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Date : 20050805

Dossier : T-2227-04

Référence : 2005 CF 1072

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 5 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                  HERIBERT WALTHER SEIFFERT

                                                                                                                                           demandeur

et

PETRA SEIFFERT (épouse) T-2226-04

                                                                                                                                       demanderesse

et

MARK-OLIVER MICHAEL SEIFFERT (fils) T-2224-04

                                                                                                                                           demandeur

et

BENJAMIN PETER SEIFFERT (fils) T-2225-04

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La présente demande est un appel unique formé contre les décisions rendues par un juge de la citoyenneté en date des 19 et 20 octobre 2004, dans lesquelles le juge a estimé que M. Seiffert, appelé dans les présents motifs le demandeur, et les trois membres de sa famille, tous de nationalité allemande, ne répondaient pas à la condition de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

[2]                Le demandeur est un homme d'affaires qui est arrivé au Canada avec son épouse et ses deux fils en 1982 et qui a acheté une maison à Delta, en Colombie-Britannique. Les entreprises européennes de sa famille ont été fondées en 1969 et, depuis 1991, le demandeur et son épouse ont fondé quatre sociétés canadiennes à Delta, ainsi que d'autres à Calgary, en Alberta. Une deuxième demeure canadienne a été achetée en 1997.

[3]                Un bref examen du mode de vie des membres de la famille Seiffert révèle que, pour des raisons professionnelles et pédagogiques, ils voyagent beaucoup de par le monde. Le demandeur et son épouse gèrent leurs nombreuses entreprises au Canada et à l'étranger, dont quelque 13 bureaux situés en Europe et un aux États-Unis; les bureaux se trouvent à Nuremberg, à Berlin, à Salzbourg, à Vienne, à Bâle, à Chicago et à Vancouver. Ils sont également propriétaires de deux biens-fonds à usage résidentiel en Allemagne. Pour se préparer à gérer les activités internationales de la famille, les deux fils ont fait leurs études à l'Université de la Colombie-Britannique, à l'Université de Hambourg, en Allemagne, et à l'Université Western Illinois. Néanmoins, la famille a aussi consacré un temps considérable à voyager à l'intérieur du Canada et a établi une vie sociale à Vancouver, puisqu'ils sont membres d'un yacht-club et de fervents navigateurs, ce qui leur a permis de découvrir le littoral pacifique de la Colombie-Britannique.


[4]                Le demandeur et les membres de sa famille ont obtenu le droit d'établissement en 1998 et, le 28 mai 2003, ils ont tous demandé la citoyenneté canadienne. S'agissant de la condition de résidence à laquelle ils devaient satisfaire, l'alinéa 5(1)c) de la Loi prévoit ce qui suit :


Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

[...]

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[...]

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

[...]


Au moment de sa demande de citoyenneté, chaque membre de la famille était loin d'avoir atteint les 1 095 jours de résidence au Canada prévus par cette disposition; il manquait 772 jours au demandeur, 823 jours à son épouse, 787 jours au fils aîné (Mark-Oliver) et 893 jours au plus jeune.


[5]                L'avocat des demandeurs et celui du défendeur s'accordent pour dire qu'il y a deux points à trancher. D'abord, l'analyse faite par le juge de la citoyenneté dans sa décision pour chacun des membres de la famille présentait-elle des lacunes au point de constituer une erreur sujette à révision? Et deuxièmement, y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle en ce qui concerne l'audience accordée au demandeur? Il est entendu que, si la réponse à l'une ou l'autre des questions est affirmative, l'appel devrait être accueilli pour tous les demandeurs.

A. Le premier point à trancher : l'analyse critique présentait-elle des lacunes?

[6]                Dans un cas donné, le juge de la citoyenneté est libre de choisir parmi trois critères adoptés par la Cour, à savoir le critère rigoureux appliqué par le juge Muldoon dans la décision Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 (1re inst.), le critère flexible appliqué par le juge Thurlow dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), et le critère exposé par la juge Reed dans la décision Re Koo, [1992] A.C.F. no 1107 (1re inst.), qui complète la décision Re Papadogiorgakis. En l'espèce, le juge de la citoyenneté a décidé d'appliquer le critère flexible et il devait donc tenir compte des décisions rendues par le juge Thurlow et la juge Reed.

[7]                Dans la décision Re Papadogiorgakis, au paragraphe 16, le juge Thurlow écrivait ce qui suit :

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .


Dans la décision Re Koo, au paragraphe 10, la juge Reed écrivait ce qui suit :

10. La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

(1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[8]                En l'espèce, le juge de la citoyenneté a voulu appliquer la décision Re Koo, et le demandeur fait donc valoir qu'il incombait au juge de considérer chacun des facteurs exposés dans cette décision, ce que, allègue-t-il, le juge n'a pas fait. Au soutien de cet argument, le demandeur cite la décision Canada (M.C.I.) c. Mueller, [2005] A.C.F. no 266, dans laquelle la juge Snider a fait droit à un appel en matière de citoyenneté au motif qu'il y avait des failles dans l'analyse faite par le juge de la citoyenneté concernant les facteurs de la décision Re Koo. Le défendeur fait valoir qu'il n'est pas nécessaire de considérer expressément les facteurs de la décision Re Koo, mais qu'il suffit qu'il ressorte de la décision du juge de la citoyenneté qu'il avait les facteurs à l'esprit lorsqu'il a rendu sa décision.

[9]                Premièrement, je partage l'avis de la juge Snider selon lequel un appel en matière de citoyenneté peut être accueilli si la preuve n'a pas été analysée adéquatement. Selon moi, cette obligation du juge de la citoyenneté est un élément fondamental de l'obligation d'équité. Deuxièmement, j'incline à penser, comme le défendeur, qu'aucune règle absolue n'oblige le juge de la citoyenneté à considérer les facteurs importants de la manière et dans l'ordre que préconise la juge Reed, mais il n'en demeure pas moins que la décision ne doit pas faire douter que tous les facteurs importants ont été considérés par le juge de la citoyenneté. Cette manière de voir est appuyée par le « Guide des politiques de la citoyenneté (CP2) -- Les décisions » , où sont exposées les règles détaillées que doivent suivre les juges de la citoyenneté. Le Guide renferme notamment ce qui suit, un accent particulier étant mis sur les éléments 1.27 et 1.28 :

1.3. Concepts

Lorsque les juges de la citoyenneté rendent une décision, ils doivent s'assurer que :

· ils ont le pouvoir légal de rendre la décision;

· la décision est conforme aux principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale en matière de droit administratif.

[...]

1.6. Appel

La Loi permet d'appeler de la décision d'un juge de la citoyenneté devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada. Cet appel ne constitue pas un procès de novo, ce qui signifie que seulement les éléments de preuve examinés par le juge de la citoyenneté sont admissibles en cour. Lorsque la Cour fédérale entend un appel :


· elle examine le fond de la décision;

· elle détermine si la décision était correcte.

[...]

Justice naturelle et équité procédurale

1.10. Le décideur

En vertu des principes du droit administratif, le décideur est maître du processus décisionnel, à défaut d'une disposition législative contraire. Selon la nature de la décision, il est nécessaire d'assurer un degré assez élevé d'équité procédurale. Une décision susceptible d'avoir un effet sur les droits d'une personne (par exemple, dans le cas d'une expulsion) exige plus de garanties procédurales qu'une décision n'ayant pas d'effet sur le statut d'une personne.

1.11. La méthode peut être plus importante que la décision

En droit administratif, la façon dont une décision est rendue a souvent plus d'importance que la décision en soi. Par conséquent, le décideur (le juge de la citoyenneté) a toujours le devoir d'agir équitablement et en conformité avec les principes de la justice naturelle.

1.12. Éléments fondamentaux de la justice naturelle

Le devoir d'agir équitablement comprend des droits et des obligations qui doivent être respectées.

Les deux éléments fondamentaux de la justice naturelle sont :

· le droit d'être entendu;

· l'impartialité.

[...]

1.18. Toute la preuve doit être entendue

Le juge doit tenir compte de toute l'information et de toute la preuve pertinentes, qu'elle qu'en soit l'ampleur. Le juge doit évaluer la crédibilité du demandeur et peut exiger des documents supplémentaires à l'appui de certaines déclarations, par exemple en ce qui concerne la période de résidence au Canada durant les quatre années qui précèdent la demande. Si la preuve est rejetée à cause d'un manque de crédibilité, les motifs de la décision doivent être exposés.

[...]


1.24. Formes de partialité

Voici quelques exemples de situations pouvant dénoter de la partialité :

· le fait de commenter une question avant l'entrevue;

· des attitudes fondées sur des préjugés - la demande doit être étudiée avec impartialité et sans égard à l'opinion du décideur de ce qu'est un bon citoyen;

· une intervention antérieure dans le cas;

· un lien entre le décideur et l'une des parties;

· une hostilité manifeste envers l'une des parties;

· la possibilité de retirer un avantage financier de l'issue de la procédure.

1.25. Chaque cas doit être traité de façon individuelle

Chaque cas doit être examiné de façon individuelle. Des circonstances qui sont partiales dans un cas peuvent ne pas l'être dans un autre.

Contenu d'une décision

1.26. Les motifs de la décision doivent être exposés

Lorsqu'un juge de la citoyenneté décide de ne pas approuver une demande, il doit :

· informer le demandeur que sa demande n'a pas été approuvée;

· exposer pleinement les motifs de la décision;

· présenter les motifs de la décision pour que le demandeur ou le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration puisse déterminer s'il y a lieu d'appeler de la décision.

1.27. Ce qu'il faut inclure dans la justification de la décision

La justification d'une décision doit comprendre :

· les faits;

· l'analyse des faits;

· les déductions de l'analyse.


1.28. Une simple conclusion ne suffit pas

Il est insuffisant de présenter une conclusion et de répéter les critères énoncés dans la Loi sur la citoyenneté. Il faut exposer les arguments et la preuve. Le juge de la citoyenneté doit ensuite montrer pourquoi il en est arrivé à sa décision et faire état de la preuve à l'appui de la décision.

[Pas en caractère gras dans l'original.]

(Dossier du greffe dans la présente affaire)

Je suis donc d'avis qu'une partie essentielle de la décision rendue par un juge de la citoyenneté est celle où il explique pourquoi il arrive à telle ou telle conclusion; c'est un exercice qui peut se révéler difficile, mais je crois néanmoins qu'il est absolument nécessaire si l'on veut assurer l'équité envers un candidat à la citoyenneté.

[10]            En l'espèce, dans chacune des décisions rendues, le juge de la citoyenneté a exposé les faits constatés pour chacun des membres de la famille, mais, pour l'analyse des faits en question, il a tenu les mêmes propos, comme il suit, dans chaque décision rendue :

[TRADUCTION]

Pour savoir si vous avez démontré que le Canada est le pays dans lequel vous avez centralisé votre mode de vie, j'ai examiné les questions posées par la juge Reed lorsqu'elle a rendu sa décision dans l'affaire Re: KOO (1992), 19 Imm. L.R. (2d) 1, 59 F.T.R. 27, (1993) 1 C.F. 286 (1re inst.).

[...]

Les principales questions à trancher sont dans quelle mesure vous avez centralisé votre mode de vie au Canada et dans quelle mesure le temps que vous avez passé au Canada vous aura permis de devenir canadien en vivant et en travaillant avec des Canadiens et en vous intégrant à la société canadienne.

Le temps que vous avez passé au Canada ne prouve pas que vous y avez en réalité passé assez de temps pour répondre à l'objet de la Loi sur la citoyenneté. Vous n'avez pas centralisé votre mode de vie dans ce pays. Vos absences semblent être structurelles. Plus précisément, elles semblent constituer un mode de vie plus qu'un phénomène temporaire. Elles ne sont pas rattachées à une urgence humanitaire, à l'attribution temporaire de tâches hors du pays en tant qu'employé d'une société canadienne, à un programme éducatif particulier ou à une affectation par le gouvernement canadien à des tâches hors du pays.


[...]

L'objet de la Loi sur la citoyenneté est clair. Vous n'avez pas suffisamment centralisé votre vie au Canada en vivant parmi les Canadiens et en vous intégrant à la société canadienne.

[...]

Le Parlement du Canada a prévu une période de quatre ans à l'intérieur de laquelle un candidat à la citoyenneté peut satisfaire à la condition des trois années de résidence. Il l'a fait pour tenir compte de certaines absences durant cette période de quatre ans. Dans l'affaire RE: KOO (no du greffe T-20-92), la juge B. Reed s'était exprimée ainsi sur l'intention du législateur lorsqu'il avait établi cette période :

La condition de trois ans de résidence dans une période de quatre ans semble avoir été conçue pour permettre une absence physique d'une durée d'un an pendant les quatre ans prescrits. Certes, les débats tenus à l'époque donnent à penser que l'on envisageait comme durée minimale une présence physique au Canada de 1095 jours.

Conformément au paragraphe 14(3) de la Loi sur la citoyenneté, vous êtes donc informé que, pour les motifs susmentionnés, votre demande de citoyenneté n'est pas approuvée.

(Voir le dossier du demandeur, pages 143 à 145)

[11]            Vu les circonstances de la présente affaire, je suis d'avis que la décision du juge de la citoyenneté ne renferme pas l'analyse critique requise.


[12]            À mon avis, la situation particulière du demandeur et des membres de sa famille appelait une attention toute particulière. Il ressort tout à fait clairement des décisions du juge de la citoyenneté qu'il a surtout fait porter son attention sur les absences prolongées des demandeurs du Canada. Le juge de la citoyenneté a qualifié les absences de « structurelles » et, par voie de conséquence, il a estimé que les demandeurs n'avaient pas centralisé leurs vies au Canada. Le juge de la citoyenneté est donc arrivé à une conclusion de fait d'où il a déduit que les demandes de citoyenneté présentées par les demandeurs devaient être refusées. La partie essentielle qui fait défaut dans ce raisonnement est l'analyse des raisons pour lesquelles les absences ont conduit le juge de la citoyenneté à conclure que les demandeurs n'avaient pas centralisé leurs vies au Canada.

[13]            À mon avis, l'importance accordée par le juge de la citoyenneté au nombre de jours d'absence l'a empêché de considérer les innombrables preuves versées au dossier qui lui auraient permis de conclure que, malgré des absences prolongées, et vu le style de vie particulier des demandeurs, constamment en déplacement pour des raisons professionnelles, et vu aussi l'établissement de leur vie familiale et sociale au Canada, les demandeurs n'avaient pas un lien plus marqué avec un autre pays du monde qu'avec le Canada. Avec ce chaînon manquant, l'analyse aurait pu conduire à une décision tout à fait différente.

[14]            Je crois donc que la réponse à la première question actuellement étudiée est affirmative et que les décisions contestées renferment des lacunes de telle manière qu'il en résulte une erreur sujette à révision.

B. Le second point à trancher : y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle?

[15]            Je reconnais avec l'avocat du demandeur que, malgré le fait qu'un candidat à la citoyenneté n'a pas droit à une entrevue auprès d'un juge de la citoyenneté, si cette entrevue est accordée, elle doit se dérouler d'une manière équitable. Le témoignage du demandeur à propos des circonstances de la présente affaire sur ce point n'est pas contredit :


[TRADUCTION]

[...] J'avais pensé que cette entrevue donnerait à ma famille et à moi-même l'occasion d'expliquer pleinement notre vie passée au Canada au cours des 22 dernières années. Toutefois, le juge de la citoyenneté n'a consacré qu'environ 10 minutes seulement à me parler et ne s'est adressé que brièvement aux autres membres de ma famille - mon épouse, Petra, et mes deux fils, Mark-Oliver et Benjamin. Il n'a évoqué ou examiné avec moi ou ma famille aucun des documents que nous avions présentés au soutien de nos demandes de citoyenneté. Il a précisé avant même que ne débute l'entrevue qu'il avait déjà décidé qu'il lui était impossible de nous accorder la citoyenneté. Cela m'a dégoûté parce que je me suis demandé pourquoi nous avions été convoqués pour une entrevue s'il avait déjà pris sa décision avant même de nous entendre. Il ne m'a pas donné l'occasion d'expliquer quoi que ce soit parce qu'il a signalé clairement qu'il avait déjà pris sa décision.

(Affidavit du demandeur, paragraphe 2)

[16]            Puisque chaque cas est un cas d'espèce, je crois qu'aucun précédent ne m'aidera à dire s'il y a eu ici déni de justice. La question à trancher est celle de savoir si le demandeur, pour lui-même et pour les membres de sa famille, a eu une occasion raisonnable au cours de l'entrevue de persuader le juge de la citoyenneté que la preuve complexe et considérable qu'il avait devant lui justifiait une décision favorable en matière de citoyenneté. Je n'ai aucune hésitation à dire que le demandeur n'a pas eu cette occasion.

[17]            Il ressort tout à fait clairement de la décision rendue que les documents n'ont pas suffisamment impressionné le juge de la citoyenneté pour qu'il rende une décision favorable. Dans ces conditions, il était d'une importance cruciale pour le juge de la citoyenneté qu'il donne au demandeur une véritable occasion d'user de son pouvoir de persuasion afin de l'amener à changer d'avis. Je reconnais avec l'avocat du demandeur que le juge de la citoyenneté a fermé la porte à cette possibilité. Par conséquent, vu les circonstances de la présente affaire, je suis d'avis que l'impossibilité pour le demandeur de se faire entendre équivaut à un déni de justice naturelle.


[18]            J'estime par conséquent que la réponse à la seconde question présentement à l'étude est affirmative et qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle pour ce qui concerne l'audience accordée au demandeur.

C. Dispositif

[19]            Vu les erreurs entachant les décisions contestées, je fais droit à l'appel pour chacune des demandes à l'étude.

[20]            S'agissant de la manière dont il convient de disposer des demandes, l'avocat du défendeur reconnaît que mes pouvoirs en tant qu'instance d'appel me permettent d'exprimer un avis sur la question de la résidence dont était saisi le juge de la citoyenneté pour chacun des membres de la famille Seiffert. D'ailleurs, au cours de l'audience, l'avocat des demandeurs m'a exhorté à le faire. Je suis d'avis que les intérêts de la justice m'imposent d'accéder à cette demande.


[21]            Je ne vois pas l'utilité de renvoyer les demandeurs devant un autre juge de la citoyenneté pour qu'il dispose de leur cas. À mon avis, les dépenses en temps et en ressources que cela nécessiterait seraient démesurées. Je suis également conscient des épreuves émotionnelles injustifiées qu'une nouvelle procédure causerait très certainement aux demandeurs, une procédure qui, à mon avis, est inutile, parce que, selon mon évaluation, ils ont produit des preuves solides qui militent en faveur de l'octroi de la citoyenneté.

[22]            À mon avis, vu l'établissement rapide de leur lieu de résidence et de leurs entreprises en Colombie-Britannique, la preuve versée au dossier que j'ai devant moi montre amplement que le lieu de résidence au Canada avait été établi bien avant le dépôt des demandes de citoyenneté. De plus, même si l'on tient compte du fait que les demandeurs sont loin d'avoir atteint les 1 095 jours de résidence requis par la Loi, et compte tenu du critère flexible appliqué dans la décision Re Papadogiorgakis et la décision Re Koo, la preuve que j'ai devant moi est amplement suffisante pour m'amener à conclure que, tout au long de la période de quatre ans qui a précédé leurs demandes de citoyenneté, les demandeurs avaient sincèrement l'intention de maintenir leur lieu de résidence au Canada, et ils s'y sont d'ailleurs employés activement.

[23]            Il est vrai que, au cours des quatre années décisives, les absences des demandeurs du Canada ont été structurelles, mais, eu égard aux exigences de leurs activités professionnelles, je crois que telles absences sont compréhensibles parce qu'elles étaient nécessaires. Par conséquent je n'accorde aucun poids à la preuve attestant les absences. L'essentiel, c'est qu'il ressort clairement de la preuve que, même si l'on tient compte des absences des demandeurs du Canada alors qu'ils voyageaient de par le monde pour des raisons professionnelles ou éducatives, ils considèrent le Canada comme leur pays de résidence, à l'exclusion de tout autre pays au monde. Je suis donc d'avis que les demandeurs avaient centralisé leurs vies au Canada avant de présenter leurs demandes.


[24]            Par conséquent, je conclus que chacun des demandeurs a rempli la condition de résidence établie à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Chacun des membres de la famille Seiffert a donc droit à la citoyenneté canadienne.

ORDONNANCE

L'appel est accueilli pour chacune des demandes.

Les dépens sont accordés à chacun des demandeurs, à l'encontre du défendeur.

                                                                      « Douglas R. Campbell »                   

                                                                                                     Juge                                   

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 5 août 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-2227-04 (y sont joints les dossiers T-2224-04, T-2225-04 et T-2226-04)

INTITULÉ :                                      Heribert Walther Seiffert c. Le ministre de la

Citoyenneté et de l'Immigration (y sont joints les

intitulés Mark-Oliver Michael Seiffert c. MCI,

Benjamin Peter Seiffert c. MCI et Petra Seiffert c. MCI)

LIEU DE L'AUDIENCE :               VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 4 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :           LE 5 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                             POUR LES DEMANDEURS

Catherine A. Sas                                                           POUR LES DEMANDEURS

Jonathan Shapiro                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et associés                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

Immigration Law Centre                                                POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

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