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Date : 20210506


Dossier : IMM‑7805‑19

Référence : 2021 CF 408

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

FADEKE OMOWUNMI MOMOH

ANJOLAOLUWA MITCHEL ROBERTS

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demanderesses (une mère et sa fille mineure) sont des citoyennes du Nigéria qui ont demandé l’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada (la CISR) a rejeté leur demande d’asile. Les demanderesses ont fait appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Dans une décision datée du 18 novembre 2019, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR. Les demanderesses sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elles demandent l’annulation de la décision de la SAR au motif qu’elle est déraisonnable.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision n’est pas déraisonnable. La présente demande devra donc être rejetée.

[3] Madame Momoh, la demanderesse principale, est née en mai 1984.

[4] Les événements qui ont donné lieu à la demande d’asile ont commencé en mars 2003. Madame Momoh soutient qu’elle a été agressée sexuellement par un oncle avec lequel elle vivait au moment des faits. Elle est tombée enceinte, et est retournée vivre chez sa mère. Elle a fait une fausse couche en juillet de la même année.

[5] En janvier 2005, Mme Momoh a donné naissance à sa fille Anjolaoluwa, la demanderesse mineure. Elles ont déménagé à Abuja en août 2005 ou vers cette date. Madame Momoh s’est inscrite à l’université à temps partiel, et a également exploité une petite entreprise. Elle s’est mariée en 2012. En janvier 2013, elle et sa fille ont rejoint le mari en Afrique du Sud, où il travaillait. À cette date, Mme Momoh avait vécu environ sept ans et demi à Abuja.

[6] Selon Mme Momoh, son mari est devenu physiquement violent envers elle et Anjolaoluwa. Elles ont quitté le domicile familial et se sont réfugiées chez un ami nigérien de Mme Momoh qui vivait également en Afrique du Sud. En juillet 2015, Anjolaoluwa est retournée au Nigéria en compagnie de l’ami de sa mère. En novembre 2015, après avoir obtenu en Afrique du Sud un visa de visiteur pour les États‑Unis, Mme Momoh est retournée au Nigéria. En février 2016, elle a fait un voyage d’un mois à Atlanta, en Géorgie.

[7] Lorsqu’elle est revenue de ce voyage en mars 2016, Mme Momoh a été informée par sa mère que des choses mystérieuses s’étaient produites dans le village de son père, Ikare Akoko. Un oracle a été consulté. Selon l’oracle, les dieux étaient en colère en raison de l’inceste commis entre Mme Momoh et son oncle en 2003. Les demanderesses devaient se soumettre à des rituels de purification pour apaiser les dieux, ce qui signifiait qu’Anjolaoluwa devait aussi subir une mutilation génitale féminine et des incisions au visage. Madame Momoh a été informée que des gens du village de son père les recherchaient, elle et sa fille, afin que ces rituels puissent être accomplis avant la fin de l’année. Madame Momoh a signalé ces faits à la police, mais on lui a répondu qu’il s’agissait d’une affaire de famille, et que la police n’interviendrait pas.

[8] Après être restées un certain temps chez un ami, les demanderesses ont quitté le Nigéria pour les États‑Unis en août 2016 (Mme Momoh avait également obtenu un visa pour sa fille). Elles ont vécu aux États‑Unis pendant environ 18 mois. Craignant d’être expulsées au Nigéria parce qu’elles étaient sans statut, Mme Momoh et sa fille se sont rendues, le 18 janvier 2018, à un passage frontalier non officiel près de St‑Bernard‑de‑Lacolle (Québec). Elles ont présenté une demande d’asile au Canada sur le fondement des articles 96 et 97 de la LIPR au motif qu’elles avaient fait l’objet de menaces de la part d’individus qui voulaient leur faire subir des purifications rituelles.

[9] Dans une décision datée du 11 janvier 2019, la SPR a rejeté leurs demandes d’asile au motif qu’elles n’étaient pas crédibles et que, de toute façon, les demanderesses disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) valable à Abuja, au Nigéria.

[10] Les demanderesses ont fait appel de cette décision devant la SAR. Elles n’ont pas cherché à déposer de nouveaux éléments de preuve, et n’ont pas non plus (par conséquent) demandé une audience devant la SAR. Les demanderesses ont fait valoir que la SPR avait commis une erreur parce qu’elle avait tiré une inférence défavorable de leur défaut de demander l’asile aux États‑Unis, et parce qu’elles disposaient d’une PRI valable. Par ailleurs, les demanderesses ont fait valoir que la SPR avait contrevenu aux règles de justice naturelle dans son traitement de la question de la protection de l’État.

[11] La SAR s’est fondée uniquement sur le fait que les demanderesses avaient une PRI valable à Abuja pour rejeter l’appel. Elle a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte et, après avoir effectué sa propre analyse du dossier, la SAR a conclu que les demanderesses disposaient d’une PRI valable à Abuja. Selon la SAR, les demanderesses « ne se sont pas acquittées du fardeau de démontrer, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, que la PRI proposée est déraisonnable ou trop difficile ». Elle a motivé ses conclusions de manière détaillée. En plus de se livrer à une analyse de la preuve au dossier, la SAR a appliqué des conclusions tirées du guide jurisprudentiel de juillet 2018 traitant de l’existence d’une PRI au Nigéria (décision TB7‑19851).

[12] En termes simples, une PRI est un lieu dans le pays dont la personne à protéger a la nationalité où elle ne serait pas exposée à un risque ou une menace (au sens voulu et selon la norme applicable, selon que la demande est présentée au titre de l’article 96 ou 97 de la LIPR) et où il ne serait pas déraisonnable pour elle de se réinstaller. Lorsqu’il existe une PRI valable, le demandeur d’asile n’a pas droit à la protection d’un autre pays. Pour réfuter la conclusion selon laquelle il existe une PRI valable, la partie qui demande l’asile a le fardeau de démontrer qu’elle serait en danger dans la PRI proposée ou, même si elle n’y était pas en danger, qu’il serait déraisonnable en toutes circonstances qu’elle s’y réinstalle (voir Aigbe c Canada, 2020 CF 895 au para 9).

[13] Les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle a conclu, s’agissant du premier volet du critère applicable à la PRI, que la preuve ne permettait pas de démontrer que les agents de persécution étaient toujours motivés de les trouver à Abuja ou qu’ils étaient en mesure de le faire. De plus, elles soutiennent que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle parce qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant l’état psychologique de Mme Momoh et son manque d’indigénéité par rapport à la PRI proposée. (Je souligne entre parenthèses que même si le guide jurisprudentiel de juillet 2018 a été révoqué le 8 avril 2020, les demanderesses n’ont pas mis en cause le fait que la SAR s’y est fiée en l’espèce.)

[14] Il est bien établi que la décision rendue au fond par la SAR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35). Ce principe s’applique à la conclusion de la SAR quant à l’existence d’une PRI valable (Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017 au para 14). L’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, confirme que cette norme est la norme appropriée. La norme de la décision raisonnable est maintenant la norme présumée s’appliquer, sous réserve d’exceptions précises « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (Vavilov, au para 10). Rien ne justifie en l’espèce de déroger à cette présomption.

[15] Comme la Cour suprême l’explique dans l’arrêt Vavilov, l’exercice de tout pouvoir public « doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95). Par conséquent, le décideur administratif est tenu « de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée » (Vavilov, au para 96). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Une décision qui présente ces caractéristiques appelle une certaine retenue de la part de la cour de révision (ibid).

[16] Il incombe aux demanderesses de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision « doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Il est important de préciser que, lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier ou de réévaluer les éléments de preuve examinés par le décideur, ou de modifier les conclusions de fait, sauf lors de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125).

[17] Au regard de la norme applicable, les demanderesses ne m’ont pas convaincu que la SAR a commis l’une ou l’autre des erreurs qu’elles lui reprochent. La SAR n’a pas mal interprété la preuve concernant le fait pour les agents de persécution d’avoir contacté la mère de Mme Momoh pour tenter de trouver les demanderesses. Leurs tentatives étaient tout au plus intermittentes, et ont toujours été repoussées. La dernière tentative a eu lieu peu de temps avant la première date d’audience devant la SPR (qui était le 5 octobre 2018). La tentative précédente avait été faite en décembre 2016. La SAR a expliqué pourquoi ces éléments ne permettaient pas de démontrer qu’il y avait plus qu’une simple possibilité que les agents de persécution poursuivent toujours les demanderesses. Comme l’a également expliqué la SAR, même si c’était le cas, la preuve ne permettait pas de démontrer que les agents de persécution étaient en mesure de trouver les demanderesses à l’endroit proposé comme PRI. S’agissant de la preuve concernant les liens qu’un membre de la famille avait déjà eus avec cette ville, la SAR les a raisonnablement jugés insuffisants. L’analyse par la SAR du premier volet du critère applicable à la PRI est transparente, intelligible et justifiée. Les demanderesses s’opposent simplement au résultat, et me demandent d’apprécier les éléments de preuve différemment. Ce n’est pas une raison qui me permet de modifier la décision de la SAR.

[18] Il en va de même pour l’analyse de la SAR du deuxième volet du critère applicable à la PRI. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, la SAR n’a pas omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents. Comme en témoignent ses motifs détaillés, la SAR a soupesé les éléments de preuve pertinents pour juger du caractère raisonnable de la PRI proposée, et a conclu que les demanderesses n’avaient pas démontré que, compte tenu de toutes les circonstances (y compris leur situation personnelle), il serait déraisonnable pour elles de se réinstaller à cet endroit. Les demanderesses ne m’ont fourni aucun élément qui me permettrait de modifier cette conclusion.

[19] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7805‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7805‑19

 

INTITULÉ :

FADEKE OMOWUNMI MOMOH ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 5 MAI 2021 À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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