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Date : 20050408

Dossier : T-2079-01

Référence : 2005 CF 473

ENTRE :

                                                CHANTAL-ANNICK TREMBLAY

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

Introduction


[1]                La décision de la Cour d'appel fédérale du 30 avril 2004 dans l'arrêt Canada c. Tremblay (CAF), [2004] 4 R.C.F. 165, (autorisation de pourvoi rejetée par la Cour suprême le 16 décembre 2004) (ci-après l'arrêt Tremblay) et la décision de la Cour suprême du Canada en date du 18 mars 2005 dans l'arrêt Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, (ci-après l'arrêt Vaughan) changent-elles si clairement la donne dans le présent dossier que l'on doive passer outre à la décision du juge Pinard du 19 décembre 2003 rejetant une requête de la défenderesse en jugement sommaire et conclure maintenant qu'il est clair et évident à ce stade que cette Cour n'a pas compétence pour entendre l'action de la demanderesse dont l'instruction au mérite doit débuter le 30 mai 2005 ?

[2]                Je ne crois pas pour les motifs qui suivent que la défenderesse se soit déchargée de ce lourd fardeau et que l'on puisse répondre partant par l'affirmative à cette question.

[3]                La présente requête en radiation de la défenderesse met en relief, une fois de plus, les recours prévus aux articles 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle que modifiée (la Loi) et nous amène à évaluer s'il est clair et évident en l'espèce, tel que le prétend la défenderesse, que la demanderesse ne pouvait procéder par voie d'action selon l'article 17 de la Loi et que le seul recours qui lui était disponible était celui d'instituer une demande de contrôle judiciaire contre une décision d'un office fédéral du 7 juillet 1999 par laquelle la demanderesse a été licenciée.

[4]                Cette requête de la défenderesse nous amènera également à évaluer s'il est clair et évident que la demanderesse ne peut par son action échapper à l'exhaustivité du régime de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, telle que modifiée (la LRTFP) par suite de l'arrêt Vaughan.


Contexte factuel

[5]                La demanderesse a été nommée le 9 septembre 1989 à un poste au sein du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aux termes de l'article 8 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23.

[6]                La demanderesse a été licenciée le 7 juillet 1999 par le directeur du SCRS vu que le maintien de son habilitation de sécurité nécessaire à l'exercice de ses fonctions lui avait été refusé par ce dernier.

[7]                Par son action instituée en novembre 2001, la demanderesse soutient que cette décision du 7 juillet 1999 (la Décision) est illégale au motif essentiel que le directeur du SCRS n'aurait pas alors eu en mains toutes les informations pertinentes et adéquates par ailleurs disponibles. En raison de son congédiement illégal, la demanderesse recherche de par son action des dommages de nature diverse. Elle ne demande pas sa réintégration dans son poste d'alors.

Analyse


[8]                Tel que mentionné précédemment, par sa requête sous l'alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, la défenderesse recherche la radiation de la déclaration d'action de la demanderesse et le rejet de son action au motif que cette Cour n'a pas compétence pour entendre ladite action vu que depuis l'arrêt Tremblay il est clair et évident selon elle qu'un droit d'action à l'encontre de la Décision ne peut exister que dans la mesure où la Décision a été au préalable déclarée illégale aux termes d'une demande de contrôle judiciaire entreprise en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi.

[9]                Notre analyse sera divisée en deux temps. Premièrement, nous nous pencherons sur l'arrêt Tremblay et la jurisprudence l'entourant. Dans un deuxième temps, nous regarderons l'impact de l'arrêt Vaughan.

I.           L'arrêt Tremblay

[10]            Mon analyse ci-dessous de l'arrêt Tremblay m'indique que la Cour d'appel fédérale dans cet arrêt n'a pas écarté l'arrêt Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no. 2070, tel que le soutient la défenderesse, mais a plutôt simplement appliqué aux faits de l'espèce le raisonnement de principe qu'avait tiré le juge Létourneau de cette même Cour dans cet arrêt Zarzour.

[11]            Or, l'arrêt Zarzour fut considéré par le juge Pinard le 19 décembre 2003 lorsqu'il a rejeté dans le présent dossier une requête en jugement sommaire de la défenderesse - requête basée sur les mêmes principes que ceux soulevés par la défenderesse ici - et qu'il a conclu que l'affaire devait aller à procès pour une détermination juste et complète des droits des parties en cause, et ce, tant sur la procédure que sur le fond.

[12]            C'est donc dire que l'arrêt Tremblay ne peut nous permettre de passer outre à cette décision du juge Pinard du 19 décembre 2003 et que cette dernière décision fait office en quelque sorte de chose jugée quant à la requête à l'étude.

[13]            Dans l'arrêt Zarzour, le juge Létourneau a émis au paragraphe [48] de ses motifs les principes suivants relativement à une décision d'un office fédéral (la Commission des libérations conditionnelles) qui était toujours opérante en pratique à l'encontre du demandeur Zarzour :

[48]          Il faut en la matière, je crois, prendre une approche utilitaire et privilégier la procédure qui permet d'éliminer ou de réparer le préjudice découlant de la décision rendue. Il est inutile, par exemple, d'exiger d'un détenu qui a déjà purgé sa période d'isolement de 15 jours qu'il demande par voie de contrôle judiciaire l'annulation de la décision qui l'y a contraint. Par contre, lorsqu'une décision est toujours opérante, comme en l'espèce celle de la Commission imposant comme condition de libération une interdiction de contact, il est non seulement utile, mais nécessaire, de procéder par contrôle judiciaire pour la faire annuler. Sinon, tant la décision que ses effets perdurent et il y a même aggravation du préjudice pendant la période où l'action en dommages suit son cours.

[Non souligné dans l'original.]

[14]            Le juge Létourneau établit donc dans Zarzour que face à une décision opérante, il est non seulement utile, mais nécessaire de procéder par contrôle judiciaire.

[15]            C'est à cette conclusion que la Cour d'appel fédérale dans Tremblay en arrivera également pour forcer le demandeur à se pourvoir par contrôle judiciaire contre la décision de son employeur de le mettre à la retraite.

[16]            Dans Tremblay, le demandeur avait entrepris une action en réintégration dans les Forces armées canadiennes et en dommages pour perte de salaire par suite de la décision de son employeur de le mettre à la retraite.

[17]            En suivant vraisemblablement l'approche recommandée par le juge Décary de la Cour d'appel fédérale dans Sweet et al. v. Canada (1999), 249 N.R. 17, paragraphe [17], la juge Desjardins dans Tremblay a premièrement classé les remèdes recherchés par le demandeur et a identifié comme suit, au paragraphe [14] de ses motifs, cet ordre et l'élément qui devait être attaqué en premier lieu :

[14]          De toute évidence, l'intimé ne peut obtenir sa réintégration dans les Forces canadiennes, ainsi que des dommages pour perte de salaire, que s'il attaque d'abord la décision qui a porté sur sa mise à la retraite, et ce, au motif que les textes législatifs qui sous-tendent sa mise à la retraite sont inopérants eu égard à la Charte. La nullité de cette décision est au coeur de sa demande et les conclusions recherchées sont fonction de cette nullité alléguée. Ce n'est que lorsque la décision sera déclarée nulle que l'intimé aura droit à sa réintégration. Ce n'est que lorsque la réintégration sera prononcée que des dommages-intérêts pourront être réclamés.

[Non souligné dans l'original.]


[18]            Par la suite, après avoir cité entre autres les propos ci-avant du juge Létourneau dans Zarzour, la juge Desjardins reprend comme suit les critères de nécessité et de caractère opérant développés par le juge Létourneau, et ce, en raison du fait que le premier élément à attaquer par le demandeur Tremblay était la décision de mise à la retraite vu que cette décision bloquait forcément la route au remède de la réintégration et des dommages. La décision de mise à la retraite était donc toujours opérante comme l'était la décision de la Commission des libérations conditionnelles commentée par le juge Létourneau dans Zarzour. La juge Desjardins s'exprime comme suit au paragraphe [27] de ses motifs :

[27]          L'intimé ne peut choisir entre deux procédures. Pour obtenir sa réintégration, il lui faut nécessairement agir par voie de contrôle judiciaire. Ce n'est que s'il obtient la nullité de la décision ayant trait à sa mise à la retraite qu'il peut obtenir sa réintégration.

[19]            La décision de la Cour d'appel fédérale dans Tremblay n'établit donc pas véritablement en ratio de nouveaux principes mais fait simplement appliquer aux faits de l'espèce les principes dégagés par le juge Létourneau dans Zarzour. Bien que dans Tremblay la Cour d'appel fédérale indique en début de son analyse de l'arrêt Zarzour que cet arrêt traite d'une question différente de celle qu'elle a à résoudre (voir paragraphe [23] des motifs dans Tremblay), il n'en demeure pas moins, tel qu'on l'a vu précédemment, que la Cour d'appel fédérale dans Tremblay s'inspire grandement du raisonnement pertinent tenu dans Zarzour.

[20]            La décision du 18 octobre 2004 du juge Blanchard de notre Cour dans Grenier c. P.G. du Canada, 2004 CF 1435 (portée en appel le 12 novembre 2004, dossier A-596-04) (l'arrêt Grenier) est une illustration que l'arrêt Tremblay n'est pas campé en absolu et que l'état du droit - du moins à ce jour - donne toujours lieu aux considérations que nous venons de revoir.

[21]            Dans Grenier, le demandeur avait institué une action en dommages suite à une décision des autorités carcérales l'ayant placé pour un certain temps en isolement préventif alors qu'il était détenu dans un pénitencier.


[22]            En appel devant le juge Blanchard, le défendeur a soulevé l'arrêt Tremblay et a soutenu que le demandeur Grenier aurait dû faire revoir en premier lieu par contrôle judiciaire la légalité de la décision le plaçant en isolement préventif.

[23]            Le juge Blanchard s'est alors reporté aux principes de l'arrêt Zarzour pour évaluer si la décision de l'espèce devait être vue comme toujours opérante dans le temps. Aux paragraphes [6] à [9] de ses motifs, il s'est exprimé comme suit :

[6]            La défenderesse s'est basée sur l'arrêt Canada c. Tremblay, 2004 CAF 172, pour soumettre qu'un demandeur ne peut pas choisir entre deux voies de procédures et qu'en l'espèce il doit agir par voie de contrôle judiciaire. Or, contrairement au présent litige, dans l'affaire Tremblay le demandeur devait nécessairement agir par voie de contrôle judiciaire pour obtenir la nullité de la décision ayant trait à sa mise à la retraite puisqu'il cherchait à obtenir la réintégration à son travail. Comme l'a expliqué la juge Desjardins dans l'affaire Tremblay, la Cour reconnaît qu'il peut y avoir des cas où un recours en contrôle judiciaire ne puisse être d'aucune utilité et que chaque cas en est un d'espèce qui doit être évalué selon ses propres mérites pour déterminer la procédure appropriée.

[7]            Je suis d'avis qu'en l'espèce, il serait inutile pour le demandeur de procéder par voie de contrôle judiciaire pour obtenir l'annulation d'une décision qui n'est de toute évidence plus opérante. J'en conclus que la seule procédure qui pourrait permettre d'éliminer ou de réparer le préjudice causé par la peine déjà purgée est celle d'une action en dommages. Pour ces motifs, je suis d'avis que les faits dans la présente affaire s'apparentent à ceux qui ont été examinés par le juge Létourneau dans l'arrêt Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no 2070 en ligne : QL, et qu'ils n'entraînent pas les mêmes considérations que ceux considérés dans l'arrêt Tremblay. Je me permets donc de reprendre l'analyse tel qu'énoncée par le juge Létourneau dans l'arrêt Zarzour, au paragraphe 48 de sa décision, qu'il faut :

[48] (...) prendre une approche utilitaire et privilégier la procédure qui permet d'éliminer ou de réparer le préjudice découlant de la décision rendue. Il est inutile, par exemple, d'exiger d'un détenu qui a déjà purgé sa période d'isolement de 15 jours qu'il demande par voie de contrôle judiciaire l'annulation de la décision qui l'y a contraint. Par contre, lorsqu'une décision est toujours opérante, comme en l'espèce celle de la Commission imposant comme condition de libération une interdiction de contact, il est non seulement utile, mais nécessaire, de procéder par contrôle judiciaire pour la faire annuler. Sinon, tant la décision que ses effets perdurent et il y a même aggravation du préjudice pendant la période où l'action en dommages suit son cours.


[8]            Il transparaît de la jurisprudence applicable en la matière que, dans les cas où la décision à l'origine du préjudice est encore opérante au moment où le recours est intenté, la partie qui s'estime lésée ne peut avoir recours à une action mais doit plutôt se prévaloir de la demande de contrôle judiciaire : Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539, en ligne : QL; Zarzour, précité; Tremblay, précité. À l'inverse, dans l'éventualité où la décision ayant engendré le prétendu préjudice n'a plus d'effet dans le temps, il est possible pour le requérant d'intenter une action afin de réclamer des dommages : Creed c. Canada (Solliciteur général), [1998] A.C.F. no 199, en ligne : QL; Shaw c. Canada, [1999] A.C.F. no 657, en ligne : QL.

[9]            Comme la mise en isolement préventif avait pris fin au moment où les procédures judiciaires ont été intentées par le demandeur, il pouvait se prévaloir de l'action comme véhicule pour mener à bien sa contestation. La décision contestée n'était plus opérante dans le temps.

[24]            La défenderesse nous a référé à l'audition, puis dans des représentations écrites supplémentaires, à la décision tout récente de la Cour d'appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Boucher, [2005] A.C.F. no 352 pour soutenir que là la Cour d'appel fédérale avait été plus loin que dans les affaires Tremblay et Zarzour et avait affirmé que la légalité de toute décision, opérante en pratique ou non, passait en premier à coup sûr par le biais d'une demande de contrôle judiciaire.


[25]            Ma lecture de cet arrêt Boucher ne me permet pas d'affirmer qu'il est clair et évident que c'est là la ratio de cette décision. Dans Boucher la dynamique portée à l'attention de la Cour est différente de la présente. Dans Boucher, la Cour d'appel fédérale a simplement refusé de considérer comme théorique une demande de contrôle judiciaire vu que l'objet de cette demande était pour être partie de l'équation de l'action entreprise par le demandeur. Dans Boucher, la Cour d'appel fédérale ne met pas clairement et expressément de côté le classement qu'elle tient dans Tremblay et Zarzour (décision opérante ou non) au profit de l'exclusivité absolue du contrôle judiciaire lorsqu'une action implique de revenir sur la légalité d'une décision. Je pense qu'un tel type de propos aurait été requis pour que je puisse conclure que la position de la défenderesse est claire et évidente dans le cadre de la présente requête.

II.         L'arrêt Vaughan

[26]            Je tiens que la ratio de cet arrêt est à l'effet en général qu'une action ne peut être entreprise par un demandeur lorsque son différend est sujet à la procédure de grief de l'article 91 de la LRTPF, que ce grief soit sujet à l'arbitrage ou non. C'est dans ce sens que les cours parlent de l'article 91 comme d'un code complet en soi.

[27]            Cette exhaustivité est consacrée par la Cour suprême à l'égard d'une action dont les faits donnaient par ailleurs ouverture à un grief. Ici, il est acquis que la demanderesse n'avait pas quant à la Décision un tel droit de grief mais bien un droit de plainte à un comité de surveillance établi aux termes des articles 41 et 42 dela Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, supra. Doit-on considérer qu'il est clair et évident que ce type de plainte qui semble correspondre à un « autre recours administratif de réparation » dont fait état le paragraphe 91(1) de la LRTFP est visé par les motifs du juge Binnie dans Vaughan ?


[28]            Indépendamment de la réponse à cette question, le juge Binnie dans Vaughan fait état aux paragraphes 19 et suivants de sa décision du fait que les tribunaux conventionnels n'ont pas perdu toute compétence lorsqu'il s'agit de revoir la situation d'un dénonciateur. Or ici, la demanderesse considère être dans une telle situation puisqu'elle juge que la Décision est intervenue en raison du fait qu'elle a procédé via sa conjointe à dénoncer certaines choses. On ne peut donc dire clairement que l'arrêt Vaughan empêche le recours de la demanderesse.

[29]            Pour tous ces motifs, cette requête de la défenderesse sera rejetée avec dépens.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 8 avril 2005


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-2079-01

CHANTAL-ANNICK TREMBLAY

                                                               demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                défenderesse


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            4 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                   8 avril 2005

ONT COMPARU :


Me Jacques Béland

POUR LA DEMANDERESSE

Me Nadine Perron

Me Raymond Piché

POUR LA DÉFENDERESSE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Béland, Lacoursière

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE


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