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Date : 20210510


Dossier : IMM‑7802‑19

Référence : 2021 CF 419

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2021

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

ROWLAND EKENE EKPEI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Rowland Ekene Ekpei, est un citoyen du Nigéria. M. Ekpei et son épouse ont fui le Nigéria avec leurs trois filles et leur fils. Ils prétendent, entre autres choses, qu’ils craignent de retourner au Nigéria parce que des aînés de la famille exigeaient que leurs filles mineures subissent une mutilation génitale féminine [MGF].

[2] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté l’appel interjeté par la famille à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile. Les questions déterminantes pour la SPR étaient la crédibilité et la possibilité de refuge intérieur [PRI], mais la seule question examinée par la SAR était celle de l’existence d’une PRI à Lagos.

[3] L’épouse de M. Ekpei était la demanderesse et l’appelante principale devant la SPR et la SAR, et M. Ekpei et leurs enfants étaient les coappelants. La famille demandait le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Peu de temps avant l’audience devant la Cour, tous les demandeurs à l’exception de M. Ekpei se sont désistés de la demande de contrôle judiciaire, de sorte que M. Ekpei est désormais le seul demandeur. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle.

[4] À l’audience, M. Ekpei a circonscrit la question que devait trancher la Cour à l’appréciation qu’a faite la SAR du premier des deux volets du critère de la PRI (plus précisément aux paragraphes 35 et 36 de la décision de la SAR). En résumé, une demande d’asile sera rejetée s’il est possible pour les demandeurs de chercher un refuge dans leur propre pays (c’est‑à‑dire qu’il existe une PRI dans leur pays); en pareil cas, « il n’y a aucune raison de conclure qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays » : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589. Par conséquent, pour maintenir sa demande d’asile, il incombe au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, (i) qu’il risque sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI ou (ii) qu’il serait déraisonnable ou excessivement difficile de s’y installer en raison des conditions qui y prévalent, compte tenu de toutes les circonstances et de facteurs objectifs : Olasina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 103 au para 4; Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 au para 29.

[5] En examinant la question de la PRI, la SAR a reconnu l’argument des appelants selon lequel [traduction] « il est possible de retrouver n’importe quelle personne à l’aide de son numéro de téléphone, de compte bancaire ou de permis de conduire avec des pots‑de‑vin, car un seul système est utilisé dans l’ensemble du pays ». La SAR a toutefois établi qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve fiables et concrets pour conclure que les aînés de la famille ont [traduction] « la capacité et les connaissances nécessaires pour utiliser des pots‑de‑vin » afin d’obtenir cette information. Les appelants n’ont pas réussi à convaincre la SAR que les aînés les retrouveraient à Lagos. La SAR a donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que les appelants ne puissent pas vivre en sécurité à Lagos compte tenu de la grande population de la ville.

[6] À l’audience devant moi, le demandeur a affirmé que la question à trancher n’est pas de savoir si la décision de la SAR est raisonnable, mais plutôt si la SAR a omis de tenir compte d’un document des Nations Unies sur la situation au pays qui souligne que la corruption y est profondément enracinée, notamment à Lagos. Je ne suis pas de cet avis, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10. Je suis d’avis qu’aucune des situations permettant de réfuter cette norme présumée (qui sont résumées dans l’arrêt Vavilov, précité, au para 17) ne s’applique dans la présente instance. En deuxième lieu, la Cour suprême du Canada a expressément mentionné que le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur ne tient pas compte de la preuve qui lui a été soumise : Vavilov, précité, au para 126.

[7] Je suis en outre d’avis que l’appréciation qu’a faite la SAR du premier volet du critère de la PRI n’était pas déraisonnable. Le demandeur soutient que la SAR a rejeté l’argument selon lequel les aînés utiliseraient des pots‑de‑vin sans mentionner d’élément de preuve objectif à l’appui de cette conclusion. Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a rejeté un tel argument, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, je suis d’avis que l’argument du demandeur revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve; la SAR est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, y compris des documents sur la situation dans le pays : Kandha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 430 au para 16; Amadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1166 au para 52. La Cour suprême du Canada a rappelé aux cours de révision qu’elles doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur : Vavilov, précité, au para 125. Néanmoins, je constate que le document des Nations Unies sur lequel s’appuie le demandeur ne mentionne pas précisément les [traduction] « pots‑de‑vin », mais plutôt les efforts déployés au pays pour lutter contre la corruption. En d’autres termes, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ce document n’étaye pas l’argument du demandeur.

[8] Deuxièmement, je suis d’avis que la SAR n’a pas rejeté l’argument des pots‑de‑vin; la SAR a plutôt conclu que les appelants n’ont pas démontré que les aînés de la famille se livreraient à une telle pratique (c’est‑à‑dire qu’ils auraient [traduction] « la capacité et les connaissances nécessaires pour utiliser des pots‑de‑vin ») pour les retrouver dans l’endroit proposé comme PRI. Étant donné que le fardeau de la preuve incombait aux appelants, je ne peux conclure que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que les appelants ne puissent pas vivre en sécurité à Lagos et, par conséquent, qu’ils ne satisfaisaient pas au premier volet du critère de la PRI.

[9] Pour les motifs qui précèdent, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et j’estime que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7802‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7802‑19

 

INTITULÉ :

ROWLAND EKENE EKPEI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONTARIO) (par vidéoconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 28 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 10 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

pour le demandeur

 

Christopher Araujo

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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