Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20201026


Dossier : T‑1075‑18

Référence : 2020 CF 1003

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

JAMES BESSE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] James Besse a dû faire prendre ses empreintes digitales il y a de cela de nombreuses années pour obtenir une vérification de casier judiciaire (travail auprès de personnes vulnérables) et pouvoir ainsi continuer à travailler comme bénévole auprès de l’équipe de hockey mineur dans laquelle ses fils jouaient. On lui avait dit que cela était obligatoire parce qu’il était du même sexe et avait la même date de naissance que l’un des milliers de délinquants sexuels enregistrés et réhabilités au Canada. M. Besse croit que le fait que l’État exige que toute personne ayant la même date de naissance que celle d’un délinquant sexuel enregistré fasse prendre ses empreintes digitales en vue d’une vérification de l’habilité à travailler auprès de personnes vulnérables est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, et il sollicite des déclarations à cet effet.

[2] Dans le cadre de la présente requête, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et la Gendarmerie royale du Canada voudraient que la demande de jugement déclaratoire de M. Besse soit radiée. Ils soutiennent qu’on ne peut solliciter un jugement déclaratoire contre un « office fédéral » qu’en déposant une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, et que la Cour n’a pas compétence pour accorder une telle déclaration dans le cadre d’une action.

[3] Je conclus que l’action de M. Besse aurait dû être engagée sous la forme d’une demande de contrôle judiciaire. Ce dernier sollicite un jugement déclaratoire dans un contexte lié au droit administratif, un jugement qui, d’après le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, ne peut être obtenu qu’à la suite d’une demande de contrôle judiciaire. Je suis toutefois d’avis qu’il est approprié en l’espèce d’exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 57 des Règes des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], pour transformer l’affaire en une demande de contrôle judiciaire. Selon moi, l’introduction d’une instance sous une forme erronée ne fait pas de cette instance une affaire de « compétence » comme le soutiennent les défendeurs et, en tout état de cause, la Cour ne devrait pas radier une contestation potentiellement méritoire d’une mesure gouvernementale parce qu’elle a été introduite par le mauvais acte introductif d’instance.

[4] La question qui se pose consiste donc à déterminer le processus qu’il convient de suivre pour les étapes restantes en vue de faire instruire la présente affaire. Vu la nature et l’état de l’instance, et compte tenu des mesures prises jusqu’ici, je conclus qu’il convient de traiter l’affaire comme une action, à soumettre aux dispositions des Règles qui régissent les actions simplifiées, et conformément à l’ordonnance que je rends ci‑après.

II. Questions en litige

[5] La principale question que soulève la présente requête consiste à savoir si la Cour devrait radier la déclaration de M. Besse au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action puisqu’elle sollicite des réparations qu’il n’est possible d’obtenir qu’à la suite d’une demande de contrôle judiciaire.

[6] Les observations des parties soulèvent un certain nombre d’aspects entourant cette question principale, dont le fait de savoir si le retard des défendeurs à présenter la requête devrait faire obstacle à celle‑ci, et si – et dans quelle mesure – la Cour devrait prendre en considération la preuve par affidavit ou le projet d’actes de procédure modifiés que M. Besse a déposés. Je traiterai en premier de ces aspects secondaires, car ils servent de contexte à la question principale qui se pose dans le cadre de la requête. S’il y a lieu de poursuivre l’instance, il sera alors question de savoir quelle procédure appliquer pour qu’elle soit instruite.

[7] J’examinerai donc les questions que soulève la présente requête dans l’ordre suivant :

  1. Le moment où la requête en radiation des défendeurs a été déposée fait‑il obstacle à cette dernière?

  2. L’affidavit de M. Besse est‑il admissible dans le cadre de la requête?

  3. Dans quelle mesure la Cour devrait‑elle prendre en considération le projet de déclaration modifiée ou le projet d’avis de demande de contrôle judiciaire de M. Besse?

  4. Faudrait‑il radier la déclaration de M. Besse au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable?

  5. Sinon, quelle procédure faudrait‑il suivre pour toute instance restante?

III. Analyse

A. Le moment où la requête a été déposée

[8] La requête en radiation des défendeurs repose sur un seul argument, à savoir que la demande vise à obtenir des réparations qui ne peuvent être accordées que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire et non d’une action. Cette question s’est posée dès que la déclaration a été déposée. Les défendeurs étaient clairement au fait de la question, ayant invoqué avec succès des arguments semblables devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. En 2016, M. Besse a introduit devant cette cour une action qui se rapportait aux mêmes questions litigieuses et qui sollicitait le même jugement déclaratoire que celui qu’il demande maintenant à notre Cour de rendre. À la demande de la GRC, représentée par le même avocat que celui qui comparaît en l’espèce, le protonotaire Harrington, de la Cour de l’Alberta, a rejeté la demande de M. Besse à l’encontre de la GRC, expressément au motif que l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale une compétence exclusive sur les demandes de jugement déclaratoire : Besse v Calgary (Police Service), 2018 ABQB 424 aux para 1, 10, 11, 26 et 28.

[9] Pourtant, quand M. Besse a engagé la présente action devant la Cour fédérale une semaine plus tard, les défendeurs n’ont rien fait pour déposer la présente requête avant qu’il s’écoule un délai d’environ 17 mois. Durant ce temps, ils ont participé à la conduite de l’action, notamment en demandant des précisions, en plaidant en défense, en signifiant un affidavit de documents et, après la mise en veilleuse de l’affaire pendant un an environ, en souscrivant à un calendrier de gestion d’instance qui fixait des délais pour la tenue d’interrogatoires préalables. Ils n’ont pas expliqué le retard à présenter leur requête, sauf pour dire que M. Besse n’a rien fait pour poursuivre sa cause pendant un an. Même si l’on accepte ce fait, cela n’explique pas les mesures qu’eux‑mêmes ont prises dans le cadre de l’action.

[10] M. Besse fait valoir qu’il devrait être interdit aux défendeurs de déposer leur requête en raison de ce délai. Il ajoute qu’en raison du temps et des frais associés à la poursuite de l’action à ce jour, la requête en radiation est un abus de procédure ou elle est inéquitable sur le plan procédural. Il fait également valoir que les défendeurs ont renoncé à leur droit de contester la demande en plaidant en réponse à celle‑ci. Il soutient en outre que la requête est essentiellement une plainte selon laquelle il a introduit l’instance au moyen du mauvais acte introductif d’instance, et qu’il s’agit là d’une simple irrégularité procédurale qui, comme l’exigent le paragraphe 58(2) et l’alinéa 59a) des Règles, doit être contestée le plus tôt possible. Il est d’avis que les défendeurs ne devraient pas pouvoir contourner ces dispositions en présentant leur requête sous la forme d’une requête en radiation fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles.

[11] Les défendeurs soutiennent que le moment où une requête fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles est déposée n’est pas un obstacle à son dépôt, et que le fait de plaider en réponse n’est pas une renonciation à la possibilité de déposer une telle requête. Ils ajoutent que leur requête va au cœur même de l’action et de la compétence de la Cour pour accorder les réparations demandées, et qu’il ne s’agit pas d’une simple irrégularité procédurale.

[12] L’appréciation de ces arguments oblige à examiner la nature essentielle de la requête des défendeurs.

[13] La requête des défendeurs repose sur les différents mécanismes que prévoit la Loi sur les Cours fédérales pour ce qui est, d’une part, exercer un recours de droit administratif et, d’autre part, faire valoir d’autres demandes de réparation à l’encontre de l’État ou de ses fonctionnaires, préposés ou agents. Ces différents mécanismes ont été introduits en 1990, dans des modifications apportées aux articles 17, 18 et 18.1 de ce qui constitue présentement la Loi sur les Cours fédérales (à l’époque, la Loi sur la Cour fédérale). Une partie de l’historique de ces modifications a été décrit, notamment, dans les arrêts Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62 aux para 57‑59 [Telezone] et Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37 aux para 16‑19. Revêtent une importance particulière les paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur les Cours fédérales, dont le texte est le suivant :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

Extraordinary remedies, federal tribunals

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

[…]

[…]

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[14] Les recours extraordinaires qui sont mentionnés au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale depuis sa création : arrêt Strickland, aux para 16‑18. Avant les modifications de 1990, ces recours ne pouvaient être demandés que par la voie d’une action : Sweet c Canada, 1999 CanLII 8927 (CAF) au para 13. Les modifications qui ont été apportées en 1990 à la Loi sur les Cours fédérales ont ajouté le paragraphe 18(3), qui indique que les recours ne peuvent être obtenus que sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1. Détail important, aux termes des nouvelles dispositions, les demandes de contrôle judiciaire doivent être instruites et tranchées « à bref délai et selon une procédure sommaire », et ces dispositions imposent un délai de 30 jours suivant l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire qui se rapporte à une « décision ou [une] ordonnance » : Loi sur les Cours fédérales, aux art 18.1(2), 18.4(1).

[15] Dans la foulée de ces modifications, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la Cour fédérale avait compétence pour accorder les recours extraordinaires, mais elle a conclu qu’« elle ne [pouvait] le faire que dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 18, et non dans le cadre d’une action introduite au moyen d’une déclaration » : Bande indienne de Lake Babine c Williams, [1996] ACF no 173 au para 4. Ce principe général continue d’être appliqué de manière évidente et constante : voir, par exemple, l’arrêt Brake c Canada (Procureur général), 2019 CAF 274 aux para 25 et 26 [Brake].

[16] Dans l’arrêt Bande indienne de Lake Babine, la Cour d’appel a radié une action qui visait à obtenir une réparation extraordinaire, notant qu’il ne semblait pas y avoir de mécanisme permettant de la transformer en une demande de contrôle, mais que, en tout état de cause, le délai de 30 jours auquel étaient soumises les demandes de contrôle judiciaire était expiré depuis longtemps : Bande indienne de Lake Babine, au para 4. Cependant, peu de temps après, l’introduction de ce que l’on appelait à l’époque les Règles de la Cour fédérale (1998) (aujourd’hui, les Règles des Cours fédérales) a apporté d’importants changements aux règles de notre Cour. Notamment, ces nouvelles règles ont introduit l’article 57, lequel dispose que « [l]a Cour n’annule pas un acte introductif d’instance au seul motif que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance ». La Cour a rapidement conclu que cet article pouvait s’appliquer aux situations ouvrant droit à réparation dans lesquelles une demande de contrôle judiciaire avait été déposée au moyen d’une action plutôt qu’au moyen d’une demande; toutefois, la question du délai applicable à une demande de contrôle judiciaire posait toujours problème : Mclean c Canada, 1999 CanLII 7783 aux para 26‑31; Khaper c Canada, 1999 CanLII 8914 (CF) [Khaper I] aux para 28‑29; Khaper c Canada, 1999 CanLII 9144 (CF), conf par 2001 CAF 52 [Khaper II] aux para 11‑12; Métis National Council of Women c Canada, 2000 CanLII 16556 (CF) aux para 4‑7.

[17] Dans l’arrêt Sweet, la Cour d’appel fédérale a traité de l’« incertitude quant à la procédure à choisir » que créaient les modifications apportées à la Loi sur les Cours fédérales, de même que de la pratique d’accueillir, depuis ce temps, des requêtes en radiation d’action avec autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire. Aux paragraphes 14 et 15 de cet arrêt, le juge Décary s’est demandé si une requête en radiation était la bonne façon de procéder dans les cas où une instance était introduite sous une forme erronée :

Cette fâcheuse valse‑hésitation est un gaspillage de ressources pour les parties au litige aussi bien que pour la Cour. Je ne suis pas du tout convaincu qu’une requête en radiation, au motif que les actes de procédure ne révèlent aucune cause raisonnable d’action, soit la procédure indiquée dans les cas où la question en litige est de savoir si une partie aurait dû entreprendre un contrôle judiciaire ou une action. Il me semble que le fait de savoir si la procédure utilisée est ou n’est pas la procédure indiquée est une question distincte de celle de savoir si la procédure, si indiquée, révèle une cause raisonnable d’action. L’intention des Règles est précisément d’éviter de radier des procédures qui auraient dû être introduites sous une autre forme. Une fois que l’on a constaté qu’une procédure donnée appartient à l’une ou l’autre des deux catégories (contrôle judiciaire ou action), le devoir de la Cour est de déterminer quelle est la catégorie applicable et de permettre que l’instance soit continuée de cette façon. Les avocats et la Cour doivent trouver les moyens d’aborder la question intelligemment et de façon pratique.

Les nouvelles Règles de la Cour fédérale (1998) donnent à la Cour et aux avocats le moyen d’éviter facilement, chaque fois que la chose est possible, d’avoir à recourir à des moyens aussi radicaux que les requêtes en radiation. La règle 57 est particulièrement pertinente quant à cette question. Elle fait en sorte que « La Cour n’annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance ». Bien que la forme soit nouvelle, je me risque à dire que cette règle codifie une pratique déjà suivie par la Cour. […]

[Non souligné dans l’original.]

[18] Le juge Décary a conclu qu’il était « tout à fait inutile de demander la radiation d’actes de procédure » si la Cour permettait en fin de compte au demandeur d’introduire une nouvelle instance, et qu’une requête déposée en vertu de l’article 58 des Règles en vue de contester l’irrégularité « pourrait bien se révéler être un moyen utile, cependant moins radical, d’opérer le changement désiré » : Sweet, aux para 16 et 18.

[19] Ces commentaires ont été contextualisés par la Cour d’appel dans l’arrêt Canada c Tremblay, 2004 CAF 172. La juge Desjardins a signalé que, dans l’affaire Sweet, il n’y avait pas de problèmes de respect de délai et que le délai de 30 jours auquel étaient soumises les demandes de contrôle judiciaire était une question importante. Elle a souligné que l’on ne pouvait pas se servir de l’introduction d’une action comme moyen de contourner ce délai prescrit : Tremblay, aux para 18‑22. Depuis ce temps, la Cour suprême du Canada a infirmé un certain nombre des principes analysés dans l’arrêt Tremblay (notamment qu’une décision gouvernementale doit être annulée dans le cadre d’un contrôle judiciaire avant qu’une action en dommages‑intérêts soit engagée) : Telezone, aux para 4‑6 et 18‑23. Cependant, l’importance du respect des délais pour ce qui est de savoir si une action peut ou devrait être transformée en une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 57 des Règles demeure pertinente, tant avant qu’après l’arrêt Telezone : voir, par exemple, Sander Holdings Ltd c Canada (Ministre de l’Agriculture), 2006 CF 327 aux para 27‑35, conf par 2007 CAF 322, autorisation d’appel refusée par [2007] CSCR no 608; Rosenberg c Canada (Revenu national), 2015 CF 549 aux para 53‑63.

[20] Dans ce contexte, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’une requête fondée sur le paragraphe 18(3) et l’impossibilité d’obtenir des réparations de droit administratif dans le cadre d’une action n’est pas, comme le laisse entendre M. Besse, juste une requête « en contestation d’irrégularités » au sens de l’article 58 des Règles, du moins dans les cas où il y a lieu de savoir si une demande de contrôle judiciaire aurait été présentée dans le délai requis. Je dis cela pour deux raisons connexes. Premièrement, même si le fait d’introduire une action plutôt qu’une demande de contrôle judiciaire a parfois été qualifié d’« irrégularité » susceptible d’être rectifiée en vertu de l’article 58 des Règles (p. ex., Khaper II, au para 12; Sweet, au para 16), il s’agit d’une irrégularité qui concerne la distinction fondamentale qui existe entre les demandes de contrôle judiciaire et les actions visant à obtenir d’autres recours, ainsi que la capacité même de la Cour d’accorder la réparation demandée : Brake, aux para 23‑27.

[21] Deuxièmement, s’il était possible de rejeter une telle requête pour une raison de délai, en vertu des articles 58 et 59 des Règles ou d’une autre manière, la Cour pourrait se retrouver dans l’obligation d’instruire une action pour des réparations de droit administratif, ce qui serait contraire au paragraphe 18(3) de la Loi. Ni le temps écoulé ni la conduite des défendeurs ne peuvent conférer à notre Cour la capacité d’accorder des réparations de cette nature dans le cadre d’une action si cette mesure est interdite par le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales. M. Besse n’a fait état d’aucune affaire dans laquelle notre Cour a conclu qu’il convenait de rejeter une requête fondée sur le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales parce qu’on avait tardé à la déposer. Au contraire, notre Cour a fait droit à de telles requêtes après que l’action a été inscrite au rôle, et même déposée le matin du procès : Khaper I, aux para 1, 4, 24‑27; Niederauer c Canada (Ministre du Revenu National), 2000 CanLII 15761 (CF), aux para 2‑4.

[22] Notre Cour a souvent instruit et tranché des requêtes fondées sur le paragraphe 18(3) en tant que requêtes à radier en vertu de l’article 221 des Règles, tout en reconnaissant que l’article 57 de ces dernières a une incidence sur la question des réparations : Khaper I, aux para 4, 29‑30; Métis National Council of Women, aux para 1‑6; Rosenberg, aux para 1‑59. Les requêtes fondées sur l’article 221 des Règles peuvent être expressément déposées « à tout moment », et notre Cour a reconnu que celles qui sont fondées sur l’alinéa 221(1)a) en particulier peuvent être déposées « à toute étape de la procédure » : Verdicchio c Canada, 2010 CF 117 au para 19, citant Première Nation Dene Tsaa c Canada, 2001 CFPI 820, [Dene Tsaa], conf par Canada c Wolf, 2002 CAF 117 au para 4. Cela s’explique par le fait qu’une requête de cette nature porte « sur le nœud même du litige » : Dene Tsaa, au para 4.

[23] Je suis donc convaincu que les défendeurs ont introduit à juste titre la présente requête en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles et que celle‑ci peut donc être déposée à tout moment. Quoi qu’il en soit, même si la requête est considérée plus justement comme une requête en contestation d’une irrégularité de nature procédurale, comme le soutient M. Besse, je conclus qu’elle n’aurait pas été interdite par le temps écoulé ou par la conduite des défendeurs, et ce, pour les raisons susmentionnées.

[24] J’arrive à cette conclusion sans nécessairement souscrire à la thèse des défendeurs selon laquelle l’affaire concerne la « compétence » de notre Cour. Dans l’arrêt Bande de Lake Babine, la Cour d’appel a décrété que « [l]a compétence de la Cour [était] donc indéniable » et que la Cour avait « compétence pour statuer sur la question, mais [qu’elle ne pouvait] le faire que dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 18 » [non souligné dans l’original] : Bande de Lake Babine, au para 4. Le juge Pelletier a noté de la même façon, dans les motifs concordants qu’il a fournis dans l’arrêt Mikisew Cree, que l’article 18 sert à restreindre la compétence des cours supérieures provinciales, et non celle des Cours fédérales, un commentaire qui, d’après moi, n’est pas touché par les motifs différents qu’a invoqués la Cour suprême du Canada pour confirmer la décision en appel : Canada (Gouverneur général en conseil) c Première Nation Crie Mikisew, 2016 CAF 311 au para 78, conf par Crie Mikisew First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40 aux para 13‑18, 54, 101 et 148; voir aussi Telezone, au para 5; Parrish & Heimbecker Ltd c Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2010 CSC 64 au para 18.

[25] Autrement dit, le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales a trait à la compétence, car il attribue à notre Cour une compétence exclusive sur les contrôles judiciaires fédéraux et retire cette compétence aux cours supérieures provinciales, mais le paragraphe 18(3) semble être de nature essentiellement procédurale, car il précise la forme de l’instance à utiliser pour obtenir les recours extraordinaires disponibles. Cela ne veut pas dire que la Cour fédérale, dans le cadre d’une action, peut accorder des réparations de droit administratif. Elle ne le peut pas : Brake, au para 26. Cela est dicté par une question de procédure, et non une question de compétence au sens habituel de ce terme.

[26] Pour des raisons semblables, je conviens avec les défendeurs qu’ils n’ont pas renoncé au droit de déposer une requête en radiation de la déclaration parce qu’ils ont plaidé en défense contre cette dernière. M. Besse soutient que le dépôt d’une défense constitue une renonciation à un droit de s’opposer à l’action, soulignant les motifs qu’a invoqués le juge Stratas, au nom de la majorité de la Cour d’appel, dans l’arrêt Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89 au paragraphe 37. Cependant, comme le soulignent les défendeurs, la référence que faisait le juge Stratas à une renonciation avait trait à la capacité du Canada de s’opposer à la demande parce qu’elle ne contenait pas assez de précisions : Paradis Honey, aux para 87, 153. C’est là une simple application de la règle générale selon laquelle une partie ne peut pas demander de précisions pour préparer des actes de procédure après avoir plaidé en réponse : Coe Newnes/McGehee ULC c Valley Machine Works Ltd, 2005 CF 685. Le juge Stratas a traité de l’argument selon lequel la demande révélait une cause d’action raisonnable sur le fond, même si le Canada avait plaidé en défense contre elle : Paradis Honey, aux para 87, 94, 111; voir aussi Khaper I, au para 4.

[27] Je conclus donc que la requête des défendeurs n’est pas interdite par le temps écoulé ou par leur conduite dans le cadre de l’instance, ce qui inclut le fait de défendre l’action ou de convenir d’un calendrier concernant diverses étapes de l’instance, dont les interrogatoires préalables. Il faudrait bien sûr que les requêtes fondées sur le paragraphe 18(3) soient déposées le plus rapidement possible, et si l’on tarde à déposer une requête en radiation cela peut porter à conséquence sur le plan des dépens : Verdicchio, au para 19. Le moment où la requête est déposée peut également être pertinent pour ce qui est du processus à suivre pour faire instruire la demande de contrôle judiciaire. Cependant, la requête en radiation peut être examinée sur le fond, et il faudrait qu’elle le soit.

B. L’affidavit de réponse de M. Besse

[28] En réponse à la requête des défendeurs, M. Besse a déposé un affidavit qui décrit le contexte factuel de sa demande, dont les détails entourant l’incident de la prise d’empreintes digitales qui, allègue‑t‑il, a violé les droits que lui confère la Charte, les mesures qu’il a prises pour se plaindre au Service de police de Calgary, au Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, ainsi qu’à l’Office of the Information and Privacy Commissioner de l’Alberta, l’historique procédural de l’action qu’il a engagée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta pour contester la politique de prise d’empreintes digitales, de même que l’historique procédural de la présente action. À cet affidavit est joint un certain nombre de pièces relatives à ces questions. Comme nous le verrons plus loin, y sont joints aussi un projet de déclaration modifiée ainsi qu’un projet d’avis de demande de contrôle judiciaire.

[29] Les défendeurs s’opposent à l’affidavit de M. Besse sur le fondement du paragraphe 221(2) des Règles. Comme l’indique cette disposition, « [a]ucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête » fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles qui a pour objet de faire radier un acte de procédure parce qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable : NOV Downhole Eurasia Limited c TLL Oil Field Consulting, 2014 CF 889 au para 21, conf par 2015 CAF 106.

[30] Bien que le paragraphe 221(2) des Règles interdise de façon générale de déposer des preuves dans le cadre d’une requête en radiation, la Cour d’appel fédérale a reconnu l’existence d’une exception dans les cas où la requête est fondée sur un défaut de compétence : MIL Davie Inc. c Société d’exploitation et de développement d’Hibernia Ltée, 1998 CanLII 7789, 226 NR 369 (CAF) au para 8 [MIL Davie]; Kaquitts c Council of the Chiniki First Nation, 2019 CF 498 au para 10 [Kaquitts]. S’il est fait opposition à la compétence de la Cour, cette dernière doit être convaincue qu’il existe des faits, soit dans les actes de procédure soit dans des affidavits à l’appui, qui étayent une attribution de compétence : Kaquitts, au para 10; MIL Davie, au para 8; voir aussi Karim c Canada (Procureur général), 2018 CF 453 au para 23.

[31] Les défendeurs sont conscients de cette exception relative aux « faits attributifs de compétence », mais ils allèguent, sans plus d’explications, qu’elle ne s’applique pas en l’espèce. Comme nous l’avons vu plus tôt, les défendeurs disent de leur propre requête qu’elle est fondée sur la compétence : ils résument les motifs de leur requête en spécifiant que [traduction] « la Cour n’a manifestement pas compétence pour accorder au demandeur la réparation qu’il sollicite au moyen d’une action, et la demande qu’il a soumise à la Cour est donc vouée à l’échec ». Compte tenu de cette description, les faits attributifs de compétence figurent donc dans les actes de procédure ou dans un affidavit à l’appui : Kaquitts, au para 10; MIL Davie, au para 8.

[32] Parallèlement, j’ai analysé les motifs pour lesquels je ne suis pas d’avis que la contestation des défendeurs a trait à une « question de compétence ». Elle repose plutôt sur l’allégation selon laquelle M. Besse a suivi la mauvaise procédure en engageant la présente instance sous la forme d’une action plutôt que d’une demande de contrôle judiciaire. À mon avis, l’évaluation de cette question peut être tranchée – et c’est la solution préférable – en se fondant sur les actes de procédure, plutôt qu’en se reportant à d’autres éléments de preuve, qui décrivent, par exemple, l’incident de la prise d’empreintes digitales qui a déclenché la contestation de M. Besse, ou à des éléments de preuve relatifs au fond de sa plainte.

[33] Cela dit, à mon avis, les informations de nature procédurale que comporte l’affidavit de M. Besse à propos des efforts qu’il a faits pour poursuivre l’affaire sont pertinentes pour ce qui est de répondre à la question de savoir si le délai de 30 jours imposé au contrôle judiciaire d’une décision ou d’une ordonnance s’applique ou, dans l’affirmative, s’il est justifié d’accorder une prorogation. Des éléments de preuve peuvent être pris en considération à cet égard, et il faudrait qu’ils le soient : Sander, aux para 29–30. Dans le même ordre d’idées, ces informations et les aspects de l’affidavit de M. Besse qui concernent le déroulement de la présente action jusqu’à ce jour sont pertinents pour répondre à la demande subsidiaire des défendeurs, soit ordonner en vertu de l’alinéa 292d) des Règles que l’action soit instruite sous la forme d’une action simplifiée. C’est‑à‑dire que ces aspects de l’affidavit de M. Besse ont trait à la question des recours au cas où la Cour conclurait que la requête des défendeurs est fondée, et c’est dans ce contexte qu’ils seront pris en considération.

C. Les actes de procédure modifiés de M. Besse

[34] Comme il a été mentionné plus tôt, à l’affidavit de M. Besse était joint un projet de déclaration modifiée. Ce projet contient d’importants changements à la déclaration initiale. Il est, comme le soulignent les défendeurs, plus de deux fois plus long que l’acte de procédure initial, et il comporte 30 paragraphes de plus qui contiennent des allégations factuelles et juridiques nouvelles et exhaustives. La plupart d’entre elles fournissent simplement des précisions plus détaillées sur les allégations déjà formulées. Cependant, les changements ajoutent aussi de nouvelles questions de fond. Fait à souligner, la déclaration modifiée :

  • soulève de nouvelles contraventions alléguées à la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44, à la Loi sur les textes réglementaires, LRC (1985), c S‑22, à la Loi sur le casier judiciaire, LRC (1985), c C‑47, ainsi qu’à la Loi constitutionnelle de 1867;

  • formule des allégations de négligence et d’abus de pouvoir;

  • ajoute des demandes d’autres jugements déclaratoires, de même qu’une demande de dommages‑intérêts compensatoires au sens de l’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), c C‑50 et du paragraphe 24(1) de la Charte.

[35] Dans son affidavit, M. Besse indique : [traduction] « subsidiairement, je suis également disposé à procéder par la voie d’une demande de contrôle judiciaire s’il le faut », et, à cette fin, il y joint un projet d’avis de demande de contrôle judiciaire. Sous réserve de quelques légères différences, l’avis de demande est essentiellement le même que la déclaration modifiée, et cela inclut la réparation demandée.

[36] Dans les observations décrites qu’il a formulées en réponse à la requête en radiation des défendeurs, M. Besse demande, subsidiairement, l’autorisation de déposer un acte introductif d’instance modifié, sous la forme du projet de déclaration modifiée ou du projet d’avis de demande de contrôle judiciaire.

[37] Les défendeurs soutiennent que M. Besse ne devrait pas avoir l’autorisation de modifier sa déclaration. Ils invoquent la décision Viiv Healthcare, dans laquelle le juge Manson a récemment réitéré qu’une fois qu’un avis de requête est déposé la Cour se doit de faire abstraction de toute mesure ultérieure ayant une incidence sur les droits de la partie requérante : Viiv Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc., 2020 CF 11 au para 26. Ils soulignent également l’ordonnance qu’a rendue le 20 décembre 2019 la responsable de la gestion de l’instance, la protonotaire Ring, qui a refusé d’autoriser M. Besse à déposer une requête visant à faire modifier sa déclaration avant la requête en radiation, et ce, en invoquant le même principe et la même jurisprudence que le juge Manson dans la décision Viiv Healthcare.

[38] En même temps, la protonotaire Ring, responsable de la gestion de l’instance, a reconnu que, dans une requête en radiation, l’intimé peut à juste titre présenter des observations au sujet du fait de savoir si un vice quelconque dans la déclaration peut être corrigé par une modification, citant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Simon c Canada, 2011 CAF 6 aux para 8, 14. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a confirmé qu’une déclaration ne devrait être radiée sans autorisation de modification que si le vice ne peut pas être corrigé par une modification : Simon, au para 8.

[39] La Cour d’appel s’est étendue davantage sur ce point dans l’arrêt Paradis Honey. Le juge Stratas a conclu qu’il était admis et approprié de produire un projet de déclaration modifiée en réponse à une requête en radiation (par opposition à une demande de modification) afin de montrer comment il était possible de surmonter les difficultés que présentait la déclaration, comme un manque de précisions dans les allégations : Paradis Honey, aux para 78‑80. Les juges majoritaires ont ensuite tenu pour véridiques les allégations formulées tant dans la déclaration originale que dans la déclaration modifiée dans le but d’évaluer s’il convenait de radier l’action : Paradis Honey, aux para 87, 115, 147, et ce, même si les modifications avaient été proposées après le dépôt de la requête en radiation : Paradis Honey, aux para 13‑16, 79‑80.

[40] Les défendeurs admettent que la Cour peut examiner s’il est possible de corriger un vice quelconque par une modification. Ils soutiennent toutefois que même le projet de déclaration modifiée n’identifie pas une cause d’action valable, et qu’il continue de solliciter essentiellement des recours de droit administratif.

[41] Conformément à la démarche exposée dans l’arrêt Paradis Honey, ainsi qu’à l’ordonnance de la responsable de la gestion de l’instance, la protonotaire Ring, je suis d’avis que le projet de déclaration modifiée m’est soumis à juste titre dans le but d’évaluer s’il est possible de corriger par modification un vice quelconque dans la déclaration. Autrement dit, bien que j’aie à déterminer s’il convient de radier la déclaration originale, j’examinerai cette question et j’interpréterai la déclaration en tenant compte à la fois de son libellé actuel et des modifications proposées.

[42] En ce qui concerne l’avis de demande de contrôle judiciaire, celui‑ci, comme il a été mentionné plus tôt, est formulé essentiellement de la même manière que la déclaration modifiée. À mon avis, il faudrait donc seulement l’examiner dans le cadre de la demande subsidiaire d’autorisation de le déposer que M. Besse a engagée, ou modifier la déclaration originale en fonction de la déclaration modifiée, au cas où l’action est radiée.

D. Faudrait‑il radier la déclaration de M. Besse au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable?

[43] Dans le cadre d’une requête en radiation en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, la question consiste à savoir si, en tenant pour acquis que les faits énoncés dans la déclaration sont véridiques, il est « évident et manifeste » que la déclaration doit être écartée : Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la p 980; Paradis Honey, au para 37.

[44] Pour les raisons qui suivent, j’arrive à la même conclusion que celle qu’a tirée le juge Bédard dans la décision Rosenberg, à savoir qu’il y a lieu d’écarter la déclaration de M. Besse, dans sa forme actuelle, mais qu’il existe néanmoins une question litigieuse entre les parties et qu’il n’est pas évident et manifeste que M. Besse ne peut pas obtenir gain de cause dans le contexte d’une instance appropriée : Rosenberg, au para 35. Cette conclusion se justifie par le fait que les déclarations que sollicite M. Besse ne peuvent être obtenues qu’au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, mais que la bonne manière de corriger l’erreur qu’il a commise en engageant une action plutôt qu’en déposant une demande est de transformer l’action en une demande de contrôle judiciaire.

(1) Les jugements déclaratoires, le droit public, le droit privé et les réparations de droit administratif

[45] L’action de M. Besse, dans sa forme actuelle, vise à obtenir les réparations suivantes, en plus des dépens et de [traduction] « toute autre réparation juste » :

[traduction]

a. Une déclaration portant que la politique actuelle, laquelle consiste à exiger la prise des empreintes digitales de toute personne qui demande une vérification de l’habilitation à travailler auprès de personnes vulnérables et dont la date de naissance est la même que celle d’un délinquant sexuel, est contraire à la Charte et donc inconstitutionnelle.

b. Une déclaration portant que tout règlement ou toute loi, y compris, notamment, la Loi sur le casier judiciaire, ou toute disposition réglementaire exigeant ainsi la prise d’empreintes digitales sont nuls ou sans effet uniquement dans la mesure où ils exigent la prise d’empreintes digitales sans discernement. Par souci de clarté, la position du demandeur est que les dispositions inconstitutionnelles attentatoires peuvent être retranchées.

[46] Comme il a été décrit au paragraphe [34] qui précède, le projet de déclaration modifiée ajoute d’autres demandes de jugement déclaratoire liées à de prétendues violations de nature constitutionnelle et légale. Le projet de déclaration modifiée indique clairement aussi que la contestation relative à la [traduction] « politique consistant à exiger la prise d’empreintes digitales » vise principalement une directive datée du 4 août 2010 et émanant du ministre de la Justice de l’époque. Le projet de déclaration modifiée qualifie cette directive de [traduction] « directive ministérielle » et il vise à obtenir un certain nombre de déclarations à son sujet, dont le fait qu’elle a violé les droits que garantissent à M. Besse la Charte et la Déclaration canadienne des droits.

[47] Les défendeurs soutiennent qu’il est évident et manifeste que l’on ne peut pas obtenir de telles déclarations dans le cadre d’une action, invoquant à cet effet les paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur les Cours fédérales, qui ont été cités plus tôt. M. Besse est d’avis que sa déclaration révèle bel et bien des causes d’action valables et que l’article 18 n’empêche pas une demande de jugement déclaratoire, qu’il décrit comme une réparation de droit privé, de se poursuivre sous la forme d’une action en vertu de l’article 17.

[48] Dans l’arrêt Brake, le juge Stratas a traité de quelques « principes juridiques fondamentaux » au sujet de la distinction entre les demandes de contrôle judiciaire et les actions. Parmi ces principes figurent le fait que l’on n’accorde habituellement pas de dommages‑intérêts à l’issue d’un contrôle judiciaire et celui que, dans le cadre d’une action, on ne peut habituellement pas obtenir des réparations de droit administratif à l’encontre de décideurs administratifs, comme un bref de certiorari et de mandamus : Brake, aux para 23‑26. Au paragraphe 26 de ses motifs, le juge Stratas a résumé les distinctions établies à l’article 18 :

Dans le cas des Cours fédérales, l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et la jurisprudence qui porte sur cette disposition établissent les distinctions sur les plans du fond et des réparations :

On ne peut obtenir de dommages‑intérêts à l’issue du contrôle judiciaire d’une décision administrative. Les réparations dans ce cas se limitent aux réparations de droit administratif prévues au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, comme l’injonction, le bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto et le jugement déclaratoire.

Les réparations de droit administratif comme le certiorari et le mandamus ne sont accordées qu’à l’issue du contrôle judiciaire : Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18(3).

Si aucune réparation de droit administratif n’est demandée, il est possible de solliciter, par voie d’action, des dommages‑intérêts en réparation du préjudice causé par une décision administrative. Dans de telles circonstances, il n’est pas toujours nécessaire de présenter une demande de contrôle judiciaire distincte. Voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585.

[Non souligné dans l’original, quelques renvois omis.]

[49] À mon avis, le fait que M. Besse sollicite une déclaration ne répond pas à lui seul à la question. Contrairement aux pures réparations de droit administratif que sont les brefs de certiorari et de mandamus, une déclaration ne se limite pas au contexte du droit administratif. Il ne s’agit pas non plus, comme le laisse entendre M. Besse, d’une simple réparation de droit privé. Au contraire, comme l’a écrit le juge Evans dans ses motifs concordants dans l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés : « [le] jugement déclaratoire est un redressement souple de droit public et privé, qui n’obéit à aucune contrainte historique ou technique » [non souligné dans l’original] : Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229, autorisation d’interjeter appel refusée par [2008] CSCR no 422 au para 109.

[50] Même dans le contexte du droit public, une déclaration ne se limite pas à la sphère du droit administratif : voir, par exemple, Daniels c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, aux para 2‑4, conf par 2013 CF 6 aux para 3‑6, 19‑20; Strickland, au para 37. Il est donc possible d’obtenir dans certains cas une déclaration de droit public dans une action fondée sur l’article 17, tout comme une déclaration de droit privé. Comme le fait remarquer M. Besse, les déclarations tombent expressément sous le coup de la définition d’une « réparation » qui figure à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, qui peut faire l’objet d’une action contre la Couronne en application de l’article 17.

[51] Cependant, contrairement à ce que M. Besse laisse entendre, le fait que des déclarations tombent sous le coup de la définition d’une « réparation » ne veut pas dire qu’elles sont toutes de droit privé, ou qu’il est possible d’obtenir toutes les déclarations de droit public ou privé dans le cadre d’une action engagée en vertu de l’article 17. Si c’était le cas, la référence qui est faite à un jugement déclaratoire au paragraphe 18(1) n’aurait aucun sens. Les jugements déclaratoires sont reconnus de longue date comme une réparation de droit administratif, y compris pour décider si une loi s’applique à une affaire particulière, de même qu’à titre de « moyen efficace contre l’action illégale des autorités gouvernementales de toutes sortes » : Krause c Canada, [1999] 2 CF 476 au para 18, citant W Wade & C Forsyth, Administrative Law, 7e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1994), à la p 593.

[52] Est également indéfendable l’argument de M. Besse selon lequel le mot « recours », au paragraphe 18(3), ne se rapporte qu’aux brefs de prérogative de certiorari, de prohibition, de mandamus ou de quo warranto, plutôt qu’aux recours plus larges qui incluent les déclarations et les injonctions. En plus de ne pas être étayé par une interprétation raisonnable des dispositions (qui font référence aux « recours prévus aux paragraphes 1) ou 2) » sans faire de distinction entre les recours et les réparations), cet argument contredirait directement ce qui est énoncé dans l’arrêt Brake, à savoir que les « réparations dans ce cas se limitent aux réparations de droit administratif prévues au paragraphe 18(1) […] comme l’injonction […] et le jugement déclaratoire » : Brake, au para 26.

[53] Dans le même ordre d’idées, je rejette l’argument de M. Besse selon lequel la référence qui est faite à l’alinéa 18(1)b) à « toute demande de réparation » signifie qu’il est possible de solliciter une déclaration dans le cadre d’une demande ou dans le cadre de n’importe quelle instance, notamment une action. Ce libellé datait d’avant la limite procédurale qui figure au paragraphe 18(3), et le fait de considérer que l’alinéa 18(1)b) et le paragraphe 18(3) autorisent deux structures procédurales différentes, selon que la réparation sollicitée est, d’une part, l’un des brefs de prérogative ou, d’autre part, un jugement déclaratoire ou une injonction, serait incompatible tant avec la structure qu’avec l’objet de l’article 18.

[54] Au contraire, le contexte du paragraphe 18(1), qui énumère à la fois les déclarations et les brefs de prérogative et qui exige que ces réparations visent « tout office fédéral », indique clairement la distinction qui existe entre les déclarations qui ne peuvent être obtenues qu’au moyen d’une demande de contrôle judiciaire et celles qui peuvent l’être au moyen d’une action. Si la déclaration sollicitée est de la nature d’un recours de droit administratif, elle ne peut être obtenue que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[55] Le juge Binnie a établi clairement cette distinction au paragraphe 52 de sa décision dans l’arrêt Telezone, en disant que la référence faite aux déclarations et aux injonctions à l’article 18 se rapportait à cette réparation « en droit administratif » :

Tous les recours énumérés à l’al. 18(1)a) sont des recours classiques du droit administratif, y compris les quatre brefs de prérogative — certiorari, mandamus, prohibition et quo warrantoet les demandes d’injonction et de jugement déclaratoire en droit administratif. L’article 18 ne prévoit pas l’octroi de dommages‑intérêts. L’indemnisation n’est pas possible dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire. De même, on ne peut, dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts, demander par surcroît un jugement déclaratoire ou une injonction visant à empêcher la mise en œuvre d’une décision administrative prétendument illégale. Pareille demande est du ressort de la Cour fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[56] La question qui se pose dans ce cas ne consiste pas simplement à savoir si M. Besse sollicite un jugement déclaratoire, mais plutôt s’il le sollicite « en droit administratif », c’est‑à‑dire s’il souhaite l’obtenir à l’égard de la légalité, du caractère raisonnable ou de l’équité des procédures employées et des mesures prises par un « office fédéral » agissant en sa qualité publique et dans le cadre d’une fonction exécutive ou administrative (par opposition à législative) : Telezone, au para 24; Air Canada c Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347 aux para 21‑30, 46‑60; Crie Mikisew First Nation (CSC), aux para 13‑18, 54, 101 et 148; Loi sur les Cours fédérales, art 2 (« office fédéral »).

[57] Le protonotaire Harrington, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, a conclu que les déclarations que M. Besse souhaitait obtenir de la part de cette cour – les mêmes que celles qu’il sollicite dans la déclaration originale qu’il a déposée devant notre Cour – étaient des déclarations de droit administratif : Besse v Calgary (Police Service), aux para 6‑11, 28. Je suis de cet avis. Le ministre et la GRC, en appliquant la politique relative à la prise d’empreintes digitales, notamment par l’entremise de la directive ministérielle comme il est allégué, agissent en une qualité publique exécutive ou administrative, et ils exercent ou sont censés exercer une compétence ou des pouvoirs qu’une loi fédérale leur a conférés. Il s’agit manifestement d’« offices fédéraux » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Les déclarations sollicitées sont de la nature d’un contrôle judiciaire administratif de l’exercice ou d’un prétendu exercice de compétence de la part du ministre et de la GRC, et elles visent à déclarer que la politique est illégale et inconstitutionnelle et qu’elle est nulle et sans effet. Conformément au paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, les déclarations de cette nature ne peuvent être obtenues qu’à la suite d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1.

[58] Je ne conclus pas non plus, malgré les arguments contraires de M. Besse, que les autres allégations factuelles et juridiques que comporte la déclaration originale étayent une cause d’action « non administrative » ou une demande de déclaration de droit privé. Je signale de façon générale que des allégations formulées dans un acte de procédure – comme une allégation de violation de la Charte – peuvent étayer soit une réparation de droit administratif soit une réparation de droit non administratif, comme des dommages‑intérêts. Pour dire les choses simplement : « la politique viole les droits que me garantit la Charte et je demande qu’elle soit infirmée » est une demande de droit administratif qu’il convient d’introduire au moyen d’une demande de contrôle judiciaire; « la politique viole les droits que me garantit la Charte et je demande donc des dommages‑intérêts » est une demande de dommages‑intérêts fondée sur la Charte qu’il convient d’introduire sous la forme d’une action. Le fait qu’une déclaration fasse état de faits susceptibles de constituer le fondement d’une demande de dommages‑intérêts ne veut pas dire qu’elle révèle une cause d’action non administrative si elle n’indique pas le fondement de cette demande, pas plus qu’elle ne formule la demande de dommages‑intérêts.

[59] Je conclus qu’il est évident et manifeste que l’action de M. Besse, telle que conçue au départ, sollicite bel et bien un contrôle judiciaire et qu’elle aurait dû être introduite sous la forme d’une demande de contrôle judiciaire. Je suis donc d’avis qu’il est évident et manifeste que l’action de M. Besse, sous sa forme actuelle, ne peut pas être accueillie.

(2) La demande de dommages‑intérêts proposée

[60] Les réparations supplémentaires qui sont proposées dans le projet de déclaration modifiée ne changent pas la conclusion qui précède. La plupart de ces réparations visent à obtenir des déclarations supplémentaires qui sont, de manière semblable, des déclarations de droit administratif. Par exemple, M. Besse se propose de solliciter des déclarations portant que la directive ministérielle sur la prise d’empreintes digitales est inconstitutionnelle, qu’elle constitue une atteinte à son intégrité et aux droits que lui garantissent la Charte et la Déclaration canadienne des droits, et qu’elle n’est pas autorisée par la Loi sur le casier judiciaire ou d’autres lois. Comme ces déclarations se rapportent à sa demande visant à faire invalider la politique de prise d’empreintes digitales, il s’agit également de questions de droit administratif.

[61] Il y a toutefois d’autres aspects du projet de déclaration modifiée de M. Besse qui soulèvent des questions différentes. Plus particulièrement, ce dernier propose de demander des dommages‑intérêts compensatoires. Les causes d’action sur lesquelles repose sa demande de dommages‑intérêts ne sont pas plaidées de manière très claire, même dans les modifications proposées, mais si on la lit de manière généreuse, la demande semble englober d’éventuelles actions fondées sur la négligence, le délit d’abus de pouvoir législatif, des dommages‑intérêts fondés sur la Charte ainsi qu’une réparation pécuniaire reposant sur des principes de droit public, analysée comme une nouvelle demande éventuelle par le juge Stratas, aux paragraphes 115 à 118 de l’arrêt Paradis Honey.

[62] Comme nous l’avons vu plus tôt, on n’obtient habituellement pas de dommages‑intérêts à la suite d’une demande de contrôle judiciaire : Brake, aux para 23, 26. Les modifications proposées auraient donc pour effet de créer un acte de procédure qui solliciterait à la fois une réparation que l’on ne peut obtenir qu’à la suite d’une demande de contrôle judiciaire, et une réparation que l’on ne peut obtenir que dans le cadre d’une action. Comme le signale le juge Stratas dans l’arrêt Brake, « pour solliciter à la fois une réparation de droit administratif et des dommages‑intérêts, il faut intenter deux instances distinctes » : Brake, au para 27. Pour éviter les effets négatifs que cela pourrait avoir sur l’accès à la justice, il est possible que les instances de cette nature soient regroupées, tout en demeurant distinctes sur le fond : Brake, aux para 28‑29. Dans certains cas, une demande de contrôle judiciaire que l’on traite comme une action peut aussi être modifiée pour solliciter des dommages‑intérêts : Paradis Honey, au para 151; Hinton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215 au para 45.

[63] Dans la présente affaire, M. Besse n’a pas indiqué qu’il souhaite renoncer à sa demande de réparations de droit administratif. Son projet d’actes de procédure modifié vise encore à obtenir des déclarations qui invalideraient en somme la directive ministérielle. En fait, il propose un avis de demande de contrôle judiciaire en tant qu’acte de procédure subsidiaire pour remplacer sa déclaration. Je suis également conscient de la préoccupation selon laquelle un demandeur ne devrait pas pouvoir transformer simplement ce qui constitue principalement une demande de contrôle judiciaire en une action en dommages‑intérêts juste en proposant une modification en vue d’ajouter une demande en dommages‑intérêts : Telezone, aux para 75‑78.

[64] Comme il a été mentionné plus tôt, bien que je puisse examiner les modifications qu’il est proposé d’apporter aux actes de procédure dans le cadre d’une requête en radiation, la requête demeure axée sur la déclaration originale. Je conclus que les modifications proposées ne changent pas la nature de la déclaration, qui vise à obtenir des réparations de droit administratif et qu’il aurait fallu introduire sous la forme d’une demande de contrôle judiciaire. Cependant, pour les raisons exposées à la section suivante, je conclus que la réparation appropriée consiste à transformer l’acte de procédure original en une demande de contrôle judiciaire.

(3) La réparation applicable

[65] Comme il en a été question aux paragraphes [16] à [19] qui précèdent, notre Cour et la Cour d’appel ont reconnu à un certain nombre d’occasions que le principe énoncé à l’article 57 des Règles, à savoir que « [l]a Cour n’annule pas un acte introductif d’instance au seul motif que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance », s’applique aux demandes de contrôle judiciaire qui ont été déposées irrégulièrement sous la forme d’une action : Khaper II, aux para 11‑12; Sander, au para 27; Rosenberg, au para 24; Sweet, aux para 15‑18. À mon avis, cette démarche concorde également avec la reconnaissance qui est faite au paragraphe 18 de l’arrêt Telezone, à savoir qu’il convient d’interpréter et d’appliquer la Loi sur les Cours fédérales d’une manière qui concorde avec l’accès à la justice :

C’est essentiellement l’accès à la justice qui est en cause en l’espèce. Les personnes qui prétendent avoir subi un préjudice attribuable à une mesure administrative doivent pouvoir exercer les recours autorisés par la loi au moyen de procédures réduisant au minimum les frais et complexités inutiles. Notre Cour doit aborder cette question d’un point de vue pratique et pragmatique en gardant cet objectif à l’esprit.

[Non souligné dans l’original.]

[66] Malgré ces affaires, les défendeurs font valoir que l’article 57 des Règles ne s’applique pas, et que le fait d’avoir introduit une action plutôt qu’une demande de contrôle judiciaire n’est pas juste une irrégularité procédurale. Ils invoquent ce qu’a déclaré le juge Pelletier dans l’arrêt Docherty : le pouvoir discrétionnaire énoncé à l’article 57 des Règles « est assujetti à l’article 63 des Règles, qui oblige la Cour à respecter le choix du législateur quant à la forme du document introductif dans certains cas » : Docherty c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 89 aux para 13‑14.

[67] Selon moi, les propos du juge Pelletier ne veulent pas dire que l’article 63 des Règles empêche la Cour d’accorder une réparation en vertu de l’article 57 des Règles lorsqu’on engage une instance au moyen de l’acte introductif inexact. En fait, si c’était le cas, l’article 57 des Règles ne voudrait pas dire grand‑chose. Au contraire, il semble que le juge Pelletier traitait de la situation particulière qui se posait dans l’affaire Docherty, où certaines décisions rendues sous le régime de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17, pouvaient être soumises à un contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, tandis que d’autres devaient être portées en appel par la voie d’une action devant la Cour fédérale : Docherty, aux para 5‑8; Tourki c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CAF 186 aux para 16‑18. On n’aurait pas pu surmonter cette différence structurelle légale et la nécessité subséquente de traiter des deux décisions dans le cadre d’instances distinctes en faisant simplement référence à l’article 57 des Règles : Docherty, au para 14.

[68] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que l’article 57 des Règles me confère le pouvoir discrétionnaire de transformer en une demande de contrôle judiciaire l’action par laquelle M. Besse sollicite des réparations de droit administratif. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, il me faut examiner la question du délai qui a été mentionnée dans les affaires Tremblay, Sander, Khaper et Rosenberg. Autrement dit, le temps qui s’est écoulé depuis que M. Besse a subi sa première prise d’empreintes digitales en novembre 2012 l’empêche‑t‑il de solliciter un contrôle judiciaire?

[69] Je signale que, en règle générale, notre Cour ne radie pas de demandes de contrôle judiciaire à la suite d’une requête préliminaire pour une question de délai : Kaquitts, aux para 23‑26. Cependant, pour évaluer s’il y a lieu de transformer une action en une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 57 des Règles, divers facteurs s’appliquent, notamment le risque que l’on puisse se servir d’une action pour contourner les délais de prescription qui s’appliquent dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Tremblay, au para 22. Cela étant, notre Cour a examiné la question du moment du début de l’instance avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour transformer une action en une demande de contrôle judiciaire : Sander, aux para 28‑35; Khaper II, aux para 13‑18; Rosenberg, aux para 53‑60.

[70] Les défendeurs font valoir que la Cour ne devrait pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 57 des Règles, car cela fait près de huit ans que les empreintes digitales de M. Besse ont été prises. Ce dernier soutient que sa contestation, comme celle dans l’affaire Rosenberg, se rapporte non pas à une « décision » particulière qui lui a été communiquée, mais à la « question » de nature plus générale que constitue la politique de prise d’empreintes digitales des défendeurs. Il est reconnu de longue date que toute référence à l’« objet », au paragraphe 18.1(1), englobe les questions qui vont au‑delà d’une décision ou d’une ordonnance particulière et qu’elles peuvent inclure une politique en vigueur : Krause, au para 21; May c CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130 au para 10; Rosenberg, au para 56; Fortune Dairy Products Limited c Canada (Procureur général), 2020 CF 540 aux para 82‑85.

[71] Après examen de la déclaration, telle qu’elle a été rédigée, et des modifications proposées, je conclus que la contestation de M. Besse vise bel et bien la politique de prise d’empreintes digitales des défendeurs, et non une décision particulière, comme l’obligation de faire prendre ses empreintes digitales. La déclaration originale indique au départ que [traduction] « M. Besse sollicite une déclaration portant que cette politique est contraire à la Charte », et les déclarations demandées ont trait à cette politique, plutôt qu’à une demande d’annulation d’une décision. En fait, toute réparation axée sur la décision particulière l’obligeant à faire prendre ses empreintes digitales ne serait vraisemblablement d’aucun avantage pratique. On lui a pris ses empreintes digitales, et il a obtenu la vérification du casier judiciaire (secteur vulnérable) dont il avait besoin. Ce ne sont pas là des questions que l’on peut « invalider » facilement au moyen, par exemple, d’une ordonnance de certiorari. Même si certains des jugements déclaratoires qui sont proposés dans le projet de déclaration modifiée ont trait aux droits particuliers dont jouit M. Besse sous le régime de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits, la plupart d’entre eux continuent de se rapporter à la politique de prise d’empreintes digitales elle‑même.

[72] Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale, « [l]es politiques d’application courante qui sont illégales ou inconstitutionnelles peuvent être contestées à tout moment au moyen d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur sollicite, par exemple, une réparation de la nature d’un jugement déclaratoire » : May, au para 10, Sweet, au para 11. À mon avis, la contestation de M. Besse est de cette nature, et elle n’est pas interdite par le délai de prescription de 30 jours que prévoit le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[73] M. Besse a demandé, subsidiairement, qu’on lui accorde une prorogation de délai sans avoir à procéder par voie de requête, se rapportant à la démarche suivie par le juge Bédard dans la décision Rosenberg. À l’instar du juge Bédard, je vais examiner cette demande au cas où je me tromperais en disant que la demande de M. Besse a trait à une décision qui l’a obligé à faire prendre ses empreintes digitales à la fin de 2012 et qui est donc assujettie au délai de prescription de 30 jours.

[74] Le critère applicable à une prorogation du délai prévu pour introduire une demande de contrôle judiciaire tient compte de quatre facteurs permettant d’évaluer s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation : arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, aux para 61‑62. Ces facteurs sont les suivants : 1) le requérant a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande, 2) la demande a‑t‑elle un certain fondement, 3) la Couronne a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard, et 4) le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[75] Ces quatre facteurs militent en faveur de l’octroi d’une prorogation dans le cas de M. Besse, malgré le temps qui s’est écoulé. M. Besse s’occupe de contester l’obligation de faire prendre ses empreintes digitales depuis que la question s’est posée à la fin de 2012, et ce, dans l’intention claire de la contester. Le fait qu’il lui a fallu jusqu’au milieu de l’année 2018 pour engager la présente action semble être dû aux efforts qu’il a faits pour trouver des informations sur la source de la politique ainsi que pour poursuivre d’autres voies de recours, y compris par l’entremise des commissaires provincial et fédéral à la protection de la vie privée, de la Commission de police de Calgary ainsi que de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Dans les circonstances actuelles, je considère qu’il s’agit là d’une explication suffisante pour le retard à procéder devant notre Cour.

[76] Je signale également qu’il semble y avoir un certain fondement à la demande, car elle soulève des questions de fond au sujet de l’incidence possible de la politique de prise d’empreintes digitales sur la Charte ainsi que sur d’autres droits. J’ajoute à cet égard que la requête en radiation des défendeurs ne fait pas valoir que la déclaration ne soulève aucun motif de droit administratif raisonnable, ou que les motifs de fond invoqués ne présentent aucune possibilité raisonnable de succès. Dans le même ordre d’idées, même si les défendeurs ont bel et bien souligné la longue période qui s’est écoulée, ils n’ont fait état d’aucun préjudice causé par ce délai. Les défendeurs sont au fait des doléances de M. Besse au sujet de la politique depuis un temps considérable et ils sont engagés dans un litige avec lui à cet égard. Je conclus que le délai n’a causé aucun préjudice aux défendeurs et que, de la même façon, ces derniers n’en subiraient aucun si la prorogation était accordée. Je serais donc disposé à accorder la prorogation de délai demandée si elle était nécessaire, ce qui, selon moi, n’est pas le cas.

[77] J’ordonnerai donc que l’action de M. Besse soit transformée en une demande de contrôle judiciaire. Cette ordonnance m’oblige à traiter de certaines questions d’ordre procédural quant à la conduite de la demande.

E. La procédure à suivre

[78] Par défaut, les demandes de contrôle judiciaire doivent être instruites et tranchées de manière sommaire : Loi sur les Cours fédérales, art 18.4(1); Règles des Cours fédérales, art 300 et suivants. Cela est dû en partie à la nature du contrôle judiciaire, qui se déroule habituellement sur la base d’un dossier qui constituait le fondement d’une décision contestée et qui met en cause la supervision restreinte, par la Cour, d’un processus décisionnel administratif : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 18‑20.

[79] Cependant, le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit la possibilité qu’une « demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action ». La Cour d’appel fédérale a décrit le paragraphe 18.4(2) comme une « réponse du législateur aux préoccupations […] suivant lesquelles une demande de contrôle judiciaire ne fournissait pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on recherchait un jugement déclaratoire » : Haig c Canada, [1992] 3 CF 611 (CA) à la p 618 (para 9), conf par [1993] 2 RCS 995; Hinton, au para 44. Il n’y a aucune limite aux facteurs qui peuvent être pris en compte, mais des questions telles que le fait de faciliter l’accès à la justice et d’éviter les coûts et les retards inutiles peuvent être pertinents : Meggeson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 175 au para 32. À cette fin, une « approche large et libérale afin de traiter les demandes de contrôle judiciaire comme des actions » est appropriée : Meggeson, aux para 37 et 38. Parallèlement, la Cour d’appel a réitéré que les cas dans lesquels une transformation est permise sont « exceptionnels » et « assez rares » : Canada (Procureur général) c Lafrenière, 2018 CAF 151 aux para 24‑25.

[80] À mon avis, les circonstances de la présente espèce justifient que l’on traite l’affaire comme une action. Les facteurs qui suivent sont, selon moi, pertinents à l’égard de cette conclusion :

  • le fait que M. Besse sollicite un jugement déclaratoire à propos d’une politique en vigueur, de sorte qu’il n’y a pas de dossier aisément défini pour les besoins du contrôle judiciaire : Hinton, au para 44;

  • le fait que M. Besse ait exprimé le souhait de modifier ses actes de procédure afin de faire valoir une demande de dommages‑intérêts, ce qui peut être fait dans un contrôle judiciaire que l’on traite comme une action, en évitant ainsi le dédoublement possible d’une instance : Meggeson, aux para 33‑35; Hinton, aux para 45‑50;

  • le fait que l’affaire ait déjà franchi plusieurs étapes dans le cadre de l’action avec la participation des défendeurs, et qu’il est préférable d’éviter les coûts, les retards et les incertitudes inutiles que peut occasionner le fait de procéder dorénavant comme s’il s’agissait d’une demande : Meggeson, au para 37.

[81] Pour ce qui est du troisième de ces points, je tiens à souligner que je ne tiens pas compte du simple fait que la procédure de contrôle judiciaire a été engagée comme une action. S’il suffisait qu’il s’agisse là d’un facteur positif en faveur du fait de traiter une demande de contrôle judiciaire comme une action sous le régime du paragraphe 18.4(2), cette mesure aurait pour effet pervers d’encourager les parties qui souhaiteraient que leur demande de contrôle judiciaire soit traitée comme une action à l’introduire sous la mauvaise forme. Cette pratique ne doit pas être encouragée. La bonne démarche consiste plutôt à introduire une demande de contrôle judiciaire et à solliciter une ordonnance portant que la demande soit considérée comme une action en vertu du paragraphe 18.4(2). Cependant, le fait que l’affaire ait été instruite sous forme d’action pendant un temps considérable à cause du temps mis pour déposer la requête en radiation est un facteur dont il faut tenir compte.

[82] Comme l’a récemment renforcé la Cour d’appel, le fait de traiter une demande comme une action est une mesure simplement procédurale. Elle ne la « convertit » pas en une action : Canada (Commission des droits de la personne) c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CAF 228 aux para 23‑24; Brake, au para 43. La demande de contrôle judiciaire sera simplement traitée d’un point de vue procédural comme une action, conformément aux Règles des Cours fédérales.

[83] La dernière question est donc la suivante : « quel type d’action? ». Les défendeurs demandent subsidiairement que l’affaire soit instruite sous la forme d’une action simplifiée. Ils estiment que l’affaire n’est pas particulièrement complexe et que, dans sa forme actuelle, elle ne sollicite pas de dommages‑intérêts : Polchies c Canada, 2003 CF 961. Tout en demandant que son affaire se poursuive sous la forme d’une action, M. Besse n’a pas traité de la requête des défendeurs que l’affaire se poursuive sous la forme d’une action simplifiée. Je signale que même si M. Besse a proposé une modification visant à obtenir des dommages‑intérêts d’un montant total de 90 000 $, cette demande ne fait pas encore partie de la déclaration et, en tout état de cause, elle ne dépasse que modérément le plafond de 50 000 $ que prévoit l’alinéa 292b) des Règles.

[84] Les différences entre une action régulière et une action simplifiée comprennent la procédure relative aux interrogatoires préalables (art 296 des Règles) et la procédure relative à l’instruction (art 299 des Règles). À mon avis, les procédures applicables à une action simplifiée devraient être suffisantes pour régler les préoccupations que M. Besse a soulevées à propos des interrogatoires préalables et de la preuve présentée à l’instruction, tout en contribuant à instruire rapidement l’affaire, ce qui revêt une importance particulière vu le temps depuis lequel M. Besse se préoccupe de la politique de prise d’empreintes digitales.

[85] J’ordonnerai donc que l’affaire soit traitée comme une action simplifiée. Par souci de clarté, il faudrait que la gestion de l’instance continue d’être assurée par la protonotaire Ring. L’ordonnance que je rends ci‑après comporte plus de détails sur la procédure applicable. Pour plus de certitude, je ne tire aucune conclusion quant au fait de savoir s’il convient de faire droit aux modifications que propose M. Besse, advenant qu’il souhaite y donner suite. Il s’agit là d’une question que la responsable de la gestion de l’instance pourra trancher.

IV. Conclusion

[86] Comme l’illustre ce qui précède, il est possible d’éviter bien des complexités procédurales au début d’une affaire en optant pour le type d’instance qui convient. La Loi sur les Cours fédérales définit les procédures qui permettent de préserver les distinctions importantes qui existent entre une demande de contrôle judiciaire et une action. Il convient de respecter ces procédures, mais les erreurs que l’on commet en poursuivant le mauvais processus ne devraient pas se solder par la radiation sommaire d’une instance qui est peut‑être fondée.

[87] La requête en radiation des défendeurs est rejetée, mais ceux‑ci ont indiqué avec raison que l’affaire a été introduite sous la forme inexacte, et il était nécessaire d’accorder une forme quelconque de réparation pour régulariser l’instance. Dans les circonstances, j’estime que les dépens relatifs à la présente requête devraient suivre l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1075‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en radiation de la déclaration est rejetée.

  2. L’action est transformée en une demande de contrôle judiciaire, et la déclaration que le demandeur a produite sera considérée comme l’avis de demande de contrôle judiciaire.

  3. La demande de contrôle judiciaire sera instruite comme s’il s’agissait d’une action aux termes du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, et ce, conformément à la procédure suivante :

    1. la déclaration, la défense et la réponse que les parties ont produites seront considérées comme les actes de procédure déposés conformément à l’article 171 des Règles;

    2. toute modification des actes de procédure sera conforme aux articles 75 à 79 des Règles;

    3. les autres étapes de l’instance seront menées conformément aux articles 292 à 299 des Règles, qui régissent les actions simplifiées, sauf qu’il sera possible de déposer toute requête relative à une modification des actes de procédure avant une conférence préparatoire, indépendamment de l’article 298 des Règles.

  4. Les parties demanderont la tenue d’une conférence avec la responsable de la gestion de l’instance en vue de traiter des prochaines étapes de l’instance.

  5. Les dépens liés à la présente requête suivront l’issue de la cause.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1075‑18

 

INTITULÉ :

JAMES BESSE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET AL

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 OctobRE 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Melodi E. Ulku

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cameron G. Regehr

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Loberg Law

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.