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Date : 20210518


Dossier : IMM-3699-20

Référence : 2021 CF 457

Montréal (Québec), le 18 mai 2021

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ARTURO BAEZ DE LA CRUZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision en date du 30 juillet 2020 de la Section d’appel des réfugiés [SAR], qui confirme une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] en date du 30 octobre 2018, rejetant la demande d’asile du demandeur.

[2] Pour les motifs qui suivent, la SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale ou autrement excédé sa compétence, et la décision contestée est raisonnable à tous égards. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir en l’espèce.

I. Contexte factuel

[3] Le demandeur est un citoyen du Mexique. Au soutien de sa demande d’asile, il allègue que le 9 septembre 2000, dans ses fonctions de policier et comme membre d’un groupe spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue, il a participé à une opération policière dans une ville de l’État du Chiapas. À cette occasion, un homme politique très puissant [l’individu], qui se trouve à être l’ami du président actuel, a été arrêté dans sa résidence. Peu de temps après, le commandant de police informe les policiers impliqués qu’ils pourraient faire l’objet de représailles. À cette époque, il démissionne de ses fonctions, déménage et vit seul dans la ville de Mexico pour plusieurs années. Toutefois, en novembre 2009, alors qu’il séjournait depuis quelques mois chez sa mère, qui demeure au Chiapas, le demandeur apprend que des membres de la police judiciaire auraient posé des questions à son sujet. Le 17 mai 2010, des inconnus pénètrent dans le domicile de sa mère, mais il réussit à s’enfuir; il a ensuite vécu caché chez un ami dans une autre ville, de 2010 à 2017. En février 2017, le demandeur se rend au Canada et présente sa demande d’asile.

II. Rejet de la demande d’asile et de l’appel conséquent

[4] Relevant plusieurs contradictions et incohérences dans le témoignage du demandeur, la SPR conclut que le demandeur n’est généralement pas crédible. De surcroît, la SPR constate que personne n’est retourné chez la mère du demandeur ou chez d’autres membres de la famille pour tenter de le retrouver après 2010, et que le demandeur n’a pas établi qu’il est actuellement recherché par l’individu et ses acolytes (para 19 de la décision de la SPR). La SPR conclut donc qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. Le demandeur a fait appel à la SAR.

[5] La SAR a effectué une analyse indépendante de la preuve pour en arriver à ses propres conclusions. Elle a déterminé que les questions déterminantes sont la crédibilité et l’absence d’un risque prospectif (para 5 de la décision de la SAR). En particulier, la SAR était en accord avec les conclusions de la SPR concernant les réponses fournies dans le formulaire complété au point d’entrée, les contradictions et incohérences concernant l’incident du 17 mai 2010 chez la mère du demandeur et son comportement incompatible avec la crainte alléguée. Dans son analyse détaillée, la SAR relève bien un certain nombre d’erreurs commises par la SPR, mais celles-ci n’affectent pas la validité de la conclusion finale de la SPR, alors qu’il n’y a aucun risque prospectif en vertu de l’article 97 de la LIPR, ce qui justifie le rejet de l’appel, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Analyse

[6] Devant cette Cour, le demandeur soumet que la SAR n’a pas respecté un principe de la justice naturelle ou d’équité procédurale ou a autrement excédé en sa compétence en traitant dans sa décision de la question du risque prospectif, qui est une question nouvelle, puisque l’unique question devant la SPR était la crédibilité. Le demandeur ne s’était pas attardé en appel à traiter de la question du risque prospectif dans ses prétentions écrites. La SAR aurait donc dû lui offrir l’opportunité de faire des représentations sur le risque prospectif. Le non-respect de l’équité procédurale justifie l’annulation de la décision sous étude et le renvoi du dossier à un autre commissaire pour redétermination.

[7] Le défendeur soutient au contraire que la SAR n’a pas dérogé aux principes d’équité procédurale, ni excédé sa compétence, en concluant que les questions déterminantes étaient la crédibilité et le risque prospectif, qui n’était pas une question nouvelle. Il incombe dans ce genre d’appel hybride que la SAR conduise sa propre analyse de l’ensemble de la preuve au dossier et parvienne à ses propres conclusions, ce qu’elle a fait en l’espèce. D’ailleurs, la SPR s’était prononcée, au paragraphe 19 de sa décision, sur le risque prospectif. Sa décision est raisonnable à tous égards, de sorte que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[8] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de contrôle de la décision correcte. En pareil cas, la Cour entreprend sa propre analyse et détermine si l’équité procédurale a été violée par la décision du décideur administratif (Bouchra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1063 au para 16). En l’espèce, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’une erreur révisable, affectant la validité de la conclusion de rejet de l’appel, a été commise en l’espèce par la SAR. À cet égard, j’accepte les arguments de rejet soulevés par le défendeur dans les représentations écrites et orales de ses procureurs. J’ajouterai toutefois ce qui suit.

[9] D’une part, le demandeur se limite à invoquer aujourd’hui devant la Cour la question de l’équité procédurale et ne conteste pas la raisonnabilité des multiples conclusions de crédibilité. Or, les conclusions avec lesquelles la SAR étaient en accord avec la SPR se rapportent à des éléments importants du récit du demandeur. Elles sont en elles-mêmes suffisantes pour confirmer la décision de la SPR et justifier le rejet de l’appel. En particulier, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu de renvoyer l’affaire pour redétermination. Le fait est que le récit du demandeur est non crédible; il s’en suit que la conclusion d’absence de risque prospectif est raisonnable.

[10] D’autre part, la SAR avait compétence pour examiner la question de risque prospectif. En l’espèce, la SAR n’a pas violé l’équité procédurale en déterminant que, même si elle croyait le demandeur sur tous les éléments mis en preuve, elle tirerait tout de même la conclusion que le demandeur n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il pourra faire face à un risque prospectif (para 69 de la décision de la SAR). Il ne s’agit pas d’une question nouvelle, comme le prétend le demandeur, l’existence d’un risque prospectif est toujours un élément central du droit à la protection prévue à l’article 97 de la LIPR (Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678 au para 40). Il est clair en lisant le paragraphe 19 de la décision de la SPR à la lumière de l’ensemble de sa décision, que la SPR avait également à l’esprit l’inexistence d’un risque prospectif et qu’elle a statué à ce sujet, sinon explicitement, du moins de manière implicite.

[11] Il n’est pas contesté que l’incohérence et la contradiction concernant l’incident du 17 mai 2010, sans explication suffisante, affectaient grandement la crédibilité du demandeur :

  • Au paragraphe 10 de son Fondement de la demande d'asile [FDA], le demandeur a indiqué qu’il avait entendu des bruits pendant qu’il dormait et qu’il avait vu des gens masqués dans la cour intérieure de la maison de sa mère (para 43 de la décision de la SAR);

  • D’après le témoignage du demandeur, le 17 mai 2010, pendant qu’il regardait la télévision, il aurait vu des ombres dans la pièce et cela l’aurait alerté que des gens étaient en train d’entrer dans la maison (paras 42-43 de la décision de la SAR);

  • Confronté par la SPR, le demandeur a affirmé ne pas avoir entendu du bruit mais avoir vu des ombres dans la pièce alors qu’il regardait la télévision (para 43 de la décision de la SAR).

[12] De surcroît, la SPR et la SAR pouvaient raisonnablement conclure que la preuve au dossier démontre un comportement incompatible avec la crainte alléguée. En l’espèce, je ne vois pas comment, en l’absence de nouveaux faits, le demandeur puisse prétendre qu’il existe un risque prospectif. La décision de la SAR est raisonnable à tous égards.

IV. Conclusion

[13] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est pas soulevée par les procureurs et ne se soulève en l’espèce.

 


JUGEMENT au dossier IMM-3699-20

LA COUR STATUE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3699-20

 

INTITULÉ :

ARTURO BAEZ DE LA CRUZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE québec (québec) ET MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2021

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Fabiola Ferreyra Coral

 

Pour le demandeur

Me Thi My Dung Tran

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROA Services Juridiques

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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