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Date : 20050302

Dossier : IMM-8587-04

Référence : 2005 CF 315

ENTRE :

                                               AMIR OLIA, SAIDEH FARHADI et

                                                               ALI REZA OLYA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                En l'espèce, les demandeurs demandent l'autorisation de déposer un affidavit en réponse supplémentaire qui contiendrait la copie de l'engagement donné au barreau de la Colombie-Britannique (le Barreau) par M. Bavend Zanjani de ne pas agir contrairement à la Legal Profession Act de la Colombie-Britannique, et peut-être une lettre du barreau adressée à l'avocat des demandeurs.


[2]                M. Zanjani aurait représenté les demandeurs en qualité de consultant en immigration, mais il est possible qu'il ait agi au-delà de sa compétence et, vu le rejet de la première demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en juillet 2003 par la Cour fédérale, il a peut-être présumé de ses compétences professionnelles : apparemment, il a omis de déposer une pièce au dossier au printemps 2003. Cependant, il semblerait aussi, au vu de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire précédente présentée le 7 mai 2003 (qui a été rejetée), que M. Olia et Mme Farhadi se sont représentés eux-mêmes, sauf en ce qui concerne la rédaction des documents; quoiqu'il en soit, il s'agit là d'une question distincte de la présente requête.

[3]                S'il existe une disposition prévoyant le dépôt d'un mémoire en réplique, dans les Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés (à l'article 13), aucune disposition des règles en immigration ne prévoit le dépôt d'affidavit en réplique supplémentaire, quoique de tels documents aient été admis de temps à autre. Le critère applicable au dépôt des affidavits en réplique supplémentaires dans les causes d'immigration reflète peut-être le silence des règles en immigration sur ce point : il doit y avoir des circonstances spéciales, c'est-à-dire inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles : voir Rubino c. Canada (1995) 90 F.T.R. 57, à la page 60.


[4]                Les demandeurs, qui sont maintenant représentés par un avocat pour la présente deuxième demande de contrôle judiciaire, soutiennent que l'élément de preuve important qu'ils veulent déposer au dossier et qui n'était pas disponible lorsque le dossier a été déposé est l'engagement pris le 20 janvier 2005 par le consultant en immigration, en cette qualité, de ne pas assurer de services qui empiètent sur le champ de compétence des avocats, ni de représenter qu'il peut assurer des services qui sont du ressort exclusif des avocats. Autrement dit, dans ce document, M. Zanjani s'engage à ne pas pratiquer le droit. Les demandeurs prétendent que cet engagement est pertinent, non pas parce qu'il constitue un motif de contrôle judiciaire, mais parce que, selon eux, il a une incidence sur l'issue de la cause. Le consultant en immigration en question aurait induit en erreur les demandeurs au sujet de sa compétence professionnelle : les demandeurs prétendent qu'il était incompétent et que leurs prétentions n'ont donc pas été entendues; elles ont été rejetées en raison d'un manque d'attention et de l'absence de dépôt d'un dossier.

[5]                Pour analyser les positions des parties, je me suis appuyé sur une décision non publiée rendue par la juge Heneghan dans l'affaire Robles c. Canada, 2003 CFPI 374, et sur la jurisprudence qui y est mentionnée.

[6]                On ne peut réfuter le principe général (ou la présomption applicable), à savoir que l'on accepte les conséquences de son choix d'un conseil juridique, simplement en démontrant qu'il a été incompétent. L'intéressé doit établir qu'il a subi un préjudice important qui a été causé par l'incompétence de son conseil, qui a abouti à une erreur judiciaire : voir le paragraphe 31 de l'arrêt Robles. D'ailleurs, dans l'arrêt Sheikh c. Canada, [1990] 3 C.F. 238, la Cour d'appel fédérale a invoqué l'arrêt Strickland c. Washington (1984) 466 U.S. 668, rendu par la Cour suprême des États-Unis, pour formuler le principe suivant :

[TRADUCTION] Le défendeur doit démontrer qu'il est raisonnablement probable que n'était-ce des erreurs commises par son avocat par manque de professionnalisme, l'issue de l'instance aurait été différente. Une probabilité raisonnable est celle qui suffit à enlever confiance dans l'issue de l'action. [Page 694]


Dans l'arrêt Sheikh, la Cour d'appel fédérale a donc adopté cette approche, mais le juge MacGuigan, au nom de la cour, a dit : « _..._ je soulignerais que dans tous les cas où elle sera appliquée, elle devrait avoir pour fondement des faits très précis » (page 247).

[7]                L'arrêt Strickland a aussi été invoqué par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520; dans cette affaire, des éléments de preuve n'avaient pas été produits en raison de l'incompétence de l'avocat au procès. Dans son analyse de la notion d'assistance effective d'un avocat, analyse ayant une portée générale même si elle a été faite avec le droit criminel comme toile de fond, la Cour suprême a présenté l'arrêt Strickland, précité, comme l'approche générale à suivre en ce qui a trait à la question de la représentation non effective :

La façon d'envisager les allégations de représentation non effective est expliquée dans l'arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), le juge O'Connor. Cette étude comporte un volet examen du travail de l'avocat et un volet appréciation [page 532] du préjudice. Pour qu'un appel soit accueilli, il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l'avocat relevaient de l'incompétence, et, dans un deuxième temps, qu'une erreur judiciaire en a résulté.

L'incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l'analyse est la forte présomption que la conduite de l'avocat se situe à l'intérieur du large éventail de l'assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l'appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l'avocat ne découlaient pas de l'exercice d'un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n'a pas sa place dans cette appréciation.

Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l'avocat peut avoir compromis l'équité procédurale, alors que dans d'autres, c'est la fiabilité de l'issue du procès qui peut avoir été compromise [aux pages 531-532].


Cette jurisprudence portant sur la représentation non effective enseigne que c'est au demandeur qu'il incombe d'établir l'incompétence de son avocat, appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable, et que cette incompétence doit aboutir à une erreur judiciaire, autrement dit à un préjudice, qui peut être le produit, par exemple, d'une iniquité procédurale ou d'une audience elle-même compromise. Tout cela donne une mesure permettant de savoir si l'on est en présence de circonstances inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles donnant droit au dépôt d'un affidavit en réponse supplémentaire.

[8]                Il est fort possible que les demandeurs aient subi un préjudice du fait de l'incompétence de leur consultant en immigration; cependant, en l'espèce, je ne suis pas convaincu que l'engagement de ne pas assumer le rôle d'un avocat, en supposant pour l'instant qu'il ait une certaine pertinence, constitue un fait inhabituel ou exceptionnel qui devrait se traduire par son admission en preuve. La raison en est la suivante : les demandeurs veulent déposer au dossier un engagement entre un particulier et le Barreau et éventuellement la très brève lettre du Barreau du 25 janvier 2005 qui, tant bien que mal, étayent la preuve actuelle des demandeurs relative à l'incompétence prétendue de leur consultant en immigration. En effet, l'engagement de ne pas agir en qualité d'avocat ne constitue pas un élément de preuve précis ni n'ajoute à la preuve que les demandeurs ont déjà versée à leur dossier actuel de requête en cours de contrôle judiciaire et qui est invoquée dans leurs arguments, aux paragraphes 38 à 40, où sont énoncées des allégations de représentation non autorisée et de préjudice.


[9]                Un engagement formulé en termes très généraux, même joint à la lettre du Barreau remerciant l'avocat actuel _TRADUCTION_ « ... d'avoir porté cette affaire à notre attention » , et contenant l'engagement de M. Zanjani, ne contribue pas à établir comme « fondement des faits très précis » exigés par le juge MacGuigan dans l'affaire Sheikh afin de déterminer si les actes ou les admissions de l'avocat constituaient de l'incompétence, ou afin de déterminer si ses actions avaient été raisonnables, conformément au principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt R. c. G.D.B. (précité). L'engagement du consultant en immigration de ne pas exercer le droit ou même la lettre explicative du Barreau du 25 janvier 2005 n'ont pas non plus de lien discernable avec la question de savoir si M. Zanjani a, en fait, agi pour le compte des demandeurs aux moments cruciaux, ou non.


[10]            Je suis certain qu'il y a de nombreux cas où, après avoir déposé au dossier leurs pièces, les demandeurs veulent renforcer et étoffer des points déjà soulevés au moyen d'affidavits en réponse supplémentaires. En l'occurrence, on soutient que ces nouveaux documents constituent la réponse qui s'impose aux allusions très superficielles à l'incompétence du consultant en immigration qui constituent quatre paragraphes du mémoire du défendeur relatif à la présente demande d'autorisation. Dans son mémoire en réponse déposé le 3 février 2005, le défendeur a soutenu que l'incompétence d'un consultant en immigration ne constitue pas une raison suffisante pour écarter le principe de l'autorité de la chose jugée; que lorsque l'on choisit librement son conseil juridique, il faut des circonstances exceptionnelles pour que soit infirmée une décision antérieure, notamment des preuves suffisantes pour établir les tenants et les aboutissants exacts du problème, et des preuves montrant que cette incompétence a eu un effet décisif sur l'issue de la cause; enfin que le fait que le consultant en immigration n'a pas rempli ses obligations ne suffit pas pour justifier des retards. Le défendeur fait essentiellement valoir ces prétentions à titre d'arguments de droit. Les nouveaux documents que les demandeurs cherchent maintenant à déposer au dossier n'ont rien à voir avec l'argument du défendeur. Par conséquent, ils ne renforcent ni n'étoffent l'argument soutenu par les demandeurs concernant la compétence du consultant en immigration, que ce soit à l'égard de la présente espèce ou même de manière générale.

[11]            Prenant tous les faits dans leur ensemble, je ne peux pas dire que la présente demande d'affidavit en réponse supplémentaire repose sur des faits si inhabituels, peu courants ou exceptionnels et qu'elle satisfait au critère des circonstances spéciales. La requête en dépôt d'un affidavit en réponse supplémentaire est rejetée, avec dépens.

                 « John A. Hargrave »                                                                                                                    Protonotaire

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                IMM-8587-04

INTITULÉ :               AMIR OLIA ET AL.

c.

MCI

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 2 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 2 MARS 2005

COMPARUTIONS :                                     

Zool K. B. Suleman     POUR LES DEMANDEURS

Helen Park                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Suleman and Company                                     

Vancouver (Colombie-Britannique)                                POUR LES DEMANDEURS

John H. Simms, c.r.     

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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