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Date : 20210419


Dossier : T-1749-18

Référence : 2021 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

KAMALPREET KALOTI

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] À la fin de l’audience, les parties ont été informées que la Cour rejetait la demande, avec motifs à suivre.

[2] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [la DA-TSS] a rejeté sa demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [la DG‑TSS]. La DG-TSS confirmait la décision par laquelle la Commission de l’assurance‑emploi du Canada [la Commission] avait refusé les prestations que la demanderesse avait demandées et qui lui ont été versées et lui avait infligé une pénalité.

[3] Le 9 mars 2016, la demanderesse a présenté une demande d’assurance-emploi afin de recevoir 15 semaines de prestations de maternité et 35 semaines de prestations parentales [la demande d’assurance-emploi]. Jagg Electric Ltd. [Jagg Electric] a délivré un relevé d’emploi et l’a présenté à la Commission. Sur ce relevé d’emploi, il était indiqué que la demanderesse avait travaillé pour Jagg Electric du 19 octobre 2015 au 19 février 2016 et qu’elle avait accumulé 879 heures d’emploi assurable.

[4] Initialement, la Commission avait approuvé la demande de la demanderesse et lui avait versé des prestations de maternité pendant 15 semaines. La Commission a cessé tout paiement le 17 juin 2016, ou vers cette date, après avoir fait enquête afin de savoir si la demanderesse avait effectivement travaillé pour Jagg Electric. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait travaillé aucune des 879 heures d’emploi assurable indiquées sur son relevé d’emploi et a donc annulé sa demande. Cette situation a donné lieu à un trop payé équivalant à 15 semaines de prestations ou 3 945 $. Une pénalité pécuniaire de 5 000 $ lui a également été infligée en vertu de l’article 38 de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23, pour fausse déclaration. La demande de réexamen présentée à la Commission a été refusée.

[5] La DG‑TSSC a rejeté l’appel de la décision de la Commission interjeté par la demanderesse, mais a réduit la pénalité pécuniaire à 4 500 $.

[6] La DG-TSS a relevé des incohérences dans la preuve de la demanderesse et a également constaté qu’elle était incapable de répondre à de simples questions liées à son emploi auxquelles un employé de Jagg Electric aurait vraisemblablement été en mesure de répondre. Par exemple, la DG-TSS a souligné que la demanderesse avait dit avoir comme responsabilité, notamment, d’appeler les clients pour leur rappeler de payer leurs factures. Or, elle avait de la difficulté à nommer les clients et les fournisseurs. La demanderesse a affirmé qu’elle travaillait plus de 40 heures par semaine et aussi tard que jusqu’à 18 h ou 19 h, mais elle avait de la difficulté à décrire son lieu de travail et les autres employés. Son conjoint a dit qu’elle n’a jamais travaillé plus de 10 heures dans une même journée. De plus, d’après les données du téléphone cellulaire de la demanderesse, son appareil était rarement à proximité de l’adresse déclarée de l’employeur. Les dossiers bancaires de la demanderesse ont révélé que, de manière régulière, après avoir encaissé son chèque de paye, la demanderesse retirait un montant d’argent identique ou sensiblement identique au montant de sa paye. La demanderesse et son conjoint ont témoigné qu’ils envoyaient de l’argent comptant à la famille de la demanderesse en Inde. Cependant, ils n’avaient aucun relevé démontrant que ces paiements avaient effectivement eu lieu, et l’organisation à laquelle ils affirmaient avoir eu recours pour ce transfert de fonds n’avait aucune trace de pareilles transactions. Après enquête, la Commission a estimé qu’il était plus probable que la demanderesse ait rendu l’argent à l’employeur prétendu dans le cadre d’un stratagème visant à établir l’existence d’un emploi assurable afin qu’elle puisse demander des prestations d’assurance-emploi.

[7] La non-crédibilité de la demanderesse a été le facteur déterminant pour la DG-TSS. Dans le cadre de l’appel devant la DA-TSS, la division d’appel a conclu qu’il y avait suffisamment de preuve au dossier pour étayer les conclusions de la DG-TSS. La DA-TSS a conclu que la DG-TSS avait bien saisi la preuve de la demanderesse et qu’elle avait pris acte des explications de la demanderesse au sujet des déclarations incohérentes. La demande de permission d’en appeler présentée par la demanderesse a été rejetée au motif que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[8] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, une seule question a été soulevée par la demanderesse. Elle soutient que la DA-TSS a commis une erreur parce qu’elle n’avait pas conclu que la DG-TSS a outrepassé sa compétence. Plus précisément, elle fait valoir que la DG-TSS a tiré de nombreuses conclusions de fait relativement à sa rémunération assurable alors qu’elle travaillait à Jagg Electric. Suivant l’article 64 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 35, la DG-TSS et la DA-TSS peuvent trancher toute question de droit ou de fait pour statuer de manière juste sur une demande dont elles sont saisies, sauf en ce qui concerne toute question qui est visée par l’article 90 de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23. L’article 90 ainsi que l’article 90.1 sont formulés comme suit :

90 (1) La Commission, de même que tout employé, employeur ou personne prétendant être l’un ou l’autre, peut demander à un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada autorisé par le ministre de rendre une décision sur les questions suivantes :

a) le fait qu’un emploi est assurable;

b) la détermination de la durée d’un emploi assurable, y compris ses dates de début et de fin;

c) la détermination de la rémunération assurable;

d) la détermination du nombre d’heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable;

e) l’existence de l’obligation de verser une cotisation;

f) la détermination du montant des cotisations à verser;

g) l’identité de l’employeur d’un assuré;

h) le fait qu’un employeur est un employeur associé;

i) le montant du remboursement prévu à l’un ou l’autre des paragraphes 96(4) à (10).

[…]

90.1 Si, au cours de l’examen d’une demande de prestations, une question prévue à l’article 90 se pose, le fonctionnaire autorisé de l’Agence du revenu du Canada rend une décision sur cette question comme le prévoit cet article.

[9] La demanderesse fait valoir que la question soumise à la Cour doit être examinée selon la norme de la décision correcte parce qu’elle est liée aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. De son côté, le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Il fait valoir que la question à trancher ne se rapporte pas aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, mais qu’elle consiste plutôt à savoir si la DA-TSS a agi raisonnablement et dans les limites des pouvoirs dont le législateur l’a investi lorsqu’elle a rejeté l’appel.

[10] Je souscris à l’argument du défendeur, selon lequel la question dans la présente affaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, même si la norme applicable était celle de la décision correcte, la présente demande ne pourrait être accueillie.

[11] Dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse affirme que [traduction] « la division d’appel a conclu que la division générale avait outrepassé sa compétence, mais elle a statué que malgré pareille conclusion, l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès ». Au cours des plaidoiries, il a été reconnu que la DA-TSS n’a jamais conclu que la DG-TSS avait outrepassé sa compétence.

[12] Néanmoins, la demanderesse soutient que la DG-TSS a [traduction] « tiré de nombreuses conclusions de faits se rapportant au nombre d’heures d’emploi assurable que la demanderesse avait travaillé à Jagg Electric ». Je ne suis pas d’accord.

[13] La DG-TSS a examiné quatre questions, dont seules les deux premières sont pertinentes pour trancher la présente demande : 1) L’appelante a-t-elle travaillé pour Jagg Electric? 2) L’appelante est-elle admissible à des prestations?

[14] La DG-TSS a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante n’avait pas travaillé pour Jagg Electric. Au paragraphe 55 de sa décision, la DG-TSS s’exprime comme suit :

[TRADUCTION]

Après avoir examiné et soupesé l’ensemble de la preuve, j’estime que l’appelante n’est tout simplement pas crédible. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante n’a pas travaillé pour Jagg Electric.

[15] Ensuite, après avoir examiné la question de savoir si la demanderesse avait un autre employeur ou d’autres heures d’emploi assurable, la DG-TSS a conclu que ce n’était pas le cas :

[traduction]

L’appelante n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle avait un autre employeur ou d’autres heures d’emploi assurable. Vu ma conclusion selon laquelle l’appelante n’a pas travaillé pour Jagg Electric, j’estime que l’appelante n’a pas prouvé l’existence d’heures d’emploi assurable. En l’absence d’heures d’emploi assurable, l’appelante ne peut avoir droit à des prestations. Je conclus, en conséquence, que la Commission doit annuler la période de prestations.

[16] J’estime que la DA-TSS n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

[17] La loi pertinente fait une distinction entre le terme « emploi » et le terme « emploi assurable ». L’Agence du revenu du Canada [l’ARC] n’a compétence en vertu de l’article 90 de la Loi sur l’assurance-emploi que lorsqu’il existe un emploi. Une lecture de l’article 90 dans son contexte le confirme clairement. L’ARC n’a pas compétence pour statuer sur l’existence réelle d’un emploi dans un cas donné : l’existence de l’emploi est présumée.

[18] En l’espèce, la Commission, puis la DG-TSS, ont jugé que la demanderesse n’a jamais exercé d’emploi à Jagg Electric. Cette question relève entièrement de la compétence et de l’expertise de la DG-TSS.

[19] Puisqu’il n’y a eu aucune erreur de compétence, la décision rendue par la DA-TSS selon laquelle l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès est inattaquable.

[20] Le défendeur a avisé la Cour que le procureur général ne sollicite aucuns dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1749-18

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et que chaque partie assume ses propres dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1749-18

 

INTITULÉ :

KAMALPREET KALOTI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE ottawa (ontario), toronto (ontario) ET SURREY (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE zinn

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Jim Wu

POUR LA DEMANDERESSE

Tiffany Glover

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Forte Law Corporation

Avocats

Surrey (C.-B.)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Services juridiques d’EDSC

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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