR a conclu qu’il était actif sur le plan politique en Iran. Je ne suis pas d’accord. La SAR déclare bel et bien que [traduction] « [m]ême si » le demandeur était impliqué dans des activités politiques, il n’est néanmoins pas recherché par le Sepah. Toutefois, il s’agit d’une conclusion subsidiaire. Elle ne mine pas la conclusion principale de la SAR selon laquelle le demandeur n’était pas actif sur le plan politique.

VI. Conclusion

[30] La demande est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2013‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2013‑20

 

INTITULÉ :

MAHYAR QAHRAMANLOEI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence sur Zoom DE Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 10 mai 2021

COMPARUTIONS :

Adam Wawrzkiewicz

 

Pour le demandeur

 

Christopher Araujo

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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