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Date : 20210429


Dossier : IMM-1997-20

Référence : 2021 CF 382

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

PATRICIA LIZBET WASSMER DE AGUIRRE

WILBER STEVEN AGUIRRE WASSMER

LESLEY STEPHANIE AGUIRRE WASSMER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Wassmer et ses deux enfants sont citoyens du Salvador. Ils ont revendiqué le statut de réfugié, mais la Section de la protection des réfugiés [SPR] et la Section d’appel des réfugiés [SAR] ont rejeté leur demande.

[2] La SAR s’est fondée sur le principe énoncé par le juge Robert Décary de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126 au paragraphe 19, [2005] 3 RCF 429 [Williams] :

[…] la qualité de personne à protéger est refusée s’il est démontré qu’au moment de l’audience le demandeur a le droit, par de simples formalités, d’acquérir la citoyenneté […] d’un pays déterminé à l’égard duquel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté.

[3] Il y a quelques années, Mme Wassmer a appris que son père, dont elle ignorait jusqu’alors l’identité, était un citoyen du Nicaragua. En se fondant sur la preuve documentaire concernant ce pays, la SAR en a déduit que Mme Wassmer et ses deux enfants pouvaient facilement obtenir la citoyenneté nicaraguayenne. Puisque Mme Wassmer et ses enfants n’ont aucune crainte fondée de persécution à l’égard du Nicaragua, la SAR a conclu qu’ils ne répondaient pas à la définition de réfugié.

I. L’équité procédurale

[4] Mme Wassmer soutient que sa demande n’a pas été traitée équitablement par la SPR et la SAR. Son grief tire son origine du refus de la SPR de lui accorder une remise de l’audience afin de lui permettre de fournir des éléments de preuve additionnels concernant la possibilité d’obtenir la citoyenneté nicaraguayenne.

[5] Il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument en détail. Ultimement, la nouvelle preuve en question se résume à une lettre de l’ambassadeur du Nicaragua au Canada qui donne de brèves explications au sujet du processus permettant à Mme Wassmer d’obtenir la citoyenneté nicaraguayenne. Cette lettre est postérieure à la décision de la SAR. Mme Wassmer m’invite tout de même à en prendre connaissance. Bien qu’une nouvelle preuve ne soit habituellement pas admissible à l’étape du contrôle judiciaire, le ministre ne s’y oppose pas et soutient plutôt que le contenu de la lettre ne suffit pas à rendre déraisonnable la décision de la SAR. Je suis d’accord avec le ministre.

[6] La lettre en question fait état de diverses démarches administratives que Mme Wassmer devrait entreprendre afin d’obtenir la citoyenneté nicaraguayenne. À la lumière de l’arrêt Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175, [2017] 3 RCF 399, et de la décision Phuntsok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1110, de telles formalités administratives ne constituent pas un obstacle suffisant pour empêcher que le Nicaragua soit considéré comme un pays de référence aux fins de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Il est vrai que l’ambassadeur affirme que l’obtention de la citoyenneté nicaraguayenne n’est pas automatique. Cependant, la lecture globale de sa lettre démontre que cette affirmation porte sur le processus administratif et non sur un quelconque pouvoir discrétionnaire de l’État nicaraguayen de refuser la demande de Mme Wassmer. Il n’y a donc pas eu violation de l’équité procédurale, et rien ne démontre que la décision de la SAR est déraisonnable en ce qui concerne Mme Wassmer.

II. La situation des enfants

[7] Par contre, j’estime que la situation des enfants de Mme Wassmer est différente. Afin de comprendre pourquoi, il est utile de citer l’extrait pertinent du document d’information concernant la citoyenneté nicaraguayenne sur lequel s’est appuyée la SAR :

[traduction]

À son article 45, la loi no 761 énumère les catégories de personnes qui peuvent être considérées comme des nationaux : […] les enfants des Nicaraguayens nés à l’étranger, même s’ils possèdent d’autres nationalités,11 […]

11 Même si de tels parents nicaraguayens ont renoncé à la citoyenneté nicaraguayenne afin d’en acquérir une autre, leurs enfants n’ont qu’à demander la citoyenneté nicaraguayenne lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité. […]

[8] La situation de Mme Wassmer semble visée par la note de bas de page 11, puisque, si je comprends bien, son père avait déjà perdu la citoyenneté nicaraguayenne au moment de la naissance de Mme Wassmer. Cependant, Mme Wassmer n’a jamais présenté une demande pour obtenir la citoyenneté et n’a jamais été citoyenne du Nicaragua. Il s’ensuit qu’au moment de leur naissance, ses enfants n’étaient pas des « enfants des Nicaraguayens nés à l’étranger ». Ils n’étaient pas non plus des enfants de parents ayant renoncé à la citoyenneté nicaraguayenne; Mme Wassmer n’a jamais fait rien de tel. Rien dans le document d’information consulté par la SAR n’établit que les enfants pourraient profiter rétroactivement de l’acquisition éventuelle de la citoyenneté par leur mère. Avec égards, les conclusions de la SAR à cet égard relèvent de la spéculation.

[9] À l’audience, le ministre a soutenu qu’il appartenait à Mme Wassmer et à ses enfants de tenter d’obtenir la citoyenneté nicaraguayenne, même si leur droit était incertain. Je ne puis souscrire à ce point de vue. L’obligation d’un demandeur d’asile d’entreprendre des démarches en vue d’obtenir la citoyenneté d’un autre pays n’existe que s’il est établi qu’il a le droit, selon les lois de ce pays, d’en acquérir la citoyenneté ou, en d’autres termes, que « le droit à la citoyenneté est conféré en droit » : Tretsetsang, au paragraphe 39.

[10] Or, rien ne démontre que les enfants de Mme Wassmer aient un tel droit. Contrairement à ce qui était allégué dans l’affaire Tretsetsang, il ne s’agit pas d’une situation où les fonctionnaires nicaraguayens nient dans les faits un droit reconnu par la loi. Les enfants de Mme Wassmer n’ont pas d’obligation de prendre des mesures raisonnables pour faire reconnaître un droit inexistant.

[11] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie à l’égard des enfants de Mme Wassmer et l’affaire sera renvoyée à la SAR pour un nouvel examen conformément aux présents motifs. Par contre, la demande sera rejetée à l’égard de Mme Wassmer, puisqu’en ce qui la concerne, la décision est raisonnable et la SAR n’a pas fait défaut de respecter l’équité procédurale.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1997-20

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie à l’égard de Wilber Steven Aguirre Wassmer et de Lesley Stephanie Aguirre Wassmer et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen.

2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée à l’égard de Patricia Lizbet Wassmer de Aguirre.

3. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1997-20

INTITULÉ :

PATRICIA LIZBET WASSMER DE AGUIRRE, WILBER STEVEN AGUIRRE WASSMER, LESLEY STEPHANIE AGUIRRE WASSMER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VISIOCONFÉRENCE ENTRE Ottawa (Ontario) ET GATINEAU (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 avril 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 29 avril 2021

COMPARUTIONS :

Juan Cabrillana

Pour les demandeurs

 

Carolyn Phan

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Juan Cabrillana

Avocat

Gatineau (Québec)

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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